Le cosmopolitisme, une notion essentielle pour contrer les stigmates médiatiques d’une Marseille criminelle

L’affirmation d’une Marseille cosmopolite, une construction identitaire historique

L’argument cosmopolite présenté dans les campagnes de communication de la métropole Marseille-Provence repose sur des fondements historiques et sociologiques qu’il convient de présenter pour mieux appréhender ce que nous définirons plus loin comme un fantasme. Yvan Gastaut définit le cosmopolitisme ainsi: il “permet tout d’abord aux différentes communautés de coexister dans un espace urbain, puis dans un deuxième temps, de se rencontrer voire de se mélanger”.

Marseille, ville bigarrée, ville d’immigration : un “cosmopolitisme” fondé sur une réalité historique protéiforme 

Le cosmopolitisme est étroitement lié à l’histoire de Marseille. Il est né, selon le mythe fondateur de la ville, au sixième siècle avant notre ère d’une aventure entre Gyptis, une princesse ligure, et Protis, un marin grec, qui fondèrent ensemble Massilia. Plus tard, dès la fin du dix-neuvième siècle, Marseille devient une terre d’immigration. Dans les années 1860 (période signant la fin de la grande prospérité marseillaise), Marseille voit sa croissance démographique exploser grâce à l’arrivée en masse de populations étrangères – notamment italienne – venant trouver du travail dans les grands chantiers du Second Empire. Ces vagues migratoires sont accueillies avec bienveillance puisqu’elles répondent à un besoin de main d’œuvre. Avant 1880, Marseille est considérée comme une métropole industrielle exotique et c’est à cette période que naît la notion de cosmopolitisme pour désigner le territoire en termes laudatifs.

Selon Céline Régnard, “c’est davantage un imaginaire de l’exotisme ou du grand large qui est convoqué. Les descriptions fascinées du mélange de couleurs et d’odeurs qui caractérise les quais”. Le journaliste Taxile Delord y voit “des gens de toutes les contrées, de tous les archipels”. C’est entre les années 1880 et 1890 que la mauvaise réputation de Marseille se construit. L’avènement de la presse nationale à grand tirage et des faits divers joue un rôle capital dans la construction de cette réputation ; Marseille devient une “figure de repoussoir” durable pour l’opinion. Les raccourcis entre immigration et criminalité y fleurissent et donnent lieu à des amalgames dont Marseille est le terrain idéal, ville d’immigration et d’industrie où de nombreux ouvriers travaillent. Le scepticisme de la Monarchie de juillet à l’égard des classes populaires et des étrangers trouve une place de choix dans les faits divers. En 1881, les Vêpres marseillaises, violences xénophobes de trois jours contre les italiens, déclenchent une obsession médiatique pour la criminalité à Marseille, aussi bien sur son territoire que dans la presse nationale. La criminalité organisée et la corruption marseillaises se développent à cette période en même temps que le “fantasme sécuritaire du temps : celui de la criminalité étrangère et de la récidive”. Le cosmopolitisme est donc très mal perçu car lié, dans l’imaginaire médiatique, à la délinquance et à l’insalubrité de la ville. En 1926, le célèbre reporter Albert Londres décrit ainsi Marseille :

“Je vous conduits rue des Chapeliers (…) : vous êtes en territoire arabe. (…) Rien n’y manque. Le réchaud à café turc, le lumignon au plafond et la pénombre malsaine et tentante des villes méditerranéennes. Maintenant, sauvez-vous ; voilà les poux !”

Dans le même temps, la misère sociale et économique s’accroit à cause de la Grande dépression qui marque tenacement la ville. Entre 1914 et 1939, Marseille accueille de nouvelles populations de réfugiés politiques italiens, espagnols, arméniens et russes ; lors de la Seconde Guerre Mondiale, des réfugiés juifs s’y installent. Après la guerre, la reconstruction est l’occasion d’accueillir la main d’œuvre étrangère, notamment maghrébine, et en particulier algérienne à Marseille. Le racisme explose en 1973 suite à l’assassinat d’un traminot par un travailleur algérien malade mental qui donne lieu, en représailles, à douze victimes arabes d’attentats racistes dans la région en un mois. Le contexte de décolonisation est, en parallèle, particulièrement violent au Maghreb, notamment en Algérie. “Les tensions intercommunautaires marquent [alors] durablement la ville.” Lors des élections municipales de 1983, le Front National trouve un terrain très favorable à travers le racisme et le conservatisme ambiants et obtient le double de voix à Marseille par rapport à la moyenne nationale.

Parallèlement à cela, dans le contexte de désindustrialisation et d’urbanisation du territoire des années 1970, la municipalité marseillaise entreprend la construction d’une politique culturelle permettant de valoriser la ville stigmatisée de toutes parts avec l’idée centrale de ne plus souffrir de la comparaison avec Paris. Se dessine alors une “topographie légendaire” des lieux incontournables à Marseille afin d’en faire une ville culturellement moderne et dynamique, vaste “fable urbaine” pour Suzanne Gilles : la désillusion point rapidement, en 1975, lorsque le triste constat de la superficialité des investissements culturels et l’échec de la démocratisation est fait. En 1980, Marseille souffre donc d’une mauvaise réputation liée à la criminalité, à la corruption ainsi qu’à l’acharnement médiatique. La faiblesse de ses investissements culturels n’en fait pas, malgré leur vocation, une cité culturelle pouvant rivaliser avec Paris. Nous reviendrons plus loin sur cette historique rivalité entre la cité phocéenne et la capitale, qui a joué un rôle non négligeable dans la fabrication de l’identité du territoire.

Une “lutte symbolique” entre politiques, artistes et associations 

Dans la deuxième partie des années 1980, “la dimension symbolique de Marseille porte à débat plus que jamais”. Face à la percée du Front National et ses discours stigmatisant l’immigration et la diversité à Marseille, des artistes locaux s’emparent du débat sur l’identité de la ville. Ces “iconoclastes” s’opposent à la fois au conservatisme et au racisme incarnés par le Front National, et aux politiques marseillaises qu’ils déplorent à différents égards ; ils ne sont “ni chauvins, ni provinciaux”. Cette “movida marseillaise” réunit des artistes comme IAM, Massilia Soundsystem, le cinéaste Robert Guédiguian, l’écrivain Jean-Claude Izzo. Ces artistes prennent part à la “lutte symbolique” autour de la ville de Marseille en se positionnant comme représentants du cosmopolitisme marseillais et influent de manière importante sur son évolution. Ils deviennent ambassadeurs de la diversité en prenant la parole à la fois pour les jeunes, les minorités, les immigrés, en prônant les valeurs marseillaises de l’hospitalité et de la tolérance. Ils conquièrent le public national et donnent à voir cette idée neuve de Marseille en opposition avec les stéréotypes livrés dans les médias. Le public français assimile cette nouvelle image de Marseille à travers la culture populaire (le rap et le raï, le cinéma, les polars…). Nous pouvons donner un aperçu de ces discours à travers les paroles de la chanson “Violent” du groupe de musique reggae Massilia Soundsystem, qui mettent en exergue la diversité marseillaise à travers la pluralité des origines et des religions, mêlées à la culture française et au folklore local :

“Je tchatche pour les français, je tchatche pour les occitans Les africains, les antillais, ceux du Moyen-Orient Je ne suis pas chrétien, je ne suis pas athée, je ne suis pas musulman Mes idées je ne vais pas les chercher dans la bible ou le coran Je n’ai pas besoin de croix, d’étoile, pas besoin de croissant J’ai ma propre liturgie et mes propres sacrements”

Parallèlement à cette effusion artistique, de grands mouvements pour la tolérance s’organisent à Marseille. La “Marche des beurs” en 1983 est la première manifestation antiraciste nationale ; en réaction au succès du Front National et à des propos racistes, 17 personnes partent de Marseille et remontent jusqu’à Paris en étoffant leur mouvement au fil des villes du parcours. En 1987, la grande manifestation “Marseille fraternité” réunit 25000 personnes dans la ville, dont Lionel Jospin et Jack Lang ; elle est organisée par un collectif d’associations dans le but de contrer l’image raciste de Marseille. “Par effet cumulé de productions culturelles, de volonté politique et associative, la ville apparaît comme ouverte et tolérante, vivant son cosmopolitisme comme une chance”. Marseille se forge alors une image mythique de “carrefour du monde”, de “kaléidoscope”, de “porte de l’orient”, d’un territoire qui parle de lui-même et qui s’affirme par des voix diverses.

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Table des matières

Introduction
PARTIE I : Le cosmopolitisme, une notion essentielle pour contrer les stigmates médiatiques d’une Marseille criminelle
1. L’affirmation d’une Marseille cosmopolite, une construction identitaire historique
a) Marseille, ville bigarrée, ville d’immigration : un “cosmopolitisme” fondé sur une réalité historique protéiforme
b) Une “lutte symbolique” entre politiques, artistes et associations
c) Le récent acharnement médiatique contre Marseille : la réponse offensive des institutions par le marketing territorial
2. Un fantasme ambigu qui met en scène la réalité plus qu’il ne la justifie
a) La transformation d’un cosmopolitisme discrédité en argument de politique culturelle et communicationnelle par les décideurs locaux
b) L’utopie cosmopolite à l’épreuve de la réalité
PARTIE II : La mise en scène marketing de l’art de vivre provençal-marseillais, un levier incontournable pour engager le capital sympathie du territoire
1. Les symboles territoriaux comme arguments marketing
a) La Méditerranée : l’ouverture et le dynamisme économique de Marseille
b) La Provence, complémentaire à la Méditerranée : l’authenticité du terroir et la ruralité
2. Le provençal-marseillais, symbole identitaire, employé comme faire-valoir du territoire
a) La bonhomie provençale, topos médiatique et facteur de sympathie à l’extérieur
b) La fierté régionale, élément fédérateur à l’intérieur
PARTIE III : Au delà des stéréotypes, une nécessaire valorisation des performances du territoire pour légitimer son statut de métropole
1. La légitimation des performances du territoire par une démonstration de force
a) Le régime de preuves au service de la légitimation du territoire
b) La métaphorisation des atouts du territoire par l’image
2. La valorisation du territoire dans un contexte de concurrence internationale
a) L’inévitable comparaison avec les métropoles culturelles euro-méditerranéennes
b) MP 2013 : la culture, puissant levier d’attractivité
Conclusion
Bibliographie

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