LE CONTRÔLE MOTEUR
Un merci tout particulier à Martin et Julie pour avoir initié ce projet, pour m’avoir offert cette chance. Merci de croire en mon potentiel et d’accepter de relever de nouveaux défis. À Martin deux fois plutôt qu’une, merci de m’avoir dirigée avec patience, d’avoir été un pilier et un supporteur indéfectible, et ce même à distance, tout au long de ce parcours parfois sinueux.
À Ismat pour m’avoir accompagnée dans la relève de ce défi, pour m’avoir épaulée et ramenée sur terre quand le besoin se faisait sentir. À ma sœur, mon modèle, pour la piqûre des études supérieures et pour se réjouir des hauts et amoindrir les bas de nos cheminements respectifs. À mes parents pour leur travail dans l’ombre, leur support et de m’avoir permis d’aller au bout de mes ambitions. À mon mari, ma force tranquille pour ta patience au cours des deux dernières années et des quatre prochaines à venir.
LA CÉPHALÉE DE TENSION
l’International Headache Society (IHS) est une organisation internationale ayant pour but de promouvoir la science, l’éducation et la gestion clinique des céphalées, et de conscientiser les professionnels de la santé et les chercheurs à l’échelle mondiale aux problématiques liées aux céphalées primaires et secondaires. En ce sens, l’IHS travaille à la mise à jour et à la diffusion de l’International Classification of Headache Disorders qui vise à répertorier les nombreuses causes de céphalées ainsi qu’à clarifier et standardiser leurs critères diagnostiques. Cette classification distingue les différentes céphalées en deux catégories principales soient les céphalées primaires et secondaires. En effet, les céphalées dites primaires sont causées par un dysfonctionnement ou une hyperactivité des structures céphaliques sensibles à la douleur. Parmi les céphalées primaires, on compte principalement la migraine, la céphalée de tension et la céphalée autonome du trijumeau (International Headache Society, 2004). les céphalées dites secondaires sont quant à elles associées à une autre condition responsable des symptômes liés aux céphalées et incluent les traumatismes, les infections ainsi que les désordres vasculaires et psychologiques.
Selon la description mentionnée dans la seconde version de l’International Classification of Headache Disorders (International Headache Society, 2004), il existe des caractéristiques de base communes à tous les sous-groupes de céphalées de tension. Parmi ces caractéristiques, on note que la douleur est typiquement localisée bilatéralement, qualifiée de pression ou de serrement, d’intensité faible ou modérée et non aggravée par l’activité physique quotidienne. La sensibilité péricrânienne, lorsque présente, est facilement reconnaissable par palpation manuelle à l’aide de petits mouvements de rotation et d’une pression ferme (de préférence avec l’utilisation d’un manomètre digital permettant de standardiser la palpation manuelle) des index et majeurs au niveau des muscles frontaux, temporaux, masséters, ptérygoïdiens, sternocléidomastoïdiens, splénius et trapèzes (International Headache Society, 2004). Principalement d’origine primaire, la céphalée de tension peut être considérée comme secondaire lorsque l’anamnèse et l’examen physique et neurologique suggèrent ou ne permettent pas l’élimination d’un lien temporal étroit entre la présence des céphalées et un désordre sous-jacent (International Headache Society, 2004).
Les trois sous-groupes définis par la classification sont caractérisés selon le nombre de jours par année et incluent la forme épisodique non fréquente «1 jour par mois, ou <12 jours par année), la forme épisodique fréquente (entre 1 et 14 jours par mois pour >3 mois, ou ~12 et <180 jours par année) et la forme chronique (~15 jours par mois pour >3 mois, ou ~180 jours par année) (International Headache Society, 2004).
Le sous-groupe épisodique non fréquent semble avoir très peu d’impact sur les individus et ne nécessite pas d’attention médicale particulière. Toutefois, la forme épisodique fréquente peut engendrer une incapacité considérable, justifiant parfois l’utilisation de médicaments prophylactiques coûteux. La forme chronique quant à elle semble toujours associée à une forte incapacité et à des coûts personnels et socioéconomiques élevés. Le mécanisme exact des céphalées de tension demeure inconnu. Des mécanismes périphériques de la douleur sont les plus susceptibles de jouer un rôle dans la forme épisodique non fréquente et la forme fréquente alors que des mécanismes centraux de la douleur sont prédominants au niveau de la céphalée de tension chronique. Des mécanismes tels que la sensibilisation centrale au niveau de la corne dorsale de la moelle épinière et du noyau spinal du nerf trijumeau suite à une action prolongée d’influx nociceptifs ont été proposés (Bendtsen, 2000). Le souscomité responsable de la classification encourage la poursuite des recherches sur les mécanismes physiopathologiques et le traitement des céphalées de tension.
La troisième version de l’International Classification of Headache Disorders rendue disponible en 2013 s’appuie sur un nombre de données grandissant, permettant de raffiner les critères diagnostiques des céphalées primaires et secondaires et fait contraste aux versions antérieures basées principalement sur l’opinion d’experts. La publication de cette mise à jour coïncide avec la onzième révision de la classification internationale des maladies (ClM-11) par l’Organisation mondiale de la Santé s’assurant une représentation juste et régulière dans les deux documents de référence.
L’International Headache Society décrit sa classification comme étant un outil indispensable à la recherche. De fait, chaque participant inclus dans un projet de recherche, peu importe sa nature, doit satisfaire à un ensemble de critères diagnostiques.
Épidémiologie
Les céphalées représentent l’un des troubles neurologiques les plus communs avec une prévalence à vie de 93% chez les hommes et de 99% chez les femmes (And linSobocki, Jonsson, Wittchen & Diesen, 2005). La céphalée de tension représente la céphalée primaire la plus répandue, et ce, à travers toutes les tranches d’âge (Crystal & Grosberg, 2009) avec une prévalence à vie allant de 30 à 86% pour la population générale (Rasmussen, Jensen, Schroll & Diesen, 1991) et une incidence annuelle estimée à 14,2/1000 personnes-année (Lyngberg, Rasmussen, Jorgensen & Jensen, 200sa). La prévalence des céphalées de tension est plus élevée chez les femmes, tous âges et ethnies confondus, avec un ratio femme-homme allant de 1,16:1 à 3:1. L’âge moyen d’apparition de la céphalée de tension est de 25 à 30 ans, concordant avec la fin des périodes de formation et le début des carrières.
Les impacts socio-économiques associés aux céphalées de tension représentent un lourd fardeau économique avec pas moins de 60% des personnes atteintes qui doivent restreindre leurs activités sociales et leur charge de travail. En plus des maux de tête, les personnes atteintes de céphalées de tension sont souvent aux prises avec une ou plusieurs comorbidités telles que des troubles de concentration, de mémoire et du sommeil, fatigue chronique et irritabilité, entraînant ainsi une diminution de leur qualité de vie (Aarli, Avanzini, Bertolote, de Boer, Breivik & Oua, 2006). Aucune statistique récente quant aux coûts des céphalées de tension n’est disponible pour la population canadienne. Cependant, les frais indirects liés à l’absentéisme et à la baisse de productivité sont estimés à plusieurs fois ceux de la migraine qui s’élevaient à 14,4 milliards de dollars en Europe en 2001 (Berg & Stovner, 2005). Dans une étude menée auprès de travailleurs actifs de la population danoise, le taux d’absentéisme pour cause de céphalées de tension s’élevait à 9% pendant un an, soit une moyenne de 820 jours de travail manqués par 1000 employés-année et trois fois plus de jours de travail manqués que ceux associés à la migraine (Lyngberg, Rasmussen, Jorgensen & Jensen, 2005b; Rasmussen, Jensen & Diesen, 1992). À la lumière de ces informations, les céphalées de tension comptent pour une grande partie de la diminution de l’efficacité du travail en raison de maux de tête .
En termes de pronostic, des chercheurs ont, dans le cadre d’une étude clinique, suivi pendant 10 ans des patients atteints de céphalées de tension (Mork & Jensen, 2000). Leur étude a révélé une nature épisodique dans 75% des cas, tandis que 25% ont évolué vers la forme chronique. Chez les patients atteints initialement de la forme chronique, au terme de la période de suivi, 31% demeuraient inchangés, 21% avaient développé des maux de tête en lien à une surconsommation de médicaments, et les autres avaient régressé à la forme épisodique (Mork & Jensen, 2000).
Pathophysiologie
Malgré les nombreuses percées dans les connaissances liées au rôle de la musculature dans les céphalées de tension, l’origine exacte de la douleur demeure incertaine. Une revue récente portant sur les phénomènes douloureux et leur impact sur le contrôle sensorimoteur s’est avérée déterminante dans le développement de programmes de réadaptation (Hodges, 2011). Les plus récents mécanismes proposés pour expliquer la relation entre le contrôle sensorimoteur et le développement de symptômes douloureux ont un aspect clé en commun, soit la présence d’adaptations au phénomène douloureux (Hodges, 2011). Ces adaptations seront abordées en détail dans la section portant sur le contrôle moteur.
LE CONTRÔLE MOTEUR
Adaptations à la douleur
Il a été montré que les patients atteints de douleurs développent des adaptations motrices comme moyen d’atténuer leurs symptômes (Hodges, 2011). Il a aussi été proposé que lorsque ces adaptations motrices sont excessives ou persistent au-delà de l’épisode douloureux, elles contribuent à la perpétuation ou à la récurrence de la douleur (Hodges, 2011). De fait, on sait maintenant que les patients atteints de douleurs lombaires ou cervicales non spécifiques présentent un contrôle sensorimoteur altéré lorsque comparés à des sujets asymptomatiques (Grip, Sundelin, Gerdle & Karlsson, 2007; Marshall & Murphy, 2006). Par exemple, les patients atteints de troubles liés au syndrome du coup de fouet (whiplash associated disorders), de douleurs cervicales sous-cliniques et non spécifiques présentent une diminution du sens kinesthésique lors de tâches telles que celle de pointage cervicale (Lee, Wang, Yao & Wang, 2008). Le contrôle neuromusculaire est au cœur de plusieurs modèles visant à comprendre les comportements moteurs chez les patients éprouvant de la douleur (Zito, Juil & Story, 2006). Cependant, l’altération du contrôle sensorimoteur à la fois comme facteur de risques ou facteur contributif des céphalées de tension n’a encore jamais été étudiée.
Modifications du contrôle sensorimoteur
Une récente étude s’est intéressée aux adaptations motrices en présence de douleur et à leur implication dans les interventions cliniques (Hodges, 2011). Il a été montré que ces adaptations découlent de différents mécanismes sous-jacents et que chacune revêt des implications différentes en termes de réadaptation (Hodges, 2011). la figure 3 illustre la nouvelle théorie de l’adaptation motrice face à la douleur et les implications pour la réadaptation telle que proposée par Hodges (Hodges, 2011).
Plusieurs interventions cliniques visent à modifier les changements encourus au sein du contrôle moteur en présence de douleur. Parmi celles-ci, on compte la redistribution de l’activité musculaire par des techniques utilisant le biofeedback (électromyographie, ultrasons) (Crossley, Bennell, Green, Cowan & McConnell, 2002) et l’amélioration de la fonction musculaire par l’application de ruban thérapeutique (Cowan, Bennell & Hodges, 2002). D’autres interventions de nature psychologique ont pour but de réduire la valeur associée à la sensation douloureuse en gérant les comportements négatifs tels que l’évitement ou la réaction catastrophique à la douleur (Hodges, 2011). En plus des mécanismes élémentaires d’adaptation à la douleur tels que la transmission de l’information afférente nociceptive aux motoneurones, les circuits d’interneurones facilitateurs et inhibiteurs à l’intérieur de la moelle épinière et du tronc cérébral (lund, Donga, Widmer & Stohler, 1991) et l’augmentation de l’activité des fuseaux neuromusculaires, des changements ont été observés au niveau de l’excitabilité (Matre, Sinkjaer, Svensson & Arendt-Nielsen, 1998; Svensson, Macaluso, De Laat & Wang, 2001; Thunberg, Ljubisavljevic, Djupsjobacka & Johansson, 2002; Wang, Arima, Arendt-Nielsen & Svensson, 2000) et de l’organisation du cortex moteur ainsi qu’au niveau de la planification des réponses motrices (Maihofner et al., 2007; Tsao, Galea & Hodges, 2008). Il a été montré que des changements survenant dans la fonction sensorielle ont un effet sur le contrôle du mouvement dans plusieurs conditions musculosquelettiques (cervicalgies, lombalgies, douleurs à l’épaule) (Newcomer, Laskowski, Yu, Johnson & An, 2000; Treleaven, Juil & LowChoy, 2006; Warner, Lephart & Fu, 1996). À titre d’exemple, ces changements incluent une diminution de l’acuité sensorielle (Sharma & Pai, 1997) et de la réponse aux stimuli sensoriels (Brumagne, Cordo & Verschueren, 2004), la réorganisation des régions somatosensorielles du cortex cérébral (Brumagne et al., 2004), ainsi que des changements dans la planification motrice et le contrôle de la motricité (Brumagne, Lysens & Spaepen, 1999). Parmi les changements sensorimoteurs les plus fréquemment étudiés, on retrouve la capacité d’un individu à reproduire avec précision un mouvement prédéterminé tel que l’atteinte de cibles dans une tâche de pointage.
Tâche de pointage cervicale
Une tâche de pointage cervicale mesure l’habilité du système neuromusculaire à repositionner la tête dans une posture donnée suite à des mouvements actifs dans différents plans de mouvements. L’erreur de positionnement articulaire qui en découle est définie comme la différence angulaire entre une cible préalablement définie et la position résultante actuelle de la tête. La figure 4 illustre la mesure de l’erreur de repositionnement articulaire. L’erreur de positionnement articulaire est considérée comme le reflet d’un déficit dans l’intégration de l’information proprioceptive afférente en provenance des récepteurs articulaires et musculaires cervicaux (Treleaven, 2008). La tâche kinesthésique cervicale, développée par Revel en 1991 (Revel, Andre-Deshays & Minguet, 1991) et modifiée par Loudon en 1997 (Loudon, Ruhl & Field, 1997) s’est avérée être une mesure valide et fiable du contrôle sensorimoteur de la région cervicale (Loudon et aL, 1997; Pinsault et aL, 2006; Revel et aL, 1991) et fut abondamment utilisée dans les populations atteintes de désordres liés au syndrome du coup de fouet (Grip, Sundelin, Gerdle & Karlsson, 2007; Treleaven et aL, 2006) et de cervicalgies non spécifiques.
CONCLUSION
les résultats de ce projet de maîtrise indiquent que le contrôle sensorimoteur de la région cervicale est affecté chez des individus atteints de céphalées de tension comparativement à des individus sains lorsque soumis à une tâche de pointage cervicale. Par ailleurs, la sévérité des changements moteurs observés est dans une certaine mesure corrélée à la fréquence de l’incapacité liée aux céphalées et aux cervicalgies. Cette étude est la première à documenter le phénomène de diminution du contrôle moteur dans une population atteinte de céphalées de tension. Ces résultats laissent à penser que la diminution du contrôle moteur puisse être à l’origine ou contribuer à la symptomatologie des céphalées de tension. Des études futures devraient donc se pencher sur la compréhension des phénomènes physiologiques sous-jacents aux adaptations motrices et également s’intéresser au développement d’interventions visant la modulation du contrôle moteur. la prévention de la transition de la forme épisodique vers la forme chronique serait un atout indéniable à la fois pour une prise en charge efficace des individus atteints de céphalées de tension et pour diminuer le fardeau socioéconomique qui lui est associé.
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Table des matières
1. INTRODUCTION
LA CÉPHALÉE DE TENSION
Définition
Épidémiologie
Pathophysiologie
LE CONTRÔLE MOTEUR
Adaptations à la douleur
Modifications du contrôle sensorimoteur
Tâche de pointage cervicale
Tâche de Fitts
Il. OBJECTIFS
III. ARTICLE
Abstract
Introduction
Methods
Participants
Outcome measures
Aiming task
Data analysis
Statistical analysis
Results
Discussion
Limitations
Conclusion
IV. DISCUSSION
Rappel des objectifs et hypothèses
Retour sur les principaux résultats
Contrôle sensorimoteur et évaluation des conditions musculosquelettiques
Limites
Perspectives de recherche
V. CONCLUSiON
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