LE CYCLE DE L’AZOTE EN ZONE TROPICALE HUMIDE
Le concept du bilan de l’azote
La nutrition de la plante et la fertilisation azotée sont des facteurs essentiels dans la détermination du rendement et de la qualité de la production agricole en milieu tropical. En effet, les sols tropicaux sont fréquemment limités par la biodisponibilité de l’azote, ce qui n’est pas liée à la teneur en matière organique totale, mais à la taille de la fraction labile (Sierra et Marban, 2000). Il existe plusieurs méthodes pour diagnostiquer le statut nutritionnel des cultures en vue d’optimiser le dosage des apports d’azote nécessaires pour atteindre les objectifs de rendement et de qualité de la culture. Parmi ces différentes méthodes de diagnostic, certaines se fondent sur l’utilisation d’indicateurs sol, d’autres, sur l’utilisation d’indicateurs plante. L’optimisation de la fertilisation azotée à partir d’indicateurs sol recourt à des analyses de l’azote biodisponible et/ou de l’azote potentiellement minéralisable. L’optimisation de la fertilisation azotée fondée sur les indicateurs plantes repose sur des analyses de feuille, de sève, de jus de pétioles, ou de teneur en chlorophylle, indiquant le statut azoté de la plante et permettant ainsi de situer la culture par rapport à sa courbe critique de dilution de l’azote (Tei et al., 2001 ; Lemaire et Gastal, 1996 ; le Bot et al., 1995) ou à un autre référentiel (Beaufils, 1973). Ces méthodes de gestion de la fertilisation présentent plusieurs limites en milieu tropical. Dans le cas des interprétations à partir des indicateurs sol, l’incertitude est principalement liée à la variation temporelle des teneurs en azote minéral du sol en relation avec le lessivage qui a un poids important en milieu tropical humide. Les interprétations à partir des analyses d’organes des plantes se heurtent, pour leur part, à la difficulté de se rapporter à un référentiel des besoins critiques dans le cas de cultures tropicales, peu étudiées. Pour les milieux tempérés, l’utilisation des référentiels « plante » a été facilité par la généralisation des courbes critiques de dilution de l’azote en fonction des plantes en C3 et C4 (Greenwood et al, 1990 ; Le Bot, 1995 ; Lemaire et Gastal, 1996). D’autres auteurs (Beaufils, 1973 ; Lopes, 1998 ; Hallmark et Beverly, 1991; Walworth et Sumner, 1987), ont mis au point un référentiel des analyses plante pour les cultures fruitières, appelé DRIS « Diagnosis and Recommandation Integrated System ». Ce référentiel, utilisé aux Etats-Unis, au Canada et en Chine, repose sur l’évaluation des proportions respectives des différents nutriments dans la plante, et permet d’en faire un diagnostic (excès, déficiences) sans se référer au bilan nutritionnel général. Cependant, cette méthode, sensible à la maturation des tissus et à l’âge de la culture, a une valeur générique limitée (Baldock et Schulte, 1996).
L’absorption de l’azote par la plante
Les travaux des physiologistes (Montagut et Martin-Prével, 1965 ; Martin Prével et Montagut, 1966) ont montré que le prélèvement des éléments minéraux par le bananier est plus élevé durant le premier cycle de culture. Pour les cycles suivants, les besoins nutritifs « globaux » des rejets en croissance (Fig.3) sont identiques à ceux de la plante en premier cycle, mais pourraient être comblés par d’autres sources autre que le sol, notamment par les transferts d’azote de la plante mère vers le rejet et par les restitutions des résidus de culture. Feller et al. (1986) et Chotte et al. (1994) soulignent à ce titre que dans les sols tropicaux pauvres en matière organique, une part prépondérante de l’azote biodisponible provient de la minéralisation du pool organique du sol alimenté par les résidus de culture. En règle générale on estime ainsi, que les deux tiers de l’azote de la plante proviennent de la matière organique du sol, le tiers restant étant fourni par l’engrais. Montagut et Martin-Prével (1965) et Martin Prével et Montagut (1966) montrent par ailleurs, à partir des bilans comparés d’azote et de matière sèche, que le bulbe (organe de stockage chez certains végétaux) ne contient jamais plus de 15% de l’azote du bananier, et ainsi ne joue à aucun moment de la vie végétative le rôle de réserve d’azote dans laquelle s’accumuleraient des excédents que les organes aériens pourraient puiser. Ainsi, l’absorption d’azote chez le bananier est strictement proportionnelle à ses besoins en croissance durant le cycle. L’absorption est également conditionnée par les modalités de prospection racinaire du bananier, avec 90 % des racines qui s’étendent latéralement jusqu’à un mètre de la plante et 70% de la biomasse racinaire totale confinée dans les 20-40 premiers centimètres du sol (Champion et Sioussaram, 1970 ; Lassoudière, 1978 ; Lecompte et al., 2001 ; Lecompte, et al., 2002). Cet enracinement superficiel à développement latéral serait propice à la valorisation des nutriments issus de la décomposition des résidus de cultures placés dans les inter-rangs des parcelles, mais serait incapable d’absorber les nitrates lessivés à plus de 60 centimètres.
Lixiviation et ruissellement en milieu tropical humide
Les sols ferrugineux tropicaux sont soumis à des pluies de forte intensités qui sont vecteurs de ruissellement, de drainage et d’érosion et donc de déperdition des éléments nutritifs présents dans le sol ou apportés par les engrais. Les risques importants de pertes en nitrates par 20 lixiviation et ruissellement sous bananeraie ont été évalués sur différents types de sol en zone tropicale (vertisol, sol brun, sol ferralitique, andosol) (Roose, 1968 ; Godefroy et Marin 1969 ; Godefroy et Guillemot 1975 ; Godefroy et al, 1983 ; Godefroy et al, 1989 ; Yao, 1989 ; Godefroy et Dormoy 1990). Pour les sols bruns à halloysite, les auteurs montrent que pour un apport de l’ordre de 400 kg N. ha-1.an-1, les pertes en azote estimées par ruissellement et drainage seraient comprises entre 200 kg N ha-1.an-1 et 300 kg N ha-1.an-1. Ces pertes importantes seraient essentiellement liées à la redistribution de la pluie par le couvert, puisqu’il y a une multiplication par 20 de la valeur et de l’intensité de la pluie sur une surface équivalente à la base du faux tronc (Bussière et al., soumis), où sont apportés les engrais en couronne. L’écoulement localisé mais vigoureux de la pluie le long du pseudotronc au cours d’une partie du cycle, est capable d’entraîner des agrégats millimétriques, et des solutés adsorbables loin de leur position initiale (Gouyer, 2001). Cattan et al. (2005) montrent ainsi qu’au sein d’une bananeraie bien couvrante et pour une infiltrabilité du sol de 30 mm/h, 60% des pluies sont en mesure de provoquer du ruissellement. Ces valeurs évoluent au cours du cycle puisque l’interception de la pluie augmente avec l’indice de surface foliaire au cours du développement de la culture. Ainsi, pour des parcelles de bananier de la variété « Grande naine », plantées avec une densité de 1800 plants ha-1, les hauteurs d’eau du stemflow peuvent représenter jusqu’à 52 fois la pluie incidente, avant le stade de floraison des bananiers et jusqu’à 82 fois la pluie incidente au stade de fructification (Nouvellon, 1999 ; Cattan et al., 2005). Il convient de noter par ailleurs que les travaux de Sansoulet (2004) montrent que les sols à allophanes à charges variables peuvent retenir les nitrates dans les horizons sous-superficiels et ainsi limiter les pertes d’azote par lixiviation (30% de l’apport d’engrais) alors que les pertes de potassium étaient de l’ordre de 70% de l’apport. Bien que ces propriétés n’aient pas été démontrées dans le cas des sols bruns à halloysite expérimentés dans ce travail, la présence importante d’oxyhydroxydes en profondeur (Khamsouk, 2001) suppose l’existence de tels processus.
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Table des matières
SOMMAIRE
AVANT PROPOS
LISTE DES FIGURES
I INTRODUCTION GENERALE ET PROBLEMATIQUE
I.1 CONTEXTE SOCIO-ECONOMIQUE
I.2 SYNTHESE BIBLIOGRAPHIQUE
I.2.1 LE CONCEPT DU BILAN DE L’AZOTE
I.2.2 LE CYCLE DE L’AZOTE EN ZONE TROPICALE HUMIDE
I.2.2.1 Particularités de la culture bananière
I.2.2.2 L’absorption de l’azote par la plante
I.2.2.3 La décomposition des résidus de culture
I.2.2.4 Lixiviation et ruissellement en milieu tropical humide
I.2.2.5 Minéralisation de la matière organique du sol
I.2.2.6 Volatilisation
I.2.2.7 Dénitrification
I.3 OBJECTIFS ET STRATEGIE DE RECHERCHE
I.3.1 OBJECTIFS SCIENTIFIQUES
I.3.2 HYPOTHESES DE RECHERCHE
I.3.3 DEMARCHE GENERALE
II LES TERMES DU BILAN D’AZOTE : DEMARCHE ET PRINCIPAUX RESULTATS
II.1 SITE EXPERIMENTAL
II.1.1 Caractéristiques générales
II.1.2 LE SOL BRUN ROUILLE A HALLOYSITE
II.2 DYNAMIQUE D’ABSORPTION DE L’AZOTE PAR LA CULTURE
II.2.1 RESUME
II.2.2 MATERIAL AND METHODS
II.2.3 RESULTS
II.2.4 CONCLUSION
II.3 EFFICACITE DE L’ENGRAIS
II.3.1 RESUME EN FRANÇAIS
II.3.2 MATERIAL AND METHODS
II.3.3 RESULTS
1I.2 DECOMPOSITION DES RESIDUS DE CULTURE
I1.2.1 DÉMARCHE EXPÉRIMENTALE
I1.2.2 RESULTATS ET DISCUSSION
II.3.3.1 Caractéristiques biochimiques des résidus de bananiers
II.3.3.2 Cinétique de décomposition et apport d’azote potentiel au système
II.3.3.3 Modélisation de la minéralisation des résidus de bananier par le sous-module de STICS
II.3.3.4 Alimentation de la plante à partir de l’azote issu de la décomposition des résidus
II.3.4 CONCLUSION
II.4 LES PERTES D’AZOTE PAR LIXIVIATION ET RUISSELLEMENT
II.4.1 DEMARCHE EXPERIMENTALE
II.4.2 RESULTATS ET DISCUSSION
II.4.2.1 Bilan des entrées et des sorties d’eau au cours du cycle cultural
II.4.2.2 Drainage et lixiviation en fonction des positions sur la parcelle
II.4.2.3 Relations volume drainé/nitrates lixiviés
II.4.2.4 Concentrations de nitrates dans les eaux de drainage
II.4.3 DISCUSSION
II.4.4 CONCLUSION
III DISCUSSION GENERALE: BILAN DE L’AZOTE EN BANANERAIE
III.1 BILAN DE L’AZOTE
III.2 DISCUSSION DU BILAN
III.3 CONCLUSION : EXTRAPOLATION A UNE GESTION BASEE SUR LE SCP
III.4 BILAN SUR 5 ANS
III.5 PRODUIRE LA BANANE AUTREMENT
IV CONCLUSION ET PERSPECTIVES
BIBLIOGRAPHIE
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