Le développement durable comme critère essentiel de l’urbanisme
Notion de plus en plus mise en avant pour légitimer, crédibiliser ou appuyer toute politique, le développement durable devient un outil marketing indéniable. Son succès grandissant depuis le sommet de Rio en 1992, organisé suite à la publication du rapport Brundtland de 1987, a permis de faire prendre conscience de la nécessité d’infléchir notre modèle de développement basé sur la croissance économique et financière. Reproduire notre mode de vie occidental n’est pas viable à long terme car, d’une part, les ressources naturelles sur lesquelles il fonctionne vont tôt ou tard disparaître, et, d’autre part, ses conséquences sur l’environnement entraînent des modifications souvent irrémédiables.
La prise de conscience est certes réelle, puisque plusieurs conférences internationales thématiques consacrées plus ou moins directement à l’environnement ont été organisées depuis 1992 ; ainsi s’est tenu en 2002 à Johannesburg le Sommet mondial pour le développement durable. Si la réunion de Kyoto en 1997 mettait l’accent sur les conséquences négatives des activités humaines sur l’environnement (effet de serre et réchauffement climatique en particulier), celle de Johannesburg vient consacrer la notion de développement durable en la plaçant comme la condition sine qua none de l’équilibre planétaire, équilibre qui se résume à « l’éradication de la pauvreté et [au] changement des modes de consommation et de production, ainsi [qu’à] la protection et la gestion des ressources naturelles en vue du développement économique et social ». En dix ans, la notion de développement durable s’est imposée comme étant une référence incontournable de tout discours politique et de toute action publique, ce qui a vraisemblablement incité l’Etat français à adjoindre à sa Constitution une Charte de l’Environnement en 2005.
De fait, cette notion occupe une place de plus en plus prégnante dans la communication et l’élaboration de politiques publiques. Elle devient un recours, que ce soit pour justifier, crédibiliser, argumenter un discours ou bien orienter une étude. Engager une politique publique, c’est-à-dire élaborer une démarche d’action, établir des programmes ou outils, ainsi que définir un système partenarial, ne peut désormais se faire sans se référer de manière plus ou moins explicite à certaines idées véhiculées par le développement durable.
Dans le domaine de l’urbanisme en particulier, il est devenu un critère souvent essentiel voire indispensable lorsqu’il s’agit de monter, présenter ou réaliser un projet d’aménagement, quel qu’il soit. D’ailleurs, il n’est pas anodin qu’en France, le document inclus au Plan Local d’Urbanisme (PLU) ou au Schéma de COhérence Territoriale (SCOT), qui dessine l’évolution du territoire considéré, se nomme Projet d’Aménagement et de Développement Durable (PADD). Ce dernier adjectif aurait très bien pu être remplacé par celui de Communal ou Territorial, afin de mettre en valeur la forte dimension spatiale du document ; cependant, il importait avant tout de souligner que ce projet devait s’inscrire dans une démarche d’équilibre entre développement et préservation des milieux naturels, dans une démarche de diversité fonctionnelle et de mixité sociale, ainsi que dans une démarche de maîtrise de l’urbanisation, tout en « respectant les objectifs du développement durable » . Ainsi, la loi Solidarité et Renouvellement Urbains (SRU) de 2000, qui a fait de ces deux documents les éléments de base de l’aménagement et du développement spatial, a, du même coup, donné un cadre à toute intervention territoriale en France : la pratique de l’urbanisme doit s’exercer de fait sous la caution du développement durable.
Ces quelques remarques générales sur la place qu’occupe actuellement le développement durable dans le champ de l’action publique, avaient pour but de situer la thématique globale de recherche de ce mémoire. De façon plus spécifique, il se propose d’étudier l’association d’une notion (le développement durable) à une pratique (l’urbanisme). Si la première peut être considérée comme une base théorique venant guider l’action de la seconde, analyser les rapports qu’elles entretiennent à partir d’exemples de projets urbains permettrait d’esquisser une évaluation, certes partielle et restreinte, de l’influence de cette notion sur l’évolution des comportements, et cela à travers les solutions qu’apporterait l’urbanisme. L’objet de ce mémoire de recherche est donc de s’intéresser à la façon dont sont pris en compte et appliqués les principes du développement durable dans les grands projets d’urbanisme. D’autre part, une dimension comparative vient compléter ce thème général d’étude, puisque ce mémoire s’attachera également à mettre en parallèle les expériences allemande et française. Il s’agira d’essayer de déterminer les différences, les similitudes, les particularités ou les complémentarités des méthodes observées, afin, toujours, d’identifier les solutions mises en œuvre pour, d’une manière ou d’une autre, infléchir notre mode de développement.
DEFINIR LES TERMES DU SUJET DE RECHERCHE : « PRINCIPES DU DEVELOPPEMENT DURABLE » ET « GRANDS PROJETS D’URBANISME »
Vouloir analyser la prise en compte et l’application des principes du développement durable dans les grands projets d’urbanisme demande avant tout de préciser chacun de ces termes :
▪ quelle acception retenir de l’expression « principes du développement durable » ?▪ à quoi font référence les « grands projets d’urbanisme » ?
Les principes du développement durable : des références pour l’urbanisme
Après un rappel succinct de la définition désormais classique de la notion de développement durable ainsi que de sa place dans l’action publique, une approche critique de cette notion viendra mettre en perspective la conception présentée avec les premiers éléments de recherche (qui sont, en résumé, l’identification d’expériences innovantes éventuelles permettant d’infléchir notre mode de développement).
Qu’est-ce que le développement durable ?
Est désigné par « développement durable » un développement qui permettrait de satisfaire les besoins actuels, sans toutefois compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs. Pour cela, la notion de développement durable propose d’allier trois dimensions, l’économie, la société et l’environnement, dans un souci d’égalité : l’une de ces dimensions ne doit, en aucune manière, être privilégiée au détriment des deux autres et surtout pas à celui de leur équilibre commun. Elle s’accompagne, en outre, d’un certain nombre de principes ou concepts qui devront soustendre toute action entreprise en son nom : précaution, responsabilité, équité, mixité, diversité culturelle, gouvernance, lien intergénérationnel / spatial / temporel, solidarité… Si l’aspect culturel de même que la gouvernance (en tant que dimension socio-politique) sont de plus en plus considérées comme des dimensions à part entière au même titre que l’économie, la société et l’environnement, je ne retiendrais pas pour autant cette définition. A cela deux raisons :
1. Si la culture est effectivement un élément incontournable de l’équilibre et du fonctionnement de l’humanité, en raison des questions religieuses qu’elle soulève, des spécificités linguistiques ou traditionnelles qui la caractérisent, ou bien des savoir-faire qui l’accompagnent, elle ne peut, à mon sens, constituer une dimension en tant que telle, car elle relève directement de la dimension sociale. Une société s’appréhende sous différents aspects (composition, organisation, idéaux, …) qui forment un système de relations et de liens spécifique. Or, ce système se construit à partir de fondements de base qui définissent une « culture » particulière. Ces fondements sont appelés à plus ou moins se modifier, ce qui permet à la culture d’évoluer positivement (elle se construit de manière distinctive) ou négativement (elle se fond dans une autre). Faire de la culture une dimension distincte de celle de société viendrait affaiblir cette dernière, la privant d’un de ses aspects essentiels.
2. Pour ce qui est de la gouvernance, il me semble qu’elle constitue plutôt un moyen pour mettre en œuvre l’idée d’égalité entre les dimensions économique, sociale et environnementale, plutôt qu’une dimension en soi. Le concept de gouvernance recouvre l’ensemble des outils politiques, participatifs, coopératifs, décisionnels, qu’il est possible de mettre en œuvre entre des acteurs venant d’horizons divers et aux intérêts parfois divergents, afin qu’ils parviennent à un consensus, à l’élaboration duquel chacun a participé. Il s’agit donc d’un processus, constitué de différentes phases (réflexion, action, gestion), au cours duquel, ce qui importe, sont les relations entretenues entre un nombre donné d’acteurs : la gouvernance ne s’intéresse pas à proprement parler au pourquoi ces acteurs doivent travailler ensemble, mais plutôt au comment ils doivent travailler ensemble. L’objet et le résultat du travail commun finalement importent peu. C’est pourquoi, le concept de gouvernance n’est pas retenu ici comme étant une dimension propre du développement durable, mais comme une méthode pour sa réalisation.
Développement durable et action publique
La notion de développement durable souligne la nécessité qu’émerge, aussi bien au niveau individuel ou collectif, public ou privé, la conscience de l’impact économique, social et ou environnemental que peut avoir n’importe quelle décision prise ou opération menée. Il s’agit en quelque sorte d’interroger ses / les actes engagés :
▪ ceux-ci n’entraînent-ils pas des effets négatifs à long terme ?
▪ évitent-ils la ségrégation et ou une trop forte spécialisation spatiale / sociale ?
▪ ne compromettent-ils pas les futures possibilités de développement ?
▪ qui peut les assumer, quelles qu’en soient les conséquences ?
▪ ont-ils tenu compte des avis de l’ensemble des acteurs concernés (techniques, administratifs, sociaux, politiques, professionnels, associatifs, etc.) ?
Finalement, toutes ces questions sont amenées à constituer une sorte de base éthique et fondamentale pour tout projet d’aménagement. Elles posent quelques conditions préalables au respect des principes développés par la notion de développement durable. L’action publique l’a donc rapidement intégrée, aussi bien dans la définition de ses objectifs que dans sa propre valorisation pour l’expliquer et l’appliquer.
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Table des matières
Introduction : le développement durable comme critère essentiel de l’urbanisme
Première partie : Cadre théorique et conceptuel Spécifier la problématique de recherche
I. Définir les termes du sujet de recherche : « principes du développement durable » et « grands projets d’urbanisme »
A. Les principes du développement durable : des références pour l’urbanisme
B. Les grands projets d’urbanisme : un espace d’étude
Synthèse
II. Spécifier la problématique et la méthodologie de recherche autour d’une comparaison
France / Allemagne
A. Pourquoi une comparaison France / Allemagne ?
B. Vers une formulation des hypothèses de recherche
C. Présentation de la méthodologie suivie
Synthèse
Deuxième partie : Etudes de cas Identifier des stratégies et des actions en faveur d’un développement urbain soutenable
Préambule
I. Les agglomérations de Lyon et Hambourg : deux métropoles à l’ambition
internationale
A. Comparaison morphologique
B. Positionnement européen
C. Recherche d’un rayonnement supranational
Bilan
II. Leur stratégie de développement : quelle place pour la notion de développement durable ?
A. Hambourg : croître à n’importe quel prix ?
B. Le Grand Lyon : se positionner en modèle de « ville durable »
Bilan
III. Deux opérations d’urbanisme phares : « Lyon Confluence » et « die HafenCity »
A. Deux opérations considérées comme essentielles à leur affirmation au niveau
international
B. Des positions différentes concernant le développement durable
Bilan
Conclusion : d’un discours rhétorique à des solutions innovantes ?
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