L’évaluation et l’intervention dans le domaine de la cognition mathématique fait partie du champ de compétence des orthophonistes (UNCAM, 2005). La prise en soins se base sur un bilan initial permettant de faire l’état des lieux des contraintes et points d’appuis de l’enfant afin de déterminer des objectifs thérapeutiques précis et pertinents, si un trouble est objectivé à l’issue de ce bilan. Pour ce faire, il est nécessaire de disposer d’outils normés et standardisés permettant de comparer les performances ainsi que les connaissances de l’enfant à une norme et ainsi d’objectiver un trouble ou non. Lafay et al. (2014) recensent et critiquent l’ensemble des outils disponibles, auxquels se sont ajoutés depuis la batterie TediMath Grands (Noël et Grégoire, 2015) et la batterie Examath 8-15 (Helloin et Lafay, 2016). Il n’existe donc pas, à ce jour, d’outils normés informatisés permettant de poser un diagnostic précis de trouble des apprentissages mathématiques chez l’enfant scolarisé de la grande section de maternelle (GSM) au cours élémentaire numéro 1 (CE1). En effet, tous les outils permettant de poser un diagnostic pour cette tranche d’âge sont anciens et ne permettent pas d’évaluer certaines compétences actuellement reconnues comme liées aux habiletés mathématiques. Ainsi, une batterie d’évaluation pour les enfants de 5 à 8 ans (GSM à CE1) est développée par Helloin et Lafay, pour regrouper l’évaluation des habiletés numériques de base, du dénombrement, des capacités arithmétiques, de la numération ainsi que des raisonnements numérique et non-numérique.
Un protocole expérimental de pré-validation sur une cohorte restreinte d’enfants dans la tranche d’âge visée par la batterie est nécessaire et utile, afin d’une part d’évaluer certaines propriétés psychométriques des épreuves et, d’autre part, d’affiner la standardisation en précisant les consignes de passation et modalités d’analyse qualitative des productions à l’aide de grilles recensant les stratégies et procédures observables.
LE DÉNOMBREMENT CHEZ L’ENFANT DE 5 À 8 ANS
Définition
Il est possible de quantifier une collection en mettant en place divers processus : le subitizing (collection jusqu’à 3-4 éléments), le dénombrement et l’estimation (Fayol, 2018). Le dénombrement est le fait de mettre en place des procédures pour déterminer combien d’objets composent la collection, de faire le compte précis des différents éléments composant un ensemble (Fayol, 2018). Selon Crahay et al. (2008), dénombrer est le fait d’« utiliser les « mots nombres » pour quantifier, c’est à-dire pour établir le cardinal d’une classe ». Dénombrer permet donc de déterminer un nombre précis d’éléments, quelle que soit la collection (Lecointre et al., 2005) et de répondre à trois questions : que compter ? comment compter ? et dans quel ordre compter ? (Van Nieuwenhoven et al., 2019). Le dénombrement est efficace quand l’enfant est capable de concevoir (et d’utiliser ce concept) que le dernier mot-nombre qu’il prononce représente la quantité d’objets qu’il vient de dénombrer (Van Nieuwenhoven, 1999).
Le dénombrement nécessite la mise en place de deux capacités de manière coordonnée : une tâche verbale qui est la remémoration et l’expression des mots-nombres (comptine numérique) coordonnée à un pointage qui peut être visuel ou digital pour s’assurer que tous les items ont été dénombrés et qu’il n’y a pas d’omissions ou de répétitions (Fayol, 2008). Il est aussi nécessaire que l’enfant comprenne les liens entre les nombres et les principes qui régissent le comptage (Curtis et al., 2009). Les cinq principes de dénombrement énoncés par Gelman et Gallistel (1978) sont :
– Le principe d’ordre stable : l’ordre de la comptine numérique est immuable. La comptine numérique est stable si elle suit l’ordre de la comptine conventionnelle (Van Nieuwenhoven, 1996).
– Le principe de correspondance terme à terme : chaque objet de la collection correspond à un terme de la comptine numérique. Ce principe est à mettre en lien avec la connaissance de la comptine numérique (Grégoire et Van Nieuwenhoven, 1995).
– Le principe de cardinalité : le dernier mot-nombre énoncé correspond au nombre d’objets dans la collection. Cependant, il est difficile d’évaluer l’intégrité de ce principe et de s’assurer de sa compréhension par les enfants. Lorsque l’enfant doit répondre à la question « combien » après avoir dénombré tous les éléments de la collection et qu’il répond par le dernier mot-nombre énoncé, certains auteurs suggèrent qu’il comprend le principe de cardinalité, d’autres arguent que il utilise une simple procédure (Fuson et al., 1985). Cela met en évidence la difficulté de l’évaluation de ce principe de dénombrement.
– Le principe d’abstraction : une collection peut être constituée d’objets différents et l’enfant doit alors faire abstraction de ce qu’il compte et définir que tous les objets dénombrés font tous partie du même ensemble.
– Le principe de non-pertinence de l’ordre : l’ordre de dénombrement n’a pas d’impact sur la cardinalité de la collection.
L’utilisation de manière coordonnée des différents principes est importante pour que l’enfant dénombre efficacement (Grégoire et Van Nieuwenhoven, 1995).
Modèles théoriques concernant le développement du dénombrement
Les différents auteurs ne s’accordent pas sur la place de l’inné et de l’acquis dans le développement du dénombrement (Barrouillet et al., 2007). En effet, deux théories se contredisent dans la littérature scientifique :
– Théorie des « principes en premier ». Les principes de dénombrement seraient innés et l’enfant les utiliserait en reconnaissant la tâche à effectuer comme une tâche relevant du dénombrement. Les différentes erreurs des enfants ne seraient pas dues à une méconnaissance des différents principes de dénombrement mais à une mauvaise utilisation coordonnée de ces principes du fait d’un coût cognitif trop élevé par exemple (Gelman et Gallistel, 1978 ; Lecointre et al., 2005). Ainsi, les changements observés tout au long du développement de l’enfant seraient dus à une meilleure utilisation progressive des différents principes de dénombrement.
– Théorie des « principes après ». Les principes de dénombrement seraient acquis par l’enfant dès lors qu’il est confronté régulièrement à différentes tâches de dénombrement (Briars et Siegler, 1984). Ainsi, au fur et à mesure des différentes activités, l’enfant apprend les différents principes et développe sa capacité à dénombrer efficacement. Les enfants naitraient avec une sensibilité au nombre mais celle-ci ne serait pas la base du développement du dénombrement.
En conclusion, la théorie des « principes en premier » et la théorie des « principes après » s’opposent mais les auteurs défendant l’une et l’autre s’accordent pour dire que l’enfant possède de manière innée des capacités de quantification et qu’il va, au cours de son développement, réduire les contraintes empêchant un dénombrement efficace.
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Table des matières
INTRODUCTION
PARTIE THEORIQUE
CHAPITRE 1. LE DÉNOMBREMENT CHEZ L’ENFANT DE 5 À 8 ANS
Définition
Modèles théoriques concernant le développement du dénombrement
Développement normal
3.1 Développement de la comptine numérique
3.2 Développement du pointage
3.3 Stratégies de dénombrement
Difficultés possibles
Habiletés prédites par le dénombrement
CHAPITRE 2. L’ARITHMÉTIQUE CHEZ L’ENFANT DE 5 À 8 ANS
Développement normal
Stratégies de résolution des opérations simples d’addition et soustraction
2.1 Stratégie de résolution des additions
2.2 Stratégie de résolution des soustractions
Habiletés prédites par les compétences arithmétiques
Difficultés possibles
CHAPITRE 3. INTRICATIONS ENTRE LE DÉNOMBREMENT ET L’ARITHMÉTIQUE
Liens entre le dénombrement et l’arithmétique
Pourquoi évaluer le dénombrement et l’arithmétique ?
CHAPITRE 4. DÉFINITION DU TROUBLE SPÉCIFIQUE DES APPRENTISSAGES MATHÉMATIQUES
CHAPITRE 5. LES PROPRIÉTÉS PSYCHOMÉTRIQUES D’UNE BATTERIE
Validité
Fidélité
Standardisation
PROBLÉMATIQUE
OBJECTIFS ET HYPOTHÈSES
PARTIE MÉTHODE
Population
1.1 Tout-venants
1.2 À Risque de Trouble Spécifique des Apprentissages Mathématiques
1.3 Récapitulatif de la population de l’étude
1.4 Constitution des groupes
1.5 Catégorie socio-professionnelle des parents
Matériel
2.1 Évaluation mathématique générale
2.2 Tâches expérimentales issues d’Examath 5-8
2.2.1 Module 3 : Dénombrement
2.2.1.1 Dénombrement production
2.2.1.2 Dénombrement compréhension
2.2.2 Module 4 : Arithmétique
2.2.2.1 Fluence Arithmétique et Stratégies
2.2.2.2 Compléments à 10
2.2.2.3 Concepts
2.2.2.4 Opérations analogiques
Procédure générale
3.1 Lieu
3.2 Déroulement
Mise en place d’une captation vidéo
Co-conception de la grille permettant d’analyser les stratégies de l’enfant
5.1 Grille de l’épreuve Dénombrement en production
5.2 Grille de l’épreuve Fluence arithmétique et Stratégies
5.3 Guide d’aide à la cotation
Hypothèses opérationnelles et méthode d’analyse
6.1 Hypothèses opérationnelles
6.2 Méthode d’analyse
6.2.1 Méthode d’analyse pour l’objectif 1
6.2.2 Méthode d’analyse pour l’objectif 2
PARTIE RÉSULTATS
RESULTATS AUX TACHES D’EXAMATH 5-8
Validité convergente des épreuves issues du module Arithmétique ainsi que l’épreuve Opérations Analogiques avec le TTR
Cohérence interne des épreuves d’Examath 5-8
Cohérence interne des modules
Validité de construit en lien avec les caractéristiques de l’individu : comparaison interclasses
Validité de construit en lien avec les caractéristiques de l’individu : profil à risque
Fidélité
6.1 Fidélité inter-juges quant aux scores attribués lors de l’analyse vidéo
6.2 Fidélité de la cotation instantanée en direct : comparaison des scores attribués pendant la
passation et en différé par la même juge
6.3 Analyse des différences entre les deux juges suivant deux modalités différentes
6.4 Analyses des stratégies à l’aide de la grille d’analyse des stratégies
DISCUSSION
CONCLUSION