Le développement croissant des technosciences est l’une des caractéristiques fondamentales du monde d’aujourd’hui. Ce développement se traduit par le pouvoir que la science confère à l’homme sur la nature et par l’intervention de l’homme dans les structures du vivant. L’expérimentation humaine, l’insémination artificielle, la fécondation in vitro, l’eugénisme, le clonage reproductif et l’euthanasie, entres autres par exemples, constituent des pratiques qui remettent en cause les exigences éthiques. Un tel état de fait pose l’urgence d’une réflexion sur les pratiques et les conséquences du savoir scientifique. C’est donc ce qui nous a conduit à nous intéresser à la bioéthique dont l’objectif fondamental est d’appliquer l’éthique à la science.
Ainsi, il y a un manque de réflexion éthique dans la science, autrement dit, la science se développe dans le « vide éthique ». Une telle science nécessite une réflexion éthique. Mais, les principes sur lesquels doit se fonder cette réflexion posent problèmes. S’il faut appliquer l’éthique à la science, sur quels principes doit-on le faire ? Quels sont les fondement de la bioéthique ? Est-ce que la prise en compte des questions éthiques ne constituerait pas un frein pour la science ?
C’est par rapport à ces questions que nous avons divisé notre travail en deux parties. Dans une première partie intitulée : la question de la bioéthique, nous avons commencé par étudier d’abord le contexte dans lequel est apparue cette réflexion. Ce contexte est marqué par le développement des sciences et des techniques et par des faits historiques importants que nous n’avons pas manqués d’évoquer. Après cela nous nous sommes intéressés à l’historique, la définition, le champ et les objets de la bioéthique. Dans une deuxième partie, nous nous sommes intéressés aux principes de la bioéthique en rapport aux pratiques évoquées. Après cela, nous avons étudié le pluralisme comme condition du débat bioéthique.
LE CONTEXTE D’APPARITION DE LA BIOETHIQUE
DU ROLE TRADITIONNEL DE LA SCIENCE A L’INSTITUTION DU PROJET DE MAITRISE DE LA NATURE PAR LA SCIENCE
D’entrée, science sans conscience n’est que ruine de l’âme. Ces sages préceptes moraux sont lancés par François Rabelais, depuis le XVIe siècle, (dans une lettre de Gargantua adressée à son fils Pantagruel, alors étudiant à Paris). Mais le monde contemporain semble ne pas avoir retenu le sens de ces propos en faisant la science sans conscience. En fait, par cette formule, Rabelais invite en clair, l’homme de science à exercer sa science dans un cadre moral, à baliser son activité selon une éthique.
Depuis très longtemps, l’être humain fait usage de son génie créatif ; cherchant, inventant, il pense et développe aussi sa connaissance. Ce génie créatif plus ou moins exploré, est le propre de l’homme ; il lui permet de se distinguer des autres êtres vivants. Mais, dans le monde d’aujourd’hui, l’homme se sert de son génie créatif sans pour autant se demander, au préalable, si cela est conforme à l’éthique. Le problème qui en résulte est que, lorsque sans prendre en considération la conscience ou l’éthique, l’homme crée ou se sert de la science comme il veut, il agit de façon redoutable ; ces actions comportent le plus souvent des dérives et se retournent sur lui-même.
En fait, faisons une petite mais importante précision, sur les expressions suivantes : « science sans conscience » et « ruine de l’âme. » La première expression renvoie à un manque de réflexion éthique et la seconde à la dégradation de l’âme. Cette dernière, étant le « principe de la vie et de la pensée ou toutes les deux à la fois, en tant qu’il est considéré comme une réalité distincte du corps par lequel il manifeste son activité » , la ruiner revient à ruiner la vie ou la pensée. A cela s’ajoute le fait que la pensée étant « synonyme d’intelligence », caractéristique fondamentale qui distingue l’homme de l’animal, la détruire ou la dégrader serait détruire ou dégrader l’homme en le rabaissant au statut de chose. C’est dire donc que, celui qui utilise la science dans le seul plaisir de satisfaire ses intérêts particuliers sans penser au respect de la vie des personnes et de leur dignité entraîne forcément la ruine de l’âme. Autrement dit, l’usage de la science sans la conscience, sans l’éthique, constitue une ruine pour l’âme.
Pourtant, dans la pensée grecque, précisément chez les Anciens comme Platon et Aristote, la science apparaît comme activité spéculative, théorique et désintéressée. Mais aujourd’hui, grâce à une entreprise croissante d’accumulation de savoir et de pouvoir, l’homme devient sujet et objet de la science. Voici comment cette entreprise s’est progressivement construite. En fait, la science est une activité qui n’a pas toujours eu le sens, l’expansion et la puissance qu’elle a aujourd’hui.
Le mot science possède plusieurs significations. Au sens large, il désigne le « savoir» voire habileté technique, en particuliers, en matière de peinture de musique, de versification, bref, les connaissances du métier. Mais, dans la philosophique grecque, le mot science a aussi plusieurs significations. Le mot science ou «scientia» présentait un sens fort qu’il a perdu aujourd’hui avec le développement des sciences.
En fait, Platon donne au mot science plusieurs sens, mais dans son ouvrage intitulé La République, le mot occupe le plus haut degré, dans la classification qu’il fait des degrés de la connaissance. La science y désigne la pensée discursive, la connaissance parfaite et les deux sont réunies sous le nom de l’intellection : « Il nous plaira donc, dit Platon, comme auparavant, de nommer la première section science, et la deuxième pensée, la troisième croyance, et la quatrième représentation. Il suffira aussi de nommer ces deux dernières prises ensemble opinion, et les deux premières ensemble intellection. On dira alors que l’opinion concerne le devenir, alors que l’intellection vise l’être : ce que l’être est par rapport au devenir, l’intellection l’est par rapport à l’opinion, et ce que l’intellection est par rapport à l’opinion, la science l’est par rapport à la croyance, et à la pensée par rapport à la représentation. » Par ailleurs, chez Aristote, le mot science possède aussi un sens fort. Aristote attribue au mot science plusieurs significations, autrement dit, il admet une diversité de sciences en un sens voisin à celui des modernes.
Cependant, la science parfaitement science, la vraie science est pour lui, la science qui vise l’être parfait, l’être suffisamment général, qui est dans sa pureté originelle et qui ne se rapporte à aucun être particulier. C’est pourquoi, la vraie connaissance vraiment digne de ce nom est donc, celle de la science de l’être en tant qu’être, autrement dit, celle qui se rapporte à cet être général. Cette science dont parle Aristote, et qui a pour objet l’être suprême, est uniquement fondée sur la contemplation. D’ailleurs, Aristote dit bien que, « celui qui préfère connaître pour connaître choisira avant tout, la science par excellence, et telle est la science du suprême connaissable. » .
En effet, les Grecs en valorisant la théorie l’ont distinguée de l’activité pratique. Chez eux, la science est fondée sur la contemplation. L’homme est, par essence, un animal voué au langage, c’est un animal qui parle. La science étant, dans cette Antiquité grecque, confondue avec l’activité discursive, on ne pouvait pas parler de dissociation de l’homme avec son « essence langagière ». La science est contemplative ; elle est de l’ordre de la théorie. Elle constitue un savoir simplement théorique qui se distingue des savoirs-faire pratiques. Quant à la « technè » ou l’ensemble des pratiques utilitaires : « savoir-faire », métiers ou l’art, elle est placée hiérarchiquement après la « théoria ». Elle est simplement « considérée comme « application de la science. ».
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Table des matières
INTRODUCTION GENERAL
PREMIERE PARTIE : LA QUESTION DE LA BIOETHIQUE
Chapitre 1 : Le Contexte d’apparition de la bioéthique
1. Du rôle traditionnel de la science à l’institution du projet de maîtrise de la nature par la science
2. De l’institution du projet de maîtrise de la nature par la science à la technoscience
Chapitre 2 : Historique, définition, champ et objets de la bioéthique
1. Historique définition et champs de la bioéthique
2. Objets de la bioéthique
DEUXIEME PARTIE : LES IMPLICATIONS ETHIQUES DES PRATIQUES TECHNOSCIENTIFIQUES
Chapitre 1 : Des principes traditionnels aux principes actuels de la bioéthique
1. Principes traditionnels
2. Principes actuels
Chapitre 2 : Des comités d’éthique à la législation bioéthique, le pluralisme comme condition du débat bioéthique
1. Des comités d’éthique à la législation bioéthique
2. Le Pluralisme comme condition du débat bioéthique
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
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