LE DÉPLACEMENT DU LOUP EN PRÉSENCE DE MULTIPLES PROIES

IMPORTANCE DE LA PRÉDATION EN ÉCOLOGIE

   Outre son effet direct (i.e. la mort de la proie), la prédation a plusieurs incidences indirectes sur l’ équilibre d’un écosystème. En effet, l’importance des prédateurs a été constatée suite à leur élimination dans certains écosystèmes (Schmitz et al. 2000; Myers et al. 2007; Beschta & Ripple 2009). Par exemple, la disparition du loup (Canis lupus) a induit une cascade trophique dans le parc de Yellowstone (Ripple et al. 2001), résultant en l’augmentation des densités de grands herbivores, une altération de la composition végétale et une perte de ressources pour plusieurs espèces fauniques (Ripple & Beschta 2004). Suite à l’extirpation du loup, une diminution de la croissance et du recrutement d’espèces de saules (SaUx spp.) et de peupliers (Populus spp.) a été constatée (Beschta 2003, 2005;Ripple & Beschta 2006). Le loup étant le principal prédateur des wapitis (Cervus canadensis) dans ce système, son extinction a entraîné une augmentation drastique de l’effectif des ongulés (Ripple & Beschta 2005) et de la pression de broutement, principal facteur limitant le recrutement des peupliers (Halofsky & Ripple 2008). Le rôle prépondérant de la prédation dans ce système a d’ailleurs été démontré suite à la réintroduction du loup qui a résulté en une baisse de l’effectif de wapitis et un relâchement de la pression de broutement sur les essences décidues (Ripple & Larsen 2000). Ainsi, une altération ou élimination du niveau supérieur de la chaîne trophique entraîne des conséquences au niveau de la dynamique des populations de proies et, en finalité, une modification de l’écosystème (Estes et al. 1998; Rooney 2001; Hebblewhite et al. 2005). La prédation n’ affecte pas seulement le taux de survie des proies, mais peut également induire d’importants changements comportementaux. Ceux-ci résultent du risque de prédation qui varie selon 1) le taux de rencontre avec le prédateur, 2) la probabilité de détection tant du prédateur que de la proie, 3) le taux de succès de capture du prédateur et 4) la probabilité de la proie de s’en échapper, le tout différant selon le comportement des espèces et les caractéristiques des habitats (Lima & Dill 1990). Notamment, dans l’exemple détaillé précédemment, le wapiti réagit par un évitement marqué de ses habitats préférentiels lors d’une augmentation d’occurrence du loup (Fortin et al. 2005; Mao et al. 2005). À cet effet, plusieurs études suggèrent que la sélection d’habitat des ongulés vise prioritairement à diminuer les risques de prédation à plusieurs échelles spatiales et temporelles [e.g. le caribou (Rangifer tarandus; Briand et al. 2009; Hins et al. 2009), l’orignal (Alces ale es ; Dussault et al. 2005), le lama (Lama guanicoe ; Puig et al. 2008), le wapiti (Creel et al. 2005) et le mouflon (Ovis orientalis ; Ciuti et al. 2009)]. Ainsi, dans les zones à haut risque de prédation, la densité de proies devient plus faible et l’impact sur ses ressources alimentaires est réduit, alors que dans les zones peu utilisées par le prédateur, la proie peut avoir un fort impact négatif sur ses ressources (White et al. 2003).

ÉTUDIER LA PRÉDATION DU POINT DE VUE DU PRÉDATEUR

  Dans la plupart des études traitant du comportement dans les relations de type prédateur-proie, l’accent est mis sur la proie en analysant son comportement face au prédateur qui est considéré comme une entité unique ayant un effet constant (Lima 2002). Ainsi, en faisant abstraction du comportement du prédateur, les analyses portent sur les conséquences qu’il induit sans tenir compte des variations comportementales qu’il pourrait exprimer face à l’hétérogénéité de son environnement, ce qui pourrait ultimement influencer la probabilité de survie des proies elles-mêmes (Panzacchi et al. 2009).Puisqu’il a été démontré que le prédateur affectait le comportement de la proie et qu’il jouait un rôle prépondérant dans l’équilibre de plusieurs systèmes, il semble pertinent de comprendre son comportement en détail. Au niveau populationnel, le prédateur va potentiellement réagir à la variation de densité de proies dans le paysage en variant son abondance (i.e. réponse numérique) ou en modifiant la proportion relative ou l’espèce des proies consommées (i.e. réponse fonctionnelle; Holling 1959). Au niveau comportemental, dans un système simple où la prOIe est sessile, le prédateur recherchera les milieux où l’ abondance de ses proies est plus élevée (Smith & Dawkins 1971 ). Toutefois, lorsque les proies sont mobiles, on assiste à un « j eu » où les prédateurs recherchent activement les proies, alors que celles-ci cherchent à éviter les prédateurs (Hugie & DilI 1994; Mitchell & Lima 2002). Théoriquement, il existe trois dénouements à cette course : 1) une meilleure stratégie de la part du prédateur entraîne une corrélation positive entre la distribution spatiale de la proie et du prédateur (i.e. on retrouvera les prédateurs dans les parcelles de fortes abondances de proies); 2) si la stratégie d’évitement de la proie est plus efficace Ce.g. l’utilisation de refuge), alors cette relation devient négative; et finalement 3) si le prédateur et la proie réagissent aussi fortement à la présence de l’un et l’autre, la relation entre la distribution du prédateur et de la proie ne sera pas significative (Sih 1984). Ces patrons de distribution s’expliquent aussi à l’aide de modèles de stratégie de quête alimentaire qui tentent d’expliquer les choix qui guident le prédateur dans son environnement. Selon la théorie de quête alimentaire optimale (lib. Optimal foraging theory), le prédateur choisit ses proies dans le but d’optimiser le gain net d’énergie par rapport à celle dépensée pour rechercher et capturer ses proies (MacArthur & Pianka 1966). Suivant ce principe, plusieurs modèles en viennent à la conclusion que le prédateur recherche les sites où sa proie est plus abondante (Stephens & Krebs 1986). Ces modèles sont appuyés majoritairement par des études empiriques où la proie est peu mobile ou sessile (Sih & Christensen 2001). Néanmoins, lorsque la proie est mobile, certains prédateurs apicaux peuvent se distribuer en fonction de l’abondance de leurs proies principales [e.g. le coyote (Canis latrans ; Boisjoly et al. 2010), le lion (Panthera leo ; Mills & Gorman 1997) et le requin tigre (Galeocerdo cuvier; Heithaus et al. 2002)]. Tel qu’énoncé précédemment, puisque les caractéristiques de l’habitat influencent les composantes du risque de prédation (e.g. la complexité structurelle; Michel & Adams 2009), Laundré et al. (2009) ont émis l’hypothèse qu’il serait avantageux pour le prédateur de sélectionner les habitats où sa proie est plus vulnérable plutôt que les habitats où elle est plus abondante. D’ailleurs, plusieurs prédateurs montrent une telle préférence dans leur sélection d’habitat [e.g. le coyote (Laundré et al. 2009), le lion (Hopcraft et al. 2005) et le couguar (Puma concolor ; Holmes & Laundré 2006)]. Cependant, les mouvements du prédateur ne sont pas toujours clairement expliqués par l’une ou l’autre de ces hypothèses et semblent parfois davantage guidés par un compromis entre la densité de ses proies et leur vulnérabilité dans certains habitats (e.g. Bergman et al. 2006).

LA PERTINENCE DU SYSTEME LOUP-ORIGNAL-CARIBOU COMME CADRE D’ÉTUDE

   Le phénomène de « compétition apparente» peut survenir lorsque des proies ne sont pas en compétition directe pour les ressources, mais qu’elles évoluent en présence d’un prédateur commun (HoIt 1977). Par ce phénomène, l’augmentation numérique d’une proie influencera indirectement le taux de prédation sur la seconde en augmentant la densité du prédateur commun (HoIt 1977). La compétition apparente a été observée dans plusieurs systèmes terrestres avec des prédateurs apicaux carnivores (Bêty et al. 2002; Gibson 2006; Mezquida et al. 2006). Un des systèmes les mieux étudiés reste cependant celui impliquant le loup, l’orignal et le caribou (e.g. Seip 1992; Courtois 2003; James et al. 2004; Kojola et al. 2004). Dans ce système, une augmentation d’abondance de l’orignal entraîne généralement une augmentation d’abondance du loup (Messier 1994; Larivière et al. 2000), suivi d’une augmentation du taux de prédation tant sur l’orignal que sur le caribou (Bergerud 2006; Courtois & Ouellet 2007). L’aménagement forestier passé et actuel favorise le rajeunissement de la forêt boréale (Ostlund et al. 1997; Bergeron et al. 2002) et entraîne une augmentation de la densité d’orignaux par la création d’habitats propices à celui-ci (Potvin et al. 2005), ce qui ultimement se traduit par une augmentation d’abondance de loups (Messier 1994). Dans le contexte où les populations de caribous sont majoritairement en déclin (Vors & Boyce 2009) et que ceux-ci sont particulièrement vulnérables à la prédation par le loup (Seip 1991), leur conservation pourrait être compromise par la présence de proies alternatives, comme l’orignal, qui peuvent soutenir des populations élevées de prédateur (Seip 1992; DeCesare et al. 2010).La coexistence de deux proies en compétition apparente est tout de même possible et peut survenir dans un système à l’équilibre lorsque la proie la moins compétitive [i.e. celle qui supporte une moins grande densité de prédateur (Holt et al. 1994)] est moins profitable au prédateur et qu’ elle ne se retrouve pas dans son régime alimentaire (Gleeson & Wilson 1986). Dans l’exemple du système loup-cari bou-orignal, même lorsque l’orignal est la proie la plus abondante dans le paysage, le caribou fait partie du régime alimentaire du prédateur (Dale et al. 1995; Tremblay et al. 2001). La coexistence peut tout de même être favorisée par le prédateur s’ il centre sa recherche sur une proie, alors que si le prédateur agit en opportuniste généraliste, les deux populations de proies sont affectées et la moins compétitive est plus susceptible de s’éteindre (Krivan & Sikder 1999). De plus, la coexistence des proies en compétition apparente peut être favorisée par la ségrégation spatiale des proies, ce qui permet à une des espèces de bénéficier d’une réduction de la pression de prédation dont elle fait l’objet (HoIt 1984). Par exemple, le caribou, ‘ en présence d’orignal, s’en trouve spatialement séparé en évitant les habitats propices à cette proie (Seip 1992; Briand et al. 2009), ce qui n’élimine cependant pas complètement le risque de prédation pour le caribou (James et al. 2004). Cette tactique est d’ailleurs efficace lorsque les mouvements du prédateur ne sont pas aléatoires, mais dirigés vers la proie la plus compétitive (HoIt 1984).

SELECTION D’ HABITAT DU LOUP

   Les déplacements du loup dans son territoire semblent exécutés principalement à des fins d’alimentation et de protection du territoire (Mech & Peterson 2003). Ainsi, parmi les paramètres ayant le plus fort impact sur la distribution du loup, notons l’ abondance de proies et la présence de structures anthropiques (Ciucci et al. 2003; Potvin et al. 2005). Le loup exprime tout de même une réponse en termes de sélection d’habitat à différentes caractéristiques du paysage, comme le type de couvert forestier (Kuzyk et al. 2004), la topographie (Ciucci et al. 2003; Shepherd & Whittington 2006) et la profondeur de neige (Houle et al. 2010). De plus, les études sur le loup ont permis de mettre en évidence des changements dans les déplacements (Mech & Boitani 2003), la sélection de l’habitat (Courbin et al. 2009; Houle et al. 2010) et dans la composition du régime alimentaire (Messier & Crête 1985; Fuller 1989) en fonction de la période de l’ année. Le régime alimentaire du loup peut varier d’une saison à l’autre, mais aussi d’une année à l’autre selon la disponibilité relative des proies présentes dans son environnement (Forbes & Theberge 1996; Garrott et al. 2007). Cependant, le loup ne modifiera pas immédiatement son régime alimentaire suite à une variation des densités de proies. L’abondance relative, ou la probabilité de rencontre avec une proie, aura une première influence sur le sexe et l’âge des individus chassés (Dale et al. 1995). Outre l’abondance relative des proies, leur vulnérabilité et la préférence alimentaire du loup influencent aussi la composition du régime alimentaire (Garrott et al. 2007). À l’échelle populationnelle, le loup semble ajuster son taux de prédation sur une espèce en fonction de l’abondance de celle-ci suivant une réponse fonctionnelle (Dale et al. 1994; Messier 1994). Cette dernière décrit la relation qui existe entre le nombre de proies consommées quotidiennement par le prédateur et l’augmentation de l’abondance de la proie (Holling 1959). Le loup semble donc généralement sélectionner les habitats où se trouvent ses proies (Ciucci et al. 2003), quoique l’importance de celles-ci dans son régime alimentaire puisse varier selon l’abondance relative des espèces présentes (Forbes & Theberge 1996; Garrott et al. 2007). Cependant, notons que ces observations sur la sélection d’habitat et la sélection des proies par le loup ont été majoritairement faites à grande échelle spatiale, i.e. en comparant des paysages éloignés. Dans un même paysage où les caractéristiques des habitats et où la probabilité d’occurrence relative des principales proies du loup sont très variables, une approche à fine échelle spatiale [e.g. sélection des trajectoires (lib. Step Selection Function; Fortin et al. 2005)] au niveau de l’individu permettrait d’ éclaircir l’importance relative des caractéristiques de l’habitat et de la disponibilité des proies dans les patrons de déplacement du loup. Par ailleurs, alors que les études de sélection d’habitat [majoritairement des fonctions de sélection des ressources (lib. resource selection function ; Manly et al. 2002)] assument que l’utilisation des habitats est directement proportionnelle à leur disponibilité, tester la présence d’une réponse fonctionnelle dans la sélection des ressources des individus d’une population permet de voir comment la sélection des individus varie en fonction de la disponibilité des ressources dans leur domaine vital (Mysterud & Ims 1998). Cette approche a permis, par exemple, de reconsidérer la sélection l’habitat de grands mammifères et de mieux comprendre le choix des individus lorsque la sélection de certains types d’habitats implique des compromis (Godvik et al. 2009; Mabille et al. sous presse). En analysant la sélection des trajectoires à fine échelle et en comparant les stratégies adoptées à la lumière des caractéristiques de l’environnement, il serait ainsi possible de mettre en évidence l’ importance relative de la disponibilité des proies sur le comportement du loup, en tenant compte de diverses autres caractéristiques de l’ habitat.

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Table des matières

REMERCIEMENTS
RÉSUMÉ
ABSTRACT
LISTE DES TABLEAUX
LISTE DES FIGURES
INTRODUCTION GÉNÉRALE
CHAPITRE 1 LE DÉPLACEMENT DU LOUP EN PRÉSENCE DE MULTIPLES PROIES : DÉMONSTRATION EMPIRIQUE DU MÉCANISME DE LA COMPÉTITION APPARENTE
CHAPITRE 2 CONCLUSION
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

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