Le débat sur la noblesse dans la Castille du bas Moyen Âge

S’il y a débat sur la noblesse castillane médiévale, c’est tout d’abord parce qu’il nous est difficile de cerner avec précision ce groupe. Comme l’écrit Marie-Claude Gerbet : On ne peut parler, surtout pour les siècles médiévaux, époque de sa genèse, d’une noblesse espagnole mais de noblesses, aussi variées que les dominations politiques, en dépit de traits communs qui participent de la définition même de toute noblesse : la jouissance d’un statut juridique privilégié .

Les historiens de la noblesse médiévale s’efforcent donc de bien laisser entendre que celle-ci ne constitue aucunement un groupe homogène, et ce à plus d’un titre. En effet, la noblesse évolue considérablement au cours des siècles médiévaux, de l’aristocratie wisigothique du haut Moyen Âge à la noblesse bien délimitée et constituée, aux XIe -XIIIe siècles, puis à la noblesse renouvelée de la fin du XVe siècle . Par ailleurs, la diversité des catégories nobiliaires, ainsi que l’extrême disparité de la répartition géographique des nobles sur l’ensemble du territoire castillan, rend difficile toute tentative d’étude de la noblesse dans son ensemble : celle-ci n’est pas une catégorie sociale uniforme et aux contours bien définis mais elle présente de très grandes disparités dont témoigne l’abondance de termes pour la nommer. De même, le nom générique « noble » ne recouvre pas à lui seul la totalité des réalités sociales, politiques et économiques contenues dans les termes noble, grande, rico hombre, hidalgo, caballero ou infanzón. L’existence de cette terminologie révèle ainsi une large variété de situations qu’il nous a fallu apprivoiser grâce à une étude lexicographique et conceptuelle de la noblesse.

Nous avons tout d’abord tenté de résoudre cette difficulté sémantique : comment définir la noblesse au sens large et quel sens revêtent les multiples termes constituant le paradigme nobiliaire ? Il nous a semblé opportun de procéder, dans un premier temps, à une étude historique sur la réalité de la noblesse castillane au XVe siècle. Les travaux des nombreux historiens de la noblesse nous ont permis de délimiter les contours de cette catégorie et de nous approcher d’une définition des diverses sous-parties qui la composent. Nous avons ensuite procédé à un examen de la législation sur la noblesse ainsi que des théories en vigueur à l’aube du XVe siècle, ce qui nous a permis de mettre en évidence les problèmes posés par la définition de la noblesse. Nous avons enfin poussé plus avant notre étude lexicographique en étudiant le discours sur la noblesse au XVe siècle dans différents types de textes : traités nobiliaires et textes plus « littéraires » nous donnent ainsi une vision extrêmement nuancée et divergente de la noblesse, reflet des tensions politiques avec la royauté et au sein de la noblesse ainsi que des réticences ou des stratégies d’adaptation au processus de renouvellement et d’évolution que celle-ci expérimente.

APPROCHE HISTORIQUE DE LA NOBLESSE CASTILLANE MÉDIÉVALE 

En 1984, María Concepcíon Quintanilla Raso rappelle, dans une révision de l’historiographie récente sur la noblesse, combien celle-ci est difficile à définir . Cette historienne propose alors une dizaine de catégories d’études sur le sujet (en particulier la formation de la noblesse, son ancrage régional, ses structures familiales, sa participation au gouvernement, sa projection urbaine, sa position économique, son mode de vie et la dimension seigneuriale de cet état) qui devraient permettre de mieux la cerner. Quelques années plus tard, cette même historienne prépare et soumet une nouvelle étude historiographique de la noblesse castillane du bas Moyen Âge, preuve de la très grande activité de la recherche sur le sujet. La noblesse médiévale en général a principalement été étudiée par Marc Bloch, Joseph Morsel et Léolpold Génicot. Par ailleurs, chaque royaume a également fait l’objet d’études particulières ; ainsi, Philippe Contamine s’est intéressé au royaume de France, Claudio Donati a étudié la noblesse italienne et José Mattoso celle du Portugal. Concernant le domaine qui nous intéresse tout particulièrement, la Castille, la lecture de l’ouvrage coordonné par Ramón Menéndez Pidal nous a offert une première approche intéressante . Pour entrer plus avant dans l’étude de la noblesse trastamare, nous nous sommes référée aux travaux de Salvador de Moxó, Luis Suárez Fernández, María Concepción Qunitanilla Raso, José Manuel Nieto Soria, Marie-Claude Gerbet et Adeline Rucquoi en particulier . Enfin, nous avons consulté des ouvrages proposant des études géographiques de la noblesse  castillane : ceux de Denis Menjot sur Murcie, d’Adeline Rucquoi sur Valladolid , de Rafael Sánchez Saus sur Séville, de María Concepción Qunitanilla Raso sur Cordoue, de Marie Claude Gerbet sur l’Estrémadure, de Nicolás Cabrillana sur Salamanque , et d’Eloisa Rámirez Vaquero sur la Navarre .

Il serait ici totalement vain, terriblement audacieux et parfaitement hors de propos de vouloir résumer un si vaste pan de l’histoire médiévale castillane ; cependant, il nous a semblé essentiel de nous arrêter sur certains aspects de la réalité historique de la noblesse trastamare afin de contextualiser l’étude des discours sur la noblesse du XVe siècle, sujet au cœur de nos travaux de recherche.

LES STRUCTURES DE LA NOBLESSE 

LES STRUCTURES SOCIO-ÉCONOMIQUES 

La noblesse castillane médiévale se subdivise en trois catégories plus ou moins hermétiques du fait de l’ambiguïté de la définition de la noblesse. En effet, selon que l’on considère qu’elle prend sa source dans le lignage, les fonctions ou encore les moyens économiques, nobleza, hidalguía et caballería peuvent se recouper ou s’exclure catégoriquement .

NOBLEZA
Dès le début du XIIIe siècle, les aristocrates fortunés au service de la Reconquête et du souverain reçoivent le nom de ricos hombres. Il existe deux catégories de ricos hombres, selon leur ancienneté et leur richesse : les ricos hombres, groupe déjà formé au XIIe siècle, et à l’autorité omniprésente dans le royaume, et les caballeros ricos hombres réellement issus de la Reconquête, moins riches et à l’influence politique moins marquée car seulement régionale .

Dès la fin du XIVe siècle, de nombreux ricos hombres promus par les Trastamares sont dotés de titres28. En effet, avec la nouvelle dynastie émergent de nouveaux lignages et de nouveaux comportements au sein de la noblesse ; celle-ci s’urbanise, obtient des charges à la cour ainsi qu’une plus grande autonomie dans le gouvernement de ses domaines, en particulier en matière de juridiction. Pour María Concepción Quintanilla Raso, l’octroi de titres est ainsi directement lié à une fragmentation en domaines seigneuriaux du territoire castillano-léonais. Le nombre de titres augmente progressivement et ceux-ci acquièrent une véritable valeur, politique et symbolique, au cours des règnes des premiers rois trastamares. L’arrivée au pouvoir de Jean II marque un point d’inflexion et provoque une modification qualitative et quantitative du groupe des nobles titrés. En effet, le souverain mise sur une stratégie d’octroi massif de titres et de seigneuries afin de récompenser les familles qui lui sont proches, participent au gouvernement du royaume, et prennent son parti dans les luttes de bandos ; cette politique, qui se poursuit tout au long du XVe siècle, conduit à l’accroissement des différences entre la catégorie de la haute noblesse et les autres nobles. Dès lors, les nobles titrés se perçoivent comme une catégorie à part et se forgent une image « d’élite naturelle du royaume ». À la fin du XVe siècle, la haute noblesse contrôle presque la moitié du territoire castillan. L’étendue des prérogatives des nobles et leur puissance seigneuriale sont telles que leurs domaines s’apparentent à de petits états au sein du royaume de Castille. Cet état de fait est la conséquence directe de la politique d’octroi de titres et de seigneuries par les monarques trastamares qui avaient par ailleurs cherché à endiguer le pouvoir des nobles en mettant en place un système politique fondé sur l’absolutisme royal. À la fin du XVe siècle, les Rois Catholiques tenteront de mettre fin à ce statu quo en entreprenant une réorganisation du royaume, à la base de l’état moderne.

À mesure que de nouvelles familles intègrent les rangs de la noblesse titrée, les plus riches et puissantes d’entre elles cherchent à se démarquer, dans un mouvement de fuite en avant vers une plus grande reconnaissance. C’est dans ce contexte que l’idée de « Grandesse » fait son chemin. Dans les Partidas, le terme grande n’est employé que dans sa forme adjectivale pour différencier, au besoin, la grande noblesse qui participe au gouvernement du royaume de la simple chevalerie. Une inflexion linguistique, survenue au milieu du XIVe siècle, provoque une décatégorialisation du morphème lexical grande qui se substantive. « Grands » se substitue alors à ricos hombres pour désigner les familles nobles les plus titrées et dotées en domaines et seigneuries. Les deux expressions coincident alors pour désigner deux réalités qui tendent à se distinguer : la très grande noblesse au sommet de l’État et les nobles ricos hombres dont la fortune et l’influence sont moindres. María Concepción Quintanilla Raso y voit ainsi la preuve de la formation d’une conscience accrue d’appartenance à l’élite dans la catégorie des grands nobles titrés. À la fin du XIVe siècle, le syntagme « grandes del reino » fait son apparition. Il sera alors employé conjointement avec le terme grande dans de nombreux textes au cours du XVe siècle.

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Table des matières

Introduction
I. Noblesse et chevalerie
II. Les enjeux du débat
III. Représentation et théorisation
Première partie Le débat sur la noblesse dans la Castille du bas Moyen Âge
I. Approche historique de la noblesse castillane médiévale
A. Les structures de la noblesse
1. Les structures socio-économiques
Nobleza
Hidalguía
Caballería
2. Les structures politiques de la noblesse
Bandos et clientèles
Le lignage
La noblesse et le pouvoir royal : le système de la privanza
B. Une noblesse en mutation
1. De la nobleza vieja a la nobleza nueva
2. Répartition de la noblesse sur le territoire
II. Approches juridiques de la noblesse
A. Les Partidas d’Alphonse X
1. Monarchie et chevalerie
2. Chevalerie et noblesse
3. Noblesse et royauté
4. La grande noblesse et les titres
5. Hidalgos et infanzones
6. letrados et doctores
B. Modèle italien de la « noblesse du droit »
III. Définition et représentation de la noblesse dans les traités du xve siècle
A. Les traités sur la noblesse
1. Typologie
2. Textes et contextes
Les textes d’Alonso de Cartagena
La Cadira de honor et l’Espejo de verdadera nobleza
Le Tratado sobre el título del duque
Les Generaciones y semblanzas et les Claros varones de Castilla
La Definición de nobleza
Le Blasón general y nobleza del universo
B. Noblesse, hidalguía, chevalerie
1. Noblesse et hidalguía
Noblesse et hidalguía sont synonymes
Noblesse et hidalguía sont deux réalités distinctes
2. La chevalerie
C. Origines de la noblesse
1. Le lignage
2. Le roi
D. Conclusion
Deuxième partie. Ferrán Mexía et son Nobiliario Vero
I. Ferrán Mexía
A. Données biographiques
1. L’ascendance noble de Ferrán Mexía
2. Mariages et descendance
B. Ferrán Mexía, caballero veinticuatro de Jaén
1. Pas d’armes
2. Conspiration
3. Sous les Rois Catholiques
C. Ferrán Mexía, homme de lettres
1. Poésie
2. Prose
II. Le Nobiliario Vero
A. Les exemplaires
1. Les manuscrits de Salamanque
Le manuscrit Bus. 2414
Le manuscrit Bus. 2428
2. Le manuscrit de Madrid
3. Manuscrits fragmentaires
4. L’incunable
B. Les conditions de rédaction de l’œuvre
1. Étude des différents colophons et généalogie de l’œuvre
2. Situation politique et écriture du Nobiliario Vero
C. La structure du texte
1. Première partie
2. Deuxième partie
3. Troisième partie
D. Les sources et leur utilisation
1. Les sources principales
Bartole
Tite-Live
L’importance des Partidas
La Bible et Godefroi de Viterbe
Boèce
Duarte et Honoré Bouvet
2. Autres sources
3. Répartition des sources
E. Choix éditoriaux
III. La représentation de la noblesse dans le Nobiliario Vero
A. Origines et définition de la noblesse
1. L’origine de la noblesse
2. Définition de la noblesse
B. Une nouvelle théorie de la noblesse
1. Lignage et individu
2. Enracinement de la noblesse dans le temps
3. L’obsession du sang et de la pureté
4. Conclusion
Conclusion générale

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