Le cycle de la matière interstellaire
Le milieu interstellaire est extrêmement dynamique et en perpétuelle évolution: la matière interstellaire y est sans cesse recyclée et participe ainsi à l’évolution de la Galaxie. Le cycle de la matière est étroitement lié à celui des étoiles. De nouvelles étoiles se forment par condensation et fragmentation des nuages froids et denses tandis que des étoiles en fin de vie rejettent une partie de leur matière dans l’espace interstellaire et enrichissent ainsi le milieu en éléments lourds, formés lors de la nucléosynthèse. Cette matière, condensée dans les nuages moléculaires, sera à son tour le point de départ de la formation de nouvelles générations d’étoiles. Dans le cycle de la matière interstellaire, les étoiles constituent ainsi un point clé. Pourtant, même si les grandes étapes de la formation stellaire sont connues, beaucoup de détails en demeurent encore incompris, notamment les toutes premières phases précédant la formation des étoiles. L’étude du processus d’évolution des nuages moléculaires denses permet de mieux comprendre ces premières étapes. Ce processus d’évolution s’accompagne de grands changements des propriétés physico-chimiques du gaz et des grains et modifie également les interactions existant entre ces deux composantes (cf. le cycle des poussières 1.4.2). Mieux comprendre les premières phases de la formation stellaire nécessite donc de caractériser les propriétés et les processus d’évolution des nuages denses.
La formation des étoiles de faible masse
Notre connaissance de la physique des cœurs pré-stellaires reste encore essentiellement basée sur des études théoriques (Shu et al., 1987, Ciolek et Mouschovias, 1995). Le scénario standard de formation d’étoiles de faible masse est décrit par Shu, Adams et Lizano (1987). Il se base sur la contraction gravitationnelle spontanée d’une sphère isotherme isolée. Dans ce schéma habituellement admis pour la formation d’étoile ‘isolée’, on pense que la toute première étape consiste en la formation d’un coeur dense, sans étoile enfouie, et gravitationnellement lié (Myers 1999). La force de gravitation est supposée compensée par les forces de pression d’origine magnétique et/ou turbulente (Ward-Thomson et al. 1994). Le nuage pré stellaire évolue ensuite lentement, via la diffusion ambipolaire (Mouschovias 1991) et/ou la dissipation de turbulence (Nakano 1998), vers des degrés de condensation plus importants, jusqu’à ce qu’il devienne instable gravitationnellement pour s’effondrer et former une protoétoile (objet de classe 0, André et al. 1993). Ces premières étapes vont probablement fortement influencer la suite du processus de la formation stellaire, notamment la fragmentation, le taux d’accrétion, et la masse de la future étoile (Foster et Chevalier 1993, Henriksen et al. 1997, Bacmann et al. 2000).
Au cœur de l’effondrement du nuage, la conservation du moment angulaire impose un mouvement global de rotation du globule pré-stellaire. Avant de s’agglomérer sur la future étoile, la matière forme un disque, appelée disque proto-planétaire. C’est au sein de ce disque que se formeront les futures planètes. La formation d’un système planétaire est donc reliée aux conditions de formation des étoiles. En ce sens, la connaissance de la formation des étoiles constitue un pas vers la compréhension de l’apparition de la vie sur les planètes.
Quelques unes des questions qui restent en suspens …
Lors du processus de formation stellaire, l’effondrement du nuage sous son propre poids entre en compétition avec des processus qui peuvent ralentir ou empêcher l’effondrement : la turbulence du milieu, son champ magnétique et sa pression thermique. L’une des questions phare de l’astrophysique des régions de formation d’étoiles demeure : quelles sont les conditions physiques qui déclenchent ou inhibent l’effondrement gravitationnel ? Deux écoles s’affrontent sur l’importance du champ magnétique dans les processus de formation stellaire : pour certains le champ magnétique est le paramètre crucial qui va réguler le processus d’effondrement, pour d’autres l’influence du champ magnétique serait mineure, alors que la turbulence jouerait un rôle déterminant (Larson, 1981, Mac Low et Klessen, 2004).
La turbulence
La turbulence semble jouer un rôle important dans la structure et l’évolution des nuages moléculaires, depuis la formation des cœurs pré-stellaires jusqu’à l’effondrement et la fragmentation des cœurs denses conduisant à la formation d’étoiles (pour une revue sur les processus de formation stellaire et l’impact de la turbulence, se référer à Mac Low et Klessen, 2004). Des vastes complexes de nuages moléculaires (∼10² pc, ∼ 10⁶ Msol) jusqu’aux plus petites structures observables (∼10⁻² pc, ∼ 10⁻⁴M sol), il existe des relations communes liant notamment la taille des structures à leur masse, mais aussi à leur dispersion de vitesse interne. Ces relations sont donc valables à plusieurs échelles différentes et suggèrent la possibilité que le milieu ait une structure fractale (e.g. Elmegreen et Falgarone, 1996). Les observations de telles structures dans le MIS suggèrent l’existence de la turbulence mais n’en fournissent pas une preuve irrécusable. Les simulations numériques de turbulence en présence de gravité (avec un champ magnétique faible) semblent bien reproduire le spectre de masse observé des coeurs denses. On pense que la turbulence permettrait de stabiliser des échelles instables gravitationnellement (Bonazzola et al. 1987, Klessen et al. 2000).
Le champ magnétique
Le champ magnétique a également un effet complexe sur la stabilité, l’effondrement et la fragmentation des nuages. Son flux est une source de support qui peut empêcher l’effondrement du nuage sur l’échelle de temps de la chute libre (Tfree-fall ∼ 10⁵ ans pour un cœur dense typique). La densité requise pour que l’effondrement gravitationnel puisse se produire dépend du rapport entre la masse de la condensation et son flux magnétique. Le degré d’ionisation du nuage va déterminer l’importance du support magnétique. Dans les nuages faiblement ionisés tels que les coeurs denses, l’instabilité peut se produire quand le flux du champ magnétique va s’affaiblir graduellement par le mécanisme de diffusionambipolaire : les ions sont maintenus par le champ B mais ne sont pas assez nombreux pour empêcher les neutres de dériver vers le centre du nuage. Le nuage pourra alors se contracter sous son propre poids pour former un cœur dense. L’augmentation de la densité du cœur est reliée au temps caractéristique de la diffusion ambipolaire, lui-même directement relié au degré d’ionisation du milieu. Les propriétés des grains interstellaires vont affecter le temps caractéristique de la diffusion ambipolaire : les grains jouent un rôle très important sur l’ionisation du milieu, par leur impact sur la chimie du milieu. En outre, dans les nuages denses, la plupart des grains sont chargés et vont donc être fortement couplés au champ magnétique.
Processus de refroidissement du milieu
Pour que le processus de gravité l’emporte, le gaz en phase d’effondrement doit évacuer la pression thermique due au réchauffement du milieu. Pour cela, il doit transformer cette pression (dû au mouvement aléatoire des molécules dans le gaz), en rayonnement qui lui, sera capable de s’échapper du nuage. L’énergie peut être évacuée grâce au rayonnement submillimétrique des molécules et de la poussière.
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Table des matières
INTRODUCTION GENERALE
CONTEXTE DE RECHERCHE
PRESENTATION DE LA THESE
CHAPITRE 1 INTRODUCTION
1.1 LE MILIEU INTERSTELLAIRE
1.1.1 Généralités
1.1.2 Les phases du MIS
1.1.2.1 Le milieu HI
1.1.2.2 Le milieu moléculaire
1.1.2.3 Le milieu HII
1.2 LE CYCLE DE LA MATIERE INTERSTELLAIRE
1.3 LA FORMATION DES ETOILES DE FAIBLE MASSE
1.3.1 Quelques unes des questions qui restent en suspens
1.3.1.1 La turbulence
1.3.1.2 Le champ magnétique
1.3.2 Processus de refroidissement du milieu
1.3.2.1 Refroidissement par rayonnement des molécules
1.3.2.2 Refroidissement par rayonnement des poussières
1.3.3 Le rôle important de l’interaction entre gaz et grains
1.3.4 Moyens d’études observationnelles des cœurs pré-stellaires
1.4 LES GRAINS DE POUSSIERES INTERSTELLAIRES
1.4.1 La découverte de la poussière interstellaire
1.4.2 Le cycle de la poussière interstellaire
1.4.3 L’importance du rôle des grains interstellaires
1.5 OBSERVATION ET MODELISATION DES GRAINS
1.5.1 Abondance des éléments
1.5.1.1 Abondance cosmique
1.5.1.2 Déplétion des éléments en phase gazeuse
1.5.1.3 Abondance des éléments dans les grains
1.5.2 Extinction de la lumière par les grains interstellaires
1.5.3 L’émission Galactique moyenne à grande échelle
1.5.4 La diffusion
1.5.4.1 Diffusion de la lumière visible et du rayonnement UV
1.5.4.2 Diffusion par les rayons X
1.5.5 Polarisation des grains
1.5.6 Récolte de grains interstellaires et observations in-situ
1.5.7 Evolution des propriétés des grains des milieux diffus vers les milieux denses et froids
1.5.7.1 Condensation des molécules à la surface des grains
1.5.7.2 Temps d’accrétion d’une molécule à la surface d’un grain
1.5.7.3 Le processus d’agglomération
1.5.7.4 Variation intrinsèque de l’émissivité des grains
1.5.8 Les modèles de grains
1.5.8.1 Le coefficient d’absorption massique des grains
1.5.8.2 Les modèles de grains du MIS diffus
1.5.8.3 Modèles de grains valables dans les environnements froids
1.5.8.4 Les approximations de ces modèles
1.5.8.5 Les contraintes observationnelles marquantes que ces modèles ne prennent pas en compte
1.6 OBJECTIFS DE CETTE THESE
CHAPITRE 2 MODELES D’EMISSION SUBMILLIMETRIQUE DES GRAINS
2.1 INTRODUCTION AUX PROPRIETES D’EMISSION SUBMILLIMETRIQUE DES GRAINS
2.1.1 Propriétés optiques des grains
2.1.2 La théorie de Mie
2.1.3 Propriétés d’absorption et d’émission des grains
2.1.4 Modèles classiques pour l’émission submillimétrique des grains
2.1.4.1 Le modèle classique
2.1.4.2 Modèle de Lorentz – milieu diélectrique
2.1.4.3 Modèle de Drude- matériau conducteur et semi-conducteur
2.1.5 Une approche quantique de l’absorption du réseau
2.1.5.1 Notion de phonon
2.1.5.2 Le processus mono-phonon
2.1.5.3 Les processus multi-phonons
2.1.6 Conclusions
2.2 LES DONNEES DE L’OBSERVATION
2.2.1 PRONAOS
2.2.1.1 Objectifs scientifiques et description
2.2.1.2 L’anti-corrélation T-β observée par PRONAOS
2.2.2 FIRAS (Far Infrared Absolute Photometer)
2.2.2.1 L’instrument FIRAS du satellite COBE
2.2.2.2 L’excès submillimétrique et son interprétation
2.2.3 Conclusions
2.3 CONTRIBUTION A L’INTERPRETATION DE L’EMISSION SUBMILLIMETRIQUE DES GRAINS
2.3.1 Absorption submillimétrique des matériaux amorphes
2.3.2 Une modélisation du désordre : le modèle de Schlömann
2.3.2.1 Historique
2.3.2.2 Expression générale de l’absorption d’un solide amorphe
2.3.2.3 Le modèle de Schlömann
2.3.2.4 Expression de l’absorption
2.3.2.5 Dépendance fréquentielle de l’absorption
2.3.3 Le modèle TLS
2.3.3.1 Génèse
2.3.3.2 Description théorique
2.3.3.3 Une compréhension « intuitive » des systèmes à deux niveaux
2.3.3.4 Description quantique du système TLS
2.3.3.5 Paramètres physiques du modèle TLS
2.3.3.6 Réponse du système à deux niveaux à un champ externe
2.3.3.7 L’absorption résonnante
2.3.3.8 Les processus de relaxation
2.3.3.9 La densité d’états pondérée TLS
2.3.3.10 Interprétations phénoménologiques
2.3.3.11 Limitations du modèle
2.4 CONFRONTATION AUX DONNEES DE L’OBSERVATION
2.4.1 Philosophie du modèle
2.4.2 Absorption comparée des différents processus du modèle « Schlömann-TLS »
2.4.3 Modélisation de l’anti-corrélation indice spectral /température
2.4.3.1 Considérations sur le choix des paramètres libres
2.4.3.2 Simulation de l’anticorrélation T-β PRONAOS
2.4.3.3 Discussion des résultats
2.4.4 Modélisation de l’excès d’émission millimétrique
2.4.4.1 Choix des paramètres d’ajustement
2.4.4.2 Modélisation du spectre d’émission Galactique
2.4.4.3 Effet de la température
2.4.4.4 Discussion des résultats
2.4.5 Développement du modèle
2.5 CONCLUSIONS ET PERSPECTIVES
CHAPITRE 3 DEPENDANCE EN TEMPERATURE DU COEFFICIENT D’ABSORPTION DE GRAINS SILICATES AMORPHES DANS LE DOMAINE SUBMILLIMETRIQUE
3.1 INTRODUCTION
3.1.1 Contexte de recherche
3.1.2 Objectifs de cette étude
3.2 MATERIAUX ETUDIES
3.2.1 Quels types de matériaux étudier ?
3.2.2 Structure des silicates
3.2.2.1 La structure des silicates
3.2.2.2 Les composés amorphes
3.2.3 Caractéristiques chimiques de la silice : influence de l’adsorption d’eau sur les propriétés optiques des silicates
3.2.3.1 Influence du processus d’adsorption sur les propriétés d’absorption des matériaux
3.2.3.2 Physisorption et chimisorption de l’eau
3.2.3.3 Les différents types de groupements OH
3.2.4 Nature des composés étudiés
3.2.4.1 La silice amorphe SiO2
3.2.4.2 Composés silicatés MgSiO3
3.3 LES METHODES DE MESURES UTILISEES
3.3.1 Mesures des propriétés optiques à grande longueur d’onde
3.3.2 Mesures de transmission par Spectrométrie à Transformée de Fourier (FTS)
3.3.3 Le spectromètre
3.3.4 Le cryostat
3.3.5 Le détecteur submillimétrique : le bolomètre
3.4 LA PREPARATION DES ECHANTILLONS
3.4.1 Un support pour le matériau : la matrice
3.4.2 Préparation des pastilles dans le support PE : protocole expérimental
3.4.3 Une alternative au PE : l’eicosane
3.5 LES TRAVAUX SCIENTIFIQUES PRECEDENTS
3.5.1 Les travaux d’Agladze et al
3.5.2 Les travaux de Mennella et al
3.5.3 Les travaux de Bösch
3.6 ACQUISITION ET TRAITEMENT DES DONNEES
3.6.1 Difficultés des mesures de transmission à grande longueur d’onde et basses températures
3.6.2 Déroulement typique d’une séance de mesures
3.6.3 Traitement des données
3.6.3.1 Correction des spectres de transmission
3.6.3.2 Calcul du coefficient d’absorption massique
3.6.3.3 Coefficient d’absorption dans un milieu composite : « effective medium theory»
3.6.3.4 Cassure dans la loi d’absorption des échantillons
3.7 PRESENTATION DES RESULTATS
3.7.1 Comportement global des échantillons
3.7.2 Variation de la loi d’absorption avec la température
3.7.3 Variation de la loi d’absorption avec la fréquence
3.7.4 Comparaison avec les données PRONAOS
3.7.5 Comparaison avec les résultats expérimentaux précédents
3.7.6 Premiers résultats sur des échantillons amorphes recuits
CONCLUSION