LE TERRAIN D’ÉTUDE DU COURS JULIEN
Le quartier du Cours Julien, habité par se situe dans le sixième arrondissement de Marseille à la croisée de Castellane, Noaille et du Vieux Port. Il fait partie d’un ensemble appelé communément le quartier du Plateau com prenant le quartier de La Plaine et de Notre-Dame-du-Mont.
Les cartes ci-contre ne font pas état de la délimitation administrative du quartier puisqu’il n’est pas répertorié en tant que tel. Les limites du quartier ont été dessinées par notre groupe d’atelier lors de la rédaction du diagnostic territorial de Master I.
Pour ce travail de recherche, le périmètre étudié se concentre sur le quartier du Cours Julien et sur sa place centrale (cf.photo aérienne et plan).
Les espaces publics, lieux d’apprentissage de l’altérité
L’espace public, d’une part parce qu’en tant qu’espace physique de rues, de places, dans lequel le peuple peut se montrer, faire éclater sa joie, sa colère et d’autre part, parce qu’en tant qu’espace dans lequel se constitue l’opinion publique et dans lequel circulent les informations nécessaires à la formation du jugement individuel. En effet, les espaces publics sont a priori des lieux dans lesquels les individus se retrouvent à égalité face à l’institution et au sein desquels se mettent en place des discussions plus ou moins démonstratives : de la simple discussion autour d’un café à la requête du pouvoir en place qui se manifeste par des défilés dans la rue : « Le caractère de l’espace public par rapport à la cité tient à ce qu’il faut qu’il y ait un espace public, un lieu de l’indistinction pour que puissent s’exprimer et se représenter les formes collectives de notre sociabilité : il faut un espace public à la citoyenneté pour que, pouvant s’exprimer dans les formes symboliques d’un langage et d’une communication, elle fasse enfin l’objet d’une représentation qui lui confère une existence à la fois réelle, dans l’espace, et symbolique dans les codes et dans les lois de la sociabilité » (Lamizet, 1999).
Cette citation, que l’on pourrait trouver obsolète aujourd’hui, tant la liberté semble être de plus en plus conditionnée, permet de comprendre que c’est dans la dimension spatiale des espaces publics que se construisent les rapports à l’autre et l’appréhension de la diversité (Jacobs, 1961 ; Sennett, 1995 ; 2009 ; Lees, 2003). Ils constituent effectivement les lieux de la médiation entre le singulier et le collectif, car c’est dans l’espace public que se réalise la prise de conscience d’une appartenance collective.
L’espace public, lieu du commun, favorise ainsi l’enchevêtrement d’une identité individuelle et collective. Au travers de manifestations purement identitaires (revendications féminines, gay pride etc.) ou symboliques (manifestation commémorative) ayant lieu dans les espaces publics, l’individu, dans sa propre singularité, prend ou non conscience de son appartenance collective.
Mais ce commun autrefois ouvert et permissif semble cristalliser toutes les peurs de la société contemporaine. L’espace public change et le contrôle semble aujourd’hui de mise.
Les transformations récentes de l’espace public : vers le contrôle accru des espaces ?
L’espace public sous contrôle
Après avoir été considérée comme « un refuge protégé des dangers extérieurs » (Mumford, 2011), la ville contemporaine semble devenir le siège des peurs et de la violence. Face aux sentiments d’insécurité qui y règnent, les espaces urbains tendent à être protégés : « Les peurs contemporaines », les « peurs urbaines », contrairement à celles qui entraînèrent autrefois la construction des villes, prennent pour objet l’« ennemi intérieur ». « Cette forme de peur engendre moins une inquiétude quant au sort de la cité en tant que telle – conçue comme une propriété collective et une garantie collective de sécurité individuelle – qu’elle ne conduit à isoler et à fortifier sa propre demeure à l’intérieur de la cité » (Bauman, 1999). Sous prétexte de la peur, les gestionnaires et les aménageurs deviennent les garants d’une ville et d’espaces publics sécuritaires. De plus en plus, la recherche de sécurité dans la ville passe donc par une modification directe de l’espace. De ce fait, la sécurité s’immisce progressivement dans les domaines de compétences des urbanistes et des architectes, même si cela fait longtemps que l’espace est devenu un outil de contrôle des populations (Foucault, 1975).
La conception d’un espace public sécurisé et limitant les incivilités devient la norme dans les représentations des aménageurs au courant des années 1970. À cette époque, on parle de l’« espace défendable » (Newman, 1973) signifiant que certaines formes urbaines seraient plus propices que d’autres à développer des comportements criminels et délinquants. D’où l’intérêt de modifier l’architecture et les formes urbaines afin d’harmoniser notre environnement et de prévenir les comportements incivils : « […] un espace dont la configuration vise à faciliter la protection, non plus contre les accidents ou les calamités naturelles, mais contre le fléau social représenté par la délinquance “urbaine” et, catégorie nouvelle, l’“incivilité”, c’est-à-dire tout acte ou comportement jugé contraire aux règles de conduite propres à la vie citadine. » (Garnier, 2003, 41).
L’espace défendable ou urbanisme situationnel arrive donc dans les années 70 à un moment où la crainte des dangers de la rue se fait ressentir fortement. En effet, ces dangers sont assimilés aux pauvres, aux personnes marginalisées, mais aussi aux populations reléguées des quartiers d’habitat social. Certains auteurs décrivent cette peur des banlieues françaises qui s’accompagne de la militarisation des forces de l’ordre, mais aussi de l’intégration de la police dans l’aménagement urbain et les processus de rénovation urbaine (Belmessous, 2010 ; Bronner, 2010). Ainsi, l’on apprend que l’urbanisme de ces banlieues est conditionné à ce que le risque d’émeutes ou de débordements soit minimal et les maîtres mots de l’aménageur sont devenus : clarté, lisibilité, contrôle de l’espace, etc. De ce fait, on assiste à la requalification des ruelles étroites, des coursives ou tout espace où les forces de l’ordre ne peuvent se rendre.
Mais la réhabilitation n’est pas la seule forme que prend l’urbanisme situationnel. En effet, dans les espaces publics centraux, l’urbanisme situationnel se fait plus discret, plus dissimulé. Ils font l’objet de mises en normes et de contrôles de plus en plus importants : caméras de surveillance omniprésentes (Bonnet, 2012), interdictions municipales de marcher et de s’allonger sur les pelouses d’un jardin public (Froment-Meurice, 2014), de pratiquer le roller sur les places piétonnes (Gasnier, 2006). Tout cela participe à la recherche d’une ville sans conflit ni transgression, sans confrontation directe, comme si l’enjeu était bien d’aménager et de fréquenter un espace public animé, mais préservé de tout danger ou risque, pourvu qu’il soit esthétiquement beau.
La volonté de normer l’espace public
La thématique de « l’insécurité » s’est banalisée au point de devenir un enjeu électoral aussi bien à l’échelle nationale que locale, puisque, du fait de différents transferts de compétences, les maires sont de nouveau des acteurs clés des politiques de sécurité (Germain, 2008). Les acteurs légitimes se sont diversifiés : élus, experts, urbanistes sont désormais impliqués dans la coproduction de la sécurité. Les cibles de ces politiques se sont également diversifiées, car, dans ce contexte de valorisation des espaces publics, la visibilité de certains individus ou groupes apparaît de plus en plus comme problématique. Leur présence est définie comme indésirable dans une métropole « belle, propre, festive et sécurisante » (Gravari-Barbas, 1998a).
À partir du moment où les espaces publics sont envisagés comme des indicateurs de l’état d’un quartier ou d’une métropole, ce n’est plus seulement l’espace produit, mais aussi les usages de ces espaces qu’il s’agit de contrôler, ce qui renforcerait encore la nécessité de mettre en ordre les espaces publics.
Désormais, les aménageurs pensent les espaces publics de façon à limiter l’appropriation. C’est comme s’il existait des « normes spatiales » (Froment-Meurice, 2014) : ici on consomme, ici on joue, là on se balade, et là on fait une pause. Or, comme le démontre Froment-Meurice dans sa thèse, le lieu n’impose pas lui-même ses normes : c’est le résultat de rapports de force d’une part entre les acteurs institutionnels et les usagers, d’autre part entre différents types d’usagers définis comme plus ou moins légitimes. Ainsi d’après l’auteure, dans les espaces publics, il n’y aurait pas de « normes spatiales », mais des « normes sociales ». Les normes sociales doivent être évidentes et passent en partie par « la force normative des espaces » qui les rendent la plupart du temps implicites.
Si les aménageurs continuent de participer à la normalisation des actions dans les espaces publics, il n’en demeure pas moins que subsistent des pratiques qui dénotent une certaine résistance à cette volonté d’uniformisation des comportements.
Un détournement permanent, consubstantiel du concept d’espace public
L’idéal de nombreux aménageurs serait que l’espace public qu’ils imaginent fonctionne dès sa livraison, que la population se l’approprie aisément, car cela montrerait qu’ils ont vu juste lors de la lecture du site et du travail de diagnostic qu’oblige création ou réhabilitation. Afin d’étayer cette hypothèse, il est intéressant de comparer les attentes des aménageurs aux usages réels qu’en font les individus.
Pour ce faire, le travail mené sur les usages et l’appropriation des espaces publics à Marseille par Florence Martin, étudiante en dernière année d’architecture met en exergue ambitions et réalité. Elle a travaillé sur trois places publiques : La Plaine, le Cours Julien et le Cours Estienne d’Orves. Elle y montre comment l’idéal d’un aménageur est approprié par les individus et comment ceux-ci détournent les lieux pour les vivre.
Les marginaux, la marginalité
Les marginaux, des indésirables ?
Le terme indésirable ne fait son apparition qu’à la fin du 19e siècle en France, dans un contexte où l’immigration est érigée en problème politique (Blanchard, 2013). Pour le Larousse, il s’agit d’ailleurs toujours d’une « personne dont la présence n’est pas acceptée dans un groupe, dans un pays ». Après avoir été utilisé comme catégorie d’action publique explicite, à partir du début du 20e siècle le terme disparaît du vocabulaire politique à partir des années 1980. Il reste cependant employé notamment par la RATP ou la SNCF pour englober un ensemble de groupes tels que les « SDF », les « pickpockets », les « musiciens » ou encore les « vendeurs à la sauvette » (Bouché, 2000 ;Damon, 1993 ; Froment-Meurice, 2016 ; Soutrenon, 2001).
Depuis les années 2000, dans les travaux de recherche, le terme est essentiellement mobilisé dans le champ des études migratoires et est utilisé par des chercheurs en sciences sociales dans la perspective d’une analyse critique des politiques de mise en ordre des espaces. L’indésirable fait alors référence aux étrangers mis à l’écart par divers dispositifs. Plus largement et récemment, le terme d’indésirables désigne celles et ceux qui sont définis comme tels par les acteurs dominants, les assignant à une forme d’illégitimité, de déviance ou de stigmate (Estebanez et Raad, 2018).
L’indésirabilité est donc une catégorie large qui permet de ne pas réifier des groupes qui correspondent aux indésirables (« prostitué-es », « SDF », « Roms »…), voire de les déconstruire puisqu’elle relève d’une définition exogène (Estebanez et Raad, 2018). L’indésirabilité n’est pas une propriété intrinsèque aux personnes qui sont ainsi qualifiées, mais bien le résultat d’une assignation à identité : ce sont les rapports de domination qui produisent des indésirables et contribuent constamment à les redéfinir. (Agier, 2008 ; Clerval, Fleury, Rebotier, Weber, 2015 ; Froment-Meurice, 2016).
La dimension spatiale de l’indésirabilité tient beaucoup à sa construction comme un ensemble de pratiques et d’acteurs qui ne sont pas à leur place (Cresswell, 1983). Les activités promues et légitimées dans les espaces publics comme la consommation, les loisirs, la culture, les spectacles s’opposent à celles du logement et de travail que pratiquent les sans domicilefixe, les prostituées, les musiciens de rue, pour qui la rue est une ressource(Fleury et Froment-Meurice, 2014). De plus, c’est leur rapport à la saleté, à la maladie, à la souillure qui est constamment mobilisé pour justifier leur mise à l’écart (Cresswell, 1983 ; Froment-Meurice, 2016 ; Milliot, 2013 ; Sanselme, 2004). Comme le signale Douglas (2001), la saleté est « quelque chose qui n’est pas à sa place. Ce point de vue […] suppose, d’une part, l’existence d’un ensemble de relations ordonnées et, d’autre part, le bouleversement de cet ordre. La saleté n’est donc jamais un phénomène unique, isolé. Là où il y a saleté, il y a système. La saleté est le sous-produit d’une organisation et d’une classification de la matière, dans la mesure où toute mise en ordre entraîne le rejet d’éléments non appropriés » (p.). La saleté est donc bien définie relationnellement, dans un système où des rapports de force construisent la norme et l’ordre.
Ainsi, les indésirables sont ceux dont on se prémunit parce qu’ils risquent de nous faire basculer, et avec nous la société, dans un questionnement dont on souhaite se préserver. Les indésirables sont ceux qui apportent le trouble dans les identités individuelles et les positions sociales. Les marginaux sont considérés comme un sous-groupe des indésirables. Dans les écrits des chercheurs, il n’est pas rare de passer d’un terme à l’autre. Or, dans ce mémoire, parler d’indésirables pour qualifier les usagers du Cours Julien signifierait prendre position et montrer dès le départ la mise à l’écart que subie certains individus. Or, n’ayant à ce stade pas encore prouvé cette exclusion, il semble que le terme d’indésirable soit inadapté. Grâce aux observations de terrain, aux discussions avec les riverains, commerçants et usagers du Cours Julien et aux nombreuses lectures au sujet des pratiques sur l’espace public, il semble que le terme de marginal soit plus adéquois. En effet, les individus se qualifient facilement de personnes marginales : « J’suis d’ici et d’ailleurs, j’vis de rien, mais j’me sens bien tu vois. J’suis à la marge donc ouais, j’suis un marginal, un poète quoi » , « J’aime cette vie, genre tu te lèves et tu sais pas de quoi ta journée va être faite, c’est ça la vie de marginal ».
Retour sur le concept de marginalité
Le concept de marginalité s’est construit par tâtonnements et par ruptures, référant à des objets différents au fil du temps.
C’est à la fin des années 1920 que Robert Park de l’École de Chicago trace le portrait de « l’homme marginal » (Park, 1928). À une époque où lesmigrations étaient fortes et où les villes américaines connaissaient une croissance exponentielle,les citadins évoluaient tant dans leurs manières de se comporter et dans leurs attitudes. Les sociologues de l’École de Chicago se sont beaucoup intéressés à ces nouveaux comportements, à la mutation des rapports sociaux qu’induisait l’urbanisation. La marginalité est alors utilisée par ces sociologues pour décrire des groupes sociaux culturellement minoritaires dont le comportement s’éloigne plus ou moins de celui suggéré par les normes dominantes. Selon Park, l’« homme marginal » qu’il décrit est un individu qui apparaît avec l’essor des migrations et la mobilité, il correspond en quelque sorte à l’étranger. Mais sa marginalisation provient surtout du fait que venant d’une autre culture, il manque de ressources pour s’adapter à un lieu où les normes et les rapports à autrui sont différents des siens, tout en gardant ses propres réflexes traditionnels. La marginalité se manifesterait alors à deux niveaux, d’une part au niveau culturel évoqué ci-dessus (déracinement et difficultés d’intégration), mais également à un niveau spatial. Elle se traduirait en effet par une spatialité qui lui serait propre, les différentes populations marginales se regroupant selon la ressemblance communautaire ou ethnique dans des quartiers spécifiques de la ville.
Ce sont notamment les historiens qui s’emparèrent rapidement du concept de marginalité en l’associant au vagabondage, à l’absence d’attaches et à la pauvreté ainsi qu’à une non-intégration au système de production (Geremek, 1976). Malgré l’apparition relativement récente du terme, la marginalité est en effet une réalité sociale datant du Moyen-Âge et qui occupa « l’espace européen pendant au moins quatre siècles, du XIVe au XVIIIe (Castel, 2009, p.325). Dans l’analyse de Geremek sur les marginaux de Paris au XIVe et XVe siècles, le groupe étudié est un « ensemble qui ne possède ni indépendance économique, ni droit de cité », composé en grande partie « d’éléments peu stabilisés, enclins aux migrations, sans affectation professionnelle ou productive durable » (Geremek, 1976 : 6). Cette marginalité, comme celle d’aujourd’hui, pouvait être contrainte ou voulue. Il s’agit « des gens ou des groupes qui sont rejetés, ou se mettent d’eux-mêmes en marge de la vie sociale, ne participant pas aux processus de production et dont la vie reste irréductible aux normes de comportement en vigueur » (Geremek, 1976, p.6). Ainsi, Geremek différencie clairement la marginalité de la pauvreté, dans le sens où les pauvres peuvent être sans-le-sou, mais intégrés au processus productif dès lors qu’ils travaillent.
Dès le Moyen-Âge apparaissent donc des individus à la marge, principalement à travers la figure du vagabond. Au-delà de la pauvreté, ce sont leurs comportements, s’éloignant des normes établies, qui préoccupent les autorités et qui feront l’objet de nombreuses lois et d’une volonté de contrôle.
Ces propos illustrent notamment l’ancienneté du phénomène de l’exclusion et des rapports de pouvoir qui s’instaurent dans les espaces publics entre l’institution et des individussans attaches ni appartenance.
Face à ces différentes visions de la marginalité comme un état culturel (l’« homme marginal » de Park) ou comme le produit de la restructuration mondialisée de la production (« masses marginales » des pays en développement), les analystes vont progressivement développer l’idée d’une logique sociale dans la production de la marginalité. Apparaissent alors l’idée de processus etle terme de « marginalisation ».
Le processus de marginalisation : un concept sociogéographique
Le rapport à la norme de la marginalisation
Les marginaux deviennent considérés comme des individus qui se sont eux-mêmes mis en marge par un écart à la norme ou qui ne parviennent pas à s’adapter aux règles admises dans une société. Cet écart constitue alors le moyen de catégorisation et de dénomination de personnes marginales : « Le marginal est un être qui est perçu comme se mettant “hors-système” du fait d’une “inadaptation” quelconque : il est aux confins, à la périphérie, au-delà de la ligne d’horizon sociale, posé dans une distance et un éloignement qui gênent le regard, car on ne voit vraiment ce qui est, dans une mesure, familier, et non ce qui est étrange et étranger, ce qu’il est difficile de ramener à une norme connue ». (Barel, 1982, p.36-37).
Or, cette qualification et cette mise sous le regard d’une partie de la population suggèrent que la marginalité n’est pas donnée en tant que telle, mais qu’elle résulte davantage d’une construction sociale. Par exemple, Becker considère la déviance non pas comme un comportement en lui-même, mais comme le résultat d’un processus qui implique la réaction des individus à certains comportements et qui met en jeu « l’interaction entre la personne qui commet l’acte et celles qui réagissent à cet acte (Becker, 1985, p.38). En ce sens, la marginalité serait un baromètre de la société. La normalité d’une société se construirait en fonction de sa marginalité. Plus encore, cette mise en valeur et cette qualification de la marginalité serviraient selon Barel à contrôler la société dans sa globalité à travers des mécanismes de culpabilisation et de régulation des écarts à la norme : « C’est ici l’individu ou le groupe « normal » qui est objet de régulation et de contrôle, par le biais des déviants. Le fait de montrer la déviance et la marginalité est d’ailleurs déjà un moyen indirect d’englober la normalité dans le contrôle et la régulation, car il revient à montrer aux normaux ce qui les attend s’ils ne se contrôlent pas « . (Barel, 1982, p.66).
Ainsi l’usage de la marginalité par les autorités permet de réguler la société et d’instaurer certaines normes servant les intérêts d’un groupe particulier. Mais d’après Margier (2014), la marginalité naît également des rapports de pouvoir et de la légitimité de certains à agir sur la société. Dans sa thèse, il cite Guillaume Marche, qui pour qui la marginalité s’inscrit, « bien plus que la déviance, dans une dynamique de rapports sociaux » (Marche, 2002, p.43). Elle implique donc autant le groupe normal que le groupe déviant, et correspond ainsi « au contrecoup des attentes du groupe normal vis-à-vis du groupe déviant, et non pas seulement de l’identité ou du comportement des membres de ce dernier » (Marche, 2002, p.43). Dans cette perspective, toute déviance tend à devenir marginalité, et l’exclusion le résultat de rapports de domination desquels les personnes marginalisées n’auraient que peu de possibilités de s’extraire. Ainsi : « La marginalité n’est ni, certes, une caractéristique intrinsèque de certains individus, ni même simplement la résultante d’un processus interpersonnel de stigmatisation, mais décrit, d’un point de vue sociopolitique, un rapport de pouvoir ». (Marche, 2002, p.49).
Toutefois, cette explication sociologique, même si elle est intéressante dans l’analyse des rapports de domination pouvant marginaliser certains comportements, elle ne prend pas en compte la dimension spatiale de la marginalisation. Or l’espace, par les dynamiques d’appropriation, de fermeture, d’accessibilité, dont il peut être l’objet, constitue l’une des dimensions importantes de la marginalisation.
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Table des matières
LISTE DES FIGURES
INTRODUCTION
PARTIE I : L’ ESPACE PUBLIC SOUS CONTRÔLE
I.1. Les dimensions multiples de l’espace public
I.1.1. L’espace public : un objet pluridisciplinaire du fait de la polysémie du concept
I.1.2 Les espaces publics, lieux d’apprentissage de l’altérité
I.2.1 L’espace public sous contrôle
I.2.2 La volonté de normer l’espace public
I.2.3 Un détournement permanent, consubstantiel du concept d’espace public
PARTIE II : LA PL ACE DES MARGINAUX DANS LES ESPACES PUBLICS NORMALISÉS
II.1. Les marginaux, la marginalité
II.1. 1 Les marginaux, des indésirables ?
II.1.2 Retour sur le concept de marginalité
II.2. Le processus de marginalisation : un concept sociogéographique
II.2.1 Le rapport à la norme de la marginalisation
II.2.2 La dimension spatiale de la marginalisation
II.2.3 La géographie normative comme vecteur de la marginalisation
II.3. La normalisation des attitudes dans l’espace public
II.3.1 Des espaces publics stigmatisants et excluant les marginaux
II.3.2 Le mobilier urbain et la vidéosurveillance comme outil de la légitimisation des usages
PARTIE III : LE COURS JULIEN : UN RAPPORT SPÉCIFIQUE À LA MARGINALITÉ ?
III.1 LA VIE DE QUARTIER DU « Cours’Ju »
III.1.1 Un espace public à taille humaine au cœur de Marseille
III.1.2 Des réseaux d’interconnaissance source d’un sentiment commun d’appartenance ?
III.1.3 La revendication d’une identité de quartier : son appropriation par les habitants
III.2 Une vie de quartier qui intègre la marginalité ?
III.2.1 La présence quasi permanente des marginaux sur le Cours Julien
III.2.2 Inclusion de la marginalité ? …
III.2.3… ou simple cohabitation ?
III.3. Un quartier alternatif « à la mode » : les marginaux futurs « indésirables » ?
III. 3.1 Des politiques locales qui surfent sur le caractère alternatif des lieux
III. 3.2 L’attractivité des lieux modifie peu à peu le paysage urbain
III.3.3 Amorce d’une « gentrification par la jeunesse » :
quelle place pour les margianux ?
CONCLUSION GÉNÉRALE
BIBLIOGRAPHIE