Le développement de l’enfant de un à trois ans
Caractéristiques d’un environnement stimulant
Après avoir développé et analysé le jeu, je vais m’intéresser à la composition d’un environnement stimulant. Celui-ci peut être artificiel, organisé par l’EDE à l’intérieur d’un établissement ou à l’extérieur en pleine nature. Je vais donc commencer ce chapitre en analysant ce qu’un milieu naturel peut apporter à l’enfant en considérant les diverses stimulations offertes par celui-ci.
L’ouvrage de Sarah Wauquiez (2014) Les enfants des bois m’a servi de référence afin de comprendre les bénéfices d’un accompagnement d’enfants d’âge préscolaire en forêt. Son livre relate les expériences d’enfants entre trois et sept ans, mais ce sont les caractéristiques de ce type d’environnement qui m’intéressent et qui vont m’apporter des éléments de réponse quant à ma question de départ : Comment, en tant qu’EDE, apporter un environnement stimulant de qualité aux enfants entre 18 et 36 mois ?
La nature
Déjà au XVIIIème siècle, Jean-Jacques Rousseau vantait les bienfaits d’une éducation en milieu naturel. De nombreux chercheurs ont confirmé les bénéfices sur divers niveaux de développement de l’enfant grâce à un éveil précoce de ses sens, très favorables dans ce type d’environnement.
Wauquiez (2014) précise que les neurosciences ont démontré que le cerveau se construit de manière optimale lorsque l’enfant interagit activement et librement avec son milieu. Elle confirme également l’importance de le stimuler sur différentes périodes dites sensibles afin que s’établissent certains apprentissages spécifiques. Celles-ci sont relativement allongées et s’étendent de façons différentes selon les individus (p. 91).
L’auteure recense des valeurs telles que l’autonomie, la liberté, la créativité et la coopération comme étant propices à mûrir dans cet environnement particulier qu’est la forêt. Elle décrit la motivation comme « le moteur le plus important pour la transmission des contenus d’apprentissage » (p. 61). Elle évoque également l’intérêt que représentent les activités de la vie quotidienne comme source formatrice (pp. 60-62).
Les expériences directes que font les enfants sont fondamentales afin de favoriser un développement le plus complet possible. Celles-ci sont tributaires d’un environnement hétérogène induisant une multitude d’apprentissages. Une fréquentation régulière de ce cadre et une multiplication des interactions sont également nécessaires afin de fixer ces expériences dans les souvenirs des enfants. Un milieu naturel tel que la forêt réunit ces facteurs et apporte des stimulations sensorielles diverses. L’enfant est ainsi en éveil et les connexions neuronales s’en trouvent soutenues en vue d’un développement sain et favorable (p. 73).
Par ailleurs, le contact avec un milieu naturel réduirait le stress et serait préconisé pour nombre d’enfants souffrant de maladies psychiques et physiques. Des thérapies existent afin de pallier des troubles comme l’hyperactivité, le déficit d’attention, les problèmes psychomoteurs et la dépression juvénile (p. 74).
Une étude suédoise datant de 1997 s’est intéressée à l’évolution de différentes sphères de développement d’enfants d’âge préscolaire en examinant l’influence qu’a l’environnement sur eux.
Ces spécialistes ont comparé deux crèches : l’une dans une petite ville nommée Klippan et l’autre dans la capitale Malmö. La première disposait d’espaces extérieurs aménagés afin de reproduire une ambiance forestière avec de la végétation et des sols irréguliers. La seconde, plus moderne, possédait également un espace extérieur mais avec une configuration plus citadine ; c’est-à-dire avec un sol plat, du gazon et des aires de jeux délimitées. Elles jouissaient toutes les deux d’une bonne réputation et les familles inscrites étaient issues du même statut socio-économique. Avec une fréquentation similaire, la seule différence était que les enfants de la crèche villageoise pouvaient jouer quotidiennement à l’extérieur sur un temps prolongé par rapport aux autres. Les enfants de la crèche de Klippan présentaient de meilleurs résultats dans tous les domaines de développement mesurés. Le taux d’absentéisme pour cause de maladie était également plus bas dans ce type d’établissement. L’enquête a aussi porté sur une observation des jeux des enfants en plein air durant une année. Les enfants de la crèche rurale se sont montrés plus créatifs, avec de meilleures facultés de concentration, plus pacifiques dans la résolution de leurs conflits, moins agités durant leurs jeux et acceptaient les décisions des adultes plus volontiers. En revanche, ils étaient moins ordrés, oubliaient parfois les consignes, étaient moins proches des EDE et changeaient plus fréquemment de jeu (p. 78).
D’autres études, suédoises et allemandes, ont confirmé ces résultats en allant à la rencontre de diverses institutions scolaires et préscolaires. Des recherches ont également démontré qu’une promenade en nature aurait les mêmes effets, voire supérieurs, que des médicaments sur des enfants atteints de divers troubles de l’attention ou d’hyperactivité, avec comme avantage notable de n’occasionner aucun effet secondaire (pp. 79-80).
Le contact avec la nature a comme avantage de favoriser le développement psychomoteur. En se sentant mieux dans leurs corps, les enfants démontrent une meilleure confiance en eux ainsi que plus d’autonomie, tant dans leurs jeux que dans les relations sociales. La créativité, la concentration, la persévérance et la résistance aux maladies sont aussi des domaines dans lesquels ils présentent des résultats supérieurs en comparaison d’enfants fréquentant des structures classiques (p. 87).
Quant au rôle de l’adulte dans ce milieu, il est dans l’accompagnement positif des enfants pendant leurs expériences. C’est-à-dire dans la verbalisation des ressentis, dans l’autonomie consentie pour leurs découvertes et dans une sécurité offerte par un cadre clair et compréhensible par tous.
L’organisation de jeux libres est préconisée pour les plus jeunes, favorisant des apprentissages à un rythme qu’ils choisissent (p. 65).
Wauquiez (2014) dénombre trois attitudes que l’EDE doit éviter lorsqu’il accompagne les jeux libres d’enfants en nature. Premièrement, la surprotection visant à faire à leur place ce qu’ils pourraient accomplir seuls. Ensuite, la tendance intrusive permanente. C’est l’intervention fréquente de l’adulte dans les activités des enfants. Enfin, le laxisme en les laissant faire ce qu’ils veulent. Ce qui est d’ailleurs l’antinomie de l’autonomie, car cette dernière suppose une confiance en les capacités des enfants que le laxisme occulte (p. 109-110).
Je trouve intéressant comme l’auteure nomme les activités organisées par l’adulte. Elle les désigne « activités proposées ». Selon elle, l’enfant devrait toujours avoir le choix d’y participer ou non. Ainsi, il apprend à son rythme et cela garantit que ses besoins sont respectés (p. 111).
L’adéquation environnementale
Voici un thème que je trouve particulièrement intéressant, exposé par Cyrulnik, & Rameau (2012) relatant une étude d’Alain Legendre sur l’écologie du développement. Il a cherché à identifier les caractéristiques de l’environnement physique influençant le développement des enfants en structures d’accueil.
Cette théorie est d’ordre systémique, c’est-à-dire que chaque élément influe sur l’autre. Les interactions de trois composants la caractérise : les enfants, avec leur âge, leurs intérêts actuels, leur développement respectif et leur nombre ; les adultes, par leur nombre, leurs positionnements, leurs comportements et leurs capacités d’action ; les ressources matérielles déterminées par l’architecture, l’ameublement, la surface de la salle ainsi que les jouets à disposition (p. 46).
Chacune de ces composantes est dépendante des autres et si l’une d’elles dysfonctionne, le tout s’en trouve affecté. L’importance des parties en présence est équivalente. Cyrulnik, & Rameau (2012) relatent le terme d’adéquation environnementale lorsque l’équilibre permet aux enfants de s’épanouir dans des conditions optimales. Plus ils sont jeunes, plus l’EDE doit s’atteler à établir cette harmonie nécessaire au bon déroulement quotidien (p. 47).
D’après ces auteurs, une délimitation des coins de jeux avec des meubles ou des cloisons encourage des activités calmes ainsi que les jeux coopératifs. Cette configuration est particulièrement indiquée pour des enfants entre deux et trois ans durant les jeux libres. Les zones ouvertes invitent aux déplacements et sont propices à de probables conflits (p. 47).
Proposer des coins de jeux devient pertinent dès que les enfants atteignent 18 mois, car c’est à cet âge que les interactions commencent à s’instaurer et cela correspond au commencement des jeux associatifs, puis coopératifs. Tout en visant l’adéquation environnementale, la démarcation des divers types de jeux amène des avantages, comme apporter du bien-être aux enfants grâce à la tranquillité qu’elle procure afin qu’ils soient moins interrompus durant leurs jeux et qu’ils aient moins de sollicitations externes. Également, la proximité physique et un nombre réduit d’enfants induits par de petits espaces favorisent la communication entre pairs, qu’elle soit verbale ou préverbale.
Etant donné leur âge, celle-ci ne peut s’établir qu’en petits groupes. Enfin, en disposant suffisamment de matériel, les enfants y trouvent des ressources pour faire évoluer leurs activités et les associer entre elles. L’exemple le plus marquant reste la dînette, car elle leur offre de nombreuses possibilités d’application (pp. 47-48).
Cependant, ces séparations ne doivent pas dépasser en hauteur le visage des enfants. Il est important qu’ils voient les adultes durant leurs jeux car, jusqu’à environ deux ans, ils ont besoin d’une proximité physique avec eux afin de garantir leur sécurité affective (p. 49).
Le positionnement et la visibilité de l’adulte sont déterminants pour que le coin jeux soit fréquenté de façon efficiente. Cyrulnik, & Rameau (2012) utilisent le terme d’adulte « phare ». Par sa présence, il illumine et sécurise la pièce et les jouets s’y trouvant. Les enfants ne jouent pas derrière l’adulte, mais face à lui afin de capter son regard. Il est donc important que les adultes se placent à des endroits bien précis afin de favoriser des jeux par petits groupes. Ainsi, des interactions se développent et l’adéquation environnementale est atteinte (pp. 49-50).
Toujours dans l’optique d’une adéquation environnementale optimale, je vais maintenant détailler comment les ressources matérielles y contribuent. Cyrulnik, & Rameau (2012) commentent une analyse de chercheurs qui ont examiné l’impact sur les jeux libres des enfants en doublant les jouets à leur disposition. De cette façon, ils constatent que les activités se diversifient et que les groupes sont moins denses. Il y a certes moins de contact et d’échange, mais les conflits se réduisent. Alors qu’au contraire, lorsque les jeux sont en exemplaires uniques, les enfants tendent à se rapprocher de l’adulte, jouent moins et les rivalités augmentent. Les auteurs notent donc une corrélation entre le nombre de jouets et la dynamique de jeux (pp. 51-52).
Dès leur deuxième année, les enfants ont besoin de manipuler les objets afin de les identifier et de les découvrir. Ils aiment recommencer plusieurs fois leurs expériences pour en comprendre les effets. Etant donné leur temps d’attention relativement limité, ils changent rapidement de jeux. En disposant de matériel en double exemplaire, ils ont l’occasion de répéter leurs actions sans provoquer de conflits en prenant celui de leurs compères (p. 52).
Entre deux et trois ans, les enfants aiment s’imiter. Cela représente les prémices d’interactions positives. La communication étant encore principalement non-verbale, ce sont les actions qui délivrent des messages aux autres. Là aussi, en ayant des jeux identiques, les conflits diminuent, les interactions s’intensifient et la durée de jeu augmente (pp. 52-53).
Boris Cyrulnik s’est livré à une observation vidéo afin de comparer quel type de jeux est le plus utilisé chez les enfants entre 18 et 36 mois. Des jeux de manipulation, moteurs et symboliques ont été fournis en double exemplaire afin d’établir leur réaction face à ces différents genres de matériel.
Il a constaté un faible taux de conflits, équivalent sur les trois types de jeux. Tout en étant prégnants dès l’âge de 18 mois, les jeux moteurs ont suscité le plus d’intérêt de la part des enfants. Cette activité a déclenché des interactions positives, incitant au phénomène d’imitation si apprécié à cette tranche d’âge. Les jeux de manipulation et symboliques ont entraîné des occupations plus individuelles, voire parallèles. Tandis que les jeux comme la dînette ont engendré quelques échanges, ce sont les jeux moteurs qui ont encouragé un panel plus complet d’attitudes positives et sociales à condition de permettre une activité commune (pp. 54-55).
Disposer d’une quantité suffisante de jeux, identiques en apparence et en couleur, favoriserait cette adéquation environnementale décrite par Cyrulnik, & Rameau (2012). Délimiter clairement les coins de jeu, avec des séparations à hauteur d’enfant et un positionnement intelligent de l’EDE, y contribue de façon significative. C’est une approche que je trouve très utile afin d’amener un environnement stimulant, d’une qualité professionnelle.
Le Closlieu
Voici une réflexion d’Arno Stern qu’il partage dans son ouvrage Les enfants du Closlieu ou l’initiation au Plusêtre qui me semble pertinent de relever concernant les caractéristiques d’un environnement stimulant.
Dans son espace baptisé le « Closlieu », il invite des enfants de tout âge à se livrer à une expérience d’exploration intérieure grâce à des dessins. Cela peut être des adultes, mais aussi de petits enfants dès l’âge de deux ans. Il considère ce lieu comme coupé du monde extérieur et ainsi lui conférant un caractère propre, libre de toute pression externe. Cette initiation les transporte à la découverte de « l’Expression », voire de la « Quintexpression » à la suite d’un processus à travers des représentations graphiques. Avec cette évolution, ils atteignent un état que Stern a appelé le « Plusêtre » avec une affirmation de soi induite par cette transformation (Stern, 2001, p. 106).
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Table des matières
1 Introduction
1.1 Thématique
1.2 Problématique
1.2.1 Intérêt présenté par la recherche
1.2.2 Méthode de recherche
1.3 Question de recherche
2 Développement
2.1 Concepts théoriques
2.1.1 Le développement de l’enfant de un à trois ans
2.1.2 Rôle de l’EDE
2.1.3 Besoins de l’enfant
2.2 Le jeu
2.2.1 Les différentes composantes de la personnalité encouragées par le jeu
2.2.2 Types de jeux
2.2.3 Le jeu est-il éducatif ?
2.2.4 Rôle de l’EDE dans le jeu
2.3 Caractéristiques d’un environnement stimulant
2.3.1 La nature
2.3.2 L’adéquation environnementale
2.3.3 Le Closlieu
2.4 La pédagogie Montessori
2.4.1 La méthode Montessori
2.4.2 L’environnement selon Montessori
2.5 Terrain
Extrait synthétique des entretiens
2.6 Analyse
Mise en relation de la partie terrain avec les données théoriques
3 Conclusion
3.1 Synthèse des données traitées
3.2 Retour sur la question de recherche
3.3 Limites du travail
3.4 Perspectives et pistes d’actions
3.5 Remarques finales
4 Références bibliographiques
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