Le désenchantement de l’enfant en contexte de guerre
La littérature axée sur l’enfant, caricature, à travers un style relâché, l’insouciance des adultes qui se livrent sans arrêt à des combats infernaux, où tout espoir à la vie demeure incertain. Ce fut le cas de la Grande Guerre et des rivalités ethniques ou tribales en Afrique dont les conséquences sont principalement éprouvées par les enfants. En effet, partant de sa vulnérabilité, l’enfant est secoué par les traumatismes de la guerre.
Ainsi, voyant les hommes se déchirer et s’entretuer, l’enfant est désenchanté par le traumatisme de la guerre et de la mort d’une part, et d’autre part il est désenchanté par l’absence de ses parents ou de la conduite déplorable de ceux-ci. Ce désenchantement aboutit ainsi à la métamorphose de l’enfant. En effet celui-ci adopte une nouvelle vie conformément aux événements de l’époque.
Thématique de la guerre et de la mort
La littérature du XXe siècle se caractérise par la fréquence de la thématique de la guerre, de génocides, d’affrontements militaires avec toutes les conséquences qu’elles entraînent. Ainsi, soit elle décrit les manifestations et comportements cruels soit elle peint les habitudes psychologiques, culturelles et artistiques des époques de guerre. Cette représentation se fait, en fonction de la puissance d’imagination et de la créativité artistique. Ainsi la fiction romanesque adopte une nouvelle facette en se mêlant à la réalité historique.
Nos auteurs se caractérisent par l’invariant de la thématique de la guerre et de la mort. Leur spécialité se manifeste par la représentation burlesque des personnages contrastant avec l’horreur de la guerre. C’est ainsi que, le contexte de la guerre profite à Guillaume Thomas, jeune personnage éponyme de Thomas l’imposteur . Il se joue de la guerre et entreprend une aventure extravagante avec celle-ci. Il singe les militaires, pire, il se fait appeler neveu du capitaine. Tel fut l’élan premier de Cocteau dès ses débuts dans la littérature,
Celui-ci s’apprêtait à revaloriser le roman en acceptant d’obéir à ses règles traditionnelles pour exposer un cas psychologique très neuf : celui d’un adolescent promu homme par le désordre de la guerre .
L’œuvre de Kourouma se caractérise aussi par le leitmotiv de la guerre et du sang. Il présente un tableau de cadavres pourrissant dans les rues de la Côte d’Ivoire, du fait de la guerre civile dans Quand on refuse on dit non . Monné Outrages et Défis, débute par un défilé de charognards et de vautours, ameutés par les carnages de vies humaines et animales.
A ces images horribles, s’ajoutent les personnages de Allah n’est pas obligé et Les enfants terribles, où la guerre et la mort sont portées par la gent enfantine. Cette dernière se déploie matériellement et moralement pour vaincre le quotidien ; ainsi ils mènent leur milieu en feu et en sang. Sous la houlette de Dargelos, les enfants perturbent l’instabilité du collège et refusent de se soumettre aux exigences de l’autorité. C’est ainsi que, marre de l’interpellation du proviseur: « Dargelos tira de sa veste un cornet de poivre et le lui lança aux yeux » (E.T, p.20). Cet armement de cornet de poivre, jeté au lieu sensible de l’œil, montre que Dargelos s’initie vers la voie redoutable de la rébellion.
D’ailleurs, les enfants manifestent, sans gêne, le refus de se conformer à l’idéale d’une vie tranquille. Dans cette optique la rupture entre le temps du paradis perdu et celui des périodes troubles, vécus à présent est apparente. Birahima dira à cet effet : « quand j’étais enfant mignon » (A.N.O, p.15); ce qui symbolise que désormais il ne faut plus le voir comme un « enfant mignon » mais un « enfant soldat, un enfant de la guerre. (A.N.O, p.20) » .
Celui-ci, se moque des valeurs de son village : « je m’en fou des coutumes du village» (A.N.O, p.11). Pour ce dernier, la politesse appartient à une époque révolue archaïque et, retourne ce soin de politesse aux vieux du village. Ainsi, il réinvestit la hiérarchie de la société africaine, où la politesse et le respect de l’enfant était des gages de bénédiction. En effet, ce dysfonctionnement de la hiérarchie sociale apparaît dans Les enfants terribles où Paul choisit Dargelos, enfant terrible à l’extrême, comme son idole et son maître. Il voue au « coq du collège » (E.T, p.11) une allégeance à la limite du terme :
Il l’aimait cet amour le ravageait autant plus qu’il précédait la connaissance de l’amour .C’était un mal vague, intense contre lequel il n’existe aucun remède un désir chaste sans sexe sans but. (E.T. p.12) .
Acolyte de Dargelos, Paul essaie, ainsi, de transposer cette agressivité héritée de Dargelos, sur Gérard et Agate : « Il (Paul) tourmentait Agate grossièrement » (E.T, p.72).
L’agressivité est installée au point que l’amour n’est pas partagé dans Les enfants terribles. Paul adore Dargelos et Dargelos abhorre Paul ; Gérard aime Paul qui ne l’aime pas. Cette représentation renvoie au schéma de la tragédie racinienne, formulée pareillement, notamment dans Andromaque Oreste aime Hermione, Hermione aime Pyrrhus, Pyrrhus aime Andromaque mais Andromaque ne l’aime pas.
Élisabeth manifeste une manière assez bizarre d’exprimer ses sentiments envers Paul, et son amitié à l’endroit d’Agate. Les gestes et les marques de considération extériorisées trahissent la réalité intérieure de ses sentiments. Cependant, ces fausses marques de tendresses présentes dans Les enfants terribles, affectent moins les enfants soldats. Ceux-ci repoussent à l’immédiat toute passion qui saurait les lier les uns aux autres. Ils sont tous dominés par l’unique sentiment de survivre. C’est d’ailleurs ce qui explique les tueries cruelles qui exercent sur la population et entre eux même.
Les enfants attisent l’univers de la terreur. Dans ce sens, ils rétrécissent le cadre spatial pour renforcer la violence allant de la cité Monthiers à l’école et de l’école à la chambre. L’espace également subi la guerre. Cette guerre désacralise la notion d’amour et désinstalle la quiétude dans l’espace. La cité Monthiers, devant être consacrée au repos et à l’épanouissement, est hantée par « la jeunesse de cinquième » (E .T, p.8) qui l’assiège et l’agresse pour en faire leur champ de bataille, poussant les résidents à la fuite ou à la claustration forcée. Les enfants menacent la sureté urbaine de la cité, pire la sureté nationale car ils jouent au trafic.
C’est davantage des enfants-soldats qui jouent au trafic. Ils attaquaient les voyageurs en cours de route : « descendez des cars les mains en l’air » (A.N.O, p.56). Après cette descente, les enfants dépossédaient tous les biens des voyageurs: bijoux et argent jusqu‘à la nudité complète : « le passager totalement nu essayait s’il est un homme de mettre la main maladroitement sur son bangala en l’air, si c’était une femme sur son gnoussou gnoussou » (A.N.O, p.57). Cette scène où les enfants-soldats dévêtissent les passagers sans faire état de leur pudeur et de leur âge renforce la tragédie de l’action.
Après l’émeute effectuée à la cité Monthiers, Élisabeth et Paul installent un remue-ménage sans pareille à Hollywood. Pendant ces vacances ils épouvantent les enfants par des coups et blessures ; pire ils s’initient au vol. En plus du trouble social, les enfants substituent l’école de guerre à l’école scolaire où se conçoivent les stratégies d’action pour piéger et vaincre les adversaires. Cette tendance se poursuit et s’accentue jusque dans les chambres où Paul et Élisabeth se livrent incessamment à des batailles à morts. D’ailleurs leur chambre est parsemée de « magazines de journaux, de programmes, représentant des vedettes de films, des boxeurs, des assassins» (E.T, p. 20).
Ainsi, les enfants éprouvent du plaisir à faire mal et à faire pleurer. Pour atteindre l’extrême méchanceté, ils utilisent des stupéfiants durs : « l’enfant soldat a toujours besoin de drogue puis ajoute plus loin on a servi du hasch à profusion » (A.N.O, p.115). Ainsi la drogue devient une source indispensable à l’enfant ; elle vient prendre part à sa vie, et son absence ou sa prise insatisfaisante peut constituer des traumatismes. L’absence de pudeur constitue un des inconvénients de cette drogue car les enfants laissent ainsi libre cours à leurs désirs sexuels :
Et elle fumait et croquait sans discontinuer. Sans continuer signifie sans arrêt d’après mon Larousse. Elle était devenue complètement dingue. Elle tripotait son gnoussou gnoussou devant tout le monde. Et demandait devant tout le monde à Tête brulé de venir lui faire l’amour publiquement. (A.N.O, p.89) .
Cette attitude de Sarah rejoint la psychologie de Birahima qui sous-tend tout nu : « (…) suis resté le bangala en l’air. Je m’en fou de la décence» (A.N.O p.58). Ainsi les enfants remontent à l’âge primitif où la nudité n’était point un vice. En effet, ayant peu profité du temps d’épanouissement à la naissance, les enfants rattrapent avec démesure ce stade manqué. L’exagération est plus remarquable dans Les enfants terribles où le frère et la sœur en plus de se mettre nue l’un en face de l’autre, partagent depuis des années une forte intimité : « Paul circulait tout nu (…) Élisabeth regardait fixement son frère. De la main droite, elle se grattait la tête jusqu’à l’écorchure » (E.T, p. 56) .
Élisabeth fixe Paul mais cette fixation ne traduit pas seulement l’amour fraternel que la sœur porte au frère ; elle traduit également le degré passionnel qu’Élisabeth charge sur ce regard. Son esprit s’élève ainsi pour rejoindre l’époque des « lutte (s) sublime(s) » (E.T, p.43) ce souvenir des rapports incestueux, se manifeste par une dégradation physique : « elle se grattait jusqu’à l’écorchure » (E.T, p.43). En effet, cette gratture est le refoulement par lequel Elisabeth rejette dans l’inconscient ses désirs et pulsions inaccessibles. Ce mécanisme de défense est issu du conflit entre le « ça » et « moi » d’après l’analyse freudienne.
En effet, le désir d’Elisabeth de faire l’amour avec Paul est repoussé par la présence de Gérard. Suite à ce fantasme, Paul prend la parole pour refouler quant à lui verbalement les désirs incestueux de sa sœur, afin d’amadouer Gérard:
Rien ne me dégoute comme le spectacle de cette idiote et de sa crème. Elle a lu dans un journal que les artistes américains s’écorchaient et se passaient de la pommade. Elle croit que c’est bon pour le cuir chevelu…Gérard ! (E.T, p. 56) .
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Table des matières
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : Contexte et naissance d’une littérature axée sur l’enfant.
CHAPITRE 1 : Le désenchantement de l’enfant en contexte de guerre
1.1: Thématique de la guerre et de la mort
1.2 : Absence de vie familiale et errance chez les enfants
CHAPITRE 2 : La déshumanisation de l’enfant
2.1 : La domination
2.2 : La violence
DEUXIEME PARTIE : Dimension épique du récit de l’enfant
CHAPITRE 3 : aspect épique des enfants
3.1 : les signes de l’héroïsme
3.2 : quête épique et sagacité des personnages
CHAPITRE 4 : Temps et Espace épique
4.1 : Temps hostile : guerre, grève
4.2 : Espace ouvert et fermé : la forêt, l’école et la chambre
TROISIEME PARTIE : Une écriture relative à la rébellion de l’enfant
CHAPITRE 5 : diversité et mélange de genres
5.1 : roman, histoire, tragédie
5.2 : le burlesque, la tragédie
CHAPITRE 6 : Le langage
6.1 : La parole
6.2 : la langue socio-culturelle
CONCLUSION