La trisomie 21 est la plus fréquente des anomalies chromosomiques graves. Elle concerne une naissance sur 800 en France (Verloes, 2005). On peut retrouver chez les personnes porteuses de trisomie 21 des troubles cardiaques, respiratoires, neurocentraux, immunologiques, endocriniens et métaboliques, intellectuels et langagiers… L’espérance de vie de ces personnes est passée de 9 ans dans les années 1930 à plus de 50 ans aujourd’hui (De Freminville, 2008). Ainsi, le développement des connaissances concernant ce syndrome génétique a amélioré la prise en charge de ces patients tant sur le plan médical, paramédical qu’éducatif, favorisant également la qualité de vie et l’insertion sociale (Ternisien, 2014). Le syndrome oro-facial, l’une des caractéristiques de la trisomie 21, a de nombreuses répercussions fonctionnelles et morphologiques. Une prise en charge le plus précocément possible vise à prévenir ces conséquences sur le développement de l’enfant (Cuilleret, 2017). D’une part, sur le plan orthophonique, le travail est mené conjointement avec les parents. Des sollicitations oro-faciales sont proposées. Le développement des perceptions sensorielles, des bases de la communication, des premiers raisonnements et des relations parents-enfants est recherché. D’autre part, une thérapie par plaques de myostimulation orale a été développée dans les équipes d’odontologie pédiatrique, et notamment en France, dans celle du CHU de Rennes. Elle peut être proposée en complément à la prise en charge orthophonique. Au travers de cette étude, nous cherchons à étudier l’intérêt de la complémentarité de ces deux approches.
Le développement oro-facial et ses conséquences chez l’enfant porteur de trisomie 21
La sphère oro-faciale et le corps tout entier sont marqués par l’anomalie présente sur la 21ème paire de chromosomes. Rondal (2010) rappelle que l’environnement a une influence considérable sur l’expression du patrimoine génétique. Il existe une importante variabilité interindividuelle dans le développement oro-facial des personnes porteuses de trisomie 21. Cependant, on retrouve chez les enfants des troubles primaires qui sont la conséquence du chromosome surnuméraire.
Des troubles primaires étroitement intriqués
Au niveau oro-facial, des troubles primaires sont retrouvés dès la naissance. Ils concernent notamment le développement morphologique, tonique et sensoriel (Mison et Morvezen, 2006). Ces troubles sont étroitement intriqués.
Un morphotype particulier
La morphologie cranio-faciale particulière est un des troubles primaires liés à la trisomie 21. Elle concerne entre autres les fosses nasales qui sont plus petites par rapport au développement typique (Cuilleret, 2017). La trompe d’Eustache est plus courte, plus étroite et plus horizontale (Duriez, 2008). Le maxillaire est petit et étroit, et les dysharmonies maxillo-mandibulaires sont fréquentes. La langue hypotonique se place plus difficilement au palais. Des anomalies d’éruption dentaire sont également retrouvées avec des agénésies, des retards d’éruption ainsi que des anomalies de taille ou de forme (Rodrigues, 2014). Les structures osseuses et musculaires interagissent entre elles dès la période foetale. D’après Crunelle (2013), ce morphotype est renforcé, dès le plus jeune âge, par les troubles du tonus, ainsi que les troubles sensoriels.
Hypotonie et hyperlaxité ligamentaire
L’hypotonie musculaire est l’un des symptômes caractéristiques de la trisomie 21. Elle est généralement associée à une hyperlaxité ligamentaire (Touraine et De Fréminville, 2010). Ce trouble neuromusculaire est global. Le contrôle postural est déficitaire (Vinter, 2008). Les muscles de la ceinture scapulaire permettant le développement de la cage thoracique sont touchés (Ammann, 2012). Sur le plan oro-facial, l’hypotonie et la petite cavité buccale entraînent une macroglossie relative que Cuilleret (2017) qualifie plutôt de « dysadaptation de la langue ». Le contrôle mandibulaire est affecté (Rives, 2012). Au niveau labial, Rodrigues (2014) rappelle que l’hypotonie touche l’orbiculaire des lèvres. La fermeture labiale est insuffisante et l’étanchéité buccale n’est plus assurée, ce qui favorise le bavage. L’insuffisance de tonus se retrouve aussi sur les muscles jugaux et vélo-pharyngés avec un impact sur les fonctions orales. Cette hypotonie globale a des conséquences sur le développement morphologique et sensoriel. De plus, elle retarde le développement psychomoteur et appauvrit les expériences sensorimotrices (Crunelle, 2013).
Une intégration sensorielle perturbée
L’intégration sensorielle est également troublée chez les jeunes enfants porteurs de trisomie 21. Les troubles sensoriels sont retrouvés dès l’enfance au niveau du traitement des perceptions visuelles, auditives, olfactives, gustatives et tactiles. Ils touchent aussi la proprioception. La sensibilité douloureuse est réduite, avec des difficultés de localisation de la douleur (De Fréminville, 2008). L’hypotonie et les particularités morphologiques entravent l’intégration sensorielle. Parallèlement, l’hyposensibilité altère la prise de conscience de la cavité buccale, de la protrusion linguale, du bavage, de la stabilité de la mandibule ou encore des praxies (Ammann, 2012). En effet, Thibault et Pitrou (2012) rappellent que la sensorialité est fondamentale dans les fonctions de ventilation, de relation, de nutrition et d’expression.
Des troubles immunologiques
Des troubles immunologiques viennent s’ajouter aux troubles primaires liés à la trisomie 21. La sphère oro-faciale est concernée. Ces troubles favorisent les maladies parodontales précoces. Ils entraînent une hypertrophie des amygdales et des végétations, ce qui participe à l’obstruction des voies aériennes. Le risque d’infections ORL est augmenté. (Collado, Faulks, Hennequin, Mazille, Veyrune, 2008). Les troubles immunologiques interagissent donc avec les particularités toniques, sensorielles et morphologiques. Ainsi, tous ces troubles primaires sont intriqués . Ils entraînent des perturbations dans le développement oro-facial de l’enfant en l’absence d’intervention précoce.
Les conséquences des troubles primaires
Les troubles primaires chez les enfants porteurs de trisomie 21 ont des répercussions morphologiques, fonctionnelles et communicationnelles .
La langue a un rôle central dans le développement de la cavité buccale. Sa position basse, liée notamment à l’hypotonie et à l’hyperlaxité ligamentaire, a des conséquences morphologiques. La langue ne peut assurer sa fonction dans le développement maxillaire. La position basse entraîne une tendance à la protrusion en l’absence d’intervention précoce ainsi qu’un proglissement mandibulaire (Thibault et Pitrou, 2012). Les rapports occlusaux en sont altérés et les béances antérieures maxillaires sont présentes dans la plupart des cas (Chaffai, 2003). Des dyskinésies faciales sont associées à la propulsion mandibulaire. Ces petits mouvements incontrôlés peuvent être pour l’enfant une recherche de stabilité de la mandibule (Hennequin, Faulks, Veyrune et Faye, 2000). Par ailleurs, d’après Thibault et Pitrou (2012), la langue est « l’organe clé de l’oralité et de la verticalité». Son hypofonction et les dysmorphoses altèrent la posture céphalique et par conséquent la posture globale, ainsi que les différentes fonctions orales telles que la respiration, la déglutition, la mastication et la phonation.
Une ventilation fonctionnelle est principalement naso-nasale avec une langue en position haute (Leloup et Langel, 2013). Chez l’enfant porteur de trisomie, elle est généralement buccale ou mixte. Mellul et Thibault (2004) rappellent que « toute ventilation buccale est souvent liée à une position anormale de la langue ». D’après Thibault et Pitrou (2012), les infections ORL sont fréquentes en raison du dysfonctionnement de la trompe d’Eustache. L’obstruction partielle des voies respiratoires à cause des infections et de l’hypertrophie des amygdales et végétations oblige l’enfant à respirer par la bouche. Le mauvais drainage des sécrétions de l’oreille moyenne entraîne de nombreuses otites qui impactent par ailleurs le développement du langage et de la communication. Selon Cuilleret (2017), le syndrome d’apnée obstructive du sommeil est fréquent. Il perturbe la croissance maxillaire et sinusale. Le mode respiratoire buccal modifie le geste typique de déglutition (Leloup et Langel, 2013). Il peut aussi jouer sur les échanges gazeux sanguins, et donc sur l’activité cérébrale (Ammann, 2012).
Chez l’enfant trisomique, la fermeture labiale est insuffisante, l’étanchéité buccale n’est plus assurée et le contrôle de la salive est perturbé. Le bavage est donc fréquent (Mellul et Thibault, 2004). Le manque de contrôle mandibulaire, l’hypotonie, les malocclusions et les perturbations de la phase de préparation du bol alimentaire entraînent des troubles de la déglutition (Rives, 2012). On peut retrouver une déglutition primaire qui perdure et devient donc atypique (Thibault, 2007). Les troubles de la déglutition entraînent par ailleurs un risque de fausses routes et de complications bronchopulmonaires (Cuilleret, 2017). Des conséquences au niveau de la mastication sont également retrouvées. Chez le nouveau-né, l’oralité est primaire. Les comportements de succion, déglutition et ventilation sont orchestrés par le tronc cérébral. Ils se corticalisent avec le passage à la cuillère puis avec la complexification des praxies de mastication. Celles-ci deviennent volontaires et les mouvements se latéralisent (Thibault et Pitrou, 2012). Chez le nourrisson porteur de trisomie 21, l’hypotonie et les troubles sensoriels perturbent l’apparition des réflexes archaïques (Rives, 2012). Les troubles oro faciaux entraînent une tétée plus difficile et moins efficace. Par la suite, l’enfant suit difficilement la progression normale des textures lors de la diversification alimentaire. La mastication latéralisée est retardée, moins efficace, et la séquence masticatrice manque de coordination. Elle est également perturbée par l’absence de respiration nasale, les malocclusions dentaires et les parodontites. Les stimuli sensoriels sont limités par l’hyposensibilité orale et les mauvais rapports occlusaux (Rodrigues, 2014). Ces enfants ont tendance à « avaler tout rond » ce qui n’est pas sans conséquences sur leur santé (Cuilleret, 2017). Des parafonctions peuvent se développer, telles que le bruxisme, l’auto-mastication de la langue et des lèvres, ou encore les bruits parasites (Rives, 2012).
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Table des matières
Introduction
1. Partie théorique
1.1 LE DÉVELOPPEMENT ORO-FACIAL ET SES CONSÉQUENCES CHEZ L’ENFANT PORTEUR DE TRISOMIE 21
1.1.1 Des troubles primaires étroitement intriqués
1.1.2 Les conséquences des troubles primaires
1.2 LA PRISE EN CHARGE PRÉCOCE ORTHOPHONIQUE
1.2.1 Objectifs
1.2.2 Description de l’éducation précoce
1.2.3 Résultats et limites
1.3 LA PRISE EN CHARGE DENTAIRE PAR PLAQUES PALATINES
1.3.1 Objectifs
1.3.2 Description du dispositif
1.3.3 Résultats et limites
2. Position du problème et hypothèses
3. Méthodologie expérimentale
3.1 POPULATION D’ÉTUDE
3.2 MATÉRIEL ET MÉTHODE
3.2.1 Le protocole de sollicitations oro-faciales
3.2.2 La grille d’observation
3.2.3 Recrutement des sujets
3.2.4 Déroulement des observations
3.3 ANALYSES STATISTIQUES
4. Résultats
4.1 RESPIRATION
4.2 ALIMENTATION
4.3 ARTICULATION
4.4 ASPECTS MORPHOLOGIQUES ET ESTHÉTIQUES
5. Discussion
5.1 INTERPRÉTATION DES RÉSULTATS
5.2 LIMITES ET PERSPECTIVES
6. Conclusion
Bibliographie
Annexes