Le développement durable et ses effets sur les pratiques des firmes

Le développement durable et ses effets sur les pratiques des firmes

Pour faire cuire une grenouille à l’eau, mieux vaut augmenter lentement la température, plutôt qu’essayer de la plonger dans une eau bouillante : son réflexe de survie la protégera dans le second cas, tandis que dans le premier, la douceur de la température lui trompera les sens, et lorsqu’elle se rendra compte de son embarras, il sera déjà trop tard. Le syndrome de la grenouille, c’est-à-dire que les effets du changement climatique se font sentir trop faiblement, voudrait donc que l’homme ne se rende pas compte du danger qui pèse sur son avenir, et « cuise » donc lentement. Qu’il soit trop tard ou non pour la planète, un certain nombre d’espèces animales sont déjà éteintes et il est clair que l’homme a commencé à réagir à l’augmentation de sa « température de cuisson ». Ainsi, tandis que nombre de voix s’élèvent pour dénoncer la faiblesse des actions mises en place pour réduire les pressions anthropiques sur le climat et l’environnement, et tandis que d’autres à l’inverse récusent les fondements mêmes de ce changement, les principes de développement durable ont indéniablement touché presque tous les domaines de l’activité humaine : de la sphère publique, à la sphère privée, des pratiques individuelles aux organisations, etc. Ainsi l’idée de développement durable a fini par être intégrée dans les pratiques, même si l’étendue de ses effets (et la mesure de ses résultats) pose toujours problème.

Origines et enjeux du développement durable

Nous revenons d’abord sur la double origine de la notion de développement durable. Le développement durable trouve d’abord son origine dans la sphère publique et notamment politique mais aussi dans la sphère économique. Un de ses principaux enjeux est celui de la « tragédie des biens communs », qui conceptualise le paradoxe de l’action collective et souligne les obstacles et difficultés auxquels est confronté le développement durable dans ses applications.

Genèse de la dimension politique du Développement Durable 
En 2004, le président Jacques Chirac faisait intégrer une charte de l’environnement dans le bloc de constitutionnalité du droit français, rappelant que le développement durable est un problème avant tout politique, relevant de l’organisation de la cité et des sociétés (Berkowitz & Dumez, 2014). L’origine de cette dimension constitutionnelle du développement durable peut être retrouvée à la fin du XVIIIe siècle, dans les réflexions menées en France et aux Etats-Unis autour des questions de constitutions.

En effet, le 20 juin 1789, alors qu’ils se sont réfugiés dans une salle de jeu de paume à Versailles, les députés du Tiers Etat jurent de ne pas se séparer avant d’avoir donné une constitution à la France. De la fin juin à la mi-juillet, des groupes travaillent sur une déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Le 11 juillet, Lafayette dépose à l’assemblée son projet. Son article 10 mentionne « le droit des générations qui se succèdent ». La formule ne sera pas reprise dans le texte final de la déclaration telle que nous la connaissons. D’où venait-elle ? Durant tout le printemps 1789, dans les jardins du château de Chaville appartenant à Madame de Tessé, sa tante, c’est avec Thomas Jefferson, son ami et l’ambassadeur des États Unis à la cour de France, que Lafayette a travaillé sur son projet. Cette idée d’un droit des générations futures est une idée de Jefferson. Dans une lettre à James Madison, envoyée de Paris qu’il va quitter quelque temps après, il écrit ceci :

The question whether one generation of men has a right to bind another, seems never to have been started either on this or our side of the water. Yet it is a question of such consequences as not only to merit decision, but place also, among the fundamental principles of every government. The course of reflection in which we are immersed here on the elementary principles of society has presented this question to my mind; and that no such obligation can be so transmitted I think very capable of proof.—I set out on this ground, which I suppose to be self evident, “that the earth belongs in usufruct to the living”: that the dead have neither powers nor rights over it […] Then no man can, by natural right, oblige the lands he occupied, or the persons who succeed him in that occupation, to the paiment of debts contracted by him. For if he could, he might, during his own life, eat up the usufruct of the lands for several generations to come, and then the lands would belong to the dead, and not to the living, which would be the reverse of our principle. (Lettre de Thomas Jefferson à James Madison, 6 Sept. 1789 Jefferson, 1958, p. 392)

Ce texte est parfois interprété comme tourné vers le passé : la génération actuelle ne doit pas être gouvernée par les morts des générations qui l’ont précédée, et c’est une dimension essentielle dans la constitution des Etats-Unis que de chercher à rompre avec le passé. Mais, il nous semble au contraire que le texte est tourné vers le futur : les vivants d’aujourd’hui n’ont pas le droit de peser sur le futur des générations qui vivront sur la Terre quand eux auront disparu. En particulier, et c’est un point prégnant dans l’histoire du développement du capitalisme, ils n’ont pas le droit de contracter des dettes, de quelque nature qu’elles soient, financières ou autres, en vivant au-dessus de leurs moyens, économiques, financiers ou technologiques, dettes qui pèseront sur les générations futures qui ne pourront pas refuser l’héritage qui leur sera légué. Ce principe, selon lequel la Terre n’appartient à la génération actuelle qu’en usufruit, ce qui veut dire que cette génération ne peut en consommer que les fruits du temps où elle y réside, mais non pas menacer son capital, ce qui mettrait en difficulté les générations suivantes, est présenté par Jefferson, comme « self evident ». L’expression fait évidemment écho à la déclaration d’indépendance, rédigée en 1776 par le même Jefferson :

We hold these truths to be self-evident, that all men are created equal, that they are endowed by their Creator with certain unalienable Rights, that among these are Life, Liberty and the pursuit of Happiness.

Genèse de la dimension technico-économique de l’idée de développement durable 

Mais le développement durable est aussi et peut-être avant tout un problème technico-économique, comme l’ont montré les travaux du Club de Rome (Meadows, Meadows, & Randers, 1992; Meadows, Meadows, Randers, & Behrens III, 1972). Même si ses origines sont plus anciennes (Warde, 2011), le mot « durabilité » apparaît quant à lui, il y a trois cents ans, en 1713, dans la Sylvicultura Oeconomica, oder Haußwirthliche Nachricht und Naturgemäße Anweisung zur Wilden BaumZucht, de Carl von Carlowitz (Schmithüsen, 2013). C’est donc sous une forme germanique que le vocable Nachhaltigkeit est pour la première fois employé, par référence à la notion d’« utilisation durable » (« nachhaltige Nutzung »). Carl von Carlowitz, est responsable des mines d’argent de la Saxe de FrédéricAuguste le Fort. Le roi entend accroître la richesse du pays par une exploitation intensive de l’argent et de la porcelaine dont la fabrique vient d’être installée à Meißen. Il sait que le bois est une ressource centrale et possède d’ailleurs une des plus célèbres xylothèques du temps. La mission qu’il confie à Carl von Carlowitz est donc particulièrement cruciale. Or ce dernier est frappé par la surexploitation forestière que l’étaiement et la consommation des fours entraînent. Les forêts disparaissent et il faut faire venir le bois, souvent par flottage, depuis des sites plus en plus lointains. Ce que von Carlowitz préconise est en réalité, comme il le dit luimême, directement inspiré de l’ordonnance de Colbert de 1669 sur les forêts. Carlowitz avait d’ailleurs voyagé en France et étudié sur place au moment même où Colbert travaillait sur son texte. Il s’agit de s’assurer du renouvellement et donc du maintien sur longue durée du volume des forêts. L’idée de solidarité intergénérationnelle est présente dans la réflexion : l’ordonnance de 1669 explique qu’il faut exploiter dans la perspective de la postérité, c’est-à-dire de ceux qui seront sur terre quand nous n’y serons plus. Mais l’idée est véritablement formulée par Georg-Ludwig Hartig, en 1795, dans son Anweisung zur Taxation der Forste oder zur Bestimmung des Holzertrags der Wälder: Il n’est pas possible de concevoir une exploitation forestière durable ni de s’attendre à ce qu’elle se réalise si l’attribution du bois provenant des forêts n’est pas calculée en fonction de la durabilité […] Par conséquent, toute gestion forestière avisée se doit d’imposer des taxes (en fixant une base de valeur) aussi élevée que possible sur les forêts, en visant toutefois à utiliser ces dernières de sorte que les générations futures puissent en retirer au moins autant d’avantages que les présentes. (cité in Schmithüsen, 2013, p. 6)

Quant aux mots « soutenable » ou « soutenabilité », qui semblent être une mauvaise traduction de l’anglais, ils renouent en réalité avec un vieil usage du verbe français « soutenir » dont l’anglais sustainability dérive. La première ordonnance française sur les cours d’eau et les forêts, connue comme l’ordonnance de Brunoy et édictée par Philippe VI de Valois, stipule en effet : Les Maîtres des forêts enquerreront et visiteront toutes les forêts et bois qui y sont et feront les ventes qui y sont à faire, eu regard à ce que les-dîtes forêts et bois se puissent perpétuellement soustenir en bon état. (cité in Schmithüsen, 2013, p. 4)

L’autre des origines du développement durable est donc à chercher au XVIIIe siècle lors des premiers développements industriels. Cette origine est de nature technique et économique. Aujourd’hui un autre problème se pose cependant, celui de la «tragédie des communs ».

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Table des matières

1. INTRODUCTION 
2. REVUE DE LA LITTERATURE
2.1. Le développement durable et ses effets sur les pratiques des firmes
2.1.1. Origines et enjeux du développement durable
2.1.1.1. Genèse de la dimension politique du Développement Durable
2.1.1.2. Genèse de la dimension technico-économique de l’idée de développement durable
2.1.1.3. La tragédie des communs et le paradoxe de l’action collective
2.1.1.4. L’âge du développement durable : l’apparition d’un agendum
2.1.2. Le développement durable et la gestion : les effets visibles du changement
2.1.2.1. Un espace stratégique au discours homogénéisé
2.1.2.2. Un espace institutionnalisé et “instrumenté”
2.1.2.3. Le développement durable en pratiques
2.1.3. Peut-on mesurer l’efficacité du développement durable ?
2.1.3.1. Les instruments de mesure de la performance durable
2.1.3.2. Genèse de la Context-Based Sustainability
2.1.3.3. Fonctionnement et implications de la CBS
2.1.3.4. Problèmes soulevés par la mesure du développement durable
2.2. Performativité, théories des mondes multiples et décohérence du management
2.2.1. Et Black & Scholes ont performé : de l’origine de la performativité en sociologie de l’économie et de la finance
2.2.1.1. L’économie ne cherche pas à décrire le monde, elle veut le transformer
2.2.1.1.1. Performativité vs prophétie auto-réalisatrice : victoire par dispositif
2.2.1.1.2. De la performativité générique à la contre-performativité
2.2.1.2. De la diffusion des théories
2.2.1.2.1. Le rôle de l’environnement dans la diffusion
2.2.1.2.2. La performativité in vitro et in vivo
2.2.2. Du microscope à l’équation de Schrödinger : la performativité des sciences dures
2.2.2.1. Des sciences en action ou « science as practice »
2.2.2.2. La mécanique quantique : des mondes multiples à la décohérence
2.2.2.2.1. La performativité en mécanique quantique
2.2.2.2.2. Everett et la Vague d’Onde Universelle
2.2.2.2.3. La décohérence du monde macroscopique
2.2.3. Une perspective quantique appliquée à la performativité : de la multiplicité des théories en gestion à leur décohérence par les dispositifs
2.2.3.1. La question de la performativité des sciences de gestion
2.2.3.1.1. Les enjeux pour la recherche
2.2.3.1.2. Pasteur’s Quadrant et performativité
2.2.3.2. La mécanique quantique peut-elle éclairer la notion de performativité appliquée aux sciences sociales ?
2.2.3.2.1. La performativité de l’observateur … du chercheur en gestion
2.2.3.2.2. La multiplicité des mondes… des théories de gestion
2.3. Gouvernance globale, action collective et méta-organisations
2.3.1. Contexte : Vers une gouvernance globale des sociétés
2.3.1.1. La gouvernance globale : sur les bases d’un capitalisme régulateur
2.3.1.1.1. La gouvernance globale du capitalisme régulateur
2.3.1.1.2. Les dynamiques de diffusion du capitalisme régulateur
2.3.1.1.3. Les effets sur la gouvernance globale
2.3.1.2. Les firmes dans la gouvernance globale et le capitalisme régulateur
2.3.1.2.1. La constitution d’un champ institutionnel
2.3.1.2.2. Les stratégies hors-marché des firmes
2.3.1.3. Le développement durable comme élément perturbateur
2.3.1.3.1. L’apparition de méta-problèmes
2.3.1.3.2. Gouverner les communs
2.3.2. Action collective et dispositifs organisationnels
2.3.2.1. Organiser l’action collective : organisation, dispositif et agencement
2.3.2.2. Quels dispositifs d’action collective entre organisations en matière de développement durable ?
2.3.3. Le concept de méta-organisation
2.3.3.1. L’origine du concept de méta-organisation
2.3.3.2. Les caractéristiques des méta-organisations
2.3.3.3. Les paradoxes de l’action collective méta-organisationnelle
3. PRESENTATION DU DESIGN DE RECHERCHE
3.1. Le choix de la recherche compréhensive
3.1.1. Le processus d’investigation : une démarche abductive
3.1.2. Méthodologie : le choix du secteur et de l’objet
3.2. L’intérêt d’une thèse sur papiers : la combinaison de méthodes et l’opportunisme méthodique
3.2.1.1. Une construction abductive d’un cadre d’analyse de la performativité à partir d’une étude de cas unique
3.2.1.2. Une étude de cas combinant les niveaux d’analyse du secteur et de la firme et prenant l’unité d’analyse du dispositif
3.2.1.3. Analyse longitudinale à partir d’une étude de cas combinant les niveaux d’analyse du secteur et des méta-organisations, avec comme unité d’analyse les stratégies des membres
3.2.1.4. Une étude de cas combinant le niveau d’analyse du secteur et le champ d’action stratégique plus large
3.2.1.5. Synthèse
3.3. La collecte et l’analyse du matériau
3.3.1. Des sources de données multiples
3.3.1.1. Les données primaires
3.3.1.2. Les données secondaires
3.3.1.3. La triangulation des données
3.4. Le traitement des données
3.4.1. Présentation de l’étude exploratoire
3.4.2. Le traitement de la base de données sur les méta-organisations
3.5. Limites et risques methodologiques de la thèse
3.5.1. La question de la validité externe
3.5.2. Gérer le risque des acteurs abstraits
3.5.3. Gérer le risque de circularité
3.5.4. Gérer le risque lié au problème d’équifinalité
3.6. Calendrier de la thèse
4. LE SECTEUR PETROLIER FACE AUX GRANDS ENJEUX SOCIETAUX
4.1. Présentation du cadre empirique
4.1.1. Construction de l’industrie pétrolière et gazière
4.1.2. Caractéristiques du marché du pétrole: instabilité, catastrophisme et crashs
4.1.3. Caractéristiques de l’industrie: un paysage morcelé mais une tradition d’action collective
4.1.3.1. Caractéristiques de l’industrie
4.1.3.2. Une tradition d’action collective.
4.1.3.3. Le tournant environnemental de 1974.
4.2. Les pressions institutionnelles et sociales
4.2.1. La régulation économique
4.2.2. La régulation environnementale et sociale
4.2.2.1. Les premières préoccupations environnementales et sociales
4.2.2.2. Le tournant environnemental des années 60-80
4.2.2.3. Les turbulences sociales des années 90 et les réponses du secteur
4.2.2.4. A partir des années 2000 : le temps des grandes coopérations ?
4.3. Les industries marines et leurs enjeux environnementaux
4.3.1. La « global ocean industry » et ses effets sur les océans
4.3.2. Les océans comme problème de gestion d’un bien commun : une perspective historique
4.4. Les méta-organisations
4.4.1. Différentes formes organisationnelles pour différents rôles
4.4.2. La construction collective multiniveau du développement durable
4.4.2.1. La combinaison des niveaux et des formes
4.4.2.2. Les mécanismes de gestion à l’œuvre dans les métaorganisations
5. PRESENTATION DES ARTICLES
5.1. La performativité du développement durable
5.2. Journal de suivi des articles
6. CONCLUSION

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