Le cuivre : propriétés et utilisations
Propriétés biologiques et profils toxicologique et écotoxicologique du cuivre
Le cuivre est un élément important pour les systèmes biologiques. Constituant vital impliqué dans le transport des électrons et donc dans le métabolisme énergétique, il est aussi doté de propriétés antimicrobiennes. Un consensus se dégage aujourd’hui pour penser que la gestion par l’hôte de l’homéostasie du cuivre, entre composant vital et poison cellulaire, est utilisée par de nombreux organismes pour réguler les infections microbiennes. Ces propriétés antimicrobiennes du cuivre génèrent diverses applications en santé humaine, animale et végétale.
Les formulations à base de cuivre
Pour ces utilisations sanitaires, le cuivre est principalement employé sous forme ionique, dans des formulations à base de sels de cuivre (sulfate ou hydroxyde) combinés à divers adjuvants. La bouillie bordelaise (sulfate de cuivre + chaux) est emblématique de ce type de formulation. Ces produits sont généralement utilisés en pulvérisation sur les parties aériennes de la culture ; ils peuvent aussi être employés en traitement des semences (pour les céréales) ou en application locale (badigeon sur les plaies des arbres). Les mécanismes précis d’action biocide du cuivre sur les microorganismes restent à ce jour incomplètement élucidés, mais plusieurs hypothèses (fuites d’électrolytes via la membrane cellulaire, stress oxydant, perturbation de la balance ionique, voire chélations sur les sites actifs de protéines bloquant leur fonctionnement normal) ont pu être avancées. Plus récemment, sont apparus des emplois du cuivre sous forme de nanoparticules à base d’oxydes de cuivre (nano-CuO et nano-CuCO3), qui peuvent être incorporées à différents supports (textiles…). Leur utilisation comme biocides pour le traitement des bois et des produits dérivés du bois, contre les champignons et insectes responsables de biodégradation, se développe.
L’accumulation dans les sols
La concentration en cuivre varie de 3 à 100 mg/kg dans les sols naturels, selon le substrat sous-jacent et le type de sol, et entre 5 et 30-45 mg/kg dans les sols agricoles non pollués. Dans ceuxci, la teneur en cuivre de la solution du sol est généralement très basse (de l’ordre de 1 à 10 μM selon les types de sols), une fraction importante du cuivre étant retenue sur les matrices argilo-humiques. Les activités humaines, et en particulier l’application répétée de pesticides à base de cuivre, sont la principale source de pollution cuivrique des sols agricoles, où elles causent une accumulation parfois massive de cet élément dans les horizons superficiels (Figure 1). En Europe, l’application quasi-ininterrompue de bouillie bordelaise pour lutter contre le mildiou a ainsi très fortement accru les teneurs en cuivre des sols viticoles, jusqu’à des valeurs pouvant atteindre 200, voire 500 mg/kg.
La phytotoxicité pour les cultures
Des concentrations excédentaires en cuivre ont des effets nocifs reconnus sur la croissance et le développement des systèmes aérien et racinaire de la plupart des plantes, dont elles réduisent la biomasse totale. Certaines espèces ou familles, en particulier les légumineuses, la vigne, le houblon ou les céréales, sont particulièrement affectées. La toxicité du cuivre est directement reliée à la biodisponibilité des ions cuivriques. Les concentrationsmédianes toxiques pour les plantes sont de seulement 2 µM en solution nutritive. Une part importante de l’effet toxique provient de l’inhibition de la photosynthèse et de la dégradation des chloroplastes, se traduisant par une chlorose plus ou moins sévère. Perturbant le métabolisme oxydatif de la plante, le cuivre en excès induit également les défenses générales de la plante, qui ont un coût métabolique.
Les applications de cuivre ont aussi une incidence sur la composition et donc la qualité des produits récoltés. Ainsi, par exemple, elles réduisent la teneur en polyphénols et donc les propriétés anti-oxydantes des feuilles d’olivier, et modifient la concentration et l’équilibre en composés aromatiques des cônes de houblon. Des travaux scientifiques conduits dans les années 1990 sur différentes espèces végétales occupant des sites miniers fortement contaminés ont établi qu’il existait chez ces espèces une base génétique exploitable pour accroître la tolérance des végétaux à des excès demétaux lourds, et exploitable en bio-remédiation de sols pollués. A notre connaissance, cette capacité de tolérance au cuivre n’a toutefois pas fait l’objet de sélection par les obtenteurs de variétés chez les espèces d’intérêt agricole.
L’écotoxicité
Les effets délétères d’excès en cuivre sur les communautés microbiennes des sols semblent bien établis. C’est d’ailleurs du fait de ses effets antimicrobiens que le cuivre est employé en agriculture. Champignons et bactéries étant souvent impliqués dans les chaînes trophiques et le bouclage des cycles biogéochimiques, il n’est donc guère surprenant que la perturbation de ces communautés microbiennes dans les sols puisse conduire à un appauvrissement des ressources localement disponibles pour d’autres organismes consommateurs. La toxicité du cuivre pour certaines composantes de la faune du sol, comme le collembole Folsomia candida, est également bien établie. Les impacts sont plus controversés pour d’autres espèces indicatrices, en particulier les vers de terre. Les estimations des concentrations de cuivre létales pour les vers adultes diffèrent : certains travaux montrent des surmortalités significatives pour des concentrations de 150 mg/kg de sol, alors que d’autres ne détectent aucun effet à ces teneurs. Le cuivre semble avoir une faible toxicité aigüe pour l’espèce-test de ver de terre Eisenia foetida, avec des concentrations létales 50% (CL 50) supérieures à 5 500 mg/kg de sol sec en conditions de laboratoire. A des teneurs plus faibles, une toxicité chronique pour les vers de terre est souvent observée : retard à la maturité sexuelle, diminution du nombre de cocons et du taux d’éclosion. De plus, des doses même sans impact mesurable sur ces paramètres du cycle de vie ont des effets notables sur la physiologie des vers. Il est donc raisonnable de penser que les pollutions cupriques des sols ont des effets chroniques de long terme sur la dynamique des populations de vers de terre et d’autres composantes de la faune des sols importantes pour l’entretien des structures de ces sols et le bouclage des cycles biogéochimiques. Enfin, les applications de cuivre sont toxiques pour des espèces fongiques utilisées comme agents de biocontrôle (par exemple Beauveria bassiana, employé contre des insectes ravageurs).
Les nanoparticules contenant du cuivre s’avèrent également toxiques pour le système plante-sol, sans qu’il soit encore clair si cette toxicité est liée aux nanoparticules elles-mêmes ou au relargage d’ions cuivriques. Les effets sur les plantes sont similaires à ceux d’une hyper-accumulation d’ions dans le sol : réduction forte de croissance des plantes exposées et modification de la balance ionique des tissus végétaux. Les effets sur le compartiment microbien des sols (généralement attribués à la libération d’ions cuivriques) restent encore peu caractérisés, mais ils sont avérés : réductions de la diversité microbienne, de composantes des communautés bactériennes telluriques favorables à la croissance des plantes, ou de l’assimilation du fer par les végétaux et lesmicrobes. Par ailleurs, il semble que ces nanoparticules affectent fortement d’autres compartiments environnementaux, en particulier les milieux aquatiques : poissons, crustacés et algues paraissent en effet plus sensibles que les bactéries du sol à la toxicité des nanoparticules à base d’oxydes de cuivre.
Les utilisations du cuivre en protection des cultures
Les usages homologués
Le cuivre est homologué en protection des plantes contre diverses maladies, en particulier les mildious, différentes mycoses, mais aussi diverses bactérioses, en particulier sur vigne, productions fruitières et cultures légumières (Tableau 1).
– En cultures pérennes, les usages homologués du cuivre concernent des maladies fongiques et des bactérioses, qui affectent la vigne et des cultures de fruits à pépins, à noyau ou à coque. Des applications de cuivre sont parfois également réalisées contre des maladies sur lesquelles ces produits ne sont pas homologués, notamment la moniliose des fleurs de l’abricotier ou le black rot de la vigne.
– En cultures maraîchères, le cuivre est également homologué contre des maladies fongiques et des bactérioses, pour une douzaine de cultures, appartenant à diverses familles botaniques.
– En grandes cultures, les usages homologués du cuivre sont limités à la lutte contre le mildiou de la pomme de terre, et contre quelques maladies fongiques du blé et du seigle transmises par les semences.
– Enfin, le cuivre est homologué contre diverses maladies fongiques qui affectent des plantes à parfum, aromatiques et médicinales (PPAM), des espèces ornementales et des cultures porte-graine, ou qui se développent sur les plaies du bois.
La dose maximale d’homologation des préparations à base de cuivre est actuellement de 6 kg de cuivre métal/ha/an. Les doses préconisées par le conseil technique aux producteurs peuvent être sensiblement inférieures à cette limite maximale.
Les agents pathogènes ciblés
Les microorganismes pathogènes ciblés par les usages phytosanitaires du cuivre appartiennent à trois grands groupes, dont la biologie détermine les conditions de développement de la maladie et les moyens de lutte applicables. Ce sont :
– des ascomycètes (tavelure du pommier…), champignons qui présentent à la fois une reproduction sexuée (produisant des périthèces qui se conservent en hiver dans les feuilles mortes infectées, et d’où sortiront des ascospores responsables de l’infection primaire au printemps) et une reproduction asexuée (produisant sur les organes aériens de la plante des conidies, dont la dissémination assure les infections secondaires jusqu’à l’automne) ;
– des oomycètes (mildious), longtemps classés comme groupe proche des champignons dont ils se distinguent par des hyphes non cloisonnés, un génome diploïde et la présence de spores nageuses (zoosposres), mais qui présentent un cycle biologique similaire ;
– des bactéries, organismes procaryotes et à multiplication très majoritairement asexuée, et pénétrant dans la plante le plus souvent par des ouvertures naturelles (stomates, lenticelles, blessures) et non via des structures spécialisées.
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Table des matières
Introduction
1. Eléments de contexte
1.1. Le cuivre : propriétés et utilisations
1.2. Les alternatives au cuivre : nature et réglementation
2. Les méthodes alternatives à l’usage du cuivre
2.1. Les préparations naturelles biocides
2.2. Les agents microbiologiques de biocontrôle
2.3. Les résistances variétales
2.4. Les stimulateurs des défenses naturelles des plantes
2.5. L’isothérapie, les préparations homéopathiques et biodynamiques
3. La gestion agronomique des risques phytosanitaires
3.1. Les méthodes prophylactiques
3.2. La protection physique contre les infections
3.3. La conduite des plantes et des couverts
3.4. Eléments de conclusion
4. L’insertion des leviers et pratiques alternatifs dans des systèmes intégrés de protection
4.1. Les évaluations et comparaisons de systèmes de culture
4.2. Les stratégies d’acteurs, la mise à disposition et l’acceptabilité des innovations
4.3. Eléments de conclusion
5. Conclusions générales
Sélection bibliographique
Annexe. Le corpus bibliographique analysé
Auteurs et éditeurs de l’expertise