Le développement du vocabulaire et la lecture de livres d’histoire
Le développement du vocabulaire en milieu bi/plurilingue
Le Report of the National Literacy Panel for Language Minority Children and Youth (August et Shanahan, 2006), mené aux États-Unis, rapporte que les enfants issus de l’immigration et apprenant l’anglais possèdent un moins grand vocabulaire en anglais que leurs pairs locuteurs natifs de l’anglais. Peña et Halle (2011) ainsi que Peña et al. (2002), s’appuyant sur des études observant le développement du vocabulaire chez les enfants bilingues, expliquent cette différence par le fait que les enfants dont la LM n’est pas la langue de scolarisation ont des expériences langagières et des représentations conceptuelles différentes dans chacune de leurs langues. De plus, à un jeune âge, ces représentations peuvent être instables, car elles sont en transition. Ainsi, ces enfants sont plus susceptibles de posséder un vocabulaire ainsi que des représentations conceptuelles scolaires dans la langue de scolarisation et d’autres types de mots et de concepts dans leur LM. Par ailleurs, il semble justifié que ces enfants possèdent moins de mots de vocabulaire dans la langue de scolarisation puisqu’ils n’ont pas une exposition à l’anglais comparable à leurs pairs dont la LM est également la langue de scolarisation.
Il est important de mentionner que lorsque les enfants bilingues acquièrent un concept dans une de leurs langues, ils n’ont pas besoin de réapprendre ce concept dans une autre langue. En effet, selon la théorie de l’interdépendance des langues (Cummins, 1979), sur laquelle nous reviendrons plus en détail, les enfants peuvent transférer leurs acquis langagiers d’une langue à l’autre, notamment en ce qui a trait au vocabulaire (Lugo-Neris et al., 2010; Cummins, 2001). Ainsi, en se basant sur les connaissances conceptuelles acquises dans une de leurs langues, les enfants bilingues associent à un concept déjà connu une nouvelle étiquette dans une autre langue. Toutefois, des conditions sont nécessaires pour que les enfants puissent effectuer ces transferts d’une langue à l’autre. D’une part, ceux-ci doivent se sentir autorisés à le faire et, d’autre part, ils doivent avoir acquis un certain niveau de compétence dans chacune de leurs langues, ce que nous expliquons plus en détail dans la section suivante.
L’importance de soutenir le développement des différentes langues des enfants bi/plurilingues
Comme nous venons de le mentionner, des conditions doivent être respectées pour que les enfants bilingues puissent bénéficier des avantages liés au développement des compétences langagières dans deux langues ou plus. C’est ce que Cummins (1979) explique à l’aide de deux hypothèses : l’hypothèse du seuil minimal de compétence linguistique et l’hypothèse de l’interdépendance des langues.
La première stipule qu’il y aurait des seuils de compétence linguistique qu’un enfant bilingue devrait atteindre pour bénéficier des avantages associés au bilinguisme. Plus spécifiquement, il y aurait deux seuils de compétence linguistique. D’abord, l’enfant devrait atteindre un premier seuil de compétence linguistique en LM pour éviter des effets cognitifs négatifs lors de l’exposition intensive à la LS. Ensuite, pour ressentir les avantages cognitifs associés au bilinguisme, il devrait atteindre un second seuil de compétence linguistique, à la fois en LM et en LS.
Ensuite, l’hypothèse de l’interdépendance des langues suggère que le développement de la compétence en LS est en partie tributaire du type de compétence déjà développé en LM au moment où commence l’exposition intensive à la LS. Ainsi, un enfant qui a développé une forte compétence en LM pourra atteindre une compétence similaire en LS. Les enfants allophones qui n’ont développé qu’une minime compétence en LM lors de l’entrée à l’école seraient susceptibles de voir freiner le développement de cette langue, ce qui aura également un impact sur le développement de leur LS.
Ces hypothèses développées par Cummins témoignent donc de l’importance de soutenir le développement des compétences langagières et de littératie des enfants allophones le plus tôt possible et, à l’égard du concept de bilinguisme soustractif, cet enjeu revêt encore plus d’importance dans une société comme le Québec où une forte partie de la population est issue de l’immigration non francophone.
Interactions à propos du vocabulaire naturellement générées par les parents
Dans le cadre des recherches que nous venons de décrire, de type expérimental, certains types d’interactions, déterminés d’avance, étaient générés par des expérimentateurs au cours la lecture avec de jeunes enfants, dans le but de déterminer les effets de ces types d’interactions sur l’acquisition du vocabulaire réceptif et/ou productif. Ainsi, ces recherches ont permis de faire avancer les connaissances par rapport aux types d’interactions qui favorisent l’acquisition du vocabulaire pendant la lecture, mais pas sur les interactions à propos du vocabulaire naturellement initiées par les mères lors de séances de lecture à voix haute avec leurs enfants. Quelques recherches, à visée descriptive, permettent d’en apprendre davantage sur le sujet.
D’abord, Torr et Scott (2006) ont observé, au moyen de la lecture partagée18 d’un livre narratif et d’un livre informatif, la façon dont s’y prenaient six mères scolarisées et six mères peu scolarisées pour présenter des « termes techniques » à leurs enfants, soit des mots de vocabulaire soutenus.
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Introduction
Chapitre 1. Problématique
1.1 La littératie et les élèves allophones au Québec
1.3 L’implication des parents issus de l’immigration dans l’émergence de la littératie de leurs enfants
Contexte scientifique
1.4 L’émergence de la littératie : période cruciale
1.5 La lecture de livres d’histoire et l’émergence de la littératie
1.6 Lecture de livres d’histoire : état des recherches en contexte monolingue et bi/plurilingue
1.7 Le développement du vocabulaire et la lecture de livres d’histoire
1.8 Les interactions à propos du vocabulaire lors de la lecture de livres d’histoire : état des recherches en contexte monolingue et bi/plurilingue
1.9 Lecture de livres d’histoire bilingues : état des recherches et objectifs généraux de recherche
Chapitre 2. Cadre conceptuel et recherches empiriques
2.1 La littératie et l’émergence de la littératie
2.2 La lecture à voix haute : définition et fondements socioconstructivistes
2.2.1 Les interactions
2.2.1.1 Les interactions et les alternances codiques
2.2.2 La zone proximale de développement et l’étayage
2.3 La lecture à voix haute et le développement du vocabulaire
2.3.1 Le développement du vocabulaire
2.3.2 Le développement du vocabulaire en milieu bi/plurilingue
2.4 L’importance de soutenir le développement des différentes langues des enfants bi/plurilingues
2.5 Recherches empiriques sur la lecture de livres d’histoire à voix haute en contexte monolingue
2.5.1 Relations entre les interactions et l’acquisition du vocabulaire
2.5.2 Interactions à propos du vocabulaire naturellement générées par les parents
2.6 Recherches empiriques sur la lecture à voix haute de livres d’histoire en contexte bi/plurilingue
2.6.1 Relations entre les interactions et l’acquisition du vocabulaire
2.7 Les livres bilingues
2.7.1 Recherches empiriques sur la lecture de livres d’histoire bilingues
2.8 Synthèse et objectifs spécifiques de recherche
Chapitre 3. Méthodologie
Chapitre 4. Présentation, analyse des résultats et discussion
4.1 Portrait démosociolinguistique des dyades et habitudes de lecture
4.1.1 Dyade 1 : Nawrin et son fils Kamrul
4.1.2 Dyade 2 : Afia et son fils Sayeed
4.1.3 Dyade 3 : Tahmid et sa fille Sanjana
4.1.4 Dyade 4 : Lorena et sa fille Paola
4.1.5 Dyade 5 : Lizeth et sa fille Ximena
4.1.6 Dyade 6 : Valeria et son fils Miguel
4.2 Objectif 1 : Description des langues des lectures et des langues des interactions parent-enfant pendant l’ensemble des quatre séances de lecture de livres bilingues
4.2.1 Langues des lectures et des interactions observées chez l’ensemble des dyades
4.2.2 . Description des langues des lectures et des langues des interactions : étude de cas des six dyades parent-enfant
4.3 Objectif 2 : Description des interactions parent-enfant à propos du vocabulaire lors de la lecture des livres bilingues
4.4. Objectif 3 : Relation entre les interactions à propos du vocabulaire et l’acquisition du vocabulaire en français ainsi qu’en bengali ou en espagnol : étude de cas des six dyades parent-enfant
4.5 Synthèse finale des résultats des objectifs 1, 2 et 3
Conclusion
Bibliographie
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