Le développement durable: entre idéologie et scientificité

Le développement durable : entre idéologie et scientificité 

Le concept de développement et ses avatars

La notion de développement et la conception linéaire du temps qui lui est associée sont-ils spécifiquement occidentaux, judaïques dans leur messianisme et eschatologiques dans leur rapport paradoxal à la fin des temps ? Cette question, fondamentale et vaste, ne peut être abordée dans le détail ici, je tenterai de traiter ces questions complexes dans la troisième partie. Pour le moment, je me limite à définir avec Sylvie Brunel le développement comme :

un processus de long terme, auto-entretenu, endogène et cumulatif, d’augmentation de la richesse et de diversification croissante des activités économiques permettant à un nombre croissant d’êtres humains de passer d’une situation de précarité à une meilleure maîtrise de leur propre destin, comme des aléas de la nature. On sait désormais que, pour être partagé, le développement suppose l’existence d’institutions publiques menant des actions de redistribution des richesses, guidées par la volonté d’équité et le respect de l’intérêt général.

Ce qui est frappant dans l´ouvrage de Sylvie Brunel, c´est que tantôt elle diabolise les sociétés traditionnelles, tantôt elle en fait l’éloge. Elle cite d’abord l’anthropologue Maurice Duval décrivant le fonctionnement d’une société burkinabée comme un « totalitarisme sans Etat » puis fait l’éloge de l’Afrique comme modèle de développement durable. Elle propose, par ailleurs, comme définition de l’homme développé : « celui qui peut choisir son destin, sans être le jouet des éléments ».  Une question se pose. L´homme des pays dits développés est-il aujourd´hui plus en capacité de choisir son destin que par le passé ? Il ne m´appartient pas de répondre évidemment à cette question. Mais la difficulté de la réponse nous renseigne sur  ´extrême complexité des questions liées au développement, tout comme les oscillations de Sylvie Brunel entre éloge et condamnation des sociétés traditionnelles nous renseignent sur la difficulté d´émettre des jugements moraux concernant ces sociétés.

Tout cela nous dit, me semble-t-il, à quel point nous sommes devenus incapables de penser en dehors du paradigme du développement et de ses dimensions spatio-temporelles. Quand cette conception linéaire du temps apparaît-elle ? On trouve dans l’Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain de N. de Condorcet (1743 1794) certains des fondements philosophiques de ce qui deviendrait plus tard une idéologie , celle d’un développement linéaire et illimité des sociétés. Dès l’introduction, l’auteur se propose

de montrer, par le raisonnement et par les faits, qu’il n’a été marqué aucun terme au perfectionnement des facultés humaines ; que la perfectibilité de l’homme est réellement indéfinie ; que les progrès de cette perfectibilité, désormais indépendante de toute puissance qui voudrait les arrêter, n’ont d’autre terme que la durée du globe où la nature nous a jetés. Sans doute, ces progrès pourront suivre une marche plus ou moins rapide, mais jamais elle ne sera rétrograde ; du moins, tant que la terre occupera la même place dans le système de l’univers, et que les lois générales de ce système ne produiront sur ce globe, ni un bouleversement général, ni des changements qui ne permettraient plus à l’espèce humaine d’y conserver, d’y déployer les mêmes facultés, et d’y trouver les mêmes ressources. 

Condorcet part donc de l’idée que les facultés humaines sont illimitées. Que rien, en droit ou dans les contingences et accidents de l’histoire, ne peut arrêter ce mouvement, cette marche. Seul un événement cosmique (« tant que la terre occupera la même place dans le système de l’univers ») aux conséquences géopolitiques (« que les lois générales de ce système ne produiront sur ce globe, ni un bouleversement général »), biologiques (« qui ne permettraient plus à l’espèce humaine d’y conserver, d’y déployer les mêmes facultés ») et écologiques (« d’y trouver les mêmes ressources ») pourrait enrayer cette dynamique de développement.

Détour étymologique 

Avant de chercher les traces de l´apparition de la notion de développement dans les textes officiels, voyons avec le sociologue Georges Bertin, spécialiste du développement culturel, à quelle logique et quelle vision du monde ce terme renvoie. En le comparant à son équivalent italien, on en comprendra mieux les implications. Nous avons appris à traiter la question du développement en termes de « désenvelopper » , soit dérouler  d’une gangue, à partir d’un projet extérieur au territoire et à la situation, en tendant vers une fin :

Il s’agit de modèles construits du côté des sphères de l’Etat ou des impératifs économiques. La logique y est disjonctive en ses méthodes, réparatrice en ses fins. Le développement est alors perçu comme un palliatif aux maux dont souffriraient des sociétés hors croissance. Ceci implique une vision de l’homme en société, aliéné par des impératifs externes et réifiés, instrumentalisé dans ses possibilités d’agir.

Le temps est ici un temps linéaire devant tendre vers un optimum.

L´italien recourt, lui, à sviluppo (enveloppement) dont l’étymologie renvoie à la courbe, au cercle, à la spirale :

Le développement passe ainsi par un mouvement certes ascendant, mais qui s’autorise des allers et retours permanents avec le terrain, s’origine à l’intérieur des communautés locales, avec les sujets-acteurs concernés.

Cependant si ce modèle a eu durant environ un siècle un succès relatif, il se retrouve depuis la fin des années 1960 fortement remis en cause. Nous allons donc nous attarder maintenant sur les critiques adressées au paradigme du développement.

Approche critique de la notion de développement 

Le concept de développement renvoie tout d’abord dans un cadre plus général au domaine biologique. C’est en effet en biologie que le terme a connu ses premières définitions comme le rappelle Edgar Morin :

Les organismes biologiques se développent à partir d’un œuf au cours d’une période qui est à la fois croissance de leurs unités constitutives et épanouissement de leurs potentialités.

Le développement biologique est donc l’expression d’un potentiel inscrit dans l’organisme afin d’arriver à un stade de maturité.

Deux points m´intéressent ici dans cette définition générale en ce qui concerne le concept de développement socio-économique. Tout d’abord l’idée de potentiel de base à exprimer demeure essentielle dans le cadre du « développement socio-économique ». Parler de développement, c’est se référer de prime abord à un potentiel, à des ressources de bases qui sont nécessaires pour amener l’évolution vers la pleine expression de ses ressources originelles.

Le deuxième point intéressant ici est la finalité du développement. En ce qui concerne le cadre biologique, celle-ci est bien marquée puisque le but du développement est la maturité de l’organisme. Le développement en tant que cycle inscrit génétiquement possède un caractère immuable, répétitif. Cela présuppose donc au sein du “ développement socioéconomique ” que celui-ci admette une norme, un objectif final auquel tend toute société humaine. Cependant cet objectif final du développement dans les sociétés humaines pose problème : dans un sens, cela n’inscrit-il pas le processus de développement dans un cadre évolutionniste où toute société devrait évoluer vers un modèle ou stade suprême ? D’autre part, est-on sûr que le développement, transposé aux sociétés, propose une finalité ou un objectif unique ?

Penchons-nous à présent sur l’émergence de la notion de développement : comment est-elle apparue ? comment se définit-elle ?

Le développement perçu en tant que :
faisceau de transformations qui modifie les comportements, intègre les progrès des connaissances, l’amélioration des qualifications, le savoir-faire industriel, modifie les anticipations dans le sens d’une accumulation .

participe en fait, selon Morin, d’un paradigme plus global, le paradigme de l’humanisme occidental. Ce paradigme fonde l’idée même de développement puisque l’humanisme occidental chercherait à répondre aux besoins fondamentaux de l’homme. En ce sens :

le développement socio-économique entretenu par le développement scientificotechnique assure de lui-même épanouissement et progrès des virtualités humaines, des libertés et des pouvoirs de l’homme.

Le rapport de stage ou le pfe est un document d’analyse, de synthèse et d’évaluation de votre apprentissage, c’est pour cela chatpfe.com propose le téléchargement des modèles complet de projet de fin d’étude, rapport de stage, mémoire, pfe, thèse, pour connaître la méthodologie à avoir et savoir comment construire les parties d’un projet de fin d’étude.

Table des matières

Introduction
Partie I : Le développement durable: entre idéologie et scientificité
1. Le concept de développement et ses avatars
1.1 – Détour étymologique
1.2 – Approche critique de la notion de développement
1.3 – Le développement, une croyance occidentale ?
2. Crise du développement et propositions d´alternatives
2.1 – Crise du développement / développement de la crise
2.2 – Vers de nouvelles définitions du développement
3. Le paradigme du développement durable
3.1 – Caractéristiques du paradigme
3.2 – Contexte historique et social d’émergence du concept de développement durable
3.3 – Définitions et caractéristiques du développement durable
3.4 – Le développement durable : un concept paradoxal
4. Le développement durable : une nouvelle idéologie dans un monde en quête de sens et de consensus ?
5. Développement durable et gouvernance
Partie II : Enquête de terrain
1. Le contexte géographique de l´enquête
1.1 – La diversité écologique brésilienne
1.1.1 – Les biotopes brésiliens
1.2 – Diversité écologique et géographique du Nordeste
1.3 – L´Etat du Pernambouc, du littoral au Sertão
1.3.1 – Le littoral
1.3.2 – La Zone de la Forêt Atlantique : biodiversité et principales caractéristiques
1.3.2.1 – Une biodiversité exceptionnellement riche
1.3.2.2 – Enjeux et urgence scientifiques
1.3.2.3 – Enjeux sociaux et socio –environnementaux
1.3.3 – La Région métropolitaine de Recife
1.3.4 – L´Agreste
1.3.5 – Le Sertão pernamboucain
2. Présentation du champ social sur lequel porte l’enquête
2.1 – Les ONG
2.1.1 – Enfants du Monde – Droits de l´homme (EMDH)
2.1.1.1 – Les caractéristiques de la population concernée
2.1.1.2 – Le Réseau Communautaire d´Education et de Services d´Abreu e Lima
2.1.2 – CEPAN
2.1.3 – AMANE
2.1.4 – La Via do Trabalho
2.2 – Associations de travailleurs
2.2.1 – Association do assentamento du Brejo
2.2.2 – Coopérative de pêcheurs de Tamandaré
2.2.3 – Le Mouvement des Sans -Terre (MST)
2.3 – Les institutions publiques
2.3.1 – Promata
2.3.2 – ICMbio
2.3.3 – CPRH
2.3.4 – IBAMA
2.3.5 – INCRA
2.3.6 – Le Ministère Public
2.4 – Les institutions privées
2.4.1 – Le cabinet d´avocats et de consultants Pires Advogados
2.4.2 – Usine Trapiche
3. Méthodologie
3.1 – Objectifs
3.1.1 – Le passage de la théorie du développement durable à la pratique
3.1.2 – Les diverses formes de conflits surgissant de ce passage
3.1.3 – Les réponses proposées par les institutions pour surmonter les obstacles
3.2 – Méthodologie de l´enquête
3.2.1 – Recherche -action à Fosfato
3.2.2 – Choix méthodologiques à partir de 2006
3.2.2.1 – La notion de champ
3.2.2.2 – Le statut de l´objet
3.2.2.3 – Arrière -plan anthropologique
3.2.3 – L’observation participante
3.2.4 – Choix des institutions et prises de contact avec les responsables
3.2.5 – Les entretiens formels
3.2.6 – Les entretiens informels
4. Les résultats
4.1 – Analyse thématique du discours des agents
4.1.1 – L´ « origine du problème » : « démographique », « capitaliste », « idéologique», etc
4.1.2 – L´idéologie victimaire : droits de l´homme et anthropologues
4.1.3 L´incompréhension mutuelle
4.1.4 – « C´est pas mon problème » : indifférence ou mépris ?
4.1.5 – Le doute sur le sens de la mission : tendance de certaines institutions à la contre –productivité
4.2 – La structure du champ régional du développement durable
4.2.1 – Les rapports des agents à l´objet
4.2.2 – Rivalités et affinités entre institutions : du conflit d´objet au conflit institutionnel..
4.2.3 -Synthèse
Partie III : Paradoxes et apories au cœur du paradigme du développement durable
1. Le problème de la limite d’un point de vue anthropologique
1.1 – La notion de limite dans le processus de perception et de socialisation ou comment trancher dans l’indécidable ?
1.1.1 – Le soi et le non–soi
1.1.2 – Comment trancher dans l’indécidable ?
1.2 – La notion de limite pour le couple Local / Global
1.2.1 – Définir le local et le global
1.2.2 – Un nouveau rapport entre ces deux dimensions
1.3 – La notion de limite pour les couples Nature / Culture
1.3.1 – Diverses conceptions du rapport Nature / Culture
1.3.2 – Conception occidentale du rapport Nature / Culture
1.4 – Quelques conséquences pour la question de la nature humaine
1.5 – La notion de limite dans le paradigme du développement durable
1.5.1 – Pensée complexe et développement durable
1.5.1.1 – La pensée en boucles –spiralées
1.5.1.2 – Le principe dialogique
1.5.1.3 – Le principe hologrammatique
1.5.2 – L´ecoliteracy de Fritjof Capra
1.5.3 – Robustesse et fragilité des écosystèmes : le rôle crucial des hubs
1.5.3.1 – Le concept de frontière planétaire
1.5.4 – Vers la fin de la Nature ?
1.5.5 – Conséquences pour le paradigme du développement durable
1.6 – De la difficulté d’établir des limites : illustration par un cas pratique
2. Approche anthropologique des paradoxes et apories du développement durable
2.1 – La théorie mimétique : principaux concepts d’une anthropologie paradoxale
2.1.1 – Le désir mimétique : de la ligne au triangle
2.1.1.1 – Les neurones -miroirs : une preuve expérimentale de la mimesis ?
2.1.2 – La rivalité mimétique
2.1.2.1 – Rivalité et spécularité
2.1.2.2 – A la source des difficultés : la logique de l’intérêt ou la rivalité mimétique ?
2.1.3 – Le mécanisme victimaire
2.1.4 – Le fol héritage du christianisme : la montée en puissance des enjeux victimaires
2.1.4.1 – Contradictions structurelles de l’Occident
2.2 – D’un modèle de société à un autre : le développement durable comme facteur de transformation sociale
2.2.1 – Quelques aspects sociologiques du Brésil d’aujourd’hui
2.2.2 – Sociétés traditionnelles, modernes et post ou hyper –modernes
2.2.3 – Individu et personne au Brésil
2.3 – L’émergence historique de l’individualisme ou la construction de l’indifférence de tous au sort de chacun
2.3.1 – Origines chrétiennes de l’individualisme moderne
2.3.2 – Ambivalence et disparition des obligations traditionnelles
3. Contre -productivité des sociétés modernes et développement durable
3.1 – Quelques éléments biographiques d´Ivan Illich
3.2 – Racines de la singularité de l’Occident
3.2.1- Incarnation, désacralisation, dés-incarnation
3.3 – Modes de production et dimensions de la contre–productivité
3.3.1 – Modes autonome et hétéronome de production
3.3.2 – Contre -productivité spécifique
3.3.3 – Contre -productivité paradoxale
3.3.4 – Contre -productivité globale
3.3.5 – La notion d’iatrogenèse
3.3.5.1 – L’iatrogenèse clinique
3.3.5.2 – L’iatrogenèse sociale
3.3.5.3 – L’iatrogenèse culturelle
3.4 – Dimension anthropologique de la contre-productivité
3.5 – Contre -productivité globale des sociétés contemporaines, champ local et paradigme du développement durable
Conclusion générale
Annexes
Bibliographie

Lire le rapport complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *