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Le développement d’une presse papier alternative fondée sur une indépendance économique viable : l’exemple historique du Canard Enchaîné
Bien que nous venons de démontrer que dans la recherche d’un modèle alternatif pouvait résider une des caractéristiques innovantes du 1, nous ne pouvons pas ignorer l’exemple de longévité de la presse papier indépendante que représente le modèle du Canard Enchainé, journal créé en 1915 par Jeanne et Maurice Maréchal, couple de journalistes français. Heb-domadaire satirique militant né pendant la Grande Guerre, son objectif initial a été de lutter contre la censure et la propagande de la grande presse de l’époque. Imprimé le mardi, c’est un des titres les plus anciens de la presse française, toujours particulièrement reconnu pour ses investigations. Ce média est très intéressant dans notre étude parce qu’en tant qu’ancien média français, il est un de seuls à avoir entretenu sa viabilité économique sur un modèle totalement indépendant financièrement (il ne reçoit ni subvention de l’État, ni ressource publicitaire). Cette longévité concrétise la possibilité de se préserver tout en créant de manière alternative de l’information.
Le journal, dont le but militant est de défendre la protection des sources des journalistes, ne vit que de ses ventes et ses actionnaires ne sont que les journalistes qui travaillent au sein de la rédaction.
La longévité de ce modèle interroge le rapport du lecteur à la presse papier, et souligne le pa-radoxe de la crise qu’elle vit depuis le début du XXIe siècle. En effet, l’information digitale semble être devenue la forme d’information la plus attractive par sa vitesse et sa production visiblement illimitée de contenus, mais la réalité de l’économie du Canard Enchainé, qui rassemble des économies deux fois supérieures à son chiffres d’affaire annuel, montre un système où le papier peut encore trouver sa place. Encore faut-il avoir un positionnement politique fort, et militer pour une cause qui lui donnera l’écho nécessaire pour se faire entendre dans le bruit médiatique ambiant. Pour ce journal, l’absolue nécessité est de protéger les sources et de persévérer dans un positionnement indépendant, alternatif et transparent. Chaque année, les comptes du Canard Enchainé sont publiés dans le journal, offrant aux lecteurs une honnêteté nécessaire dans une société numérique où les groupes de presse montent des empires résolument opaques, que les lecteurs subissent. Cette contrainte pèsent de plus en plus, comme l’a par exemple souligné l’immense vague de protestations suite à la vente incomprise et critiquée des parts appartenant à Matthieu Pigasse au milliardaire tchèque Daniel Kretinsky. Les lecteurs se sentent abandonnés par des médias qui semblent ne plus les prendre en compte, se tournant ainsi vers une presse alternative, qui semble avoir des objectifs plus clairs. Cependant, pour atteindre pérenniser son modèle économique, la direction de ce média tient une ligne de conduite assez rigide. Ainsi, si les journalistes de la rédaction font partie des mieux payés de la profession, ils doivent répondre à une obligation d’exclusivité. En contrepartie, ils sont détenteurs de titres du journal, qui, s’ils n’ont pas de valeur financière, leur donne une précieuse voix pour mener ce journal, et faire perdurer leur combat militant. Ce positionnement entier souligne la force de ce projet et explique en profondeur les raisons de son existence. Pour une presse papier viable, ce modèle historique nous prouve la nécessité de ne pas faire de concession en créant un nouveau modèle. Ainsi, c’est pour sa nature profonde et inchangée depuis un siècle que le Canard Enchainé continue aujourd’hui à satisfaire ses lecteurs, qui soutiennent le modèle autant qu’ils apprécient la lecture de ce journal.
Malgré tout, la mise en place et la pérennisation d’un modèle économique viable et alternatif ne constitue pas l’unique condition d’existence pour une presse écrite innovante. La longévité de ce journal est également indissociable de son positionnement éditorial. Dans un contexte de la crise de la presse, les médias doivent développer de nouveaux formats pour toucher un public de plus en plus inattentif. Le Canard Enchainé, au modèle ancien a du mal à se renouveler. L’utilisation du genre de la satire, discours qu’il revendique depuis sa création, lui donne une visibilité publique et le distingue des discours traditionnels des médias : « la satire n’est pas seulement la possibilité de tourner en dérision et de tenir des propos plus ou moins irrespectueux, elle induit un autre traitement de l’information »21. Avec ce ton satirique, ce média peut alors s’affranchir des normes journalistiques pour construire un autre modèle de presse et un positionnement éditorial alternatif. Ainsi, les lecteurs pourront situer cette presse, jugée parfois marginale dans un contexte où les médias traditionnels sont souvent remis en question. Ce positionnement éditorial est important parce qu’il détermine la légitimité professionnelle des journalistes et du média lui-même. Ainsi, la question centrale est de prendre le temps : le temps de produire l’information, de construire la satire, de s’approprier des discours. À l’image du Canard Enchainé, l’expérience du 1 constitue ainsi un exemple révélateur de cette nouvelle presse qui doit se renouveler pour se démarquer dans un univers médiatique brouillé.
Mise en forme du journal hebdomadaire Le 1
Quand il crée le nouveau média Le 1 en 2014, Éric Fottorino cherche à réinventer les règles et les codes formels et esthétiques des médias, afin de faire évoluer l’information vers un nouveau modèle. Une fois son objet inventé, Fottorino utilise le numéro 0 comme d’une version beta-test, avant de lancer réellement l’aventure du 1. Le sujet de ce pré-numéro 1 est donc lui-même, ce qui a permis d’écrire un véritable mode d’emploi. Présentation de l’objet, des rubriques, et même de la rédaction, pour son projet. Le 9 avril 2014 est publié le premier numéro, le véritable lancement. Chaque numéro du 1 est construit de la même manière, autour de trois espaces distincts, qui donnent au sujet traité toute sa profondeur : l’approche sensible, l’approche analytique et enfin l’approche chimérique des rêves et des voyages, où l’imagination et le rationnel se réunissent. Ces trois approches permettent à chaque numéro de présenter tous les aspects d’un sujet, entretenant ainsi son image de média global.
Pour interroger la forme du journal Le 1, nous avons choisi de comparer et d’analyser deux numéros, le numéro 1 et le numéro 250, afin d’avoir une vision de l’évolution du projet et dis-tinguer les différents ensembles de la revue.
Le numéro 1, paru le 9 avril 2014, a pour thème La France fait-elle encore rêvée ? et le numéro 250, publié le 22 mai 2019, s’interroge sur le sujet Parlez-vous Europe ?. Il y a envi-ron 5 ans qui sépare les deux publications.
En comparant d’abord les couvertures, nous nous apercevons que les titres sont imprimés avec une police de valeur et de taille identique, ce qui attire l’attention sur l’évolution géné-rale relative de la maquette. Le journal est ainsi construit autour de bases claires et soutenues. D’un point de vue esthétique, c’est intéressant de constater que le même illustrateur est mis en avant, Jochen Gerner, qui a dessiné la plupart des rubriques Repères de tout le corpus, signe supplémentaire de continuité. Le numéro 250 met en avant le fait qu’il célèbre les 5 ans du journal, donc ce sont deux numéros qui sont des moments charnières de publication. Notre sélection de ces deux numéros est confirmée par le numéro 250. Non seulement il met en avant, grâce à l’écusson apposé sur le logo, la date anniversaire charnière qu’il célèbre, mais il la lie au premier numéro, créant ainsi un lien fort : « Numéro double : en cadeau d’anniver-saire, le premier numéro du 1 ».
Le premier espace correspond à l’ouverture du journal, il comprend donc la couverture, la 4e de couverture, et les pages 2 et 3. Le sujet, ainsi que les différents textes du journal sont présentés différemment. En 5 ans, la présentation du journal a évolué. Dans le numéro 1, le nom des auteurs et leur fonction sont mentionnés : « Costa Gavras, réalisateur – Angelin Prej-locaj, chorégraphe ou Tzevetan Todorov, philosophe ». Dans le numéro 250, il y a également un sommaire mais qui n’est pas construit de la même manière. Le nom des auteurs est indiqué mais plus leur fonction. Il ne reste que le nom de leur rubrique, une petite phrase d’accroche et l’indication des pages.
Le poster est mentionné dès la couverture dans les deux numéros mais de manière diffé-rente. Dans le numéro 1, une mise en abîme de Raymond Depardon en train de photographier le pays annonce le thème du poster, alors que dans le numéro 250, sa thématique est présentée par écrit : « cartes postales de la Pologne, de la Grèce, de l’Espagne, de l’Italie et de la Scan-dinavie ». Les deux couvertures sont complétées par un court texte, Le point de vue de J.M.G. Le Clézio dans le numéro 1 et dans le numéro 250, Un état d’esprit par Éric Fottorino. Si la ver-sion dans le numéro 1 est visiblement un préambule à un texte à l’intérieur du journal qui est mis en valeur par « suite page 3 », celui du numéro 250 prête à confusion. À première vue, il semble s’agir d’un éditorial étant donné qu’il est signé par Éric Fottorino et qu’il pourrait orienter la ligne du journal. Malgré ces indices, nous verrons par la suite que depuis le numéro 179, l’éditorial est présenté en page 2 sous le titre Zakouski. Ce texte d’ouverture est un simple billet d’humeur, qui trouve sa pertinence dans l’anniversaire célébré par le journal. Malgré tout, c’est deux textes ont un objectif similaire, nous faire ouvrir le journal. Enfin, sur le numéro 1, la rubrique Parlons philo est annoncée.
Malgré un squelette identique, il y a quand même une évolution esthétique, notamment sur l’utilisation des polices. Ces changements se ressentent également au niveau du contenu. Dans le numéro 1, les rédacteurs insistent beaucoup sur le statut des intervenants, avec la précision de leur métier et avec la mise en abîme de Depardon. Au contraire, dans le numéro 250, ça n’est plus le cas. Les auteurs sont mentionnés mais leurs fonctions et leurs emplois ne le sont plus, laissant la place au thème de leur rubrique. Donc malgré le fait que le journal souligne toujours la pluralité de voix, la mise en forme varie par rapport aux précédentes. Nous pou-vons y voir une recherche d’un positionnement idéal, qui permettrait à la fois d’attirer le lec-teur et de mettre en valeur le contenu le plus pertinent. Cette évolution montre un question-nement sur les intérêts des lecteurs, interrogation prolongée au fur et à mesure des numéros.
Une analyse des discours éditoriaux
Selon le dictionnaire Larousse, l’éditorial est un « article qui émane de la direction et qui définit ou reflète une orientation générale (politique, littéraire, etc.) »24. L’éditorial permet de déterminer le positionnement idéologique du journal et d’appréhender l’agencement de son contenu. En créant le 1, Éric Fottorino a tenté de casser les codes traditionnels de la presse. En renommant plusieurs fois cette rubrique, de différentes manières, il rompt les habitudes du lecteur, l’incitant à une lecture active, qui lui permet de cerner l’orientation des articles sélec-tionnés.
Les discours éditoriaux des deux premiers numéros du journal Le 1 [le numéro 0 et le nu-méro 1] sont rédigés par Laurent Greilsamer et Éric Fottorino, co-fondateurs et alors rédac-teurs en chef du journal. Ils expliquent de quelle manière Le 1 est pensé et construit. Dans le numéro 0, Laurent Greilsamer parle de l’origine du titre, qui a du sens dans le fond et dans la forme. Comme un préambule au sujet, donnant l’essence de ce journal, ce qui est cohérent avec l’apparence de manifeste du numéro. Dans le numéro 1, qui est le premier numéro qui a été vendu en kiosque, Éric Fottorino explique comment le 1 se déplie, quelle est cette forme. Nous sommes à nouveau face à un texte de l’ordre du manifeste du 1. Il y a donc quelque chose de l’ordre de l’émotionnel, de la création, et de l’ordre du lancement d’un projet qui leur est propre et qui répond aux oppositions qu’ils ont vécus précédemment tous les deux au Monde. Le numéro 0 nous apprend que le journal d’origine s’appelait In fine, il y a vraiment cette notion d’aboutissement. L’utilisation du champ lexical de la création, de la nouveauté souligne l’émotion entrainée par la naissance d’un journal : « les rubriques ont pris forme sur le papier », « le titre nous a galvanisés quinze jours ». Dans le numéro 1, le texte est construit comme un mode d’emploi (« chaque semaine, nous nous proposerons… »).
Un combat contre l’instantanéité du numérique
Pendant longtemps, l’échelle de temps qui dictait l’activité des médias a été la journée. Les journaux produisaient de l’information au jour le jour, au rythme des agences de presse et de l’activité des rotatives des différents médias. Cette échelle humaine permettait aux journa-listes de suivre, produire et éditer l’information en temps réel. Elle permettait également aux lecteurs de s’approprier cette actualité plus facilement. Dans le cas d’informations de proxi-mité, les événements étaient commentés par les médias en même temps que les lecteurs les vivaient et pour les informations provenant d’espaces géographiques plus éloignés, l’informa-tion avait le temps d’être reçue, et analysée par des professionnels avant d’être présentée au public. Les médias existaient alors comme des objets de proximité, proches de la vie des lec-teurs.
Avec le développement très rapide et exponentiel d’Internet, cette échelle s’est rétrécie, pour devenir la seconde et l’instant. Le nombre d’informations accessibles et de sources mé-diatiques a explosé, brouillant très vite ce rapport de confiance et de proximité entre les mé-dias et leurs lecteurs. Comme nous l’avons expliqué dans une partie précédente, les médias traditionnels papiers ont, pour survivre, dû s’adapter à cette nouvelle manière de créer de l’in-formation. Pendant longtemps, les agences de presse ont été les seuls à produire de l’informa-tion pour les médias. Il s’agissait alors une information garantie fiable et documentée. Ce sys-tème alimentait alors une vision binaire, dans laquelle les médias étaient les seules à accéder et à pouvoir diffuser de l’information. À ce titre, ils fournissaient plusieurs fois par jour des informations. Ce rythme relativement lent, journalier, s’explique par le fait que ce sont des humains qui traitaient ces informations, et les propageaient à leur propre vitesse.
Avec le développement d’Internet, l’humain n’est plus au centre de l’échange. Le pacte que les médias ont passé, en cédant gratuitement leurs contenus à des moteurs de recherches tels que Google va accélérer ce phénomène de diversification des sources d’information. Vont alors apparaitre et se multiplier les flux d’informations en continu, diffusés aussi bien sur des médias digitaux que sur des médias audiovisuels. Certains médias se consacrent même exclu-sivement à cette production à la chaine d’informations rapides (BFM TV par exemple). Pour pallier la diminution importante de leur nombre d’abonnés, certains médias d’informations traditionnels cherchent à suivre ce rythme effréné, mettant en avant sur leur site ces flux d’informations. Nous avons pris comme exemple trois médias traditionnels et relativement an-ciens : les journaux quotidiens Le Monde et Libération, et le journal hebdomadaire L’Obs. Fondés respectivement en 1945, 1973 et 1964, ils ont vécu et participé aux grandes heures de la presse papier. Pourtant, en analysant l’en-tête de leur site internet, nous pouvons constater qu’ils se sont complètement adaptés suite à la révolution numérique.
Politique de l’offre : le statut de journaliste en perspective
Ainsi que nous l’avons analysé précédemment, le papier contraint naturellement la quantité d’informations communiquées au lecteur par ses limites physiques. Cette restriction entraine inévitablement la notion de sélection, et donc celle de valeur. Les médias choisissant le papier ont autant à dire que des médias digitaux mais vont être guidés non pas par une politique de la demande mais plutôt de l’offre. La limite physique de leur support les force à se positionner avec précision et proposer un regard particulier. La valeur de l’information est alors diffé-rente. Le philosophe et universitaire américain Matthew B. Crawford défend dans son livre Contact. Pourquoi nous avons perdu le monde et comment le retrouver cette notion de choix et prône la réhabilitation du rôle du corps dans nos vies. D’après lui, l’utilisation des nou-velles technologies a pris le pas sur nos actes conscients et autonomes. L’utilisation de la sou-ris représente un geste devenu incontournable dans notre société, preuve de l’appauvrissement de nos comportements et qui témoigne de la perte de notre libre-arbitre.
Si cette vision est assez pessimiste quant au développement sans cesse plus important dans nos vies du digital, il n’en reste pas moins que cela dépeint une situation contre laquelle Le 1 se positionne depuis sa création. Présenté ainsi par Éric Fottorino, l’hebdomadaire est un journal d’inspiration, pas d’information. Cette distinction est essentielle pour comprendre le choix éditorial du journal, le regard sur le monde qu’il souhaite offrir aux lecteurs. Ainsi, les lecteurs pourront, par l’acte d’achat, cautionner sa proposition, et s’approprier le sujet par la lecture du journal. Par cet acte qui à priori ne concerne que le lecteur qui l’exécute, un mou-vement militant beaucoup plus large est amorcé et encouragé. En effet, avec le développement d’Internet et la cession gratuite de leurs contenus à des moteurs de recherche, l’exploitation d’une politique de la demande était devenue la norme. Conforté par la puissance de la publici-té, ce modèle, sous réserve d’offrir à l’internaute une information inspirée de ses demandes précédentes, offrait une vision finalement étriquée de toutes les informations disponibles avec de faibles possibilités de modération par l’utilisateur. Sous couvert donc d’offrir plus de liber-té par une diversité infinie de sources, chacun a finalement accès à un nombre limité d’infor-mations. En choisissant le papier, le 1 veut faire taire ce bruit médiatique, et offrir sa vision du monde. Libre ensuite au lecteur de choisir de le lire, en pleine conscience.
Cette vision est caractérisée par l’expression d’une multiplicité de voix et de points de vue. Ainsi que l’explique Éric Fottorino dès l’éditorial du numéro 0, Le 1 est construit sur plu-sieurs innovations, et l’une d’entre elle est de répondre à une question de société en la sou-mettant à plusieurs regards croisés. Philosophie pourra se mêler à l’agronomie et aux statis-tiques, la culture à la géopolitique ou encore la poésie à l’anthropologie. Dans chaque numé-ro, le lecteur pourra alors créer des allers-retours entre les différentes disciplines, et ne plus subir d’intermédiaire entre l’information et lui. Le besoin de recevoir une information provenant d’experts dans leur domaine répond directement aux profondes transformations du monde des médias au XXIe siècle.
Lorsque la presse écrite a vécu ses grandes heures, marquées par une situation économique favorable, les médias avaient à cœur de créer une information approfondie. Le journaliste bé-néficiait alors d’une légitimité particulière, pour sa capacité à fournir une information consi-dérée ainsi comme fiable. Son statut professionnel lui permettait d’attirer l’attention et la confiance des consommateurs de son information. Le développement d’Internet, et l’émer-gence de nouveaux supports de communication alternatifs, les blogs puis les réseaux sociaux, a bouleversé cet équilibre. Le citoyen a pu ainsi prendre la responsabilité de s’exprimer et de transmettre une information ou dans une moindre mesure un commentaire à cette information. L’émergence de ces nouvelles voix a à la fois permis une diffusion plus démocratique de l’in-formation, mais a entrainé de nombreuses dérives : diffusion d’informations peu fiables et ap-proximatives, commentaires subjectifs…
Face à ce mouvement, les médias ont dû s’adapter à cette digitalisation de l’information. Les rédactions écrites se sont développées, pour offrir aux lecteurs une version papier et une version web de leur média. Mais ce développement a été bien souvent précipité par les désa-bonnements massifs et rapides des lecteurs. Dans leur précipitation, les médias ont omis de se reposer des questions essentielles. Quelle information diffusée sur internet et sur le papier ? Quelle est, pour les lecteurs, la représentation des journalistes sur l’une et l’autre des plate-formes ? Comment construire alors une information adéquate ? Happés par cette accélération du temps et par des considérations de réduction de coûts, beaucoup de médias ont ainsi atten-dus que les mêmes journalistes s’expriment à la fois sur papier et sur le web. Face à une crise économique qui semble menacer toute la profession, l’heure n’est pas alors pas à la remise profonde en question. Le statut légitime du journaliste a donc été mis à mal, et le lecteur ne se retrouve plus dans toutes ces informations. C’est dans cette brèche que la presse indépendante en général, et le 1 en particulier s’est positionnée. En ralentissant, elle a redonné du sens. Et en offrant plusieurs regards émanant de spécialistes de leurs domaines, le journal prend en compte en priorité le lecteur. Il n’est plus question de laisser la parole à tout un chacun mais bien de proposer un regard que chacun pourra s’approprier. Malgré tout, la rédaction est bien sûr composée de journalistes, qui vont se mettre au service de ces contributeurs pour mettre en œuvre le journal. Le rédacteur en chef devient alors un véritable chef d’orchestre, orientant le lecteur d’un univers à l’autre.
Poétique numérique de l’hebdomadaire Le 1
Malgré sa volonté d’embellir l’information à travers le papier, Le 1 reste ancré dans son époque. À travers une présence contrôlée, l’hebdomadaire utilise toute une poétique qui ra-mène à ce support original, qu’elle complète, qu’elle imite. Cette idée, tirée de l’ouvrage Poé-tiques d’Aristote29, selon laquelle par l’imitation, un artiste peut sublimer une œuvre en la re-produisant, peut tout à fait être ramené à l’analyse de l’univers digital de l’hebdomadaire le 1. En effet, par le développement de réseaux numériques consistant à raconter le papier, le jour-nal offre au lecteur un éclairage complémentaire.
Nous allons d’abord nous intéresser au site internet du journal, qui souligne dès sa page d’accueil l’utilisation d’une grammaire commune avec le format papier. En effet, bien que la manipulation d’un site internet a son fonctionnement et son langage propre, nous évoluons tout de même dans une culture du non-informatisé30. Avant même d’accéder au site, l’URL utilisé (le1hebdo.fr) rappelle aux lecteurs la périodicité du journal, lui permettant d’associer immédiatement les deux univers. Un bandeau à gauche de l’écran est occupé par le logo du 1. Non seulement il est identique en proportion à celui du journal papier, ce qui permet au lec-teur d’associer immédiatement les deux contenus et de s’impliquer dans sa navigation comme dans le prolongement de son journal, mais il est placé à gauche, encore une fois comme dans le journal. Cet emplacement conjoint est propice à une entrée en matière, dans la mesure où l’œil humain, habitué au sens de lecture de gauche à droite, est plus attentif aux éléments sur la partie latérale gauche.
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Table des matières
INTRODUCTION
I. Le 1 comme nouveau modèle économique indépendant
I.1.Genèse du projet. Du quotidien Le Monde à l’hebdomadaire Le 1
I.2.Résultat proposé par Éric Fottorino avec Le 1 : nécessité d’une indépendance financière pour garantir une indépendance éditoriale.
I.3.Le développement d’une presse papier alternative fondée sur une indépendance économique viable : l’exemple historique du Canard Enchaîné
II. Remprunts formels. Vers une modification du contrat de lecture ?
II.1.Mise en forme du journal hebdomadaire Le 1
II.2.Un nouveau contrat de lecture ?
II.3.Une analyse des discours éditoriaux
III. Innovation de fond : Le 1, entre papier et digital, une relation formelle ambigüe
III.1.Un combat contre l’instantanéité du numérique
III.2.Politique de l’offre : le statut de journaliste en perspective
III.3.Poétique numérique de l’hebdomadaire Le 1
CONCLUSION GENERALE
BIBLIOGRAPHIE
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