Le diagnostic de DG : un choc
Un bouleversement identitaire
L’annonce du diabète gestationnel a créé une rupture dans le déroulement de la grossesse. P2 a dit « c’est un traumatisme, je le jure ». Le DG a fait basculer les femmes enceintes du côté des malades et des grossesses pathologiques alors qu’elles ne ressentaient aucun symptôme. Avoir le statut de malade a signifié pour la plupart des femmes interrogées une diminution de certaines capacités de façon à ne plus pouvoir accomplir tous les actes quotidiens, ou avoir des complications graves nécessitant une hospitalisation. Or, les femmes enceintes représentaient une population jeune peu limitées dans leur capacité. Elles ont eu du mal à s’identifier à quelqu’un de malade. P2 a dit que les malades, « ce sont les autres, à l’hôpital », «ceux qui n’arrivent plus à rien faire ». Le statut de malade s’est imposé d’autant plus aux femmes qu’elles étaient immédiatement prises dans un tourbillon médical avec de multiples rendez-vous médicaux à l’hôpital, la réalisation d’une autosurveillance glycémique pluriquotidienne et un objectif glycémique à atteindre.
Ce statut de malade est venu les questionner profondément, créant une confusion. En ce sens certaines soulignaient un bouleversement identitaire « vous vous perdez» dit P2. Le DG a retenti sur l’état général. « Je ne dormais plus » (P2). Certaines ont été démoralisées et ont eu du mal à réfléchir. « Vous envoyez tout promener » (P2). Les femmes ayant eu des ATCD de grossesse pathologique ont appréhendé davantage leur grossesse.
Le DG : des causes confuses à l’origine d’une quête d’informations
Certaines femmes ont évoqué une dysfonction d’organes à l’origine du DG : les reins, le foie, le pancréas. P7 a évoqué un « rapport aux hormones » et P8, une maladie « peut être due à la grossesse ». D’autres causes du DG ont été avancées : l’hérédité, l’âge, la « punition divine » (P2). Comme elle le résume : « le créole, si quelque chose qui doit arriver, c’est le Bon Dieu qui a décidé pour toi ». Peu de femmes exprimaient un sentiment de culpabilité. P7 a dit « ce n’est pas de ma faute, c’est le corps qui fait que c’est comme ça ». Un sentiment de fatalité dominait dans les discours avec le caractère aléatoire de la survenue du DG d’une femme à l’autre ou d’une grossesse à l’autre chez une même femme. P5 résumait ainsi « soit tu tombes dans le lot où il y a, soit tu tombes dans le lot où il n’y a pas ». Beaucoup ont trouvé le DG injuste car elles pensaient prendre soin d’elles au quotidien. « Tu fais attention à l’année, tu chopes un truc, la personne d’à côté, elle l’a pas… ce n’est pas juste » (P3). Le DG a alerté les femmes d’un plus grand risque de développer un diabète de type 2 (DT 2) que la population générale. Toutes les femmes se sont informées sur le DG. L’internet a été la première source sollicitée car la plus facile d’accès. Mais les informations recueillies ont souvent été source d’angoisse car les femmes ont été seules face à l’écran. Ces ressources ont été jugées peu fiables. « Internet c’est beau, mais on ne sait pas qui l’a mis » (P9). Le partage d’expériences a semblé important pour la majorité des participantes même si elles sont restées critiques. « Il ne s’agit pas de regarder ce que fait le voisin » (P7). D’autres sources d’information ont été citées : les émissions télévisées, quotidiens régionaux, les journées et manifestations autour du diabète. Les professionnels ont été considérés comme des sources fiables. Les femmes n’ont pas hésité à les questionner et à remettre en question les conseils des anciens à propos des aliments suspectés abortifs (la papaye, le jamblon, la citrouille). La même démarche a été retrouvée pour l’utilisation des plantes qui faisaient partie d’une tradition de soin dans laquelle s’inscrit une mémoire collective identitaire. Les tisaneurs étaient reconnus dans leurs compétences : comme la grand-mère de P3 qui « a ses propres herbages… ». Mais les femmes enceintes et les tisaneurs se méfiaient des effets potentiels des plantes sur le bébé. « Ma grand-mère a eu un doute, parce qu’elle n’a jamais eu affaire à des diabétiques enceintes ». Elle a dit de se faire « suivre à l’hôpital, c’est moderne».
Peur et culpabilité chez le bébé à naître à l’annonce du DG
Pour plusieurs c’était le mot diabète qui faisait peur « plus que le gestationnel » dit P8, sûrement à cause des multiples exemples de proches atteints de DT2 et aveugles ou amputés. Pourtant les femmes reconnaissaient que « diabète 1, diabète 2, tout le monde n’a pas le même diabète » (P2). Seule P3 a déclaré qu’elle avait pensé que c’était une « blague », tellement le diagnostic était inattendu et P5 n’a pas été surprise car elle « s’attendait à faire le diabète », à cause de ses ATCD de DG. On retrouvait chez toutes les femmes interrogées la peur : « peur que ça ait des complications chez le bébé » (P4), « peur d’un accouchement prématuré » (P4). Le diabète gestationnel était source d’inquiétude supplémentaire pendant la grossesse. « Comment la grossesse va-t-elle se dérouler ? » se demandait P6. Certaines femmes se disaient stressées, elles se sentaient coupables et se demandaient si elles faisaient du mal à leurs bébés.
Vivre avec le DG : la difficile acceptation de l’intrusion du médical au cœur d’un quotidien profane
Corps et DG : image négative et contraintes
Ces émotions négatives ont entravé le plaisir d’être enceinte, surtout si c’était une première grossesse. « Ça ne donne plus envie d’être enceinte pour le moment » (P4). Avoir le DG a généré chez la femme une image négative de son corps. « Notre corps change, dire qu’on a un truc négatif qui se passe, on réagit différemment » (P7). Les pensées des femmes enceintes se sont centrées sur le diabète. P2 s’est plainte de « penser qu’à ça ». Avec l’alimentation, la contrainte de l’autosurveillance glycémique a pesé le plus sur le moral au quotidien. « J’en ai marre » (P4). L’absence de ressenti de maladie a majoré ce vécu négatif. Certaines ont évoqué des difficultés d’organisation matérielles, par exemple, elles ne portaient pas toujours sur elles le lecteur de glycémie lors de repas improvisé à l’extérieur. L’insulinothérapie a été vécue comme très contraignante. Par exemple, les patientes devaient penser à transporter leur insuline dans un emballage approprié lorsqu’elles sortaient toute la journée sous de fortes chaleurs, certaines préféraient ne pas l’amener. Beaucoup ont dit devoir mettre une alarme pour la glycémie post prandiale du soir car elles s’endormaient de fatigue. « Si on mange à 10 heures le soir, il faut attendre minuit pour piquer le doigt, si on dort, il faut se réveiller pour le faire… » (P1). Toutes ont évoqué la douleur et les hématomes au bout des doigts. Certaines appréhendaient le geste et avaient du mal à accepter l’irruption d’aiguilles dans leur quotidien.
Les préoccupations des professionnels sur les chiffres plus ou moins partagées par les femmes
L’écart au seuil glycémique a importé plus que la valeur absolue de la glycémie pour les femmes: « je vois mes glycémies sont un peu à tort et à travers, ça m’aurait inquiété si vraiment c’est un grand écart » (P5). Pour d’autres ce qui a compté, c’était le fait de se sentir bien « je regarde au niveau de ma santé, je me dis, ça va tu continues » (P1). Les femmes étaient préoccupées par le fait que leur bébé aille bien et attendaient d’être rassurées par le monitoring foetal « je ne suis pas trop inquiète (…) bébé, quand je fais le monito, c’est bon » (P5). Les femmes ont été perplexes devant les chiffres très variables de leurs glycémies capillaires. « Même quand je mange normalement, des fois ça baisse, des fois ça augmente, ça joue le yoyo » (P10). Les chiffres ne reflétaient pas les efforts quotidiens et incitaient à porter un jugement négatif sur leur comportement. Plusieurs femmes ont estimé que les soignants étaient trop stricts, « il manque une valeur, ils vous renvoient à la maison sans même accorder de l’importance à toutes les valeurs prises, vous recommencez tout » (P7).
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Table des matières
INTRODUCTION
MÉTHODES
1 .Méthode
2.Population étudiée
3.Modalités de recrutement
4.Recueil des données
5.Analyse des informations
6.Objectifs
6.1. Objectif principal
6.2. Objectifs secondaires
RÉSULTATS
1.Le diagnostic de DG : un choc
1.1.Un bouleversement identitaire
1.2.Le DG : des causes confuses à l’origine d’une quête d’informations
1.3. Peur et culpabilité chez le bébé à naître à l’annonce du DG
2.Vivre avec le DG : la difficile acceptation de l’intrusion du médical au coeur d’un quotidien profane
2.1. Corps et DG : image négative et contraintes
2.2. Les préoccupations des professionnels sur les chiffres plus ou moins partagées par les femmes
3. Alimentation sur ordonnance : vécu,construction de savoirs et représentations
3.1. Donner naissance à un enfant en bonne santé : une motivation à suivre les recommandations
3.2. L’expérimentation individuelle au cœur de la reconquête d’une autonomie
3.3. Les comportements alimentaires sont sous-tendus par diverses représentations et théories
3.4. Peu de suivi des recommandations concernant l’activité physique du fait des contraintes et des représentations de la femme au foyer
4.Un suivi contraignant
4.1. Obstacles matériels, professionnels mal identifiés et langage médical peu accessibles : un parcours anxiogène
4.2. …mais un soutien familial réconfortant et motivant
DISCUSSION
1.Forces et faiblesses de l’étude
2. Analyse des résultats et comparaison avec la littérature
2.1.Des expériences communes à toutes les femmes ayant un DG
2.2. Le DG une physiopathologie mal appréhendée
2.3. Le DG a un impact négatif sur la qualité de vie
2.4. Des résistances aux changements de mode de vie mais une reconquête de l’autonomie à travers des expérimentations individuelles
2.5. Un partenariat médecin /patiente à promouvoir
2.6. Le DG : un tremplin pour une nouvelle vie ?
CONCLUSION
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