Le corps de l’enfant
Développement et besoins physiologiques
Entre 6 et 12 ans, le corps de l’enfant progresse sur le plan moteur : la coordination des mouvements s’améliore, la force augmente, ainsi que la rapidité, la précision et l’endurance. L’absence de mouvement est bien plus fatigante que trop de mobilité pour un enfant en pleine croissance selon le docteur Guy Vermeil : partagé entre l’exigence d’écoute immobile, le désir (ou plutôt le besoin) de bouger et la crainte d’être sanctionné, l’élève ne peut pas aborder les apprentissages avec la disponibilité d’esprit et la concentration nécessaires. Selon lui, « l’insuffisance de mouvement est une carence grave, la plus grave de toute peut-être. » Cette immobilité forcée engendre des crispations, qui peuvent être sources de maux variés: douleurs lombaires, maux d’estomac, tensions chroniques de la nuque, des épaules et du dos. Jusqu’à 9 ans, le fait de se relaxer volontairement (en détendant un ou plusieurs muscles) ou de contrôler des tensions est difficile voire impossible sans modifier la posture initiale : les enfants ne sont donc pas capables de soulager discrètement les crispations engendrées par une position trop longtemps tenue.
Le rôle du corps dans les processus d’apprentissage
Pour être solides, les apprentissages doivent s’appuyer sur les trois sphères : motrice, affective et intellectuelle. Si l’une d’entre elle n’est pas sollicitée, l’ensemble de l’apprentissage est moins efficace, et les trois doivent être reliées. A l’école élémentaire, historiquement, on s’adresse surtout à la sphère intellectuelle, en négligeant les deux autres, voire en niant complètement la partie motrice, qui est pourtant très exploitée à la maternelle. C’est par le corps que l’on apprend : les différents théoriciens du développement de l’enfant s’accordent sur la place que le corps y tient. Ainsi, selon Jean Piaget, c’est à partir de 12 ans que débute le stade des opérations formelles, et l’enfant est pleinement capable d’utiliser une logique abstraite et formelle vers l’âge de 15 ans. Pendant la grande majorité de l’enfance, utiliser son corps est donc nécessaire pour appréhender le monde ou les idées. Certains sens tels que l’odorat ou le goût, moins utilisés dans les apprentissages, révèlent pourtant la capacité de mémorisation du corps. Intuitives et involontaires, ces sphères de sensations sont puissantes, et plus évocatrices que la vue ou le toucher, comme l’illustre l’épisode de la madeleine de Proust : « La vue de la petite madeleine ne m’avait rien rappelé avant que je n’y eusse goûté ».
La dimension kinesthésique est très forte chez certains élèves, ils ont besoin de bouger pour apprendre, d’utiliser leurs sensations, l’orientation, la spatialisation, d’être au contact du monde. La kinésiologie (dont l’étymologie signifie science du mouvement) étudie le mouvement du corps et les postures, en lien avec la connaissance des muscles et des articulations. Appliquée en pédagogie, elle permet de mettre à jour le lien entre mouvement et apprentissages, notamment afin d’aider certains enfants en difficulté. Elle utilise des exercices mettant en action différentes parties du corps, en travaillant les postures, autour de trois fonctions essentielles : la latéralité, la concentration et le centrage. L’enjeu est d’aider l’élève à trouver des mécanismes d’apprentissage qui soient efficaces pour lui.
Cependant, l’institution scolaire n’intègre que lentement ces connaissances sur le développement de l’enfant, Jean Le Boulch parle ainsi en 1998 d’ « une institution scolaire qui vient de découvrir que le développement intellectuel ne résume pas la totalité de l’action éducative » . Selon lui, il y a une vingtaine d’années, ces connaissances n’étaient pas réellement utilisées à l’école. Si cela a pu changer progressivement depuis, force est de constater que le corps n’est pas un sujet majeur pour l’école encore aujourd’hui, puisque les habitudes d’immobilité en classe demeurent. Selon Claude Pujade-Renaud, c’est le signe d’un manque dans la façon d’envisager nos élèves : « La privation de mobilité et l’enfermement renvoient au problème plus général de la reconnaissance du statut du corps à l’école. » .
Les corps à l’école
Définition des termes
Le corps
On va s’intéresser ici au corps de l’élève, hors de l’éducation physique et sportive, dans son individualité, sans tenir compte du rapport avec le corps des autres. Cela nécessiterait une autre étude, qui pourrait s’appuyer notamment sur les lois sociales de distance en proxémique, qui ne sont absolument pas respectées dans nos classes, contraignant les élèves à partager leur espace intime.
La classe
La classe peut être un lieu (la salle de classe), un groupe d’élèves (le groupe classe), une action (on parle ainsi de « faire classe »), espace qui a ses règles propres, en opposition avec les zones de récréation ou l’extérieur de l’école, régis par d’autres lois. Pour la suite de cette réflexion, c’est essentiellement la classe en tant que lieu qui nous intéressera. Pour l’ensemble des situations auxquelles nous ferons référence, il s’agira de classes (et de la façon habituelle de faire classe) en France, sauf mention explicite.
La discipline
Le terme « discipline » revêt un double sens, particulièrement à l’école. Selon le dictionnaire, il s’agit d’une « Branche de la connaissance pouvant donner matière à un enseignement ; matière. Ensemble de lois, d’obligations qui régissent une collectivité et destinées à y faire régner l’ordre ; règlement ». C’est ici le second sens qui nous intéresse, et nous référerons donc au premier en parlant de « matières » ou d’ « activités » pour éviter les confusions. Michel Foucault établit une définition intéressante de la discipline, impliquant le corps : « Ces méthodes qui permettent le contrôle minutieux des opérations du corps, qui assurent l’assujettissement constant de ses forces et leur imposent un rapport de docilitéutilité, c’est cela qu’on peut appeler « discipline » » .
Historique
L’école d’hier : droiture, hygiène et ordre
Du Moyen-Âge au XVIIIe siècle, en France, on cherche à dresser le corps, pour qu’il soit droit et obéissant. On va ainsi, au XVIIe, jusqu’à emmailloter les enfants très serré, voire à utiliser sangles et corsets, pour s’assurer qu’ils se tiennent droits. Le corps est contenu, matériellement. Puis, jusqu’au milieu du XXe siècle, c’est l’argument de santé qui prime, avec les débuts de la gymnastique. On exige un corps tonique, tenu par des règles de politesse rigides, dressé et redressé. Comme l’exposent Véronique Girard et Marie Joseph Chalvin, c’est à cette période «l’argument hygiéniste [qui] commande la correction et la vigilance à l’égard des postures au sein de la salle de classe » . L’enjeu est donc d’éviter des problèmes de santé en les prévenant, ou en y remédiant. Dès 1923, on retrouve dans les programmes scolaires l’idée que l’éducation physique à l’école doit permettre de contrebalancer l’immobilité scolaire, en lui attribuant un « double but » : développer le corps et « corriger les attitudes défectueuses qu’impose trop souvent au corps de l’enfant le travail scolaire. » .
Selon Georges Vigarello, il s’agit d’ « habituer les élèves à se bien tenir » et de policer les corps des paysans et prolétaires, notamment grâce à la gymnastique, à l’école comme à l’armée. On est donc dans une perspective hygiéniste des corps, envisagés comme des matériaux à développer ou à corriger, à policer en apprenant aux élèves à se tenir correctement, en accord avec un code social proche d’un code de politesse, sous couvert d’arguments santé. Il y a une séparation réelle entre l’éducation physique et le reste des moments éducatifs, pendant lesquels le corps doit se faire oublier.
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Table des matières
Introduction
1. Le corps de l’élève à l’école
1.1. Le corps de l’enfant
1.1.1. Développement et besoins physiologiques
1.1.2. Le rôle du corps dans les processus d’apprentissage
1.2. Les corps à l’école
1.2.1. Définition des termes
1.2.1.1. Le corps
1.2.1.2. La classe
1.2.1.3. La discipline
1.2.2. Historique
1.2.2.1. L’école d’hier : droiture, hygiène et ordre
1.2.2.2. L’école d’aujourd’hui
1.2.3. Des corps sous contrôle
1.2.3.1. Le corps de l’enseignant
1.2.3.2. La relation de pouvoir avec les corps des élèves
1.3. La posture de l’élève
1.3.1. Savoir se tenir, un préalable aux apprentissages
1.3.1.1. La « bonne » posture
1.3.1.2. L’incontournable duo table et chaise
1.3.2. Apprendre à écrire
1.3.2.1. La posture du scripteur
1.3.2.2. L’écriture pour contraindre ?
1.4. D’autres façons d’envisager le corps dans la classe
1.4.1. Les pédagogies actives
1.4.1.1. La discipline selon Célestin Freinet
1.4.1.2. La discipline selon Maria Montessori
1.4.2. Le flexible seating
1.4.3. L’école de demain
2. La maîtrise du corps des élèves leur permet-elle de mieux apprendre ?
2.1. Évaluer l’influence d’une posture disciplinée sur les résultats
2.1.1. Problématique
2.1.2. Hypothèses
2.1.3. Variables
2.2. Protocole de recherche
2.2.1. Mise en œuvre concrète
2.2.1.1. Planning
2.2.1.2. Dispositif
2.2.1.3. Activités choisies
2.2.2. Recueil des données
2.2.2.1. Observation et photographie
2.2.2.2. Évaluations
2.2.2.3. Recueil des perceptions
2.3. Discussion
2.3.1. Analyse des résultats
2.3.1.1. Observations
2.3.1.2. Évaluations
2.3.1.3. Ressentis
2.3.1.4. Retour sur les hypothèses
2.3.2. Apport à ma pratique
2.3.2.1. Gestion de l’espace
2.3.2.2. Perception du groupe classe
2.3.2.3. Rapport aux élèves
Conclusion
Annexes
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