Le développement de la psychiatrie périnatale : historique
Les troubles psychiatriques qui affectent la jeune mère sont décrits depuis l’antiquité. Ainsi, Hippocrate (460 377 av J.C.) le signalait déjà dans son traité « des maladies des femmes » en les décrivant comme « fièvre de la parturiente », proposant l’hypothèse selon laquelle les lochies (pertes sanguines normales après l’accouchement) et le lait remonteraient au cerveau. La notion de lien direct entre l’utérus et le cerveau a traversé les siècles, et ce n’est qu’au 19ème siècle qu’apparaissent les bases de la psychiatrie périnatale. En 1845, Esquirol (25) , psychiatre français, observe chez de jeunes accouchées des troubles psychiatriques modérés ne nécessitant ni hospitalisation ni investigation. Il insiste cependant encore sur le rôle de la lactation dans la genèse de ces troubles. En 1858, Louis Victor Marcé (68) rompt avec cette théorie, il s’insurge contre les conceptions psychopathologiques d’Hippocrate en précisant le siège cérébral des troubles psychiatriques. Il décrit deux types d’accidents nerveux : « ceux qui apparaissent dans les 8 ou 10 premiers jours qui suivent la délivrance et dont l’origine peut être légitimement rapportée à la fièvre du lait ou à l’ébranlement nerveux qui accompagne l’accouchement » et « ceux qui ne se développent que vers la 5ème ou 6ème semaine ». On peut penser qu’il s’agit peut-être là d’une première approche du « baby-blues » et de la dépression du post-partum. Les Britanniques reprendront par la suite le nom de cet illustre précurseur de la psychiatrie périnatale dans l’association dénommée « The Marcé Society »(95), à diffusion internationale, ayant pour but la recherche sur la compréhension, la prévention et le traitement des affections mentales liées à la naissance. Peu de publications sur la psychiatrie périnatale ont été réalisées jusqu’à la fin de la seconde guerre mondiale. L’histoire de l’accouchement et de la naissance est surtout marquée au XXème siècle par la baisse progressive des mortalités infantile et maternelle grâce aux conditions d’hygiène et d’asepsie chirurgicale. Progressivement, la douleur ou la souffrance psychique ont été reconsidérées. Racamier (85), psychiatre d’adulte et psychanalyste français, a clairement individualisé la période de la puerpéralité comme une des étapes les plus fondamentales dans la vie d’une femme et dans son développement psychoaffectif. Il réalisa dès 1960 les premières hospitalisations mères-bébés dans l’Oise. Il nomme maternalité « l’ensemble des processus psychoaffectifs qui découlent et s’intègrent chez la femme à l’occasion de la maternité », et la compare à l’étape maturative de l’adolescence, par ses points communs en termes de changement corporel, de modifications hormonales, de changement de statut social, de remaniements identitaires. À partir des années 1968-70, des collaborations entre gynéco-obstétriciens et psychiatres et/ou psychologues se mettent en place dans les maternités. En 1968, Yalom et coll. (105) introduisent le terme de « post-partum blues », syndrome autonome et bénin sans relation avec les psychoses du post-partum. Toujours en 1968, Pitt (82) décrit « la dépression atypique suivant la naissance », dépression non psychotique, sans idées suicidaires, ralentissement psychomoteur ni labilité de l’humeur, mais avec prédominance de symptômes névrotiques tels que l’anxiété, l’irritabilité, les phobies et l’insomnie d’endormissement. La définition de la dépression du post-partum a peu changé depuis.
Approche psycho-dynamique de la parentalité
La dépression du post-partum survient dans un contexte particulier : la femme devient mère et elle est soumise à de nombreux remaniements psychiques. La satisfaction obtenue par la maternité s’accompagne aussi de la reviviscence de pertes et deuils réels et imaginaires : perte de l’enfance, deuil de l’enfant imaginaire, perte de l’objet maternel, conflits infantiles, traumatismes et deuils. (20) Une certaine vulnérabilité psychique, parfois non extériorisée, se développe graduellement pendant la grossesse et le post-partum. Bydlowski (11) a remarqué un accès plus facile aux pensées refoulées chez les femmes enceintes, et qualifie cet état de « transparence psychique ». Selon Racamier (85), le fonctionnement du psychisme maternel « s’approche normalement mais réversiblement d’une modalité « psychotique » ». Dans la même ligne, Winnicott (103), psychanalyste britannique, décrit la notion de « préoccupation maternelle primaire » caractérisant cet état (« qui serait une maladie si ce n’était la grossesse ») de fonctionnement psychique particulier : repli sur soi et désintérêt pour tout ce qui n’a pas trait à l’enfant, mais « admirable perspicacité » pour tous les besoins de l’enfant. Grossesse et naissance provoquent un mouvement maturatif. La future mère chemine de L’enfant fantasmatique (enfant des désirs infantiles diniens), à l’enfant imaginaire (enfant des rêveries), et enfin à l’enfant réel.(62) Les processus psychiques de la mère et du père, influencés pas leur propre histoire, notamment infantile, vont devoir s’articuler pour le bon cheminement du processus de parentalité. Devenir mère exige en particulier un réaménagement des liens avec sa propre mère, et de surmonter les éventuelles difficultés d’attachement rencontrées dans l’enfance. Le bébé à peine né, aussi désiré soit-il, représente un rival narcissique. La jeune accouchée doit surmonter cette dualité en s’investissant dans une relation de tendresse et de sécurité, sans quoi son ambivalence à l’égard de l’enfant peut prendre le dessus. (12) L’impossibilité de mener correctement ces remaniements psychiques conduit aux psychopathologies périnatales. Cette période de vulnérabilité est également propice à l’aggravation ou la décompensation de troubles psychiques préexistants.
Les facteurs de risque de dépression du post-partum
Ils restent encore très discutés et controversés malgré de nombreuses études épidémiologiques. Ils doivent être considérés avec prudence, ne permettant pas d’établir un lien de causalité majeur. (44) Les essais de modélisation de ces facteurs de risque en questionnaire anténatal ne se montrent d’ailleurs pas assez puissants (46), voire peuvent aboutir à stigmatiser les personnes par le négatif et augmenter leur sentiment de dévalorisation. Les « grilles de facteur de risques » ne prennent pas en compte l’aspect subjectif de l’impact de la naissance pour chaque mère, chaque couple, leur vulnérabilité individuelle. (73) Schématiquement, plusieurs périodes sont intéressantes pour repérer les facteurs de risque de DPP :
v Avant ou au début de la grossesse :
Ø Les antécédents personnels psychiatriques (antécédent de dépression périnatale ou de dépression hors puerpéralité)(78), médicaux (maladies héréditaires, diabète, hypertension artérielle
) ou obstétricaux (antécédent de mort in utero, malformation fœtale, enfant hospitalisé, enfant handicapé
)
Ø La biographie, le parcours de vie : conflit conjugal,(58, 79) absence de support social, célibat, carences affectives, séparation avec la famille et notamment avec la mère, abus dans l’enfance, toxicomanie.
Ø Le niveau socio-économique : un fort consensus existe pour admettre l’absence d’association entre la DPP et la classe sociale, le niveau déduction et le niveau culturel. Seul le bas niveau de revenu est corrélé à la survenue d’une DPP selon une méta-analyse d’OHara (79). La seule absence d’emploi ne serait pas un facteur de risque, à l’inverse de l’instabilité professionnelle ou la perte de l’emploi pendant le congé maternité.
Ø L’âge maternel : les primipares tardives et les adolescentes seraient plus à risque de développer une DPP.
Ø Le type de personnalité (personnalité immature, manque de confiance).
Ø L’histoire obstétricale (grossesse non désirée, grossesse non suivie, grossesse multiple, recours à la procréation médicalement assistée).
Ø La parité comme facteur de risque est très discutée.
v Au cours de la grossesse :
Ø Évènements stressants (78): complications obstétricales (découverte de malformation fatale, menace d’accouchement prématuré), deuil, évènement de vie stressant.
Ø Troubles psychiques pendant la grossesse : 20 à 40% des dépressions du postpartum seraient la prolongation ou la récurrence d’une dépression déjà présente au cours de la grossesse. (20, 55) L’anxiété importante au cours de la grossesse est reconnue aussi comme facteur de risque de DPP.
Ø L’absence de participation au cours de préparation à la naissance : discuté.
v Après la naissance :
Ø Histoire de l’accouchement (pathologies au cours du travail, anesthésie générale, césarienne en urgence, extraction instrumentale, anomalie de la délivrance). La prématurité a été évoquée comme facteur de risque, le bébé pouvant être considéré comme « non fini », engendrant une culpabilité maternelle.
Ø Séparation mère-enfant (transfert en néonatologie).
Ø Post-partum blues sévère ou prolongé.
Ø L’allaitement maternel : sa corrélation avec la DPP est contradictoire dans les études. Il semblerait qu’une plus grande proportion de femmes ne désirant pas allaiter développe une DPP. Plusieurs auteurs s’accordent à dire que l’allaitement facilite la confiance et l’ajustement au rôle de mère, si celle-ci bénéficie d’un soutien environnemental adapté. Une expérience négative de l’allaitement serait un facteur de risque de DPP (100). L’allaitement à lui seul ne constitue donc pas un rempart contre la dépression. Selon certains auteurs, le sevrage apparaîtrait comme un facteur déclenchant des DPP, car vécu comme une rupture.
Ø Les facteurs biologiques ont été les premiers étudiés. Les taux d’estrogènes, de progestérone, de béta-endorphine, de noradrénaline, de cortisol, de tryptophane, n’ont pas donné de résultats significatifs chez les femmes souffrant de dépression du post-partum. (78) Seuls les dysfonctionnements thyroïdiens (hypo ou hyperthyroïdie, présence d’anticorps antithyroïdiens) sont rapportés à un excès significatif de symptomatologies dépressives.
Ø Le tempérament du bébé : Murray (75) en 1998 montre que certaines caractéristiques telles que l’irritabilité ou un faible tonus moteur du bébé influencent le risque de survenue d’une DPP.
Ø Les facteurs sociaux et environnementaux : manque de soutien social, difficultés relationnelles de la jeune mère avec sa mère, faibles revenus, instabilité professionnelle, dépression du conjoint.
Ainsi, la survenue d’une dépression du post-partum est d’origine multifactorielle, psychologique, biologique, environnementale, socio-anthropologique.(44) La présence de ces facteurs de risque ne prédit pas une dépression du post-partum de façon certaine, mais doit alerter le professionnel de santé, attirer son attention dans une perspective de prévention et de prise en charge précoce.
Déroulement du premier entretien avec les médecins
La première phase de notre travail consistait à présenter oralement les objectifs de l’étude : Nous cherchons à évaluer l’intérêt, pour le médecin généraliste, d’utiliser un autoquestionnaire validé pour le dépistage de la dépression du post-partum, l’EPS (Edinburgh Postnatal Depression Scale). Chaque médecin qui accepte de participer à notre étude devra distribuer les EPDS à ses patientes et secondairement nous transmettre ses impressions concernant cette démarche de dépistage. Nous avons donc dû motiver les médecins rencontrés, en précisant que la distribution et la cotation des auto-questionnaires étaient assez rapides, de l’ordre de 5 minutes (expérience personnelle et selon les concepteurs de l’outil). Les consignes de notre enquête leur ont été expliquées, nous les développerons plus bas. Parallèlement, nous leur avons posé quelques questions afin dévaluer leurs connaissances concernant la DPP. Le questionnaire AVANT L’ÉTUDE (Annexe 3) est composé de questions fermées, à choix unique. Cependant, nous avons noté certaines remarques ou interrogations formulées par les médecins. Nous avons réalisé vingt entretiens individuels et sept entretiens collectifs, de deux à neuf médecins. Le recrutement des médecins s’est fait directement : certains nous connaissaient déjà, par le biais de notre formation d’interne (anciens maîtres de stage), ou par relation familiale. D’autres ont été rencontrés à l’occasion de groupes de pairs, d’une réunion de médecins généralistes enseignants, d’un déjeuner entre les associés d’un même cabinet. L’âge, l’ancienneté d’installation, le sexe et le milieu d’exercice ont été relevés, mais ne faisaient pas partie des critères de choix dans le recrutement des médecins.
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Table des matières
1 – INTRODUCTION
2 – GÉNÉRALITÉS SUR LA DÉPRESSION DU POST-PARTUM
2.1 – Le développement de la psychiatrie périnatale : historique
2.2 – Les classifications internationales
2.3 – Une spécificité encore discutée
2.4 – Approche psycho-dynamique de la parentalité
2.5 – La dépression du post-partum (DPP) : une symptomatologie atypique
2.6 – Les facteurs de risque de dépression du post-partum
2.7 – Fréquence de la dépression du post-partum
2.8 – Date dapparition, évolution et complications
2.9 – Les diagnostics différentiels
2.9.1 – LE POST-PARTUM BLUES
2.9.1 – LA PSYCHOSE PUERPÉRALE
2.9.3 – Autres diagnostics différentiels
3 – REPÉRER LA DÉPRESSION DU POST-PARTUM : LES OUTILS DISPONIBLES
3.1 – Les outils d’évaluation et d’aide au diagnostic de dépression
Les entretiens cliniques semi-structurés
Les échelles
3.2 – Les caractéristiques de l’EPDS
4 – L’ENQUETE
4.1 – PRÉSENTATION DE L’ÉTUDE
4.1.1 Objectifs
4.1.2 – Matériel et méthode
4.2 – RÉSULTATS
4.2.1 – Caractéristiques des médecins recrutés
4.2.2 – Déclarations des médecins avant l’étude
4.2.3 – Distribution des EPDS par les médecins participants
4.2.4 – Résultats concernant les EPDS récupérés
4.2.5 – Interprétation des EPDS par les médecins participants
4.2.6 – Opinions des médecins participants concernant l’EPDS
4.3 DISCUSSION
4.3.1 – Forces et faiblesses de notre travail
4.3.2 – Connaissances des médecins généralistes concernant la DPP
4.3.3 – Les 289 EPDS récupérés au cours de notre étude
4.3.4 – Le vif du sujet : comment les médecins généralistes ont-ils perçu l’EPDS ?
a – L’acceptabilité et la compréhension de l’EPDS
b – L’interprétation de l’EPDS
c – L’impact financier.
d – L’utilité de l’EPDS
e – Les freins relatifs à lutilisation de l’EPDS
4.3.5 – Les propositions pour améliorer le dépistage des dépressions postnatales
a – Une consultation dédiée ?
b – Diffuser l’EPDS, pour un dépistage à grande échelle ?
c L’exemple de l’Australie : un dépistage organisé des DPP
d – Le questionnaire de la dépression en deux questions : une manière d’aborder la DPP avant de proposer l’EPDS ?
e – Les progrès récents et les perspectives
5 – CONCLUSION
6 – ANNEXES
ANNEXE 1 : Questionnaires utilisés pour la dépression : liens (versions imprimables)
ANNEXE 2 : EPDS
ANNEXE 3 : Questionnaire AVANT L’ETUDE
ANNEXE 4 : Note aux patientes
ANNEXE 5 : Affiche
ANNEXE 6 : Consignes aux médecins
ANNEXE 7: Questionnaire APRES L’ETUDE
7 – BIBLIOGRAPHIE
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