Lors de la réunion de pré-rentrée en septembre 2019, le recteur de l’académie de Nantes a prononcé cette phrase : « un de vos objectifs cette année et tout au long de votre carrière est et sera d’assurer la réussite de tous vos élèves ». En tant que toute jeune et nouvelle enseignante, je me suis posé la question suivante : comment faire ? En effet, durant la première année de master MEEF, j’ai réalisé un stage en collège où je me suis rendu compte de l’hétérogénéité d’une classe. Chaque élève étant unique et ayant ses propres facilités et difficultés. Ainsi, l’objectif de tous professeurs est de faire progresser ses élèves pour qu’ils atteignent les attendus du programme officiel, tout en prenant en compte leurs différences. Il est pourtant compliqué d’individualiser les pratiques et les activités pour chaque élève. En revanche, il est tout de même possible d’apporter des modifications en fonction des profils des élèves. C’est ce qu’on appelle la différenciation c’est-à-dire une diversification des apprentissages dans le but de s’adapter à la diversité des élèves. Ainsi, il s’agit de différencier tous les mécanismes qui permettent la construction des connaissances (savoirs) et des capacités (savoir-faire). Les chercheurs tels que Legrand, Meirieu, Perrenoud ont œuvré depuis plusieurs décennies pour définir la différenciation et proposer des mises en œuvre. De plus, en proposant une différenciation, je m’inscris dans le référentiel de l’Education nationale datant du 25 juillet 2013 où il est demandé aux enseignants de prendre en compte les profils des élèves, pour adapter son enseignement.
Le croquis, un exercice incontournable dans la didactique et dans la géographie scolaire
L’émergence de la didactique de la géographie
Dans le système scolaire français, la géographie a une place particulière puisqu’elle est associée à l’histoire, qui en passant a une importance majeure. Audigier a mis en évidence que ce sont, pourtant bien, deux disciplines distinctes : elles ont des connaissances, des exercices-types, des procédures de motivations et des dispositifs d’évaluation propres à chacune. Ainsi, la géographie scolaire doit transmettre et permettre l’appropriation aux élèves du savoir suivant : penser le monde. La géographie a connu une crise dans les années 1960-1980, qui a permis un rapprochement : géographie scolaire et géographie universitaire. Cela a également permis l’émergence et l’autonomisation de la didactique de la géographie, qui « s’est assigné pour tâche d’élaborer un savoir géographique scolaire nouveau et ses outils d’apprentissage » (Roumegous,2002). Il faut comprendre que la géographie à emprunter des éléments à d’autres spécialités scientifiques comme par exemple la sémiotique et la psychologie cognitive. Lorsqu’ils sont liés à l’épistémologie de la géographie, ils deviennent des éléments propres de cette didactique. C’est le cas de la cartographie qui, selon Grataloup, devient au fur et à mesure le « marqueur de cette discipline ». En effet, la cartographie permet à la géographie de se distinguer et de se légitimer dans les programmes de collège et de lycée. Cet article a confirmé mon choix de travailler comme objet d’étude : le croquis. Pourquoi ? Parce qu’il est considéré comme l’exercice-type de la géographie. En effet, aujourd’hui, en France, un élève n’a pas pu « échapper » au croquis durant sa scolarité car il est un savoir-faire à acquérir. Pour autant, le croquis est une addition de plusieurs compétences présentes dans le socle commun, ce qui le rend complexe. De plus, selon Journot, grâce à l’expression cartographique, on remarque que la didactique de la géographie est hybride puisqu’elle s’inspire des pratiques scientifiques (transposer des concepts) tout en devant être enseignable et évaluable. Aussi, les productions cartographiques sont des « ovnis » dans l’enseignement scolaire, puisque le langage graphique est en rupture avec le mode d’expression des savoirs scolaires. Enfin, le croquis a ses propres logiques d’apprentissages, le professeur d’histoire-géographie, en collège et lycée, est concerné par cet objet. Il doit donc mettre en place des apprentissages pour des élèves qui peuvent être désorientés face au croquis. Notons aussi que la schématisation d’expériences est régulièrement convoqués en sciences. Cependant, les enjeux épistémologiques sont différents de ceux de la géographie.
Différentes situations d’apprentissages : du cours dialogué à la mise en activité
Tout d’abord, on remarque que dans les pratiques scolaires, la géographie est souvent réalisée sous forme de cours dialogué où la parole du professeur prend une place importante et où la carte et le croquis font valeur de preuve. Ainsi, les croquis sont utilisés comme des images vrai de l’espace, les figurés étant des « morceaux du réel » (Thémines, 2016). Ils sont à enseigner parce qu’ils sont faciles à identifier, à localiser, à délimiter. Ainsi, pour chaque croquis travaillé, les éléments physiques et matériels sont les premiers à être placés sur le fond de carte : la mer, la plage, les montagnes, les forêts, les villes, les ports…. Mais, en s’arrêtant à cela, c’est comme si signifiant (carte) et signifié (le savoir géographique) étaient la même chose que signifiant et référent (l’étendue terrestre). Pour pallier ce problème et pour marquer une distance entre référent et signifié, il a été convenu d’utiliser le terme d’espace. Même si les discussions entre les didacticiens de la géographie et les professeurs sont encore vives, on considère que l’espace terrestre correspond au référent, l’espace géographique au signifié et le croquis au signifiant. Le terme d’espace est donc un terme polysémique et un concept central : il se distingue entre l’espace terrestre, l’espace géographique et l’espace représenté.
Ensuite, Marie-José Mousseau et Gérard Pouettre (1999) ont défini des opérations intellectuelles dites de « basse tension » et de « haute tension » à propos des activités proposées aux élèves. Ainsi, une opération intellectuelle de basse tension est employée lorsqu’il s’agit pour les élèves d’être dans une situation d’écoute, de restitution orale ou écrite, de recopie d’informations. A l’inverse, une opération intellectuelle de haute tension correspond à des opérations de mises en relation (comparaison, hiérarchisation…), permettant la construction d’une pensée disciplinaire géographique. C’est généralement à ce moment que se joue la réussite de l’apprentissage d’un savoir. De plus, le langage cartographique par sa complexité invite les élèves à raisonner. Ainsi, les deux activités proposées en classe peuvent être considérées comme des opérations intellectuelles de haute tension puisque les élèves devaient faire des relations entre les informations des documents et la problématique et le plan. Puis ils devaient mettre en relation ces informations avec des figurés qu’ils devaient placer sur le fond de carte. Ces activités permettent donc l’apprentissage d’une capacité et des connaissances sur chaque espace travaillé. Concernant l’évaluation sommative, on peut considérer que c’est un mixte entre une opération intellectuelle de basse et haute tension puisque comme pour les activités, il y a bien une mise en relation à effectuer entre documents, figurés et fond de carte mais il y a également une part de restitution. En effet, lors de cette évaluation, l’espace travaillé en classe (le littoral vendéen) n’était pas le même que celui évalué (la Guadeloupe) mais la problématique et le plan étaient quant à eux similaire à l’activité, cela pouvant être qualifié d’opération de basse tension.
En outre, lorsqu’un élève réalise un croquis, c’est l’approche constructiviste, développé par Piaget en 1925 qui prime : « apprendre c’est construire des images de la réalité ». L’apprentissage est fondé sur l’idée que la connaissance est construite par l’élève sur la base d’une activité, qui lui permet d’appréhender la réalité qui l’entoure. C’est donc le cas pour les deux activités : le littoral vendéen et l’Inde. Cette approche constructiviste soulève l’importance d’être conscient que les élèves ont des « choses dans la tête », un élève a de multiples représentations. Enfin, concernant l’expression cartographique, Audigier et Fontanabona ont montré que tout étude thématique est un mélange entre une représentation de la spatialité et une substance sociale : économie, démographique, culturelle…
En effet, pour le thème I, il s’agit à chaque fois de mélanger un espace (soit le littoral vendéen, soit la Guadeloupe) avec l’environnement. Pour le thème II, il s’agit de mélanger un espace (soit l’Inde, soit Mayotte) avec la démographie et le développement.
La prise en compte des représentations
Depuis les années 1970, beaucoup de recherches ont été réalisées sur les représentations, que l’on peut définir comme « la conception d’un sujet déjà là au moment de l’enseignement d’une notion et susceptible d’influencer les apprentissages » (Astolfi, 2008). Même si cette conception est fausse, elle est très bien organisée chez l’élève. Les recherches ont montré que ces représentations sont une résistance à l’apprentissage et qu’elles peuvent durer toute la scolarité d’où l’importance de les connaitre.
Les représentations sont omniprésentes, ainsi le professeur a ses propres représentations, il transmet un savoir dont il a déjà une interprétation (des connaissances scientifiques) et il a des représentations de ces élèves. En tant que professeur lorsque j’ai réalisé la première récolte de données, je commençais juste à connaitre mes élèves et je n’avais pas encore fait de géographie avec eux donc mes représentations étaient minimes. En revanche, concernant le savoir, j’avais plusieurs représentations dues à ma scolarité dans le secondaire, à mes études universitaires, à mon origine familiale (originaire de la Vendée).
Ensuite, l’élève n’est pas un récepteur passif, il ne part pas de rien : « l’élève n’est pas une tête vide » (Astolfi, 2008). Il a des représentations qui viennent de sa personnalité, de son vécu, de ses acquis scolaires et extra-scolaires. Ainsi, avant de commencer la première activité, j’ai demandé aux élèves de poser leurs représentations sur l’espace et le thème travaillé : qu’est-ce que je connais ? Il était important de les connaitre sachant que je réalisais une activité portant sur le littoral vendéen avec des élèves vendéens. Même si Montaigu, ville du lycée, n’est pas une ville côtière, la plupart des élèves se sont rendu sur le littoral vendéen ou en ont entendu parler… Il était d’autant plus primordial que pour mettre en place une différenciation, je devais connaitre le plus précisément les besoins, les facilités, les difficultés sur la capacité : transposer un texte en croquis. Si je n’avais pas fait cette étape, mes résultats auraient pu être tronqués par les représentations. Ainsi, lorsque l’on traite de la construction d’un croquis, il est important de mettre en évidence ces différentes représentations.
Enfin, selon Fontanabona, il est important de comprendre que la construction et la perception d’un croquis ne sont pas innées et automatiques, cela nécessite un apprentissage, une formation. Les élèves ont depuis la classe de 6ème reçu un apprentissage progressif sur les compétences suivantes : localiser et situer, lire et pratiquer différents langages, réaliser un croquis. Ainsi, lorsqu’il arrive en classe de seconde, leur « valise » de compétences est déjà bien remplie. Ainsi, le sens qu’un élève donne un croquis dépend de sa culture géographique et de son apprentissage cartographique : des faits, des concepts et d’une méthodologie donnée dans la scolarité de l’élève.
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Table des matières
Introduction
I) Cadre théorique et méthodologie de mon travail de recherche
A) Le croquis, un exercice incontournable dans la didactique et dans la géographie scolaire
1. L’émergence de la didactique de la géographie
2. Différentes situations d’apprentissages : du cours dialogué à la mise en activité
3. Prise en compte des représentations
4. Vers des pratiques innovantes de la construction du croquis
B) Qu’est-ce qu’un croquis ? Un langage cartographique complexe
1. Roger Brunet et la chorématique
2. Vers une sémiologie graphique
3. Un langage mixte
C) Le croquis, un exercice complexe propice à la différenciation
1. Qu’est-ce que la différenciation ?
2. La différenciation et l’Education nationale
3. Les limites de la différenciation
D) Contextualisation des récoltes des données
1. Première récolte de données
2. Deuxième récolte de données
II) Une phase de diagnostic, indispensable pour mettre en place une différenciation
A) L’activité sur le littoral vendéen : une première approche du croquis, une opération intellectuelle de « haute-tension »
1. Pré-requis et fortes représentations
2. Prélever et déduire : une mise en relation entre documents et problématique/plan
3.Choisir les figurés : relation signifiant, signifié et référent
B) Feuille méthodologique et cours sur la France : réexpérimenter le croquis
C) L’évaluation, une base pour contrôler les groupes de besoins
III) Mise en place de la différenciation
A) Formations de groupes de besoins
1. Pourquoi différencier ? Quelle différenciation mettre en place ?
2. Place des élèves dans le groupe : les limites de la mise en place de groupe hétérogène
B. Proposition d’une boite à outils : de la fabrication à l’utilisation
1. Intérêt et constitution de la boite à outils
2. Une très faible utilisation de la boite à outils
C. Des progrès vis-à-vis de la première activité ?
1. Des représentations minimes
2. Une phase de prélèvement sans difficultés
3. Un langage cartographique acquis
D. Des résultats finaux partiels
1. Des résultats incomplets
2. Pistes d’amélioration
Conclusion
Bibliographie
Annexes