Le nouveau référentiel de compétences, impose la gestion de classe comme une compétence bien spécifique aux professeurs, contrairement aux autres personnels d’éducation. Cette compétence ne m’est pas apparue tout de suite essentielle. Il s’agissait pour moi de poser un cadre de règles du « vivre ensemble » dans la classe et de le faire respecter, j’ose dire « tout simplement ». Avant ma première rentrée, ma principale préoccupation était surtout la préparation du contenu, ne pas arriver les « mains vides » devant les élèves. J’ai effectué ma rentrée en septembre 2017, en tant que professeur des écoles stagiaire dans une école du 19ème arrondissement de Paris, classée en REP (réseau d’éducation prioritaire) avec 22 élèves de CE1. En faisant connaissance avec mes élèves, j’ai très vite compris qu’il allait falloir s’intéresser à cette compétence, que j’allais devoir apprendre à gérer ma classe efficacement. En effet, j’étais confrontée à des enfants qui éprouvent des difficultés à être élèves et à mettre du sens sur les apprentissages. J’entends par « ne pas savoir être élève » le fait de ne pas différencier l’enfant qu’il est en récréation, en dehors de la classe et de l’école, de l’élève qu’il doit devenir en entrant dans la classe, c’est-à-dire un enfant qui ne joue plus, qui ne se bagarre plus, qui respecte le travail des autres et son propre travail et le cadre et les exigences nécessaires à ce climat.
Le cadre du débat comme référence du cadre de classe
Le choix d’une pratique
Un contexte – un constat
Comme je l’évoquais plus haut dans l’introduction, je me suis très vite intéressée à la question de la gestion de classe, et je souhaitais travailler sur cette thématique dans ce présent mémoire professionnel. Il fallait néanmoins que je m’interroge sur ce qui me posait difficulté et que je sache sur quels aspects et par quels biais je souhaitais aborder cette question. Les principaux facteurs de dérégulations dans ma classe, qui empêchent la mise au travail de beaucoup d’élèves, et de ce fait une implication dans les apprentissages, reposent sur la circulation de la parole. Les attitudes remarquées d’une partie de mes élèves sont les bavardages qui ne sont pas en rapport avec le travail engagé, et générant de l’agitation ; l’interruption de l’enseignant ou d’un autre élève, l’insolence, la moquerie, générant un manque de concentration sur la tâche demandée ; les violences et menaces verbales entre les élèves témoignant d’une indifférence à l’objectif d’apprentissage, et d’une importance donnée à ce qui se joue en dehors de la classe. Il peut même arriver que certaines violences deviennent physiques à l’intérieur même de la classe. On remarque également la difficulté qu’ils ont à s’écouter, les élèves font alors autre chose, fouillent dans leur casier, taillent leur crayon, et produisent des bruits parasites. En tant qu’enseignant, ces dérégulations peuvent générer des dérégulations de ma part, l’énervement, l’agacement, la tentation de parler encore plus fort pour couvrir ces bruits parasites, l’interruption dans le déroulé d’une consigne pour reprendre un tel ou un tel, la volonté de parler beaucoup pour éviter que leur prise de parole ne génère d’autres dérégulations. Par ailleurs, ces difficultés de communication ne permettent pas à mes élèves d’apprendre à travailler ensemble, le groupe ne s’unit pas pour atteindre ensemble les objectifs d’apprentissages. En classe bien souvent, ils sont déçus lorsqu’un camarade donne la bonne réponse, je dois souvent rappeler que ce qui compte c’est la construction ensemble du raisonnement. Lors des travaux en groupe, chacun veut tout faire, tout régenter, là encore, il n’y a pas de conscience de travailler pour les autres, il semble qu’ils n’arrivent pas à s’approprier le travail fait par un autre. Bien évidemment, il s’agit d’un recensement, ces dérégulations ne sont pas simultanées, mais elles empêchent de créer le climat propice à la mise au travail, et à faire passer sereinement les apprentissages, tant pour moi que pour les élèves.
Ainsi, la réflexion menée ici autour du débat philo part d’un constat et non d’une volonté de mettre en place la discussion à visée philosophique pour améliorer la gestion de classe. Le constat a été le suivant. J’ai souhaité travailler sur l’égalité fille-garçon en enseignement moral et civique (EMC) et je trouvais intéressant que les élèves aient l’occasion de discuter entre eux de leur représentation. Les programmes de 2015 encouragent la pratique des discussions à visée philosophique dans le cadre de l’EMC pour éveiller les élèves à la formation de leur jugement, à l’empathie et à l’écoute d’autrui . Le sujet me paraissait être l’occasion de mettre en place une pratique qui m’attirait puisque j’avais déjà tenté de faire des conseils d’élèves pour régler des problèmes de vie de classe. Comme je le dis en introduction, le débat a été longuement préparé. Les élèves ont participé à l’élaboration des règles pour discuter, choses qu’ils avaient déjà faites par ailleurs en début d’année. Nous avons aussi beaucoup travaillé la question du « pourquoi discuter », ce que ça pouvait leur apporter. Un élève avait alors proposé « ça sert à partager les idées », c’est ce que nous avons conservé comme rôle à nos discussions. Lors du débat, les élèves ont respecté toutes les règles. Certains élèves sont sortis du cercle de parole quand ce n’était pas le cas, mais il y en a eu très peu et la sanction était prévue et prévenue. J’ai alors constaté que si la plupart du temps mes élèves ne respectaient pas le cadre de communication en classe, ils en étaient en fait capables ! Cela m’a interrogée sur la vision que j’avais d’eux, sur la confiance que je leur faisais et donc sur ma gestion de classe. Est-ce que mes réactions, mon attitude en classe permettaient qu’ils respectent les règles ? Ce constat des possibilités de mes élèves de s’écouter, de mener une réflexion ensemble, de chercher des réponses, de parler sans s’énerver, en se répondant, en attendant d’avoir la parole, m’a obligée à mener une réflexion sur cette pratique. Le cadre du débat étant similaire à ce qu’on peut attendre des règles de conduite en classe, il convenait de poursuivre l’expérience en décortiquant cette pratique et observer les points positifs qu’elle pourrait apporter sur des aspects générateurs de conflits, d’indiscipline et de perturbations du travail en classe.
La finalité du débat et la gestion de classe
Il s’agit ici d’approfondir la notion de débat philo et en quoi cela sert la gestion de classe.
Sur l’oralité en elle même que conduit la pratique du débat
Beaucoup de mes élèves rencontrent des difficultés avec l’écrit, ils peuvent se retrouver bloqués devant leur cahier de brouillon, quand on leur demande d’imaginer la suite d’une histoire par exemple. J’ai pu observer que certains étaient également bloqués pour parler d’eux-mêmes à l’écrit, pour se présenter en écrivant une lettre, pour exprimer ses émotions alors que les notions sont au tableau. L’articulation de la pensée par l’écrit n’est pas chose aisée pour eux et ils se débrouillent mieux par la verbalisation. Néanmoins, comme on a pu le voir précédemment, la communication ne s’effectue généralement pas dans le respect du cadre, et ils ne maîtrisent pas toujours le langage pour exprimer les idées avec les bonnes structures de phrases et les bons mots.
Certains pédagogues et professeurs se sont posé la question de l’opportunité du débat pour les élèves en difficulté ou en échec scolaire. Le professeur de philosophie Michel Tozzi réfute ces réticences qui interrogent la possibilité de réfléchir pour un élève qui ne maîtriserait pas correctement la langue. Selon Tozzi, « on peut améliorer sa pensée en travaillant la langue, mais on affine aussi son langage en travaillant sur sa pensée. » Il parle de « codéveloppement ». Il explique que « le langage(…) apparaît dans une discussion à visée philosophique comme un outil pour la pensée, et en travaillant sur l’élaboration de sa pensée, on travaille sur le besoin de précision dans la langue. » Je pense qu’effectivement le débat dans ma classe demande un véritable effort à mes élèves pour formuler leurs idées. Se retrouver à penser une question sérieuse, pas complètement en rapport avec les apprentissages, mais pour laquelle ils portent un intérêt, les oblige à puiser dans leur capacité à maitriser le langage. Il ne peut s’agir du langage familier qu’ils utilisent très souvent, parfois même en classe. J’ai pu observer cet effort en réécoutant les débats. Ils parlent d’ailleurs avec beaucoup plus d’hésitation et de balbutiements car les mots ne sortent pas spontanément. Ils cherchent un moyen d’exprimer leur pensée avec une certaine précision.
Sur la phrase « Dans la vie il faut se débrouiller tout seul. » lors du débat sur l’entraide :
Ewen : J’ai colorié, moi c’est parce que… moi…moi c’est parce que j’ai…j’ai envie…la vie c’est pas que d’avoir de l’aide il faut travailler tout seul aussi…alors… (…)
Inès : En fait dans la vie on peut pas tous aider(…) .
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Table des matières
INTRODUCTION
I. Le cadre du débat comme référence du cadre de classe
1. Le choix d’une pratique
1.1. Un contexte – un constat
1.2. La finalité du débat et la gestion de classe
2. La mise en place du débat en classe
2.1. La méthode
2.2. Les règles du débat
2.3. Les poursuites possibles en classe
II. L’influence des thèmes du débat sur la gestion de classe
1. Le choix des thèmes
1.1. Une discussion – un thème
1.2. Un arbitrage en lien avec la gestion de classe
2. Les observations en classe
2.1. Le débat sur l’entraide
2.2. Le débat sur le rôle de l’école
2.3. Le débat sur la sagesse
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES
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