Le constat d’une faible culture du risque chez les résidents oléronais

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Risques « oficiels » : premiers éléments d’interprétation

Nous observons donc que l’État emploie deux expressions liées à la thématique des risques naturels : « catastrophe naturelle » et « risque naturel ». Le terme risque paraît associé aux dispositions concernant les actions de prévention tandis que catastrophe est plutôt lié aux règles d’assurance (tableau 1). Une catastrophe naturelle est donc un évènement qui a existé, qui est passé au moment où il est évoqué. Tandis qu’un « risque naturel » est un évènement qui ne s’est pas encore produit au moment de son évocation, mais dont l’avènement est probable, voire prévisible avec une précision plus ou moins grande : on sait qu’il arrivera, mais on ne sait pas forcément quand. Ainsi, selon l’État, le « risque » est la représentation simpliiée d’une situation pouvant aboutir à une catastrophe. En efet, selon les guides d’élaboration des PPR, un risque est caractérisé par deux paramètres : la probabilité de sa survenance à un moment donné, le type de phénomène et son intensité.

Le « risque naturel » en géographie

De notre point de vue, le sujet des risques naturels présente l’intérêt de pouvoir fédérer les formations dont on bénéicie dans un cursus classique de géographie, en particulier de faire le lien entre géographie humaine et géographie physique. Il se présente donc comme un objet pluridisciplinaire complexe et pour l’aborder correctement il est nécessaire de le considérer dans sa globalité.

De l’étude des relations société-environnement

L’importation du concept de « risque » s’inscrit dans l’intérêt que les géographes portent à l’une des questions principales de la discipline qui est celle de comprendre et de rendre compte des relations entre les sociétés et leur environnement. Diférentes manières de concevoir ces relations se sont succédées, l’environnement étant tantôt considéré comme une entité étrangère à la société et immuable, tantôt étant interdépendante à cette dernière et dynamique.
Un des premiers modèles d’explication considérait les individus comme objet passif. Un des exemples les plus anciens et les plus marquants est sans doute l’Esprit des Lois de MONTESQUIEU (1748), dans lequel l’intellectuel démontre un lien causal direct entre la variation des caractères humains et la variation des caractères climatiques. À ce propos, Pierre GOUROU, dans un article de 1963, dénonce le « déterminisme physique » présent dans cet ouvrage, aujourd’hui considéré comme caricatural13.
« On a donc plus de vigueur dans les climats froids. L’action du cœur et la réaction des extrémités des ibres s’y font mieux, les liqueurs sont mieux en équilibre, le sang est plus déterminé vers le cœur, et réciproquement le cœur a plus de puissance. Cette force plus grande doit produire bien des efets: par exemple, plus de coniance en soi-même, c’est-à-dire plus de courage; plus de connaissance de sa supériorité, c’est-à-dire moins de désir de la vengeance; plus d’opinion de sa sûreté, c’est-à-dire plus de franchise, moins de soupçons, de politique et de ruses. Enin cela doit faire des caractères bien diférents. »14
L’idée d’une relation plus complexe entre les sociétés et les milieux s’airme au début du XXe siècle. Paul CLAVAL, dans son article de synthèse de 1974, « La géographie et la perception de l’espace », cite notamment Lucien GALLOIS (1908) comme un des géographes les plus représentatifs de cette volonté de remettre en cause une relation causale directe entre les aires physiques et les aires culturelles, mettant en évidence un décalage entre toponymie et caractéristique physique des lieux nommés. En efet, de nombreux travaux de la in du XIXe et début XXe ont cherché à conforter ce déterminisme sur les correspondances entre les noms de lieux et leurs caractéristiques. Gallois démontrera que dans la plupart des cas les deux variables sont indépendantes.
Malgré cette prise de conscience précoce, il faudra attendre les années 1960 pour que les individus soient considérés comme des sujets, c’est-à-dire des êtres capables de penser et d’agir sur leur environnement suivant des logiques indépendantes de paramètres physiques. Ainsi parmi les premières études s’intéressant aux diférentes manières de voir des individus nous retiendrons les thèses de Renée ROCHEFORT (1961), s’intéressant au vécu de travailleurs siciliens, et de Jean GALLAIS (1967), étudiant l’organisation du delta intérieur du Niger, qui font igure de référence. GALLAIS montrera en particulier que pour comprendre les pratiques d’aménagement du delta intérieur du Niger, il lui aura été nécessaire de saisir comment les autochtones perçoivent leur territoire dans la mesure où il s’était rendu compte que mettre en parallèle les manières d’organiser l’espace et les caractéristiques du milieu ne permettait de répondre à la question des relations que partiellement. De cette manière, se sont airmées deux idées fondamentales en géographie, l’une concevant les relations société-milieu physique en tant qu’objet complexe et l’autre considérant les individus en tant que sujets pensants.

Réflexions sur la gestion des menaces environnementales avant le concept de risque

Une idée assez récurrente est de penser que ce n’est qu’à partir de l’impact du tremblement de 1755 qui afecta les côtes de l’Europe du sud-ouest, en particulier la ville de Lisbonne, et le débat qui s’ensuivit entre plusieurs intellectuels à propos de l’origine de cette catastrophe, que l’on commence à sortir d’un fatalisme généralisé (NOVEMBER et al., 2011). À ce propos, on cite souvent le débat entre ROUSSEAU et VOLTAIRE, qui est présenté comme une simple opposition fatalisme/rationalisme, mais dont les positions sont en réalité bien plus nuancées.
Rappelons d’abord les faits : un séisme survient le 1er novembre 1755, l’épicentre se trouvant dans l’océan Atlantique, à 200 km au sud-ouest des côtes du Portugal. Outre les destructions imputables directement au tremblement, les incendies et le tsunami17 qui suivirent alourdirent considérablement les dommages et les victimes. Des 65 000 victimes estimées, la plupart concernèrent la ville de Lisbonne qui fut détruite dans sa quasi-intégralité. On a comptabilisé des décès au Portugal, en Espagne et au Maroc (Utsu, 2002). Ces conséquences dramatiques marquèrent considérablement les esprits de l’époque. Ainsi s’élèva une vive controverse : VOLTAIRE, efaré par l’étendue du désastre, attaqua violemment à travers un poème les positions providentialistes théorisées notamment par LEIBNIZ. Ces dernières peuvent se résumer à l’idée que tout évènement positif ou négatif concourt à « l’ordre du monde » voulu par Dieu ; suivant cette conception du réel « tout va pour le mieux ». À partir de cette argumentation, de nombreux auteurs en ont déduit qu’il est alors inutile de chercher à combattre ces évènements18 qui ne peuvent être compris au niveau de l’être humain. ROUSSEAU, qui répondra quelques mois plus tard à Voltaire au sujet de son poème à travers une longue lettre publique, apparaît comme plus nuancé. Il explique que les thèses optimistes s’inscrivent dans une démarche intellectuelle visant à consoler les esprits. Cependant, il introduit l’idée de vulnérabilité : le risque ne se déinit par seulement pas l’aléa. En efet, il airme que les dégâts faisant suite au tremblement de terre auraient été moindres si le bâti avait été moins dense.
« […] quant aux maux physiques, ils sont inévitables dans tout système dont l’homme fait partie ; la plupart de nos maux physiques sont encore notre ouvrage. Sans quitter votre sujet de Lisbonne, convenez, par exemple, que la nature n’avait point rassemblé là vingt mille maisons de six à sept étages, et que si les habitants de cette grande ville eussent été dispersés plus également, et plus légèrement logés, le dégât eût été beaucoup moindre, et peut-être nul. »19
Dans tous les cas, cette discussion témoigne d’une remise en cause des théories fatalistes et de la nature divine des catastrophes. D’un point de vue historique, ce n’est pas la première fois qu’on observe l’opposition entre justiication divine et rationnelle de ces problèmes (Rebotier, 2011). Cette dichotomie entre justiication divine/fataliste et rationnelle des catastrophes n’est pas satisfaisante. Les individus ont de tout temps essayé de comprendre rationnellement les processus aboutissant à des catastrophes ain de développer des stratégies pour y faire face. Une des stratégies de prévention les plus anciennes et répandues à travers diférentes cultures est le choix d’implantation du bâti tenant compte des caractéristiques du milieu. Par exemple, les implantations humaines les plus anciennes dans les littoraux souvent ne se trouvent pas dans les zones basses, inondables, comme l’illustrent Jousseaume et Mercier (2008) dans le cas de la vallée de la loire nantaise et comme on le verra plus loin dans le cas de l’île d’Oléron. Ainsi, en France, jusqu’au XIXe siècle, les populations locales assuraient leur propre sécurité en grande partie grâce aux connaissances sur le milieu et ses écueils transmises soit oralement de génération en génération, soit par le biais d’autres supports, par exemple les archives paroissiales (McKenna et al. 2008 ; Dubois-Maury, 2002). Des études d’archéologie (Sheel-Ybert, 2002) nous montrent aussi des sociétés plus anciennes présentant de grandes capacités d’adaptation face notamment aux variations du niveau marin, sur les côtes de l’actuel Brésil au cours des 5 premiers millénaires B.P., déplaçant leurs campements au gré des luctuations du trait de côte. Un exemple du même type, mais historiquement et géographiquement plus proche nous est synthétisé par l’historien Lebecq (1979), qui étudie l’adaptation de peuples riverains de la mer du Nord entre contraintes anthropiques et naturelles. En efet, poussées par une pression démographique relativement forte, ces sociétés ont ini par investir des espaces littoraux de faible hauteur par rapport au niveau marin, entre le VIe siècle av. J.-C. et le XIe siècle apr. J.-C. Cependant, le caractère vulnérable de ces terres les a conduits à réaliser d’importants travaux d’aménagement : les terpen, qui sont « des élévations artiicielles destinées à l’habitat et délibérément élevées par l’homme contre la menace de l’eau ». Ainsi, nous pensons que les diférentes conceptions des catastrophes naturelles, rationnelle et divine/fataliste, ont coexisté. Les premières pour lutter activement contre les menaces environnementales et les deuxièmes pour apaiser les conséquences d’une catastrophe. De la même façon, certaines situations que l’on rencontre en remontant à des périodes plus anciennes, lorsque les savoirs scientiiques et religieux étaient détenus par les mêmes individus, nous suggèrent que les deux approches œuvraient dans le même but, celui de légitimer les pouvoirs en place ; à la manière de la caste des prêtres dans l’Égypte antique, qui étaient capables de prévenir les crues du Nil et qui se servaient de ce savoir pour asseoir la légitimité « divine » d’un pharaon donné (MANNING, 2002). Nous pensons donc que les deux approches – rationnelle et divine – ont toujours existé. Il nous semble cependant que nous pouvons toujours observer une certaine analogie entre les justiications rationnelle / divine et les volets de gestion prévention / assurance. Ainsi, lorsque toutes les mesures à prendre l’ont été, ne nous reste-t-il que la consolation d’une indemnisation ?

Étymologie du risque : du hasard bienveillant à la mesure du danger

Dans la sous-partie précédente, nous avons montré que la gestion des menaces d’origine naturelle est une problématique qui a accompagné les sociétés au il des siècles. À présent nous tenterons de cerner les origines du concept de risque. La signiication de ce terme est marquée par deux évolutions majeures : le passage d’une acception positive à négative et celui de « locution contractuelle » à « notion probabiliste ». L’apparition du terme « risque » dans sa forme actuelle apparaît au XIe siècle dans le pourtour du bassin méditerranéen (PIGEON, 2010). Il désigne les « efets négatifs liés à une action ou à une situation », qui le plus souvent sont précisés comme étant à la charge d’une personne donnée. Ce terme est considéré comme un néologisme, lié aux pratiques d’assurance.
Le croisement d’études étymologiques de termes grecs et latins révèle que « risque » provient du grec rsskos (VsσκοV), lui-même emprunté du phrygien (VIII-Ve siècle av. J.C.). Littéralement, il désignait le cofre dans lequel était entreposée la monnaie et par extension nous pourrions penser aux fonds d’assurance (BEEKES et Van BEEKS, 2014). Le Code de Hammurabi (1750 av. J.-C. environ) est le témoignage ancien le plus connu de ces pratiques, bien qu’il existe des traces écrites de ces procédures remontant au IVe millénaire av. J.-C., caractérisant les échanges commerciaux entre la Mésopotamie et l’Anatolie (VEENHOF, 1972). Nous retrouvons aussi ces formes d’assurances sous l’expression de « prêt à la grosse aventure » (CORVISIER, 2008) aux VIe et Ve siècles av. J.-C. Dans ce contexte, il désigne le capital prêté par un particulier à un négociant pour inancer son voyage et assurer les marchandises en cas de perte ou de vol. Cependant, le terme de risque ne sera pas rencontré explicitement au cours de ces périodes, en efet il n’apparaîtra qu’au XIe siècle, mais le sens aura drastiquement évolué. En efet, il ne désigne plus l’assurance, mais le danger susceptible de porter un préjudice (PIANIGIANI, 1907). Même en langue arabe, si le rizq désigne littéralement le don de la Providence que l’homme a le pouvoir de faire fructiier ou non, placé dans le langage juridique des contrats il devient danger potentiel (BENCHEIK, 2002). Enin, si au départ il ne s’agit que d’une expression juridique désignant les préjudices potentiels inhérents à l’objet d’un marchandage, à partir du XVIIe siècle, avec la capacité de traiter mathématiquement le concept de probabilité – notamment grâce à Blaise PASCAL – le terme intègre désormais une composante probabiliste et cette nouvelle acception sera difusée à travers le développement des compagnies d’assurance (NOVEMBER et al., 2011). Ainsi l’évolution du sens du terme de risque semble inalement témoigner d’une volonté toujours plus airmée de chaque être de vouloir maîtriser son destin par rapport à un environnement donné. Dans ce cas, nous pouvons pleinement saisir la thèse de GIDDENS (1991) qui défend l’idée que notre société moderne exhorte chaque individu à prendre en main sa trajectoire, à évaluer constamment les opportunités et les menaces qui se présentent à lui, plutôt qu’à « reproduire celle de ses parents ». L’individu moderne baigne donc dans une « culture du risque », selon l’expression de PERETTI-WATEL (2005). Cependant, cette acception difère de celle que nous emploierons par la suite. En efet, Peretti-Watel identiie une attitude à l’échelle individuelle. Dans notre thèse, nous nous intéresserons aussi à la dimension sociale de ce comportement.

Les fondements de la complexité du concept de risque

Nous avons pu voir que si des phénomènes naturels ont de tout temps menacé l’existence de certains individus, l’usage de l’expression de « risque naturel » par les sciences et les politiques est relativement récent. L’introduction du concept de risque paraît correspondre à un changement de paradigme : il illustre une relation à l’environnement dominée par la pensée rationnelle. Le risque n’est donc pas un objet en soi, préexistant à notre pensée, mais un produit de celle-ci. En particulier, le risque est une « construction sociale » (PERETTI-WATEL, 2000). Cette expression implique la prise en compte de deux processus sous-tendant cette construction :
• les processus mentaux individuels participant à l’entendement du réel, pouvant s’identiier à des analyses coûts-bénéices systématiques que chaque individu efectue par rapport aux éléments composant son environnement, pour qu’il puisse y évoluer de la meilleure façon, reprenant ainsi l’idée de culture du risque selon PERETTI-WATEL (2003). Ces analyses à l’échelle individuelle induisent une diversité des discours, dépendante largement de l’évaluateur .
• les interactions sociales qui conduisent à des discours plus ou moins partagés, susceptibles de poser des problèmes, notamment lorsque diférents individus sont amenés à débattre sur des décisions impliquant la gestion de menaces environnementales.
Ainsi, il nous apparaît nécessaire d’aborder les principes fondamentaux liés au rapport des individus à leur environnement, ainsi qu’à la gestion en société des menaces environnementales, deux aspects majeurs de la complexité du concept de risque.

Le risque à l’échelle individuelle : les théories de la cognition

Deux questions importantes restent encore à résoudre : la complexité des risques, caractérisée par un grand nombre de paramètres susceptibles de contribuer à l’occurrence des catastrophes ; la diversité des acteurs concernés par ce problème – qu’ils soient habitants, commerçants exposés ou décideurs publics, qui subissent les catastrophes, mais aussi qui sont susceptibles de les aggraver, voire de les provoquer, ou bien de les atténuer ou de les prévenir. Ainsi pour mieux comprendre les logiques sous-tendant les discours des diférents acteurs, nous nous sommes intéressés, en un premier temps, aux théories de la cognition et à leur application à la thématique des risques.
La plupart des théories de la cognition actuelles proviennent de la critique du paradigme du « choix rationnel » (dont est issue, entre autres, la théorie de l’homo œconomicus), dominant en économie jusqu’aux années 1950. Une nouvelle conception des rapports individu-environnement a été alors mise en avant. À partir de celle-ci, les géographes ont pu mieux appréhender l’articulation des processus allant de la cognition (l’entendement du réel) à l’action.
Une des théories de l’ancien paradigme s’attache à modéliser le comportement des individus sur la base de deux principes majeurs : un principe de transparence (un individu a accès à toutes les informations) et un principe de rationalité (un individu prend des décisions logiques en fonction des informations qu’il a reçues). En 1955, l’économiste Herbert SIMON remettra en cause ces théories, notamment en démontrant d’une part que les informations dont disposent les individus sont rarement complètes et que d’autre part, leurs décisions ne dépendent pas seulement des informations dont ils disposent, mais aussi de leurs motivations ou objectifs. Cela a permis le développement de recherches visant à combler les lacunes des théories existantes en empruntant notamment des concepts provenant de la psychologie, qui dès 1940 ont commencé à aller au-delà du paradigme naturaliste20 auquel s’apparente la théorie de l’homo œconomicus, cette dernière considérant la perception comme un processus mécanique au cours duquel, partant d’un stimulus donné, on obtient invariablement une réponse donnée.
Grâce à ces apports, l’économiste et philosophe Kenneth Ewart BOULDING (1956), propose l’idée que nous ne savons saisir le réel qu’à partir des images que nous élaborons de celui-ci, autrement dit, nous agissons vis-à-vis de la réalité en fonction de l’image que nous avons de celle-ci 21. Il s’agit d’une idée fondamentale, que nous retrouvons d’ailleurs dans l’Encyclopédie de Géographie de BAILLY, FERRAS et PUMAIN (1995) : « le réel objectif n’existe pas en dehors de nos représentations ».

Les apports du concept de « culture » pour une meilleure adaptation aux risques côtiers

Au cœur de l’idée de « culture du risque » selon l’État apparaît donc l’objectif d’informer les populations au sujet des risques qu’ils encourent ain qu’ils développent une conscience et des comportements adaptés. D’après les premiers éléments présentés dans ce chapitre, actuellement la quantité d’informations disponible est indéniablement conséquente, cependant l’intérêt pour ces informations reste faible. Comme nous l’avons évoqué dans la sous-partie précédente, nous pensons que cela est dû au fait que leur acceptation nécessiterait de remettre en question les relations que les individus entretiennent avec la Nature et les institutions. Il s’agit alors d’amener les individus à repenser leur conception des risques ain d’aller au-delà du caractère « peu enrôlant » des directives institutionnelles (GOUTX, 2012) et de concilier les conlits existants entre les individus et l’État, du fait de leurs conceptions diférentes de la problématique des risques littoraux. Plusieurs chercheurs ont d’ailleurs travaillé sur ces rapports conlictuels : ANCKIÈRE et LANGUMIER (2009) ; TRICOT, LABUSSIÈRE (2008) ; WEISS et al. (2011).
Dans ce cadre, le concept de « culture » peut apporter des pistes d’amélioration aux problèmes présentés précédemment. Cela permettra aussi à l’expression de « culture du risque » de mieux incarner les éléments et les dynamiques qu’elle est censée identiier. L’exploration de la déinition de « culture » n’est pas aisée du fait qu’il en existe une multitude en sciences humaines (KROEBER et al., 1952). Néanmoins, cet ouvrage de synthèse montre qu’il existe deux groupes de théories sur l’origine de la culture : le premier considère la culture comme une invention créée pour résoudre des questions liées à la survie (par exemple FREUD, 1929) et le second estime que la culture est une libre invention, qui se place au-delà de toute contrainte biologique (par exemple Benveniste, 1966). Dans le cadre de notre analyse, nous croyons que le premier groupe est le mieux adapté. Ainsi, nous pouvons repérer certains aspects récurrents dans les déinitions de culture :
1. une culture désigne ce qui est de l’ordre de l’acquis, à la diférence de ce qui est inné .
2. elle a pour objet la survie d’un groupe donné. Elle comprend ainsi des éléments .
a. pour assurer le maintien d’un ordre donné parmi les individus du groupe .
b. pour assurer la survie par rapport à un environnement donné .
3. Ces acquis sont des connaissances basées sur des expériences ou des croyances déterminant les « meilleures » manières de voir et d’agir par rapport à un environnement donné (au quotidien ou dans des situations particulières) .
4. Ces connaissances sont transmises et entretenues d’une génération à l’autre par des échanges qui vont du simple dialogue à des rites plus ou moins complexes.
Il est important de noter que la culture est eicace par rapport à un environnement de référence. Celui-ci est constitué à la fois d’éléments naturels (ressources, dangers) et sociaux (amis, ennemis). La modiication d’un ou plusieurs éléments de l’environnement de référence peut rendre une culture inadaptée42. Ces modiications peuvent survenir dépendamment ou indépendamment du groupe donné. L’on peut penser par exemple à des changements du milieu naturel ou à des invasions. Ou alors des facteurs propres au groupe peuvent en être la cause : des connaissances insuisantes ou des pratiques qui se révèlent inadaptées, mais aussi la migration du groupe vers un nouvel environnement, difèrent, dans lequel la culture de départ se montrerait ineicace.
Ces précisions nous permettent de mieux cerner l’état d’une éventuelle culture du risque auprès des populations exposées à des aléas côtiers. En efet, une culture des risques côtiers semble théoriquement exister dans la mesure où :
• elle est un ensemble de connaissances et de pratiques, censées déterminer une meilleure conscience et de meilleurs comportements par rapport aux aléas côtiers (point 3 de la liste précédente) .
• elle a pour objectif de réduire la vulnérabilité des populations en situation de crise, mais aussi de prévenir ces situations à risque (point 2.b) .
• l’eicacité de cette culture permettrait, par ailleurs, de préserver une certaine paix sociale43 (point 2.a) .
En efet, cet ensemble existe a priori (voir sous-partie précédente). Cependant, la déinition de culture proposée met à nouveau en évidence des insuisances au niveau de l’acquisition des connaissances par les populations. Compte tenu des déclarations des principales instances gouvernementales, les populations ne semblent pas porter d’intérêt à ces informations et peu paraissent en avoir connaissance. Au-delà de la communication institutionnelle, nous nous interrogeons sur la manière dont les individus se saisissent directement ou indirectement des problématiques liées aux aléas côtiers.

Un substrat rocheux dans la continuité du continent

Une première lecture globale de la carte géologique représentant l’île d’Oléron (Bourgueil et al., 1976) nous donne à voir des formations rocheuses dominantes, datant de 160 à 90 millions d’années avant notre ère – des marnes du jurassique supérieur et des calcaires du crétacé supérieur – paraissant s’étirer sur un axe nord-ouest / sud-est de Chassiron (pointe nord de l’île d’Oléron, commune de Saint-Denis-d’Oléron) à Bourcefranc (commune continentale au sud). De la même manière, nous avons constaté que le massif dunaire de Saint-Trojan-les-Bains semble se poursuivre sur la commune continentale de La Tremblade. Ces deux éléments suggèrent une continuité des formations géologiques de l’île au continent. Une analyse des aleurements à l’échelle du département de la Charente-Maritime, nous permet de conirmer ces observations (Sellier et Dubois, 2010). En efet, les formations géologiques de l’île font partie, dans leur quasi-totalité, de l’anticlinal de Gémozac-Jonzac, qui s’étend sur une longueur de 150 km : la pointe de Chassiron au nord et la commune de Jonzac au sud (sur le continent) en sont les extrémités. Plus exactement, l’île d’Oléron se situe sur le lanc sud-ouest de cet anticlinal. Aux environs de Chassiron, l’érosion, en particulier par l’action de la mer, a permis de mettre à nu les couches inférieures du pli et ainsi d’en relever la structure (voir la photographie ci-dessous).

Les formations dunaires

La formation de dunes a débuté parallèlement aux dépôts luvio-marins. Cependant, les processus mobilisés ne sont pas les mêmes : en efet, leur mise en place est surtout l’œuvre du vent. À l’instar des dépôts luvio-marins et des cordons dunaires, nous pouvons observer des ensembles dunaires d’âges diférents, témoignant de leur déplacement. Ce dernier résulte de trois facteurs majeurs : le vent, les courants marins et les sociétés. Si la carte géologique, conformément aux vents dominants, majoritairement d’Ouest et aux dérives littorales, nous montre un étalement des dunes vers l’est, la comparaison de cartes plus récentes nous montre un déplacement généralisé vers l’ouest à partir du XIXe siècle. Nous avançons l’idée que ce mouvement est en partie l’œuvre des sociétés56. Nous aborderons à nouveau ce sujet dans le cadre de l’évolution des rivages. Les dunes se sont formées pour la plupart sur la côte ouest, grâce, entre autres, aux platiers rocheux qui ont réduit l’énergie des vagues et donc favorisé le maintien des sédiments. Notons cependant la présence de deux massifs dunaires l’un au sud-ouest (Saint-Trojan) et l’autre au nord-est (les Saumonards).

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Table des matières

Introduction générale
A. Point de départ : la « culture du risque »
B. Problématique : saisir les diférentes manières de voir et d’agir face aux aléas côtiers pour la déinition d’une culture du risque partagée
C. Contexte de la recherche
Chapitre I Du risque à la culture du risque : considérations théoriques
A. Le concept de « risque naturel » dans les sphères politiques et scientiiques
1. Le « risque naturel » selon l’État
a. État de la législation actuelle
b. Risques « oiciels » : premiers éléments d’interprétation
2. Le « risque naturel » en géographie
a. De l’étude des relations société-environnement…
b. … à l’introduction du concept de risque en géographie
B. Éléments pour saisir la complexité du concept de risque
1. Avant le concept de « risque naturel »
a. Rélexions sur la gestion des menaces environnementales avant le concept de risque
b. Étymologie du risque : du hasard bienveillant à la mesure du danger
2. Les fondements de la complexité du concept de risque
a. Le risque à l’échelle individuelle : les théories de la cognition
b. Le risque à l’échelle collective : la lutte en société contre les aléas
C. La « culture du risque » : une nouvelle piste pour l’amélioration de la prévention des risques côtiers ?
1. De la « culture du risque » à l’information institutionnelle sur les risques naturels
2. Les apports du concept de « culture » pour une meilleure adaptation aux risques côtiers
Chapitre II Présentation de l’île d’Oléron : l’héritage d’une société résiliente
A. Considérations sur les milieux « naturels » de l’île d’Oléron
1. Géomorphologie générale de l’île d’Oléron
a. Un substrat rocheux dans la continuité du continent
b. De vastes zones de dépôts
c. Les formations dunaires
2. L’évolution des rivages
a. L’instabilité de la côte oléronaise : un fait anciennement connu
b. L’apport des archives et des cartes anciennes
B. Société locale et mise en valeur de l’espace insulaire
1. Premières relations société – nature
a. Le temps des abbayes : des défrichements aux avancées dunaires
b. De la saliculture à l’ostréiculture et au tourisme : nouveaux aménagements
2. Entre dunes et marais : évolution des logiques d’implantation des habitats
a. Dynamiques littorales récentes : une accentuation de l’érosion ?
b. De l’arrivée de nouvelles populations à la recherche d’un nouvel équilibre
Chapitre III Méthodologie : saisir et comprendre des cultures des risques côtiers
A. Populations et milieux de référence
B. Description détaillée des sites enquêtés
C. Construction du questionnaire
1. Objectifs et hypothèses
2. Questions posées et grilles de réponses
D. Démarches sur le terrain
E. Préparation des données en vue de leur analyse statistique
Chapitre IV Premiers éléments sur les relations résidents oléronais – milieu côtier
A. Proil : caractères explicatifs
I. Comparaison entre la population de référence et l’échantillon
a. Structure de la population : surreprésentation des hommes et des personnes âgées
b. Statut d’activité : surreprésentation des retraités
c. Composition des ménages : surreprésentation des ménages de plusieurs personnes
d. Diplômes : surreprésentation des diplômes élevés
e. Types de logements : une surreprésentation des résidents principaux, propriétaires
II. Comparaison résidents principaux – résidents secondaires et occasionnels
III. Fréquentation de l’île d’Oléron
a. Une île familiale et un lieu de dépaysement
b. Une fréquentation importante du littoral, mais un lien au milieu faible
IV. Sources des informations : vécu, médias et communication oicielle
a. Plus d’un individu sur deux a vécu un évènement extrême
b. La prédominance des médias et la faible lecture des documents oiciels
IV. Manières de voir les espaces littoraux
c. Des représentations de la mer positives
d. Lieux préférés : la diversité des paysages oléronais mise en avant
e. Des préoccupations sociales avant tout
B. Culture du risque : caractères à expliquer
I. Connaissance des causes des aléas côtiers
II. Évaluation des risques et stratégies préférées
a. Des risques peu redoutés
b. Pertes redoutées : les biens d’abord
c. Maintenir le trait de côte par des solutions techniques
d. Acteurs préférés en charge des risques liés à la mer
III. Comportements en cas de crise et hors période de crise
a. Comportements en cas de crise
b. Comportements hors période de crise
Chapitre V Variation de la culture du risque : premiers éléments
A. L’inluence des variables sociodémographiques
1. Connaissance des causes de submersion et d’érosion
a. Test du χ² : inluence du statut d’activité et de l’âge
b. ACM : « causes de submersion » et proil sociodémographique
c. ACM : « causes d’érosion » et proil sociodémographique
2. Connaissance de mesures eicaces pour éviter des dommages causés par la mer
a. Test du χ² : l’inluence du diplôme et du statut d’activité
b. ACM : « stratégies des mesures » et proil socio-démographique
c. ACM : « approches des mesures » et proil socio-démographique
3. Connaissance des acteurs liés à la gestion des risques côtiers
a. Test du χ² : l’inluence du diplôme et du statut d’activité
b. ACM : « secteurs des acteurs » et proil socio-démographique
c. ACM : « étendue des acteurs » et proil socio-démographique
4. Changements suite à des évènements extrêmes
a. Test du χ² : l’inluence de l’âge et du diplôme
b. ACM : « changement » et proil socio-démographique
5. Gestes en cas de submersion marine
a. Test du χ² : l’inluence de l’âge
b. ACM : « gestes » et proil socio-démographique
6. Réalisation des gestes cités
a. Test du χ² : l’inluence du statut d’activité et de l’âge
b. ACM : « gestes » et proil socio-démographique
B. L’inluence des variables spatiales
1. Connaissance des causes de submersion et d’érosion
a. Test du χ² : l’inluence du type de résidents, de la commune de naissance et de la fréquentation du littoral
b. ACM : « causes submersion » et proil spatial
c. ACM : « causes d’érosion » et proil spatial
2. Changements suite à des évènements extrêmes
a. Test du χ² : fréquentation du littoral
b. ACM : « changements » et proil spatial
C. L’inluence des sources d’information
1. Connaissance des causes de submersion et d’érosion
a. Test du χ² : inluence du vécu, des sources proches et oicielles
b. ACM : « causes de submersion » et sources d’information
c. ACM : « causes d’érosion » et sources d’information
2. Connaissance des acteurs liés à la gestion des risques côtiers
a. Test du χ² : l’inluence des médias généralistes, spécialisés et oiciels
b. ACM : « secteur acteur » et sources d’information
c. ACM : « étendue acteur » et sources d’information
3. L’avis sur les décisions en matière de risques côtiers
a. Test du χ² : l’inluence des médias publics
b. ACM : « avis » et sources d’information
4. Changements suite à des évènements extrêmes
Chapitre VI Interprétation des données
A. Le constat d’une faible culture du risque chez les résidents oléronais
1. Ce que les individus retiennent de leur environnement
a. Un faible niveau de connaissances théoriques chez les résidents oléronais
b. Une mémoire des évènements extrêmes très sélective
c. Méconnaissance du milieu ?
d. Évaluations décalées par rapport aux risques oiciels
2. Réaction des résidents oléronais face aux risques côtiers
a. De faibles réactions suite à des évènements extrêmes
b. Des réactions généralement inadaptées
3. Un début de réponse : une relation particulière à la mer
a. Conception positive et stéréotypée de la mer
b. Préférence de la ixation, au lieu de l’adaptation
c. Désintérêt pour les risques côtiers
B. La diversité de cultures du risque : des pistes pour une meilleure adaptation
1. Les nouvelles générations mieux préparées face aux risques côtiers ?
2. De l’expérience des aléas côtiers à une culture du risque
a. Des expériences individuelles peu déterminantes ?
b. L’inluence des liens au milieu
i. La localisation par rapport aux aléas côtiers, révélatrice d’incohérences
ii. Les résidents secondaires paradoxalement mieux préparés ?
iii. L’importance de la transmission de savoirs
Conclusion générale
Recommandations
Bibliographie

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