Le cycle de vie bactérien
La diversité bactérienne
Les bactéries ont très longtemps été résumées à de simples sacs cellulaires responsables de nombreuses pathologies humaines. Cependant, depuis une cinquantaine d’années, l’étude de ces organismes a permis de mettre en valeur l’immense diversité couplée à une forte adaptabilité de ce domaine de la vie. Il est estimé que seulement 1% des bactéries vivant sur la planète sont cultivables dans des conditions de laboratoire (Amann et al., 1995; Vartoukian et al., 2010). Ce chiffre frappant a tout d’abord pu être estimé par comparaison entre des observations microscopiques et des cultures sur boîtes d’un même échantillon. Il a ensuite pu être confirmé grâce à l’arrivée du séquençage massif (Roesch et al., 2007; Sogin et al., 2006). Cet écart entre le nombre de bactérie cultivable en laboratoire et la diversité bactérienne réelle est dû à nos milieux et conditions de cultures synthétiques, souvent incapables de reproduire l’environnement originel des espèces bactériennes. La diversité bactérienne commence donc à être considérée mais surtout caractérisée.
Diversité morphologique
Grâce à cet intérêt croissant, la diversité bactérienne est étudiée à de nombreuses échelles. L’une d’entre elles est la diversité morphologique de ces espèces. En effet, les bactéries sont connues pour pouvoir adopter de très nombreuses formes dont les plus connues sont la forme en bâtonnet comme les bactéries Escherichia coli ou Bacillus subtilis et la forme sphérique (également appelées coque ou Coccus) comme la famille des Staphylocoques comprenant la bactérie pathogène Staphylococcus aureus. Cependant, il existe de nombreux autres types de bactéries présentant des formes très différentes (Margolin, 2009; Typas et al., 2011). Certaines peuvent présenter une courbure dans forme classique de bâtonnet comme Caulobacter crescentus ou le pathogène intestinal humain Vibrio cholerae. D’autres peuvent également présenter une forme de spirale comme la bactérie Helicobacter pylori ou encore les espèces appartenant à la famille des Spirochetes.
Un résumé de ces formes est présenté en figure 1. De nombreuses théories ont été avancées pour tenter d’expliquer la diversité morphologique de ces organismes. La première est l’adaptation à l’environnement (Young, 2007). Ainsi, certaines cyanobactéries vivant dans un environnement marin auraient privilégié, au cours du temps, une forme sphérique leur permettant de moins faire face aux courants marins et réduisant les potentiels contacts avec des bactériophages ou prédateurs (Smith et al., 2017; Yulo and Hendrickson, 2019). Les morphologies peuvent également être adaptées pour la pathogénicité, comme pour la forme spiralée de H. pylori lui conférait un avantage pour pénétrer le mucus de l’estomac humain (Andersen, 2007; Denic et al., 2020).
Classification
Avant l’apparition du séquençage massif, il existait de nombreuses classifications des espèces bactériennes. Celles-ci pouvaient être basées sur de nombreux critères, la morphologie comme discuté précédemment, la couleur des colonies sur boite de culture, leurs conditions de cultures ou encore la capacité à retenir les colorants avec le très connu test de Gram. Ces classifications étaient, cependant, trop imprécises et très souvent éloignées de la réalité évolutive. La famille des Actinobactérie à laquelle appartient, par exemple, les Streptomyces possédant une morphologie très proche des mycélium des champignons a ainsi pendant très longtemps été classée parmi les champignons alors qu’il s’agit en réalité de bactéries (Barka et al., 2016). L’arrivée du séquençage a ainsi permis une véritable révolution apportant un outil efficace et rapide de comparaison de séquence. Permettant la création de l’arbre phylogénétique du vivant que l’on connaît aujourd’hui (révisé dans l’article de Hug et al., 2016) . Initialement, la phylogénie bactérienne a été établie sur l’analyse des ARN 16S, constituant majeur des ribosomes bactériens. Comme on peut le voir, l’arbre bactérien est bien plus étoffé que l’arbre des eucaryotes ou des archées reflétant la plus forte diversité des bactéries.
Les nouvelles technologies de séquençage ont été essentielles pour la caractérisation et la classification des espèces bactériennes. En effet, ces techniques ont permis de résoudre le problème des espèces non-cultivables en laboratoire. La métagénomique autorise l’identification et l’analyse de séquence génomique de toute espèce vivante dans un écosystème donné (sable, terre, eau, etc…) sans nécessiter la culture en laboratoire. Les échantillons sont prélevés, purifiés et puis directement séquencés. Les génomes reconstruits bio informatiquement par la suite peuvent être analysés et classifiés dans l’arbre du vivant ce qui a grandement aidé dans la caractérisation de la diversité bactérienne, et à plus grande échelle dans la diversité du vivant (Parks et al., 2017).
Bactéries et environnement
Cette grande diversité bactérienne reflète leur grande capacité d’adaptation. Les bactéries, ont été capables de coloniser l’intégralité de notre planète. Nous avons ainsi pu les retrouver quasiment partout sur Terre, dans les océans, dans les déserts et parfois même dans les nuages (Rampelotto, 2013; Shinn et al., 2003). On retrouve notamment la famille des cyanobactéries de l’antarctique aux forêts tropicales (Rampelotto, 2013; Sayed et al., 2020). Il a été montré que les tempêtes de sables pouvaient projeter de nombreuses bactéries dans l’atmosphère, leur permettant de se déplacer via les masses d’air et les nuages avant de retomber parfois des milliers de kilomètres plus loin grâce à la pluie et ce de manière viable.
Parmi les genres retrouvés dans les déserts, on peut noter des familles comme Pseudomonas, Neisseria, Staphylococcus ou encore des Actinobactéries (Griffin, 2007; Sayed et al., 2020). Parmi les procaryotes, les archées sont les championnes dans le domaine des résistances aux environnements extrêmes. L’archée Methanopyrus kandleri détient par exemple le record de croissance à haute température avec 122°C (Rampelotto, 2013). Les bactéries ne sont en reste dans ce domaine, et les espèces associées à une résistance à un environnement (« extrême ») car empêchant la vie d’organismes « classiques » sont appelées extrêmophiles. On distingue, par exemple, les espèces hyperthermophiles capables de supporter de fortes températures, les acidophiles résistantes à un environnement acide, les xérophiles survivants dans un environnement pauvre en eau comme dans les déserts.
Vivre et survivre
Lorsque les conditions sont favorables
Avant d’étudier les diverses adaptations bactériennes à leur environnement, il nous faut tout d’abord aborder la vie classique de ces organismes. La diversité de ce groupe étant extrême, il existe toujours des exceptions. Nous décrirons ici le comportement de la majorité d’espèces, ou bien nous préciserons si il s’agit d’exemples particuliers. Lorsque les bactéries sont dans une situation environnementale favorable (nutriments en quantité suffisante, température apte au développement, pH adapté à la vie de l’espèce, absence de prédation, ect…) la bactérie est alors en phase proliférative appelée phase exponentielle (exp).
Durant cette phase exponentielle, les bactéries importent dans le cytoplasme les différents nutriments nécessaires à leur vie (source de carbone, d’azote, d’ions) via de nombreux transporteurs. Ces transporteurs sont de nature et structure très variées. Ils peuvent, en effet, agir de façon passive comme des porines qui laissent entrer de manière passive certaines molécules ou ions ou bien de façon active en consommant de l’énergie (ATP ou GTP) comme certains systèmes de transports ABC (ATP Binding Cassette). Ces structures peuvent être retrouvées dans la membrane externe et interne des bactéries à Gram négatif ou dans la membrane cytoplasmique des bactéries à Gram positif (Jeckelmann and Erni, 2020; Masi et al., 2019). Ces transporteurs, présents en très grande quantité, permettent l’import et l’export de nombreuses molécules.
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Table des matières
Introduction
1. Le cycle de vie bactérien
1.1 La diversité bactérienne
1.1.1 Diversité morphologique
1.1.2 Classification
1.2 Bactéries et environnement
1.3 Vivre et survivre
1.3.1 Conditions favorables
1.3.2 En absence de nutriments
2. L’organisation intracellulaire de la phase exponentielle
2.1 Organisation du génome et réplication
2.2 Ségrégation des génomes chez V. cholerae
2.3. Membrane, paroi et élongasome
2.3.1 Bactéries Gram positives et Gram négatives
2.3.2 Le Peptidoglycane chez les bactéries Gram négatives
2.3.3 Synthèse du PG : Renouvellement/Elongation/Division
3. Adaptation et stratégie de survie
3.1 Le biofilm
3.2. Persistance, VBNC et dormance
3.2.1 Persistance
3.2.2 Un état viable mais non cultivable (VBNC)
3.2.3 Dormance et sporulation
3.3. Resistance par perte de la paroi
3.3.1 Sphéroplastes
3.3.2 L-formes
Résultats
Chapitre 1 : Le L-Arabinose induit la sphéroplastisation réversible de V. cholerae due à un catabolisme illégitime toxique
1.1. Le L-Ara provoque l’arrêt de la prolifération et la perte de la forme de V. cholerae
1.1.1 Effet du L-Ara sur la croissance et la forme de V. cholerae
1.1.2 Effet d’autres sucres sur la croissance de V. cholerae
1.1.3 Effet du L-Ara sur la croissance d’autres souches de V. cholerae
1.2 Cinétique de la transition morphologique de V. cholerae provoquée par le L-Ara & viabilité des cellules sphériques
1.3 La transition morphologique induite par le L-Ara est causée par une dégradation du peptidoglycane : Sphéroplastisation
1.4 V. cholerae semble cataboliser le L-Ara par une voie illégitime toxique
1.5 Le L-Ara provoque la modification du transcriptome dont la répression de glmS, essentiel à la synthèse du peptidoglycane
1.5.1 Modification du transcriptome
1.5.2 L’absence de glmS conduit à la sphéroplastisation mais pas à l’arrêt de la croissance
Chapitre 2 : Organisation cellulaire des sphéroplastes induits par le L-Ara
2.1 Contenu génétique des cellules non prolifératives : sphéroplaste et phase stationnaire
2.2. Caractérisation de l’organisation intracellulaire des cellules non prolifératives : sphéroplaste et phase stationnaire
2.2.1 Perte de l’intégrité de la paroi
2.2.2 Organisation du génome
2.2.3 Machinerie de division
Chapitre 3 : Etablissement de novo de la forme proliférative après sphéroplastisation induite au L-Ara
3.1 Le processus de rétablissement prolifératif suit une succession d’étapes
3.2. Chorégraphie au cours de la réversion des éléments-clefs connus pour le maintien de l’organisation
3.2.1 Contenu génomique au cours du rétablissement prolifératif
3.2.2 Gestion du périplasme durant le processus
3.2.3 Localisation du nucléoïde
3.2.4 CrvA, périplasme et forme incurvée
3.2.5 Polarité et ségrégation des chromosomes
3.2.6 Division
3.2.7 Paroi cellulaire
Chapitre 4 : Recherche des acteurs de l’établissement de novo de l’organisation cellulaire (acteurs « de novo »)
4.1 Recherche systématique des acteurs « de novo » par analyse Tn-Seq post L-Ara : composition d’une banque de mutants transpositionnels après rétablissement posttraitement L-Ara
4.2. Approche par gènes candidats : Impact dur l’établissement « de novo » de l’inactivation d’acteurs de la maintenance de l’organisation cellulaire
4.2.1 Acteurs de l’élongation
4.2.2 Acteurs du maintien de la forme en batônnet
4.2.3 Acteurs de la division
Discussion et Perspectives
Conclusion
Matériel et Méthodes
Annexes
Bibliographie