Le développement psycho-affectif de l’enfant

Les instances intra-psychiques

Dans L’interprétation du rêve (1900/2010), Sigmund Freud propose une cartographie de l’appareil psychique appelée première topique. La psyché se scinderait en trois systèmes : Inconscient, Préconscient et Conscient. Plus tard, dans Le Moi et le Ça (1923/1981), Sigmund Freud construit une deuxième topique où il distingue trois instances intra-psychiques : Ça, Moi et Surmoi. Ces deux topiques s’articulent ensemble pour permettre une géographie psychique du sujet.
Le Ça, présent dès la naissance, désigne le « pôle pulsionnel de l’appareil psychique ». Il se rattache à l’inconscient. Ensuite, le Moi s’élabore progressivement à partir du Ça. Il désigne la part la plus consciente de l’appareil psychique, dite de «surface» . Sa fonction principale est de maintenir un équilibre psychique. Dans la différenciation entre le Moi et le Ça, Freud évoque également le rôle du corps propre et plus exactement des perceptions externes et internes. Il parle de Moi corporel. Dans la conception freudienne, « toute fonction psychique se développe par appui sur une fonction corporelle dont elle transpose le fonctionnement sur le plan mental » . En parallèle, le Surmoi s’érige également sur le Ça mais fait partie du Moi. Il représente les règles et les interdits. Le Surmoi a trois fonctions : censure, auto-observation et Idéal du Moi.
Dans cette organisation tripartite, le fonctionnement psychique se fait dans un premier temps selon le processus primaire de pensée (principe de plaisir) puis selon le processus secondaire de pensée (principe de réalité). « Cette adaptation du fonctionnement psychiques aux contraintes de l’environnement est liée à la prise d’influence du Moi qui va peu à peu établir un compromis entre les nécessités internes […] et les nécessités externes ».

Les angoisses archaïques

« L’archaïque concerne le commencement, le début, l’origine, le primaire… ». Parmi les expériences précoces dans le développement de l’enfant, certaines relèvent de l’archaïque. Elles peuvent déposer une empreinte dans le fonctionnement de l’individu sur le long terme. Cette empreinte peut prendre différentes formes, dont des angoisses, ainsi appelées angoisses archaïques.
Dans son livre, Clinique de l’image du corps : du vécu au concept, Éric Pireyre (2011) revient sur l’apparition des premières angoisses archaïques. Elles seraient provoquées par le changement d’environnement imposé par la naissance. L’apport de nouvelles sensations par le passage au milieu aérien engendrerait des angoisses. « L’angoisse est une réaction qui se présente au sujet à chaque fois qu’il se trouve dans une situation plus ou moins traumatique, c’est-à-dire qu’il est soumis à un afflux, trop important pour lui, d’excitations d’origines externes ou internes, excitations non maîtrisables et non compréhensibles ».
Donald Winnicott parle d’angoisses disséquantes primitives pouvant se manifester de différentes façons : « se morceler », « ne pas cesser de tomber », « ne pas avoir de relation avec son corps » ou encore « ne pas avoir d’orientation » . Éric Pireyre (2011) évoque également Frances Tustin, qui, elle, utilise le terme de terreurs primitives pour désigner le vécu corporel du nourrisson.
La présence d’angoisses archaïques est dite normale chez le tout-petit. Leur devenir classique veut qu’elles soient « surmontées » au cours du développement. Cependant, tout au long de la vie, elles peuvent ressurgir dans la vie quotidienne, de façon plus ou moins prononcée. Sur un versant pathologique, elles pourront avoir des répercussions sur le sentiment continu d’exister et être un frein à l’élaboration du Moi. C’est dans ma partie théorique concernant la psychose infantile que j’aborderai plus précisément le vécu corporel lié à ces angoisses archaïques.

Origines et définition de la psychose infantile

Longtemps, la psychose fut considérée comme une pathologie de l’adulte. C’est Margaret Mahler (1970/1977) qui est la première à employer le terme de psychose infantile. Elle distingue l’autisme infantile (Kanner, 1943) et la psychose symbiotique en tant que deux formes de la psychose infantile. Selon elle, « le trouble central dans le cas de psychose infantile est donc une déficience ou un défaut dans l’utilisation intra-psychique par l’enfant du partenaire maternant pendant la phase symbiotique, et son incapacité subséquente à internaliser la représentation de l’objet maternant pour une polarisation ». Autrement dit, ce serait le processus de séparation-individuation, inhérent au développement du nourrisson, qui serait mis à mal. Il en résulterait une altération du développement du Moi au sein de la dyade mère-enfant.
Dans le cadre de ce mémoire, je ne m’attarderai pas sur les différentes théories concernant la psychose infantile mais j’axerai plutôt ma réflexion autour des différentes manifestations cliniques de cette pathologie.
Avant cela, il me semble important de proposer une définition globale de la psychose infantile. Pour ce faire, je choisis celle-ci : « la psychose infantile se définit comme un trouble portant sur l’organisation de la personnalité de l’enfant, entraînant des défaillances majeures dans l’organisation de son Moi et de son appareil psychique ainsi que dans l’organisation de sa relation au monde et à autrui » . Pour moi, cette définition fait écho à ce que j’ai pu observer dans ma clinique, notamment au niveau de l’état de désorganisation d’Alban.

Le corps dans la psychose infantile

En psychomotricité, le corps et toutes ses intrications avec l’esprit constituent un élément d’observation très riche. La première chose que l’on voit chez une personne, ici un patient, est son corps. Il nous donne une impression qui fait écho à notre propre vécu. Il reflète le fonctionnement d’une personne, ses émotions, son organisation tonique.
Dans notre profession, pour parler du corps et plus exactement du vécu qui s’y rapporte, nous parlons de schéma corporel et d’image du corps. Ce sont des concepts fondamentaux en psychomotricité qui, dans la psychose infantile, sont mis à mal. Ainsi, je vais donc revenir sur ces notions puis en aborder les spécificités dans le fonctionnement psychotique.
Rappel sur les concepts de schéma corporel et d’image du corps : Dans la littérature, les notions de schéma corporel et d’image du corps sont, la plupart du temps, intriquées entre elles, dans une perspective d’étayage réciproque.
Elles balayent plusieurs domaines, allant de la neurophysiologie à la psychanalyse. Plutôt d’inspiration neurologique, le schéma corporel serait un modèle perceptif du corps. Présent tout au long de la vie, il s’établit à partir de nos diverses expériences, aussi bien motrices que perceptives. Il désigne notre connaissance des différentes parties du corps, de leurs relations entre elles ainsi que de leur position dans l’espace. Julian de Ajuriaguerra (1970) en propose une définition à mon sens plutôt complète : «édifié sur la base des impressions tactiles, kinesthésiques, labyrinthiques, visuelles, le schéma corporel réalise dans une construction active constamment remaniée des données actuelles et du passé, la synthèse dynamique, qui fournit à nos actes, comme à nos perceptions, le cadre spatial de référence où ils prennent leur signification».
De ce point de vue, le schéma corporel semble ne pas prendre en compte les dimension psychologiques et sociales de l’être humain, pourtant inhérentes à sa condition. Dans une approche bio-psycho-sociale, Paul Schilder (1935/1968) reprend les travaux de Henry Head sur le schéma corporel et y associe l’image du corps. À la perception, il associe la représentation du corps. Cependant, une confusion se crée entre les deux concepts, mettant ainsi en évidence toute la complexité et l’ambiguïté du lien corps-esprit.
À l’inverse, Françoise Dolto (1984) établit une distinction nette entre image du corps et schéma corporel. Elle parle d’image inconsciente du corps, cantonnant le schéma corporel à la neurophysiologie. Pour Françoise Dolto, « l’image du corps est à chaque moment mémoire inconsciente de tout le vécu relationnel, et, en même temps, elle est actuelle, vivante, en situation dynamique, à la fois narcissique et interrelationnelle : camouflable ou actualisable dans la relation ici et maintenant ».
Plus récemment, Éric Pireyre (2011) s’appuie sur les théories développées jusque-là pour proposer le concept d’image composite du corps. Selon lui, « l’image du corps ne peut pas être monolithique. Elle ne peut qu’être composée de plusieurs éléments différents » . Il décrit alors neuf composantes: la sensation de continuité d’existence, l’identité, l’identité sexuée, la peau physique et psychique, la représentation de l’intérieur du corps, le tonus, la sensibilité somato-viscérale ou sensorialité, les compétences communicationnelles du corps et les angoisses corporelles archaïques. Ces différentes composantes illustrent bien les multiples facettes constituant le sujet, et dont certaines sont impactées dans la psychose infantile.

Tonus et émotion

Le tonus sert de trame au mouvement mais il est également le lieu d’inscription de l’affectivité et des émotions. Le Petit Robert définit l’émotion comme un « état de conscience complexe, généralement brusque et momentané, accompagné de troubles physiologiques » . Par extension, elle désigne une sensation envisagée sur un versant affectif. L’affectivité, quant à elle, désigne l’ «ensemble des phénomènes de la vie affective».
Pour Antonio Damasio, les émotions « se manifestent sur le théâtre du corps. Les sentiments sur celui de l’esprit » . Les émotions seraient donc à différencier des sentiments. De plus, elles seraient reliées à notre histoire personnelle. Les émotions sont également prises dans les relations interindividuelles et se partagent, se communiquent. Nous sommes capables de reconnaître une émotion chez une autre personne grâce à notre propre vécu de cette émotion.
En reprenant les propos d’Antonio Damasio, il apparaît évident que les émotions viennent produire des modifications corporelles, notamment à l’échelle du tonus. Et vice-versa. Dans le langage commun, il est courant de retrouver ce lien : tensions musculaires aux épaules en cas de stress, manque d’énergie et indolence en cas de tristesse. Ainsi, les phénomènes de contraction/relâchement des muscles seraient corrélés aux différentes émotions qui peuvent nous traverser, dans une perspective de réciprocité. Henri Wallon (1949) écrit « les émotions sont une formation d’origine posturale et elles ont pour étoffe le tonus musculaire ». Et dès le début de la vie, le lien entre tonus et émotion est présent. L’état tonique du bébé constitue le reflet de son état émotionnel : quiétude et détente musculaire, déplaisir et augmentation du tonus.
Henri Wallon explique que les émotions s’inscrivent dans le corps. Le bébé ne pouvant subvenir seul à ses besoins, c’est son corps qui indique à ses parents son état. Et grâce à cela, ils peuvent y répondre.

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Table des matières

INTRODUCTION 
PARTIE 1 : OBSERVATION CLINIQUE
I. Présentation du Centre Médico-Psycho-Pédagogique
II. Présentation du patient : Alban
1. Anamnèse
2. Evaluation psychomotrice
3. Prise en charge psychomotrice
4. Ma rencontre avec Alban
a. Premières impressions
b. Evolution de la prise en charge
PARTIE 2 : APPORTS THEORIQUES 
I. Le développement psycho-affectif de l’enfant 
1. Les instances intra-psychiques
2. Le sentiment continu d’exister
3. Développement psychocorporel
4. Les angoisses archaïques
II. La psychose infantile
1. Origines et définition de la psychose infantile
2. Le point de vue des classifications
3. Le point de vue du psychomotricien
a. Le corps dans la psychose infantile
b. Les angoisses corporelles
c. Les mécanismes de défense
III. Le tonus et sa fonction tonique
1. Le tonus : définition et mise en place
2. Tonus et émotion
3. Le tonus dans la relation
a. Transfert et contre-transfert
b. Le dialogue tonique
4. Le tonus et sa fonction contenante
PARTIE 3 : PISTES DE REFLEXION 
I. La création d’une cabane
II. L’aménagement temporel du cadre de la séance
1. Le cadre thérapeutique : définition et fonction
2. L’alliance thérapeutique
III. L’ajustement du psychomotricien 
1. Ma place de stagiaire dans la relation thérapeutique
2. Transfert et contre-transfert : entre corps et émotions
IV. Mise en perspective de ma réflexion 
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES 
o Annexe I : image représentant un PNJ, le peintre
o Annexe II : photographies représentant la modélisation en pâte à modeler du peintre
o Annexe III : photographies de la cabane initiale
o Annexe IV : photographies de la cabane, deuxième version
o Annexe V : photographies de la cabane, troisième version

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