Le dépistage de la dépression chez la personne âgée en pratique

Le concept de personne âgée ne fait l’objet d’aucune définition consensuelle. Si en France, l’institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) parle de personnes de 65 ans et plus, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) place la borne à 60 ans. Plus récemment, elle définit la personne âgée comme étant une personne ayant dépassé l’espérance de vie attendue à sa naissance (1). Si ces tentatives de définition représentent une construction sociale qui répond aux besoins des institutions, les personnes âgées représentent en réalité une population extrêmement hétérogène présentant des différences multiples d’ordre générationnelles, sociales, territoriales, culturelles et ethniques. Selon l’INSEE (2), les personnes âgées d’au moins 65 ans représentent 20,5 % de la population, soit une personne sur cinq, et la population française va continuer de vieillir au moins jusqu’en 2070 où ce taux pourrait représenter 28,7%. Il s’agit donc d’une part de la population de plus en plus représentative de notre démographie, ce qui amène naturellement à étudier leur place et leur vécu dans la société.

Le dépistage de la dépression chez la personne âgée en pratique

Connaissances théoriques 

La dépression est un sujet primordial pour le médecin généraliste, puisqu’elle touche près de 20 % des personnes âgées (10). En regroupant les réponses des quatorze médecins interrogés, nous retrouvons une description représentative du syndrome dépressif caractérisé comme défini dans le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux – 5. Ce qui prédomine est une représentation synthétique, qui s’articule autour de la perturbation de l’affectivité, le ralentissement psychomoteur et des signes associés. Ensuite, chacun des médecins apporte une pierre à l’édifice de la définition en précisant un point de spécificité de la personne âgée. Dans les symptômes énumérés, on retrouve : les plaintes multiples en consultation, les plaintes psychosomatiques qui vont concerner prioritairement les thématiques du sommeil, celles des troubles ostéoarticulaires, et un sentiment d’asthénie. Ils ont aussi souligné le caractère complexe ou atypique de la présentation, l’intrication de symptômes du vieillissement physiologique comme le fractionnement du sommeil, la difficulté du dépistage face aux troubles cognitifs et l’hypoacousie comme rempart supplémentaire. L’un des médecins a souligné le risque de suicide réussi chez les patients âgés. En effet, il est cinq fois plus probable chez les patients de plus de 60 ans (10). Un critère de la définition n’a été cité par aucun médecin ; il s’agit de la durée minimale des troubles, ce qui ne sous-entend pas l’ignorance de ce point de définition.

Dans leurs réponses, ils ont pensé à attirer notre attention sur les facteurs de risque que présentent les personnes âgées face à la dépression. En effet, le vieillissement, lorsqu’il est physiologique, doit faire face au « deuil de la jeunesse » et donc au déclin des performances physiques et cognitives dans leur quotidien. Lorsque la polypathologie se rajoute au quotidien, celleci participe probablement à abaisser le seuil de déclenchement de la dépression. L’importance des facteurs protecteurs face à cet abaissement du seuil devient donc primordiale pour la personne âgée afin de maintenir un équilibre et rester euthymique. On peut relever dans notre codage l’importance du lien social, familial et extrafamilial dans l’homéostasie de cette « bonne humeur ». Or, la crise sanitaire de la Covid-19 a entrainé l’isolement des personnes. Au nom du principe de protection, il ne fallait plus voir sa famille, ses amis et même avoir le moins de contact possible avec son médecin ou les professions paramédicales. Lorsque le contact était nécessaire, il fallait se soumettre à une mise à distance par l’éloignement physique ou la mise en place de barrières protectrices telles que le masque, la blouse ou les gants.

À ce stade, on peut affirmer que les médecins généralistes ont une très bonne connaissance clinique et diagnostique de la dépression du patient âgé. Il n’y a donc, a priori, pas de difficultés dans la formation théorique des médecins dans ce domaine. Cependant, on estime que 60 à 70 % des états dépressifs des personnes âgées sont négligés, méconnus ou mal traités (11), ce qui démontre sa complexité.

Les pratiques de dépistage avant la crise

On retrouve un questionnement systématique pour « débusquer » des signes orientant vers un état dépressif de manière unanime parmi les médecins interrogés. Certains utilisent une phrase simple et directe pour amorcer une discussion sur l’état de l’humeur du patient. D’autres médecins ont plutôt l’habitude de cibler les questions sur l’un ou l’autre point de dépistage ; par exemple, en questionnant le sommeil, l’appétit, les interactions sociales. Un autre point du dépistage est le questionnement des proches, qui d’ailleurs peut alerter spontanément sur un changement de comportement ou de décalage par rapport à l’état habituel du patient. C’est dans l’observation de ce décalage avec l’état antérieur du patient que le statut de médecin de famille prend toute sa place, en qualité de proche et connaisseur intime de son patient.

D’un autre côté, on se rend compte dans les entretiens menés que peu de médecins utilisent des outils standardisés tels que l’échelle de Hamilton pour le dépistage. En effet, ils ne sont que quatre sur quatorze à évoquer son utilisation, et certains reconnaissent que c’est loin d’être systématique. Cela est confirmé par une étude menée auprès de 184 médecins généralistes de Picardie où seulement 31,5 % ont répondu avoir déjà utilisé une échelle de dépistage de la dépression (12). On peut imaginer que le caractère chronophage de ce test peut décourager son utilisation en routine. Pourtant, il existe d’autres échelles plus courtes de réalisation, comme le World Health Organization Well-Being Index-5 et le Patient Health Questionnaire-9 qui n’ont pas été citées par nos médecins interrogés. Cependant, l’utilisation des tests standardisés reste primordiale face à un doute d’état dépressif pour statuer sur l’intensité de la symptomatologie ou pour aider à faire accepter le diagnostic à un patient. Il faut saluer la présence d’une cotation spécifique ALQP003 d’un montant de 69,12 euros. Toutefois, l’incitation par la rémunération est un levier insuffisant qui ne peut contrebalancer efficacement le manque de temps à consacrer à un patient pour remplir une échelle lors d’une consultation de médecine générale. L’un des médecins a répondu concernant l’échelle de Hamilton : « Je le fais dans ma tête. » Cette assertion fait probablement écho à la majorité des pratiques où le médecin généraliste se base sur son expérience, ses connaissances et son intuition médicale pour dépister un syndrome dépressif.

En effet, au cours de la consultation, les médecins ont tendance à laisser facilement une porte ouverte pour l’exploration de la thymie du patient. En pratique, on voit qu’ils utilisent des chemins différents pour arriver à une même fin. On peut se poser la question suivante : pourquoi observe-t-on des styles différents face à l’enjeu du dépistage de la dépression ? Bien que l’on parte d’une même connaissance théorique, celle-ci va être soumise au prisme du vécu et du style relationnel de chacun. On peut aussi évoquer la sensibilité propre à chacun face à un même sujet, qui va entraîner un investissement différent. Il ne faut pas oublier que dans la science, ce sont les expériences qui amènent à la connaissance. Toutefois, la médecine s’en détache partiellement par sa composante artistique, qui en fait une pratique ne se basant pas uniquement sur la raison. C’est finalement très personnel, un peu comme un savoir-faire.

On peut affirmer que poser le diagnostic de dépression n’est pas un problème pour les médecins généralistes ; c’est plutôt qu’ils ne se sentent pas légitimes. La question est donc : comment acquérir cette légitimité qui ne relève pas tant d’un manque de formation ou de connaissances que d’un manque de confiance pour « s’autoriser à faire » ? La légitimité est une question complexe car elle intervient en médecine dans le registre du vivant, de l’être en face de soi dont on prend la responsabilité. Elle fait appel à la certitude dans un domaine incertain de par sa forte évolutivité et complexité. La confiance en soi a un impact sur le sentiment de légitimité de chacun et celle-ci a tendance à s’améliorer avec l’expérience. Comme certains des médecins interrogés l’ont précisé, il y a un manque de pratique qui participe à ce sentiment de « non-légitimité ». Une autre difficulté réside dans les erreurs, et donc les échecs, qui font partie de l’expérience du médecin. Elles sont même inhérentes à l’humain, mais elles ne sont pas toujours souhaitables pour autant car parfois lourdes de conséquences : Errare humanum est. Selon l’étude nationale en soins primaires sur les évènements indésirables publiée en 2013, les médecins généralistes font en moyenne une erreur (événement indésirable associé aux soins) tous les 2 jours (13). Nous sommes donc soumis à la dimension affective de celle-ci pouvant susciter de la culpabilité et de la dévalorisation, qui participent à la difficulté de maintenir une appréciation personnelle de légitimité. Le médecin a presque un devoir d’excellence face à son patient, ce qui ajoute un défi au développement d’une confiance en soi saine. Cela est d’autant plus compliqué en médecine générale, où le champ de compétences semble infini.

Les retentissements de la crise sanitaire 

La crise sanitaire de la Covid-19 nous a mis face à une pathologie infectieuse qui au départ était mal connue et qui a pris une dimension planétaire. Edgar MORIN écrit dans son livre intitulé Changeons de voie les leçons du coronavirus : « Cette pandémie […] a révélé une communauté de destin à tous les humains, en lien avec le destin bioécologique de la planète. C’est l’ère de l’incertitude. » (14) Elle a ainsi fait succéder des périodes de confinement plus ou moins strictes et longues en réduisant nos possibilités d’interaction sociale pour limiter la dissémination du virus. Nicolas FRANCK écrit dans son livre intitulé Covid-19 et détresse psychologique : « Le stress généré par la situation de blocage et d’inquiétude due à la combinaison de la peur du Covid-19 et du changement brutal de mode de vie dû au confinement avait plongé toute la population dans un état de sidération mentale mi-mars 2020. » (15) Lorsque la maladie était déclarée chez les patients, elle les a mis face à l’isolement. « Le confinement nous a brutalement reclus à l’intérieur de notre logis et parfois poussés à l’intérieur de nous-mêmes. » (14) Pour illustrer la crise de la Covid-19, on peut citer Edward HOPPER, peintre américain du début du XXème siècle qui aurait le mieux capturé la solitude et l’isolement de la vie moderne. Dans ses œuvres, on retrouve en effet un personnage souvent seul, parfois à deux ou trois, ce qui nous renvoie à la solitude éprouvée lors des périodes de confinement .

Le patient face à la crise 

Dans ces conditions, tous les médecins interrogés ont rapporté une augmentation significative de plaintes d’ordre psychique chez leurs patients, ce qui est conforme aux données de la littérature. On peut citer le Professeur Nicolas FRANCK : « Dans le champ de la santé mentale, il [le stress] peut révéler, entretenir ou aggraver n’importe quels troubles. » « Les personnes ayant été confinées se plaignaient de fréquents symptômes de détresse, de manifestations émotionnelles de colère, d’épuisement émotionnel, d’irritabilité, de manifestations en lien avec le stress, de symptômes psychiatrique généraux, de troubles dépressifs, d’insomnie ou de syndromes de stress post-traumatique. L’irritabilité touchait plus de la moitié des personnes. » (15) Pour avoir une idée de l’ampleur du phénomène, on peut se baser sur l’enquête CoviPrev selon laquelle 41,4 % des personnes interrogées au cours de la vague 2 du 30 mars au 1er avril 2020 (période du premier confinement) présentaient un état anxieux (21,5 %) ou dépressif (19,9 %) (17). Cela se traduit dans l’accroissement de la consommation des anxiolytiques et hypnotiques selon l’analyse Epi-Phare (18). Pour confirmer cette tendance évolutive, on peut rajouter, selon l’enquête CoviPrev de la vague 34 du 9 au 16 mai 2022, que l’on arrive à une stabilisation autour des 40,5 % d’état anxieux (25,4 %) ou dépressif (15,1 %) dans la population. En comparaison, hors épidémie, 13 % des français montraient des signes d’état anxieux et 10 % des signes d’état dépressif (17). La prévalence en population générale des pensées suicidaires est aussi alarmante. Elles sont estimées à 11 % sur la période du 9 au 16 mai 2022, contre 5 % dans le baromètre santé 2017 (17), ce qui confirme la gravité de la dégradation de la santé mentale.

Tout comme le médecin numéro 4 l’a fait remarquer, ce sont les patients sans antécédents psychiatriques qui se sont révélés le plus en souffrance dans ce contexte de crise. Cela est confirmé par le communiqué du 2 mars 2022 de l’OMS (19) : « Les données suggèrent que les personnes atteintes de troubles mentaux préexistants ne semblent pas être vulnérables de manière disproportionnée. » En revanche, cela est le cas des jeunes, des femmes et des « personnes ayant des problèmes de santé physique préexistants, tels que l’asthme, le cancer ou les cardiopathies, qui étaient plus susceptibles de développer des symptômes de troubles mentaux ». (19) Par la suite, ce sont les patients avec antécédents psychiatriques qui ont été le plus heurtés par le déconfinement, notamment en raison de l’insécurité soudaine qu’il a déclenchée.

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Table des matières

Introduction
Matériel et Méthode
Choix de la méthode
Élaboration de la grille d’entretien
Population
Déroulement des entretiens
Analyse des résultats
Calendrier de l’étude
Résultats
Eléments statistiques
Âge et sexe
Eléments géographiques
Type d’activité
Travail en EHPAD
Attrait pour la psychiatrie
Représentations de la dépression du sujet âgé et pratiques de dépistage
Le niveau de connaissance des médecins généralistes sur la spécificité de la dépression chez le patient âgé
Les pratiques de dépistage habituelles
Les limites ou difficultés ressenties par les médecins généralistes dans le dépistage de la dépression
La notion de temporalité
Les limitations dans le domaine du savoir
Les limites de la communication et du recueil d’informations
Autres limites du dépistage
Impacts de la crise sanitaire sur les pratiques de dépistage
Une pathologie passée au premier plan pour le médecin généraliste
Des médecins plus sensibilisés
La prise en compte du milieu
Limites
Pas de changement dans les fondamentaux de pratiques ni dans les connaissances
Impact de la vaccination et du pass sanitaire
Les autres impacts de la crise sanitaire sur le travail des médecins généralistes
Une place privilégiée pour la télémédecine
Répercussions de la crise sanitaire sur le dépistage et le traitement d’autres pathologies
Organisation des cabinets
Impacts psychologiques de la crise sanitaire chez les patients
Une augmentation des troubles psychiques chez les patients
Effets de la vaccination et du pass sanitaire sur les plaintes exprimées par les patients
Effets bénéfiques
Limites de la vaccination
Impacts psychologiques de la crise sanitaire sur les médecins
Impacts sur la charge de travail
Majoration de la charge mentale
Investissement émotionnel et fatigue psychique
Importance des valeurs en temps de crise
Quand le médecin est le patient
La situation des EHPAD durant la crise sanitaire
L’isolement des résidents et ses conséquences
Observation d’un isolement
Rupture des liens familiaux et sociaux
Limitations des activités
Mesures barrières
Prise en charge des résidents d’EHPAD par le médecin généraliste en temps de pandémie
Difficulté d’accès aux établissements et aux réseaux de soin
Avènement de la télémédecine
Souffrance et crise psycho-sociale chez les soignants en EHPAD
La Covid révélatrice d’une crise chez les soignants
La souffrance des soignants en EHPAD
Impacts sur la qualité des soins
Evaluation de la balance bénéfice-risque des mesures sanitaires prises dans les EHPAD
Une balance bénéfice-risque jugée défavorable
Avis partagés et relativisation
Avis général sur la gestion de la crise sanitaire
Limites perçues et évoquées
Avis favorables et relativisation
Besoins nouveaux identifiés et enjeux
Le temps
Les difficultés d’accès au réseau
La formation
Le travail en équipe et en réseau
Un besoin de valorisation et de reconnaissance
Conflit générationnel
Remarques
Réflexions autour de l’âge
Autres
Discussions
Conclusion

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