Le début du féminisme
le statut traditionnel de la femme
Dans l’Afrique traditionnelle comme dans beaucoup d’autres contrées, la femme avait un statut différent de celui de l’homme. C’est dans cet univers d’inégalité où la supériorité masculine était frappante que la femme subit les lourds fardeaux tels la soumission, la docilité face aux hommes, les contraintes du mariage, etc. Cette situation d’infériorité infligée à la femme et le lot de brimades qu’elle subit, sont perçus comme une barrière pour celle -ci car, elle l’empêche de s’épanouir. Son dévouement aveugle vis-à-vis de l’homme est en quelque sorte perçu comme une génuflexion. Il faut souligner que ces comportements imposés à la femme par la société l’entraînent inéluctablement dans un véritable harem au sein duquel elle doit se mouvoir .
Ainsi, le rôle de second plan qu’on la condamne à jouer demeure un obstacle à son épanouissement. A cela s’ajoute la question du mariage qui englobe des aspects tels que la fécondité, qui revêt un caractère utilitaire pour l’épanouissement de la femme. Dans ce même aspect se trouve alors le problème de la stérilité dans nos sociétés où la femme qui en était victime subissait des railleries. Le rôle de la femme se limitait sur le fait d’accepter le mariage, la grossesse l’accouchement et l’allaitement comme constituants de l’existence féminine. Après l’accomplissement de ces rôles, elle est censée acquerir du prestige et un statut social au sein de la communauté. Les romancières africaines ont pris conscience de l’état d’infériorité de la femme dans la société africaine. Elles vont analyser le statut traditionnel de la femme pour dénoncer les inégalités dont toutes sont victimes, y compris ellesmêmes.
La minoration de la femme et les mariages précoces ou forcés
Dans la société africaine, la femme a presque toujours été placée au second rang. Elle était considérée comme un être mineur. Elle n’avait pas droit à la parole. Les femmes ont presque toujours été marginalisées par les hommes au sein de la société. Leur avis importait peu. Elles n’étaient pas consultées lorsqu’il y avait certaines décisions à prendre. Le statut de la femme dépendait de l’homme (le père ou le mari), qui prenait les décisions à sa place. Dans la famille africaine traditionnelle nous remarquons, à travers les gestes, les comportements, les conseils donnés aux filles, que le jeune garçon était le plus valorisé. La mère était la première personne à clamer à sa fille que la femme devait respect et soumission à son mari. Elle devait toujours obéir à son mari quel que fût le rang social de ce dernier. C’est ce que Kourouma dit dans Les Soleils des indépendances : « Avec les soins que la femme doit à son mari, quel qu’ait pu être le comportement de l’homme, quelle qu’ait pu être sa valeur, un époux restait toujours un souverain » (Kourouma, 1970: 45). La culture du chef était inculquée au garçon même s’il était moins âgé que sa sœur. La femme ne disposait d’aucune voix consultative au sein de sa famille.
De nos jours, nous remarquons que dans certaines familles africaines, au moment où le garçon est en train de jouer avec ses amis, la mère est en train de récriminer contre sa fille car cette dernière est appelée à être la future gardienne des traditions. Les garçons occupent une place importante au sein de la cellule familiale. Ainsi nous pouvons dire que même dans la société moderne la femme est considérée comme étant inferieure à l’homme; ce dernier n’a que peu de considération pour elle. Sur le plan scolaire, nous constatons que pendant longtemps, seuls les garçons avaient droit à l’éducation. Les parents considéraient que la place de la fille était à la maison car elle devait apprendre à balayer, faire le linge, faire la cuisine, etc. Elle devait rester auprès de sa mère pour être initiée à son futur rôle de mère et de femme au foyer. Ainsi, dans Sous l’orage de Seydou Badian, Fadiga le muezzin dit que :
« L’école est l’ennemie de la famille….les filles qui fréquentaient ce milieu cherchent à tout résoudre par elles mêmes et certaines vont vouloir se choisir un mari. Ma fille à moi ne verra jamais les portes de ce lieu (Badian, 1972:22). » .
Fadiga considère que l’école est à l’origine de la destruction de nos coutumes mais aussi elle provoque un déséquilibre au sein de l’espace familial. Ainsi l’auteur nous apprend que la scolarisation n’était pas une affaire de filles mais plutôt de garçons. La seule destinée de la fille c’etait le mariage. Une fois mariée, dans la société traditionnelle, selon Huannou Adrien dans son œuvre ( Le roman féminin en Afrique de l’Ouest, Paris L’harmattan les Editions du Flamboyant, 1999, p72) « Non seulement l’épouse doit être aux petits soins de son mari, « son maître et seigneur », mais encore elle doit toujours faire plaisir au père et à la mère, aux frères et sœurs, aux cousins et cousines et aux amis de (sic) ce dernier, afin d’être dans leurs bonnes grâces » (Huannou,1999 :72). Certaines femmes ne vivaient pas en harmonie avec la belle-famille. C’étaient les sœurs du mari qui nourrissaient le plus souvent des sentiments d’hostilité envers leur belle-sœur, provoquant un déséquilibre au sein de la famille. Souvent, quand un problème survenait, c’est la belle-fille qui était indexée par sa belle-famille. Elle était tenue pour responsable de tous les malheurs qui survenaient dans la famille de son mari. Les belles-mères aussi étaient capables d’entretenir des relations houleuses avec leurs belles-filles, surtout si leurs fils avaient décidé d’épouser une femme sans leur consentement préalable. Les belles-mères décrites dans les œuvres de Mariama Ba sont possessives et si égoïstes qu’on se demande parfois s’il peut exister des relations apaisées entre belles-mères et belles-filles ? Comme le souligne Camille Lacoste Dujardin en reprenant la citation de Genevois dans Des mères contre les femmes : Maternité et patriarcat au Maghreb, Paris : La Découverte, 1996,)
« Dieu l’a voulu ainsi : il a jeté une semence de discorde entre la bellemère et la belle fille. Celle-là ne peut la considérer comme sa fille ; celle-ci ne la considère pas comme sa mère. Tout se passe comme si tout était fait pour étouffer ou briser les sentiments qui peuvent lier les femmes entre elles » (Dujardin, 1996 : 170) .
Les belles-mères ne pensent souvent qu’à elles. Elles oublient qu’en étant en conflit avec leur belle- fille, elles mettent leur fils face à un dilemme car celui-ci était obligé de prendre position. De peur de provoquer la colère de leurs mères, souvent les hommes se rangeaient pour la plupart du côté de celles-ci et sacrifiaient leurs épouses qui devenaient alors malheureuses et exposées aux moqueries d’une belle famille et surtout d’une belle- mère qui prime sur elles. Ainsi dans Un chant écarlate : «A la stupeur de sa femme, Ousmane prit partie pour sa mère, et résumait son discours brutalement : Si tu ne peux pas supporter Yaye Khady, pars » (Ba, 1981:146).
Selon Dia Alioune Touré dans Succès littéraire de Mariama Ba pour son livre Une si longue lettre »[ Revue Amina numero84 novembre 1979 ]; Tante Nabou, mère de Mawdo « qui représente la femme traditionnelle, attachée à la vérité ancienne et qui défend farouchement son sang contre l’apport d’une bijoutière ou d’une castée », voit en Aïssatou une menace pour sa noblesse. Elle la considère comme quelqu’un qui est venu ternir son rang noble, elle jura : « Ton existence Aïssatou ne ternira jamais ma noble descendance » Ne pouvant pas supporter que son fils ait épousé une bijoutière, Tante Nabou, la belle-mère d’Aïssatou avait décidé d’aller au village, chez son frère Farba, pour ramener son homonyme, la petite Nabou avec elle. C’était un stratagème. Elle dit à son frère :
« J’ai besoin d’une enfant à mes côtés, pour meubler mon cœur; je veux que cette enfant soit, à la fois, mes jambes et mon bras droit. Je vieillis. Je ferais de cette enfant une autre moi- même. La maison est vide depuis que lesmiennes sont mariées » (Ba, 2009: 58).
En réalité elle voulait Nabou à ses côtés pour l’éduquer et ensuite la donner en mariage à son fils Mawdo, afin de pouvoir laver l’honneur de leur famille qui était supposé terni par Aïssatou. C’est ainsi que lorsque son plan fut mûri, elle dira à Mawdo: « Mon frère Farba t’a donné la petite Nabou comme femme. Si tu ne la gardes pas comme épouse, je ne m’en relèverais jamais. La honte tue plus vite que la maladie » (Ba, 2009:60). Quant à Yaye Khady la mère d’Ousmane dans Un chant écarlate, elle n’est pas allée chercher une innocente jeune fille pour lutter contre Mireille. Elle a usé de tous les moyens à sa disposition pour lui rendre la vie impossible. Sachant que les Blancs aiment sauvegarder leur intimité, elle la violait chaque fois que l’occasion se présentait « Et Yaye Khady profitait des plus futiles motifs pour s’introduire dans la chambre de la jeune femme, dérangeant son intimité réduite à cette seule pièce (Ba, 1981 :125). Ceci montre que certains parents imposent leur volonté à leurs enfants. Ces derniers sont souvent obligés de se soumettre à leurs décisions, de peur de les blesser moralement.
Beaucoup de belles-mères contrôlaient ce que faisaient leurs belles-filles. Elles leur imposaient leur choix et exigeaient d’elles un respect qui n’était parfois pas réciproque. La belle-fille n’avait même pas le droit de se plaindre ou de répondre à des accusations, de peur d’être mal jugée par la belle-famille. La femme devait rester chez ses beaux-parents, quoiqu’il arrive. C’est, pour éviter des problèmes que la femme mariée était obligée de se plier aux règles de la société, c’est-à-dire de se soumettre non seulement à son mari mais aussi à sa belle-mère. Elle était même parfois obligée, pour être accepté au sein de sa belle famille, de faire plaisir au beau- père et à la belle-mère, en les comblant de cadeaux, en cuisinant pour eux des mets succulents, en leur donnant souvent de l’argent au risque de se priver elle-même du nécessaire, les recevoir, comme des rois (Huannou,p172). La femme africaine mariée était tenue d’offrir des cadeaux à sa belle-famille, soit spontanément, soit à l’occasion de cérémonies familiales ou religieuses. Selon Adrien Huannou dans certains milieux, les funérailles du mari (Modou) sont l’occasion que les membres de la belle famille (celle de Ramatoulaye) choisissent pour honorer l’épouse ou pour l’humilier
« Ils l’honorent et la ménage si elle leur a toujours été agréable, si elle les a toujours comblés de cadeaux, si elle les a toujours bien reçus ;dans le cas contraire, on lui reproche son manque d’hospitalité et de générosité, on l’humilie, on la maltraite (Huannou, 1999 :75).
Ramatoulaye affirme que la femme envisage ce moment avec crainte : Elle a peur de ne pas avoir rempli son devoir d’épouse et de bonne mère. Ce qui préoccupait la mère de Modou Fall, c’était de montrer la réussite sociale de son fils à ses amis et sa bru, Ramatoulaye explique :
« Sa mère passait et repassait, au gré de ses courses, toujours flanquée d’amies différentes, pour leur montrer la réussite sociale de son fils et surtout, leur montrer la suprématie dans cette belle maison qu’elle n’habitait pas. Je la recevais avec tous les égards dus à une reine et elle s’en retournait, comblée, surtout si sa main emprisonnait le billet que j’y plaçais adroitement » (Ba, 2009 : 41-42) .
Nous remarquons ainsi qu’en dehors de l’homme, une femme peut aussi être à l’origine de la souffrance d’une autre femme. Lorsque les enfants ne réussissaient pas dans la vie, lorsqu’ ils devenaient des délinquants ou bien quand ils désobéissaient à leurs parents, c’est la mère qui en était rendue fautive. On l’accusait de ne pas être une bonne éducatrice pour ses enfants. Pour preuve, dans Sous l’orage de Seydou Badian, l’auteur cite un cas de désobéissance: le père Benfa accuse maman Téné d’être la complice de sa fille et de la soutenir dans ces caprices. Cette dernière ne veut pas se plier à la décision prise par son père de la soumettre à un mariage forcé :
« _ Tu la gâtes! C’est toi qui la soutiens dans ses projets de fille perdue
_ Comment veux tu que je la gâte?
_ Oui, oui! Tu l’écoutes, tu la soutiens. C’est même toi qui l’incites à désobéir » ( Badian, 1972 : 75) .
Ainsi cette accusation portée contre elle dégage totalement la responsabilité du père. Par contre, si l’enfant avait une bonne conduite, s’il réussissait dans sa vie, c’était au père et non à la mère que revenait tout le mérite. On le félicitait d’avoir donné à ses enfants une bonne éducation. Le rôle que la mère a joué pour la réussite de ses enfants était totalement occulté. Dans la société africaine traditionnelle, les gens pensaient que tout ce qui était bon venait du père même si ce dernier n’était pas un exemple à suivre et tout ce qui était mauvais émanait de la mère.
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Table des matières
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : Le début du féminisme
Chapitre I / le statut traditionnel de la femme
1) La minoration de la femme et les mariages précoces ou forcés
2) Les maternités nombreuses
3) les mutilations génitales féminines et le viol
Chapitre II : le rôle jadis assigné à la femme
1) la soumission à l’homme
2°) Le rôle de mère et d’éducatrice
3) l’exploitation de la femme
DEUXIEME PARTIE : la prise de conscience des femmes et ses conséquences
Chapitre I Conséquences du point de vue politique, économique et éducatif
1 ) Le droit de vote
2 ) Le travail des femmes
3) Le droit à l’éducation
CHAPITREII/ Conséquences du point de vue littéraire et social
1) prise de La parole
2) Le droit de divorce
TROISIEME PARTIE/ LE POINT DE VUE DES DEUX ROMANCIERES
Chapitre I) Le point de vue de Mariama BA
1) La critique de la polygamie
3) Le point de vue de Mariama Ba sur la femme africaine face à la croisée de deux civilisations
CHAPITRE II : LA POSITION MITIGEE DE KEN BUGUL
1 ) Critique du mariage polygamique dans Le Baobab Fou et son apologie dans Riwan ou le chemin de sable
2) l’attachement au marabout
3)Point de vue de Ken Bugul sur la femme africaine et l’acculturation
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE