Le développement de l’habitat informel comme mode d’occupation du sol

Le sens courant de la ségrégation

   Au sens commun du terme, la ségrégation s’entend comme étant une « action de mettre à part, le fait de séparer une masse ou un groupe. Il s’agit plus largement d’une séparation imposée, plus ou moins radicale, de droit ou de fait, de personnes, de groupes sociaux ou collectivités, suivant la condition sociale, le niveau d’instruction, l’âge ou le sexe » (Le Petit Robert, 2011). Sa définition est complexe puisque son application réside dans plusieurs domaines (social, économique, culturel, politique…). Qu’elle soit raciale, ethnique, résidentielle ou encore sociale, la ségrégation prend forme sous deux aspects ; celle qui est choisie, comme les gated communities, qui sont des quartiers fermés et sécurisés où se concentre une population aisée et celle qui est subie, comme les populations noires en Afrique du Sud devant vivre à l’écart des blancs durant l’Apartheid. toute son ampleur spatiale, créant des espaces marqués par des différenciations entre divers groupes de populations. Les exemples de ségrégation sont anciens, ainsi, nous pouvons citer la ségrégation raciale envers les populations noires aux États-Unis, amorcée dans les années 1870 ou encore le regroupement des Juifs dans des ghettos ou bien les castes d’Intouchables en Inde. De nombreuses études sur la ségrégation ont été menées au XXème siècle avec l’Ecole de Chicago dès les années 1920. Elle a « inauguré la complémentarité entre la description structurelle de la division sociale de l’espace urbain et l’analyse anthropologique des pratiques sociales des groupes répartis dans ces espaces divisés » (Preteceille, E., 1995, p.2). Ses études ont inspiré ensuite le développement des études quantitatives sur la ségrégation, notamment avec la mise en place de nombreux indicateurs. Il s’agit donc d’un phénomène ancien qui implique la séparation de groupes. Voyons à présent quelle est son acceptation dans la géographie.

Dynamiques actuelles : formalisation et titularisation

   Actuellement, la dynamique qui domine au Pérou est celle de la formalisation et de la titularisation des terres issues de l’urbanisation informelle à travers les Asentamientos Humanos. Dans les étapes du développement de cet habitat, citées plus haut, c’est seulement après la consolidation que peut se produire le processus de titularisation. La première loi de formalisation de l’habitat illégal a été édictée en 1961 et est connue sous le nom de « Barrios Marginales ». « Avec cette loi, l’Etat péruvien est devenu le premier d’Amérique latine à formaliser l’habitat illégal […] Son caractère exceptionnel devait être garanti par une action parallèle de l’Etat en vue de fournir les logements sociaux nécessaires. Dans les faits, l’Etat ne construisit pas de logements sociaux » (Faliès, C. et Montoya, C., 2010, p. 8). Cela a donc incité de nouvelles occupations irrégulières et a entraîné une accélération de l’urbanisation dans les périphéries de Lima. Mais c’est en 1996 sous le gouvernement de Fujimori qu’a été mis en place un programme massif de titularisation de terrains en accord avec la Banque Mondiale. C’est ainsi que fut créé COFOPRI, la Commission de Formalisation de la Propriété Informelle. La mission de cet organisme est de formaliser les quartiers où sont implantés des Asentamientos Humanos et de titulariser chacun des lots en délivrant des titres de propriétés individuels aux habitants. Pour se faire, COFOPRI intervient dans un quartier où est faite une demande de titularisation par la population, vérifie le statut juridique, et le niveau de risques. Au terme du processus, l’ensemble du quartier est formalisé, c’est-à-dire qu’il fait partie intégrante de la ville ; de la ville formelle. Par ailleurs, les habitants de l’Asentamiento Humano reçoivent un titre de propriété du lot qu’ils occupent. Mais ce programme n’inclut pas de mesures directes pour améliorer la qualité des logements. Les actions de COFOPRI se limitent donc seulement à l’aspect légal de la possession. La politique de titularisation des terres permet ainsi aux habitants des Asentamientos Humanos d’être reconnus comme propriétaire des terres qu’ils occupent en leur attribuant un titre de propriété inscrit dans un registre public. Cette politique de titularisation est sensée avoir des effets positifs pour la population en améliorant la qualité du logement et en garantissant l’accès au crédit. Mais d’après un rapport d’Antonio Stefano Caria, les effets positifs qui sont censés être engendrés ne s’observent pas, puisque d’après des enquêtes menées auprès des populations, l’accès au crédit n’a pas augmenté et la qualité des logements ne semble pas s’améliorer après les programmes (Caria, A-S., 2008). Des auteurs critiquent également la manière dont est réalisée cette politique, comme Daniel Ramírez Corzo et Gustavo Riofrío, le processus de formalisation du sol, de la manière dont il est fait, ne répond pas aux nécessités les plus importantes des nouveaux quartiers et renforce les conditions qui génèrent l’exclusion (Riofrío, G. et Ramírez Corzo, D., 2006). Il n’y a pas de relation directe entre la titularisation du sol et le processus d’amélioration urbaine. Cette politique a permis la formalisation de nombreux quartiers à Lima mais aussi dans le pays. La taille du projet a été considérable et est sans doute la plus grande expérience de titularisation de terres de ce type au niveau mondial (Caria, A-S., 2008). Dans les faits, le processus de titularisation se déroule en 3 étapes.
– Le Processus 0 : Etape de diagnostic physique et légal des asentamientos humanos. Autrement dit, c’est au cours de cette étape qu’est déterminé le statut de l’asentamiento, s’il s’agit de terrains publics, privés, réservés au patrimoine public, etc… Cette première étape est un diagnostic très général du quartier.
– Le Processus 1 : il s’agit de l’étape permettant d’être inscrit dans le registre public. C’est au cours de celle-ci qu’est mis en place un plan de lotissement afin de formaliser le terrain.
– Le Processus 2 : on identifie individuellement les bénéficiaires en faisant un recensement et on détermine le droit de chacun sur un lot. Ensuite COFOPRI accorde des Titres de Propriété et les envois à la Mairie, et c’est la Mairie qui distribue ces Titres de Propriété aux bénéficiaires.
Pour être titularisé, il est demandé aux habitants de fournir un justificatif, un document pouvant être transmis de génération en génération justifiant la propriété du terrain (s’il s’agit d’un terrain privé ou public) Ce processus de titularisation se déroule sur des durées allant de 6mois à 2ans. Les durées sont variables car il peut se produire des conflits d’intérêt où des habitants se disputent des limites de terrains entre eux ou avec le propriétaire du terrain en cas d’installation sur terrains privés. En définitif, ce qui est constaté c’est que cette politique mise en place est très inégalitaire et manque de cohérence. Ainsi, dans le statut d’Asentamientos Humanos titularisés se trouve une large diversité de possibilité. On trouve à la fois des logements consolidés avec tous les services de base et d’autres dans des conditions très précaires. Les photographies présentées ci-dessous illustrent ce constat.

Les indices de ségrégation : les cinq dimensions

   Dans le but d’évaluer le niveau de ségrégation résidentielle entre des groupes de populations, l’utilisation de plusieurs indices décrivant la répartition de groupes de populations est nécessaire. Massey et Denton, connus pour leurs études sur la ségrégation, regroupent les formes, les manifestations spatiales de la ségrégation résidentielle dans cinq dimensions qui sont : l’égalité, l’exposition, la concentration, le regroupement (agrégation spatiale), et la centralisation (Massey, D-S. et Denton, N-A., 1988). Pour chacune des dimensions, on distingue des indices unigroupes qui mesurent la répartition d’un groupe par rapport à l’ensemble de la population et des indices intergroupes qui comparent la répartition d’un groupe avec celle d’un autre groupe (Apparicio, P., 2000). L’égalité représente la distribution d’un ou plusieurs groupes de population à travers les unités spatiales. On considère qu’un groupe de population est ségrégé s’il est inégalement réparti dans les unités spatiales. « Les indices d’égalité mesurent la surreprésentation ou la sous-représentation d’un groupe dans les unités spatiales d’une région métropolitaine : plus un groupe de population est inégalement réparti à travers les ces unités spatiales, plus il est ségrégé » (Apparicio, P., Petkevitch, V., Charron, M., 2005, p.11). Dans le schéma, à gauche, le groupe de population est parfaitement distribué dans les unités spatiales, en revanche à droite, les membres du groupe se localisent dans quelques unités spatiales : ce schéma renvoie donc à une distribution ségrégative. L’exposition correspond à la possibilité d’interaction entre les membres du même groupe (unigroupe) ou entre les membres de 2 groupes différents (intergroupe) à l’intérieur des unités spatiales. Dans notre schéma, à gauche, le groupe 1 partage les unités spatiales avec le groupe 2, il existe donc une interaction. En revanche à droite, le groupe 1 est totalement isolé : il ne partage aucune unité spatiale avec un autre groupe, il n’y a aucune interaction avec d’autres groupes, il s’agit d’une situation de ségrégation. La concentration correspond à l’espace physique occupé par un groupe (soit la superficie qu’il occupe). Plus un groupe occupe une faible partie du territoire d’une ville, plus il est concentré (Apparicio, P., 2000). On considère que plus l’espace est petit, plus le groupe est ségrégé. Du point de vue de cette dimension, il s’agit du schéma de droite où l’on observe une situation de ségrégation. Le regroupement ou l’agrégation spatiale étudie la proximité géographique des unités spatiales du groupe. Plus un groupe occupe des unités spatiales contigües dans la ville, plus il est regroupé et donc ségrégé du point de vue de cette dimension. Nous observons un cas de ségrégation dans le schéma de droite : les unités spatiales où se situe la population sont toutes contigües les unes aux autres. Enfin, nous avons la centralisation qui mesure de la proximité du groupe au centre de l’aire métropolitaine. Un groupe est ségrégé dans cette dimension s’il est localisé loin du centre urbain (Tovar, E. 2011). Cette situation s’observe dans le schéma de gauche où le groupe est absent du centre. Dans la suite de cette étude, nous allons déterminer la ségrégation de différents groupes de populations à travers ces cinq dimensions. Aussi, nous allons présenter les groupes de population que nous allons étudier.

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Table des matières

Introduction
Partie I : Ségrégation, inégalités, pauvreté, informalité… ou les marqueurs des villes contemporaines
I. D’un constat de ségrégation sociospatiale
1. La ségrégation : définitions et applications
1.1 Le sens courant de la ségrégation
1.2 Géographie et ségrégation
1.3 Le social et le spatial
2. État des lieux
2.1 Villes et phénomène de métropolisation
2.2 Un fait marquant, l’augmentation des inégalités
2.3 Entre pauvreté et inégalités, les répercussions spatiales
II. … au développement de la ville informelle
1. Ville formelle et ville informelle
1.1 Formel / Informel : définitions générales
1.2 Dualisme entre ville formelle et ville informelle
1.3 Eléments d’explication du développement de l’informalité
2. Les marqueurs sociaux et spatiaux de la ville informelle
2.1 Population et espace en marge
2.2 L’habitat
2.3 Le cas de l’Amérique Latine
III. Le cas de Lima : quelle(s) réalité(s) urbaine(s) ?
1. Lima : une métropole géante dans un espace fermé
1.1 Cadre physique et démographique
1.2 La structure urbaine
1.3 L’étalement urbain
2. L’habitat informel à Lima
2.1 Les Asentamientos Humanos : définition, historique et croissance
2.2 Le développement de l’habitat informel comme mode d’occupation du sol : quelques caractéristiques
2.3 Dynamiques actuelles : formalisation et titularisation
Partie II : Etude de la pauvreté
I. L’aire d’étude : les Asentamientos Humanos titularisés
1. Description du terrain d’étude
1.1 Présentation générale
1.2 Les principales caractéristiques
2. La base de données
2.1 Description des données
2.2 La méthodologie envisagée
II. La population des asentamientos humanos : une population vulnérable
1. Etude de la pauvreté
1.1 La démarche méthodologique
1.2 Résultats de l’analyse
2. Cartographie de la pauvreté
2.1 La classification par ascendance hiérarchique
2.2 Interprétation des résultats
Partie III : Analyse de la ségrégation à Lima
I. La ségrégation résidentielle
1. Les indices de ségrégation : les cinq dimensions
2. Les groupes étudiés
II. Les indices de ségrégation
1. L’égalité
2. L’exposition
3. La concentration
4. Le regroupement
5. La centralisation
6. La cartographie de la ségrégation : le quotient de localisation
III. Résultats et interprétations
1. Synthèse des résultats
2. Confrontation de la ségrégation et de la localisation des Asentamientos Humanos
Conclusion : Quelle intégration urbaine ?
1. Les nouvelles dynamiques urbaines
1.1 Changement dans l’organisation spatiale de la ville
1.2 Evolution vers le polycentrisme
2. Diversité et intégration ?
2.1 Les secteurs ségrégés de la capitale péruvienne
2.2 Renforcement de la mixité et de la diversité mais absence d’intégration
Annexes
Bibliographie

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