Changements de situations familiales et personnelles
Les modes de vie de la population sont également en mutation. Les destins sont mouvants, les changements plus fréquents et les risques de modification du statut social sont plus élevés. Le modèle de la famille élargie, autrefois dominant, où différentes générations se logeaient au sein d’un même ménage, s’est dissout. Aujourd’hui, on observe un spectre élargi de situations variées: familles monoparentales pour cause de divorce , personnes veuves, personnes vivant seules, familles de toutes tailles, des couples vivant chez leurs parents, des jeunes vivant en garde alternée, etc.
Les exemples sont nombreux et démontrent que les situations personnelles évoluent rapidement dans le temps. Cela demande une plus grande adaptabilité et flexibilité de la production mais également de l’offre dans le secteur du logement. En effet, de plus en plus de personnes sont amenées à acquérir/céder un logement en fonction de l’évolution de leur statut social, familial et professionnel en raison du manque de possibilités d’adaptation de leur précédent logement.
De plus, le phénomène de solitude, accentué par ces changements de situations fréquents, se dresse comme un frein aux échanges sociaux dans les villes. Alors que la communication et l’accès à l’information semblent de plus en plus aisé grâce aux nouvelles technologies, le sentiment de solitude n’a pourtant jamais été aussi interpellant. Selon une étude réalisée par l’ESS en 2017, prêt de 38% de la population suisse exprime se sentir seule. Il est intéressant de souligner que ces phénomènes s’appliquent à toutes les générations sans exception et constituent une enclave quant à l’épanouissement de ces individus dans la société.
Besoins et accessibilité en matière de logements
L’ensemble de ces changements explique, entre autres, pourquoi bon nombre de personnes n’ont pas la possibilité d’acheter un logement classique ou de faire construire leur propre maison. L’accès à la propriété individuelle et aux logements en ville se fait de plus difficilement et coûte de plus en plus cher, en partie à cause de la spéculation immobilière.
Nous observons aujourd’hui un retour vers la ville, vers le milieu urbain, malgré le fait que les loyers continuent de grimper pour l’acquisition de surfaces de plus en plus réduites. Selon une enquête de l’ONU, environ une personne sur deux sur le total de la population, vit en milieu urbain et les projections futures indiquent une augmentation jusqu’à sept habitants sur dix.
C’est le cas notamment des jeunes adultes qui, désireux d’acquérir leur propre autonomie, quittent de plus en plus tôt le cocon familial. Mais également des personnes dont le statut social a subitement changé, étant contraintes de quitter le ménage. En effet, il y a trente ans, le taux moyen d’habitants par ménage était de trois personnes. Il s’élève aujourd’hui à deux personnes et atteindra, d’ici vingt ans, un seul habitant par ménage.
Cependant, ces personnes sont souvent confrontées à des loyers hors de prix ainsi qu’à la difficulté de trouver un logement adapté à leurs besoins et revenus. En Belgique, l’augmentation de la population provoquera la construction de plus d’un million de nouveaux logements d’ici 2060. Afin que ces logements restent accessibles au plus grand nombre d’individu, il est nécessaire d’opter pour un élargissement de l’offre en matière d’habitat. Comme nous l’indique Robert Mûelenaere, administrateur de la Confédération Construction en Belgique : « Notre offre en logements doit être financièrement abordable, de qualité et adaptée aux besoins et exigences actuels. Nous allons donc devoir continuer à construire, mais d’une manière différente. »
Typologies de la cohabitation : de l’habitat collectif standard à la coopérative d’habitants
En partant de ce principe de cohabitation, il en ressort un vaste spectre de typologies variées qui traitent du concept dans son sens large. Après avoir défini le principe de la cohabitation, il me parait important d’évoquer certaines typologies afin de mettre en évidence leurs différences et similitudes avec les coopératives d’habitants.
L’habitat collectif standard est un ensemble bâti accueillant plusieurs logements constitués de familles/personnes physiques qui, en principe, ne se connaissent pas avant la mise en vente des logements par le propriétaire de l’immeuble. Celui-ci étant extérieur à la collectivité. Dans la plupart des cas, l’immeuble est réalisé préalablement à l’attribution des propriétaires/locataires. Les habitants des différentes unités partagent principalement des espaces partagés informels tels que les cages d’escalier, les accès et les parkings. L’espace privé domine et est accessible depuis ces espaces partagés informels.
L’habitat communautaire est un lieu de vie habité et partagé par des familles/individus partageant des valeurs communes. Le collectif et les espaces partagés occupent une place prépondérante et font l’objet d’une attention particulière. Il se place en opposition à l’immeuble collectif standard où l’espace privé y est dominant.
Selon Pascale Thys, coordinatrice de l’association belge Habitat et Participation, une idéologie clairement revendiquée et assumée par tous permet de renforcer la communauté. Les espaces privés sont souvent de taille réduite par rapport aux espaces partagés et la distinction entre les deux est parfois minime. Ils dominent l’ensemble et en constituent l’essence même du projet.
L’habitat groupé est un projet d’habitation en groupe qui est partagé par un ensemble d’habitants formant une communauté. Celle-ci peut être constituée préalablement mais ce n’est pas une nécéssité. Il diffère de l’habitat communautaire car c’est un lieu de vie où les espaces privés et les espaces partagés y sont clairement distincts. Les limites entre ces deux statuts d’espaces sont clairement définies. L’espace privé de chacun est libre d’aménagement et d’utilisation mais les espaces partagés sont soumis à des règles établies préalablement.
Le co-living comme service. Depuis quelques années, le coworking connait un succès croissant, notamment dans les villes. C’est pour cette raison que certaines entreprises ont étendu ce champ au coliving. Il est défini comme un lieu de vie dynamique, stimulant et confortable tout en restant abordable financièrement. Cette typologie est caractérisée par la mise à disposition d’un logement privé pouvant être utilisé à court/moyen/long terme selon les besoins de l’acquéreur. La flexibilité et la possibilité de pouvoir acquérir/quitter rapidement cet espace privé le caractérise. Les membres bénéficient d’un accès à un espace commun qui stimule les relations sociales en profitant de la dynamique du groupe que l’espace de travail partagé génère. Cela afin d’augmenter la productivité de l’activité professionnelle. C’est donc une variante de l’habitat groupé se situant entre le lieu de travail et une colocation standard.
L’habitat participatif se rapproche de la forme de l’habitat groupé. Nous pouvons y ajouter le fait que les membres de la collectivité participent à l’aménagement du projet, aux décisions et parfois au chantier. C’est un lieu qui se construit collectivement tout au long du processus qui permet aux futurs habitants d’être impliqués dans un projet sur base d’une vision commune. L’habitat coopératif – les coopératives d’habitants font partie de la catégorie de l’habitat groupé et participatif. Cependant, son organisation et son statut diffèrent. L’autogestion, la mutualisation, le non-profit et la co-conception en sont les caractéristiques principales.
Première génération de coopératives d’habitants
C’est en se basant sur le modèle de la cité-jardin que, parallèlement à son développement, les premières coopératives d’habitants sont nées dans les années 1920. La problématique de l’époque concernait la pénurie de logement. Ce qui a favorisé l’apparition de nouvelles organisations et formes d’habitat partout en Europe. Pour faire face à cela, des groupes de travailleurs se sont organisés en coopérative afin d’accéder ensemble à des terrains mieux positionnés tout en réduisant leurs dépenses. Pour eux, cette alternative consistait une possibilité d’habiter à proximité des usines tout en respectant leurs moyens financiers.
Dans certains pays comme la Suisse, les dirigeants de l’époque ont octroyé des aides financières pour de nouvelles constructions afin d’atténuer la crise du logement. Ce geste de l’Etat a contribué à l’augmentation de la création de nouvelles coopératives. Cette augmentation perdurera pendant la deuxième guerre mondiale où les aides à la construction devenaient de plus en plus importantes. De nombreux terrains inutilisés furent proposés à la vente à prix très faibles : une aubaine pour les coopératives naissantes qui en ont profité pour se développer.
Cependant, dès le début des années 1950, nous observons un retournement de situation qui a vu le nombre de coopératives diminuer drastiquement. En cause, l’apparition de nouveaux acteurs de la construction de logement tels que les fonds immobiliers et autres organisations de ce type. A cette époque, les grands ensembles de logements modernistes ont définitivement acté la mise à l’écart des premières esquisses du modèle de la coopérative. En effet, le modèle coopératif n’aurait pas su rivaliser avec les grands ensembles du point de vue de l’échelle des projets et de l’efficacité constructive de ceux-ci dans un contexte de crise du logement. Malgré les améliorations sociales, économiques et écologiques que ce modèle novateur engendrait, il disparaitra peu à peu. Mais pour combien de temps?
L’organisation de la coopérative
Au niveau de l’organisation, tout est basé sur l’autogestion et sur la volonté de procéder sur base d’un principe démocratique où l’avis de chaque membre est pris en compte. Pour faire partie de l’assemblée, il faut au minimum avoir une part sociale.
Cependant, avoir beaucoup ou peu de parts sociales n’influe pas le degré de pouvoir décisionnel dont le coopérateur jouit. Le fait qu’il n’y ait pas de propriétaires extérieurs ni d’actionnaires principaux permet de ne pas avoir de personnes ayant un pouvoir décisionnaire plus élevé qu’une autre lors des décisions prises aux réunions, et donc de rester dans un système égalitaire.
Le non-profit constitue une caractéristique majeure de l’organisation. Les bénéfices éventuels sont toujours utilisés pour servir à l’intérêt collectif du groupe et non pas à un intérêt personnel. Si une personne souhaite quitter la coopérative, il récupère les parts sociales qu’il a investi pour acquérir son logement au départ. La place vacante n’est pas attribuée au plus offrant mais bien sur base de l’ancienneté de l’inscription de la coopérative. Les listes d’attentes sont souvent chargées et la demande d’intégration est croissante, notamment pour les coopératives qui ont déjà quelques années de fonctionnement.
Cela s’explique par le fait que ces coopératives voient leurs loyers diminuer au fils du temps car l’emprunt se rembourse au fils des années et que les taux d’intérêts à payer à la banque diminuent. C’est pourquoi intégrer une coopérative qui a déjà quelques années d’expérience est donc également très avantageux sur le plan financier.
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Table des matières
Introduction
Chapitre 1 – Évolution et changements de la société du 21ème siècle
1.1 Changements démographiques
1.2 Changements environnementaux
1.3 Changements de situations familiales et personnelles
1.4 Besoins et accessibilité en matière de logements
1.5 Le logement collectif et les enjeux à l’échelle du territoire
Chapitre 2 – Cohabitation : principes et typologies
2.1 Pourquoi cohabiter ?
2.2 Typologies de la cohabitation : de l’habitat collectif standard à la coopérative d’habitants
Chapitre 3 – Cohabiter n’est pas une nouveauté
3.1 Rétrospective de l’habitat en communauté : exemples et influences
3.1.1 Charles Fourrier : le Phalanstère, 1822, France
3.1.2 Jean-Baptiste André Godin : le Familistère, 1859, Guise
3.1.3 Ebenezer Howard : les Cités-jardins, 1903, Angleterre
3.2 Bilan des expériences communautaires
Chapitre 4 – L’ère contemporaine et les coopératives d’habitants
4.1 Naissance, développement et perspectives du modèle
4.1.1 Première génération de coopératives d’habitants
4.1.2 Seconde génération
4.1.3 Les coopératives d’habitants actuelles
4.2 La place des coopératives en Suisse et en Belgique aujourd’hui
4.3 Organisation, fonctionnement et spécificités des coopératives suisses actuelles
4.3.1 La création du groupe de coopérateurs
4.3.2 L’élaboration du projet commun
4.3.3 Les réunions d’avancement
4.3.4 Le terrain
4.3.5 Le financement, plan financier et loyers
4.3.6 L’organisation de la coopérative
4.3.7 L’intervention de l’architecte
4.3.8 Le chantier
4.3.9 Le règlement propre à la coopérative
4.3.10 La gestion du projet
Chapitre 5 – Analyse de cas de coopératives d’habitants en Suisse
5.1 Méthodologie / grille d’analyse
5.2 Cas d’étude 1
Immeuble coopératif Soubeyran à Genève, ATBA, 2016.
5.2.1 Le contexte de la ville de Genève
5.2.2 La création du groupe de coopérateurs et les valeurs communes
5.2.3 Le site et le quartier
5.2.4 Le projet
Le financement
Le choix de l’architecte
Implantation / intentions urbanistiques
Le programme
Organisation spatiale
Les circulations intérieures/extérieures
Les logements
Aspects constructifs et techniques
5.2.5 La vie au sein de la coopérative
L’organisation interne et le fonctionnement de l’ensemble
La gestion du groupe
5.3 Cas d’étude 2
Coopérative Kalkbreite à Zurich, Muller&Sigrist, 2014.
5.3.1 Le contexte de la ville de Zurich
5.3.2 La création du groupe de coopérateurs et les valeurs communes
5.3.3 Le site et le quartier
5.3.4 Le projet
Le financement
Le choix de l’architecte
Le programme
Implantation / intentions urbanistiques
Organisation spatiale
Les circulations intérieures/extérieures
Les logements
Aspects constructifs et techniques
5.3.5 La vie au sein de la coopérative
L’organisation interne et le fonctionnement de l’ensemble
La gestion du groupe
Chapitre 6 – Pourquoi pas une coopérative d’habitants à Ste.-Marguerite ?
Ensemble de logements pour une coopérative d’habitants – Ste.-Marguerite, Liège.
(Projet personnel – Atelier DHLM, M2 Arch. ULiège, Avant-projet)
6.1 Introduction
6.2 Le site et les objectifs du projet
6.3 Le master plan – « Entre deux »
6.4 Le projet – « Ensemble coopératif à St.-Marguerite »
6.5 Retour sur expérience
Chapitre 7 – Conclusion générale
7.1 Le système de la coopérative d’habitants : une troisième voie du logement
7.2 Le rôle de l’architecte au sein de la coopérative
7.3 Le développement des coopératives en réponse aux enjeux actuels
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