« Tiens maîtresse, je t’ai fait un dessin ». Je ne compte plus le nombre de fois où un élève m’a tendu une feuille en me disant ces mots. Professeur des écoles stagiaire dans une classe de petite section de maternelle à Paris, cette fierté des élèves à partager avec les adultes leurs traces m’a tout de suite marquée. Dès les premiers jours, j’ai constaté que les élèves développaient un intérêt particulier pour les activités graphiques. A l’accueil, une grande majorité se dirigeait vers les tables où étaient posés leurs cahiers de dessins ainsi que des crayons de couleur et des feutres. Laisser une trace sur un support apparaissait pour eux comme une nécessité. Outre ce véritable engouement pour les activités graphiques, j’ai vraiment réalisé l’importance que certains élèves donnaient au regard que je posais sur leurs traces : « Regarde maîtresse, mon dessin » . Dès lors, ces traces me permettaient de créer un lien avec mes élèves, elles devenaient le support d’une transmission.
Je me suis alors demandée si ces traces ne représentaient pas pour ces enfants leurs premiers actes de langage écrit. En effet, selon Mireille Brigaudiot, avec le dessin, « le fondement de la fonction de l’écrit est en place : il sert à transmettre ou produire un effet sur autrui. ». De plus, il s’agit, dans les deux cas, d’activités grapho-motrices.
D’ailleurs, le dessin et les exercices graphiques sont au cœur des nouveaux programmes de la maternelle de 2015, car ils contribuent à l’acquisition d’une culture commune de l’écrit. En outre, de nombreux chercheurs se sont intéressés au développement du graphisme et du dessin chez l’enfant et le lien qu’il entretenait avec le langage écrit. Les travaux de recherche se sont intéressés au développement du graphisme et celui de l’écriture chez l’enfant. C’est le cas notamment de Liliane Lurçat et de Marie-Thérèse Zerbato-Poudou. Cette dernière a beaucoup écrit sur les activités graphiques en tant que telles et la distinction à faire entre graphisme, dessin, et écriture. Ces travaux font écho aux recherches d’Emilia Ferreiro sur les premières écritures chez l’enfant.
Le développement de l’activité graphique au cycle 1
Le développement de l’activité graphique a fait l’objet de nombreux travaux de chercheurs. Il convient avant toute chose de définir les termes de notre sujet, avant de s’intéresser aux différents stades de l’évolution graphique chez l’enfant.
Définitions et textes officiels
Dans son ouvrage Études de l’acte graphique (1974), Liliane Lurçat définit l’activité graphique comme « l’ensemble des activités permettant la réalisation de tracés, c’est à dire les activités de dessin et d’écriture. » Trois aspects de l’activité graphique semblent donc ressortir lorsqu’on étudie ce sujet : le graphisme, le dessin, et l’écriture. Nous retrouvons ces trois notions dans les ressources mises à disposition par le ministère de l’Education nationale, consultables sur le site Eduscol. Une distinction est opérée. En effet, selon le ministère, « [Ce] sont des activités différentes tout en ayant un point commun : elles sont de nature grapho-motrice, ce sont des tracés qui nécessitent l’usage d’un outil scripteur et une surface pour les recevoir, très souvent un support de papier. » Un tableau présentant ces trois aspects est d’ailleurs fourni (cf. Annexe 1). Il s’agira de les définir et de présenter leur place dans les textes officiels.
Le graphisme
Le mot « graphisme » vient du grec « graphein » qui veut dire « écrire », mais se contenter de cette signification étymologique serait trop réducteur et éloigné de la vérité. Le document d’accompagnement « Le graphisme à l’école maternelle » fourni par le ministère de l’Education nationale, définit le graphisme comme étant « [L’]étude, [la] reproduction et [la] production de lignes, motifs, et formes, [l’]exploration d’organisations spatiales, pour construire des habiletés perceptives et motrices. ». C’est donc une activité à dominante fonctionnelle (perceptivo-motrice), laissant une trace formée de courbes, de traits, de points, etc. répétés et alternés sur un support. Le graphisme n’est pas figuratif et peut mettre en jeu des tâches, des outils et des supports variés (peinture, pinceau, doigt, feutre, crayon, feuille, sable, etc…). Pour Danièle Dumont, le graphisme est une activité graphique qui ne répond pas au code de l’écriture, mais à des consignes précises du professeur, données dans un but essentiellement décoratif.
Dans les programmes de la maternelle de 2015 (B.O. Spécial n°2 du 26 mars 2015), le graphisme apparaît dans deux parties distinctes. Premièrement, il fait son apparition dans le premier des cinq grands domaines « Mobiliser le langage dans toutes ses dimensions », en particulier dans le sous-domaine « Commencer à écrire tout seul », sous le titre « Un entraînement nécessaire avant de pratiquer l’écriture cursive : des exercices graphiques ». Les programmes rappellent aux enseignant la distinction à établir entre les exercices graphiques et l’écriture à proprement parler. Il est néanmoins indiqué qu’en Petite Section de maternelle, « les exercices graphiques, en habituant les enfants à contrôler et guider leurs gestes par le regard, les entraînent à maîtriser les gestes moteurs qui seront mobilisés dans le dessin et l’écriture cursive, à prendre des repères dans l’espace de la feuille. » Dès lors, les instructions officielles présentent les activités graphiques comme un entraînement indispensable permettant aux enfants d’entrer ensuite correctement dans l’apprentissage de l’écriture. Deuxièmement, le graphisme apparaît dans le troisième grand domaine « Agir, s’exprimer, comprendre à travers les activités artistiques », dans le sous-domaine « S’exercer au graphisme décoratif ». Il s’agit ici d’un aspect plus artistique et culturel du graphisme, qui a alors « des fins créatives ». Il est néanmoins indiqué que le graphisme décoratif met en jeu des compétences oculomotrices, puisqu’il est précisé que « l’activité graphique conduite par l’enseignant entraîne à l’exécution de tracés volontaires, à une observation fine et à la discrimination de formes, développe la coordination entre l’oeil et la main ainsi qu’une habileté gestuelle diversifiée et adaptée. ».
Ainsi, le graphisme aurait un double intérêt : il permettrait aux élèves d’acquérir progressivement les habiletés nécessaires à l’exercice de l’écriture, mais il intervient également dans une démarche créative. Le graphisme a donc pour objectif d’entraîner le regard et le geste, en développant des habiletés de perception visuo spatiale et grapho-motrices, tout en ayant une visée esthétique. Cependant, si le graphisme représente une des activités graphiques mises en place à l’école maternelle, ce n’est pas le seul. En effet, le dessin en est un autre.
Le dessin
Tout comme le graphisme, le dessin est une activité motrice, liant le geste effectué et la trace laissée. Selon Suzy Cohen, dessiner, c’est « exprimer graphiquement certaines propriétés de sa représentation mentale [et] exécuter des mouvements de la main dans l’intention de laisser une trace visible sur la feuille de papier.». En effet, le dessin est une activité graphique à part entière, à dominante symbolique. Alors que le graphisme n’est pas figuratif, le dessin est un « moyen d’expression et de représentation » (Eduscol), c’est-àdire qu’il traduit une intention figurative, il représente quelque chose. Pour Danièle Dumont, les activités de dessin libre partagent le même domaine de compétence que les autres activités graphiques. Cependant, elles ne répondent ni au code de l’écriture, ni aux règles de mise en page données par le professeur.
Dans les programmes de la maternelle du 26 mars 2015, le dessin apparaît également dans deux domaines. Premièrement, le dessin fait son apparition dans le troisième grand domaine « Agir, s’exprimer, comprendre à travers les activités artistiques », dans le sous-domaine « Les productions plastiques et visuelles » et fait l’objet d’un paragraphe entier. Il est indiqué que « les enfants doivent disposer de temps pour dessiner librement, dans un espace aménagé où sont disponibles les outils et supports nécessaires. » Les instructions nous demandent donc de laisser les élèves dessiner et encouragent les dessins libres, les expérimentations, afin d’accroitre chez eux leur « construction de soi », à travers les activités artistiques. Le dessin a ici une fonction de langage plastique. Deuxièmement, le dessin est mentionné dans le cinquième grand domaine « Explorer le monde », à l’intérieur du sous-domaine « Se repérer dans le temps et l’espace », sous le titre « L’espace : représenter l’espace ». Il est ici question du repérage dans l’espace et de « la relation des perceptions en trois dimensions et des codages en deux dimensions ». Le dessin permet alors un passage aux représentations planes. En ce sens, il est une fonction symbolique permettant de se représenter le monde dans lequel nous vivons. Nous développerons ce postulat plus loin dans ce mémoire. D’autre part, les programmes nous rappellent l’importance du dessin, comme permettant l’initiation des élèves au repérage et à l’orientation sur une page.
Ainsi, les programmes inscrivent le dessin comme une activité graphique présentant plusieurs intérêts. D’abord, une grande place est laissée à la liberté expressive. En outre, dessiner permettrait de renforcer le désir de représentation des élèves, leur construction de soi et de l’espace. Il s’agit donc d’un mode d’expression et de représentation. En ce sens, le dessin est un des premiers moyens de communication, puisqu’il permet à l’enfant d’exprimer ses pensées sur une surface plane. Progressivement, il va devoir acquérir d’autres modes de communication, dont l’écriture.
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Table des matières
INRODUCTION
CADRE THÉORIQUE
1. Le développement de l’activité graphique au cycle 1
1.1. Définitions et textes officiels
1.1.1. Le graphisme
1.1.2. Le dessin
1.1.3. L’écriture
1.2. L’évolution graphique chez l’enfant
1.2.1. Le développement psycho-moteur de l’enfant
1.2.1.1. La motricité fine : repères développementaux
1.2.1.2. Évolution du maintien de l’outil scripteur
1.2.2. Les stades du développement en graphisme
1.2.2.1. « Du gribouillage aux premières formes » : de 3 à 4 ans
1.2.2.2. « La conscience de la forme » : de 4 à 5 ans
1.2.2.3. « La maîtrise du tracé » : de 5 à 6 ans
1.2.3. Le dessin, « signifiant » de la fonction symbolique
1.2.4. Le développement de l’écriture
1.2.4.1. « L’évolution psychogénétique de l’écriture »
1.2.4.2. « La croissance de l’écriture »
2. Le lien entre graphisme, dessin, et écriture
2.1. Le développement du lien implicite entre les actes graphiques
2.2. L’explicitation du lien entre les actes graphiques
3. Les perspectives pédagogiques
3.1. Le choix de l’outil scripteur et la posture
3.1.1. Le choix d’outils scripteurs adaptés aux élèves
3.1.2. Le choix des dispositions spatiales pour varier les postures
3.2. L’explicitation aux élèves
4. Objectifs de recherche
MISE EN PLACE PRATIQUE EN CLASSE
1. Méthodologie
1.1. Présentation des séances
1.1.1. Les séances quasi-quotidiennes de dessin libre
1.1.2. Les séances ponctuelles de dessin dirigé
1.2. Présentation des méthodes d’observation
2. Analyse des résultats
2.1. Analyse après observation des séances de dessin libre
2.1.1. Analyse des dessins de l’élève N
2.1.2. Analyse des dessins de l’élève B
2.2. Analyse après observation des séances de dessin dirigé
2.3. Analyse après observations complémentaires
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
SITOGRAPHIE
ANNEXES