Le foie est un organe essentiel de notre organisme, il assure de nombreuses fonctions vitales : métabolisme, production d’énergie et de sucs, filtration du sang… Un dysfonctionnement hépatique est de ce fait lourd en conséquences sur la santé. Or, de nombreuses maladies touchant cet organe ne disposent pas de traitement efficace. Ceci est notamment dû à l’insuffisance de l’accumulation des agents thérapeutiques dans les cellules affectée, ainsi que leur manque de spécificité, entraînant des effets secondaires. Une solution séduisante à ce problème est le ciblage des agents thérapeutiques vers la cible biologique d’intérêt, dans le but de localiser leur action : c’est ce qu’on appelle la vectorisation. Face à l’augmentation continuelle de l’incidence des maladies hépatiques, la recherche d’un système de ciblage des hépatocytes, cellules composant majoritairement le foie, est urgente.
Le ciblage des hépatocytes est facilité par la forte irrigation du foie, la perméabilité des vaisseaux alimentant cet organe et le fort niveau d’expression de transporteurs et récepteurs à la surface de ces cellules. En particulier, le récepteur aux asialoglycoprotéines, dit ASGP-R, suscite un intérêt croissant. L’ASGP-R est abondamment et presque exclusivement exprimé à la surface des hépatocytes, ce qui garantit une vectorisation efficace et sélective ces cellules. Cette protéine membranaire fait partie de la famille des lectines : elle reconnait avec une forte affinité et sélectivité des ligands portant des sucres, qu’elle internalise dans la cellule par endocytose. Le ciblage de lectines est une stratégie thérapeutique intéressante, notamment pour la vectorisation de médicaments. Il nécessite la conception de ligands, ou « vecteurs », de structure multivalente parfaitement adaptée à la géométrie de la lectine pour une affinité et une sélectivité de reconnaissance optimales. De nombreuses plateformes multivalentes développées à cet effet sont décrites dans la littérature.
Le cuivre et la maladie de Wilson
La maladie de Wilson : définition et épidémiologie
La maladie de Wilson est une maladie orpheline, caractérisée par une accumulation de cuivre (Cu) principalement dans le foie et le système nerveux central. Les patients sont atteints de symptômes hépatiques, neurologiques ou psychiatriques, mais les manifestations cliniques sont nombreuses et difficiles à interpréter. Cette maladie génétique autosomique récessive résulte d’une mutation portée par un chromosome non sexuel, appelé autosome. Elle touche donc autant les hommes que les femmes, et la mutation des deux allèles du gène est requise pour contracter la maladie : un individu hétérozygote ne portant qu’une seule mutation n’est donc pas affecté par la maladie .
Découverte en 1912 par Kinnier Wilson, le lien n’a été fait entre cette pathologie et une rupture de l’homéostasie du Cu qu’à partir des années 1940. Absorbé dans l’alimentation, le Cu est acheminé vers le foie où il est alors distribué au reste de l’organisme via la circulation sanguine ou éliminé vers les fèces en cas d’excès. Chez les sujets atteints de la maladie de Wilson, le foie est incapable d’évacuer le Cu. Ce métal libre toxique s’accumule alors et occasionne de sévères dommages non seulement sur les tissus hépatiques mais aussi sur le système nerveux central. La mutation responsable de cette pathologie a été identifiée en 1993. Elle touche le gène codant pour un transporteur de métaux, l’ATP7B, porté par le chromosome 13. Au sein de cellules hépatiques, cette protéine est responsable de l’excrétion du cuivre en cas d’excès et de son incorporation dans des protéines circulantes pour sa distribution au reste de l’organisme.
La maladie de Wilson est rare, elle affecte 1 individu sur 30 000 à 40 000 dans le monde, et la fréquence des hétérozygotes, porteurs d’un allèle muté, est de 1/90 naissances. En France, le nombre de nouveaux cas par an appelé incidence est estimé entre 1 / 30 000 à 1 / 100 000.
Biologie du cuivre et physiopathologie
Le Cu est présent dans tous les organismes vivants et participe à leur fonctionnement. Son homéostasie est finement régulée par des mécanismes impliquant diverses protéines œuvrant à son transport, son stockage et son acheminement spécifique vers diverses cibles biologiques. Le Cu est néanmoins responsable des dommages cellulaires observés dans la maladie de Wilson. Comprendre les mécanismes mis en œuvre pour sa régulation est donc primordial afin de traiter efficacement la pathologie.
Le cuivre et la vie
Le Cu est essentiel à la vie parce qu’il est impliqué en tant que cofacteur dans de nombreuses réactions enzymatiques. Par exemple il est utilisé dans chaque cellule de notre organisme par la cytochrome c oxydase (CcO) servant à la respiration ou encore la super oxyde dismutase (SOD1) intervenant dans la lutte contre le stress oxydant.
Le Cu est un métal de transition de configuration électronique [Ar] 3d 4s1 et de numéro atomique 29. Dans le corps, il oscille entre deux états d’oxydation : l’ion cuivrique Cu(II), et l’ion cuivreux Cu(I). Ces différents états d’oxydation lui confèrent des propriétés oxydo-réductrices, permettant son activité catalytique. Le Cu libre est toxique pour l’organisme parce qu’il catalyse des réactions de type Fenton formant les espèces réactives de l’oxygène comme HO● . Ces espèces réactives conduisent à la destruction des tissus par stress oxydant. De plus, il induit l’apoptose des cellules en inactivant la protéine anti-apoptotique XIAP (« X linked inhibitor of apoptosis »). Dans l’organisme, le Cu n’est donc pas sous forme libre mais il est incorporé à des macromolécules (figure 2). Il est transporté dans la circulation sous forme de complexes avec des protéines telles que l’albumine, la céruloplasmine, et des acides aminés comme l’histidine. Dans les cellules, il est transporté par des métallochaperonnes et piégé notamment par les métallothionéines. Les acides aminés impliqués dans la coordination du cuivre sont :
– les acides aminés soufrés, la cystéine (Cys) et la méthionine (Met),
– les acides aminés portant des fonctions amines, l’histidine (His) et la lysine (Lys),
– les acides aminés portant des fonctions carboxylates, avec le glutamate (Glu) et l’aspartate (Asp).
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Table des matières
INTRODUCTION
CHAPITRE I- VECTORISATION DE CHELATEURS DU CU(I) VERS LA LECTINE ASGP-R POUR LA DETOXICATION DU FOIE
I – Le cuivre et la maladie de Wilson
I.1) La maladie de Wilson : définition et épidémiologie
I.2) Biologie du cuivre et physiopathologie
I.2.a – Le cuivre et la vie
I.2.b – Métabolisme du cuivre
I.2.c – Physiopathologie de la maladie de Wilson
I.3) Diagnostic et symptômes
I.3.a – Manifestations cliniques
I.3.b – Paramètres biologiques
I.3.c – Diagnostic génétique
I.3.d – Mise en place du diagnostic
I.4) Traitements existants
I.4.a – Chélateurs de cuivre
I.4.b – Les sels de zinc
I.4.c – Transplantations hépatiques
I.4.d – Perspectives
II – Conception de nouveaux chélateurs du Cuivre intracellulaire
II.1) La stratégie de chélation du cuivre intracellulaire
II.2) Chélateurs du cuivre inspirés de métallochaperonnes : la famille CP
II.2.a – Les métallochaperonnes
II.2.b – Les chélateurs de la famille CP
II.3) Chélateurs du cuivre inspirés des métallothionéines : la famille T
II.3.a – Les métallothionéines
II.3.b – Les chélateurs de la famille T
III – Le récepteur aux asialoglycoprotéines est une cible de choix pour la vectorisation de médicaments vers le foie
III.1) La vectorisation de médicaments vers le foie : choix de la stratégie
III.1.a – Pourquoi vectoriser les chélateurs ?
III.1.b – Vectorisation passive ou active ?
III.1.c – L’internalisation par endocytose
III.1.d – L’ASGP-R est la cible idéale pour la vectorisation vers les hépatocytes
III.2) L’ASGP-R : une lectine de type C
III.2.a – Qu’est-ce qu’une lectine ?
III.2.b – La classification des lectines animales
III.2.c – Les lectines de type C
III.3) Structure et fonction de l’ASGP-R
III.3.a – Structure de l’ASGP-R
III.3.b – Fonction de l’ASGP-R
III.4) Les propriétés de reconnaissance de l’ASGP-R
III.4.a – Mécanismes de reconnaissance monovalente
III.4.b – Reconnaissance monovalente des résidus terminaux des ASGP
III.4.c – Mécanismes de reconnaissance multivalente
III.4.d – Reconnaissance multivalente des oligosaccharides portés par les ASGP
III.5) Ciblage des ASGP-R par des ligands synthétiques
III.5.a – Modifications des sucres
III.5.b – Conception de ligands multivalents
III.5.c – Sélectivité par rapport à d’autres lectines
III.5.d – Applications pour la vectorisation de molécules d’intérêt thérapeutique ou diagnostique vers les ASGP-R
IV – Approche appliquée à la maladie de Wilson
IV.1) Vectorisation d’un chélateur de la famille CP
IV.1.a – Une plateforme cyclodécapeptidique possédant deux faces régiosélectivement fonctionalisables
IV.1.b – Chel1 : un pro-chélateur du cuivre ciblé vers les hépatocytes
IV.1.c – Propriétés cellulaires de Chel1
IV.2) Vectorisation de chélateurs de la famille T
IV.2.a – Introductions d’unités de ciblage sur L2 et L4
IV.2.b – Propriétés de chélation du cuivre
V – Problématique
CHAPITRE II- LA CYTOMETRIE EN FLUX POUR L’ETUDE D’INTERNALISATION DES GLYCOCONJUGUES DANS LES HEPATOCYTES
I – Objectifs des travaux et démarche envisagée
I.1) Objectifs
I.2) Démarche
II – La cytométrie en flux
II.1) Principe et fonctionnement
II.1.a – Généralités
II.1.b – Les données collectées
II.1.c – Les réglages : voltages, régions, seuil et compensation
II.2) Présentation et analyse des résultats
II.3) Exemples d’applications
II.3.a – Méthode d’analyse du cycle cellulaire
II.3.b – Mesure de la viabilité cellulaire
II.3.c – Le tri cellulaire
II.3.d – Analyses de fonction cellulaires
III – Stratégie d’étude de l’internalisation des glycoconjugués par cytométrie en flux
III.1) Cytométrie en Flux pour l’étude de l’endocytose par l’ASGP-R
III.2) Marquage des glycoconjugués
III.3) Choix du type cellulaire et culture
III.4) Conditions d’incubation et d’acquisition au cytomètre
III.5) Mise au point des expériences de cytométrie en flux
III.6) Expériences de saturation des récepteurs
III.7) Expériences de compétition
IV – Conclusion
CHAPITRE III- LA FAMILLE DES CYCLODECAPEPTIDES (CP)
I – Elaboration des glycoconjugués pour l’étude de l’efficacité de ciblage
I.1) Différents dérivés de la famille CP
I.2) Stratégie de synthèse
I.3) Synthèse de l’unité de ciblage
I.3.a – Généralités sur la synthèse de sucres modifiés
I.3.b – Synthèse des GalNAcαONH2 et GalNAcβONH2
I.3.c – Synthèse des unités GalβONH2 et LacβONH2
I.4) Plateforme cyclodécapeptidique
I.4.a – La synthèse peptidique sur support solide
I.4.b – Stratégies de synthèse des différentes plateformes fonctionnalisées par des aldéhydes
I.4.c – Oxydation des sérines en aldéhydes
I.5) Assemblage et marquage par la cyanine 5
I.5.a – Assemblage des unités de ciblage avec la plateforme peptidique
I.5.b – Marquage par la sonde fluorescente sulfo-cyanine 5
II – Etude de l’efficacité d’internalisation par cytométrie en flux
II.1) Internalisation du glycoconjugué CP4α dans les cellules hépatiques humaines
II.1.a – Saturation des récepteurs par CP4α-Cy5
II.1.b – Compétition entre CP4α-Cy5 et le GalNAc
II.2) Effet de la multivalence
II.2.a – Saturation des récepteurs par CP3α-Cy5 et CP1α-Cy5
II.2.b – Compétitions des CP3α-Cy5 et CP1α-Cy5 avec le GalNAc
II.3) Effet de la configuration anomérique
II.3.a – Saturation des récepteurs par CP4β-Cy5 et CP3β-Cy5
II.3.b – Compétition de CP4β-Cy5 et CP3β-Cy5 avec le GalNAc
II.4) Effet de la nature du sucre
II.4.a – Saturation des récepteurs par CP4βGal-Cy5 et CP4βLac- Cy5
II.4.b – Compétition de CP4βGal-Cy5 et CP4βLac- Cy5 avec le GalNAc
II.5) Effet de la longueur des bras espaceurs
II.5.a – Saturation des récepteurs par CP4pegα-Cy5
II.5.b – Compétition de CP4pegα-Cy5 avec le GalNAc
III – Conclusion de l’étude de la famille CP
CHAPITRE IV- LA FAMILLE DES TRIPODES (T)
CONCLUSION