Le développement récent du dispositif français de « validation des acquis professionnels » institué en 1992 et devenu « validation des acquis de l’expérience » depuis 2002, est une des origines de cette thèse. Dans ce nouveau cadre légal, les candidats peuvent demander, selon les termes de la loi, « la validation des acquis de leur expérience notamment professionnelle, en vue de l’acquisition d’un diplôme, d’un titre à finalité professionnelle ou d’un certificat de qualification », sur la base de la liste enregistrée dans le Répertoire National des Certifications Professionnelles (RNCP), institué par cette même loi. Ces candidats, qui doivent apporter les preuves d’un exercice d’au moins trois ans dans le domaine relatif à la certification, doivent décrire des activités qu’ils estiment être caractéristiques au regard du diplôme visé, au moyen d’un dossier normé et identique au sein d’un même service de validation. C’est cette dimension de la validation qui se trouve au centre de cette thèse. Nous présenterons l’histoire de ce dispositif, ses principes et les grandes lignes de son fonctionnement dans la première partie de ce texte. Nous dirons d’emblée que le principe de cette validation soulève une question qui peut être considérée sur le versant de l’action comme sur celui de la recherche : quel rapport peut-on établir entre des connaissances développées dans les situations de travail et des connaissances formalisées dans les textes des référentiels de titres et de diplômes ?
La validation des acquis, éléments de contexte
La validation des acquis a été déployée en France en trois temps, si l’on s’en tient au ministère en charge de l’Education nationale et de l’enseignement supérieur dans lequel les études sur lesquelles nous nous appuyons ont été réalisées. Elle prend place dans une vaste reconfiguration des rapports sociaux, notamment marquée par les débats relatifs à la qualification et le recours généralisé à la notion de compétence. Les choix que le législateur a institué relève d’une modalité singulière d’évaluation des acquis de l’expérience, sur dossier, et sur la base d’un « référentiel d’activités professionnelles », qui relève en principe d’une élaboration paritaire. Les études qui servent de base à cette thèse ont été réalisées dans ce contexte, notamment marqué par le passage de la « validation des acquis professionnels » à la « validation des acquis de l’expérience ».
De la « VAP » à la « VAE »
En 1985, un décret permet d’accéder directement à une formation de l’enseignement post-baccalauréat relevant du ministère de l’Education nationale, ou de faire acte de candidature à un concours, dans certaines conditions réglementées, en faisant valider « des études, des expériences professionnelles ou des acquis personnels ». Sept ans plus tard, la loi du 20 juillet 1992 ouvre tous les titres et diplômes de l’enseignement technique et professionnel du ministère de l’Education nationale à la « validation des acquis professionnels » (VAP). Avec cette loi, les salariés qui ont exercé au moins cinq ans dans le domaine visé par le diplôme peuvent demander une ou des dispenses d’épreuves. Le candidat qui voit ses acquis validés dans un domaine n’acquiert pas d’unités de diplôme, et il devra passer au moins une épreuve sous la forme « traditionnelle » de l’examen ou du contrôle continu. Les dispenses obtenues par la validation des acquis constituent donc un allègement, partiel ou plus considérable, des obligations de formation et d’examens jusque-là nécessaires pour obtenir un diplôme à finalité professionnelle. En 2000, alors que 840 000 diplômes de l’enseignement technique et professionnel qui ont été délivrés par le ministère de l’Education nationale, seulement 4000 personnes ont obtenu une dispense d’épreuves par la validation des acquis professionnels (Chiffres MEN).
Avec la loi de 2002, le dispositif de validation des acquis est profondément modifié, dans son ampleur, sa procédure et son objectif. Cette loi crée le Répertoire National des Certifications Professionnelles (RNCP), placé sous l’autorité de la Commission Nationale des Certifications Professionnelles ( CNCP) qui est chargée « de tenir à disposition des personnes et des entreprises une information constamment mise à jour sur les diplômes et les titres à finalité professionnelle ainsi que sur les certificats de qualification figurant sur les listes établies par les commissions paritaires nationales de l’emploi des branches professionnelles » (décret 2002-616, du 26 avril 2002) . Les trois formes de certifications françaises sont ainsi concernées, diplômes, titres et certificats inscrits au répertoire national des certifications. L’ensemble des « certificateurs », aussi bien les ministères en charge de la santé, de l’agriculture, des transports, de la jeunesse et des sports, que les organismes parapublics et les organismes privés de formation sont concernés. Les certifications seront inscrites de droit au répertoire après « avis d’instances consultatives auxquelles les organisations représentatives d’employeurs et de salariés sont parties » . La concertation mentionnée porte sur plusieurs questions, telles que les niveaux des diplômes et les correspondances entre les diplômes d’une même filière. La concertation doit conduire, selon les termes de la même loi de 2002, à établir « une description des activités d’un métier, d’une fonction ou d’un emploi existant, élaboré avec la participation des professionnels concernés » qui sera intégrée au diplôme.
La validation, entre qualification et compétence
En tant que modalité nouvelle de production des certifications, la validation participe à transformer un ensemble peu stabilisé d’activités sociales en matière de certification, de formation, d’orientation professionnelle et de gestion des ressources humaines. La question se pose de savoir si elle peut relancer un processus de promotion sociale, ouvrir de nouvelles perspectives à la formation professionnelle ou plus largement encore, favoriser un mouvement de « formation tout au long de la vie » (Baunay & Clavel, 2002 ; Ravat, 1997 ; Rose, 2003). En face du système de qualification, qui repose sur des compromis entre organisations représentatives à propos de catégories à valeur générale pour tout un ensemble d’activité, les auteurs sont nombreux à s’accorder sur l’idée que la compétence est liée à l’action, finalisée (Montmollin 1984/2001 ; Leplat, 1991/2003). La validation des acquis instaurerait ainsi un nouveau rapport entre qualification et compétences. Parmi les très nombreux textes consacrés à la question, on retiendra seulement quelques éléments qui mettent en relief les choix qui ont été faits par les responsables institutionnels en France lorsqu’il s’est agi de définir les principes de validation des acquis.
Dans son travail sur la formation post-scolaire, Palazzechi (1999) considère l’histoire du système éducatif et de formation professionnelle et constate un « glissement progressif de la dominante de l’éducation comme productrice de comportements citoyens et de développement culturel vers la formation professionnelle comme productrice de compétences attendues » (p. 20). Ropé et Tanguy (1994) abordent ce glissement en considérant l’usage de la notion de compétence dans l’école comme dans les lieux de travail, pour souligner que « l’usage de notion identiques pour désigner des objets apparemment analogues au moyen de techniques similaires ne saurait faire oublier que les pratiques accomplies au quotidien par les agents de l’institution scolaire et par le personnel d’organisations productives demeurent très étrangères les unes aux autres » .
Dugué (2001) estime qu’avec la logique de la compétence, les travailleurs « perdent le bénéfice des conventions collectives caractéristiques du système de la qualification » (p. 44), mais elle relève l’ampleur du problème laissé en suspens par le principe de la qualification qui n’a pas résolu le problème des savoirs acquis dans le travail, et se trouve sans force pour répondre aux pratiques de mobilité professionnelle, aux « organisations plus souples qui se développent » (1996, p.8). Pour autant, souligne Dugué, les évaluations de compétences laissent de côté tout un pan du travail, l’activité technique étant réduite à des expressions généralisantes telles que « la diversité et l’enchevêtrement des tâches », la « résolution de problème », ou l’activité communicationnelle du type « dialoguer avec un technicien » (1994, p. 281). C’est ici le problème de la conception des référentiels d’évaluation qui est ouvert.
L’heure des choix
Après quelques années d’expérimentation de la validation des acquis dans le cadre de la loi de 1994, la position du patronat français a d’abord été radicale en séparant compétence et qualification. Aux journées internationales sur la formation qui se sont tenues à Deauville, en 1997, les représentants patronaux ont considéré que la compétence est liée à la performance. Elle ne peut donc s’évaluer qu’en situation. Le texte publié à la suite de ces journées instaure la démarche compétence comme une « priorité stratégique » pour le management et rappelle ce principe. La compétence y est définie comme « une combinaison de savoirs faire, expériences et comportements s’exerçant dans un contexte précis ; elle se constate lors de sa mise en œuvre, en situation professionnelle, à partir de laquelle elle est validable » (CNPF, 1998).
Dans la même période, M. De Virville remet un rapport sur la formation professionnelle au ministre du travail (De Virville, 1996), dans lequel il rend compte des débats sur la formation professionnelle et sur la « formation tout au long de la vie » et propose un principe qui guide la politique de formation et une option pour construire un nouveau système de certification. « Si la nécessaire transformation de l’économie ne permet pas de garantir à long terme la stabilité de l’emploi et du métier, écrit De Virville, il faut que la qualification professionnelle, conçue comme un capital individuel, renouvelé tout au long de la vie, devienne une source de sécurité, en permettant à chacun de tirer son épingle d’un jeu devenu de plus en plus complexe ». On notera la référence à la « nécessité » pour justifier les propositions de changement et aussi le modèle qui considère la qualification comme un « capital ». Mais un autre point de ce texte doit être repris, parce qu’il définit une orientation, un choix, par rapport aux différentes voies possibles, un choix qui est inverse de celui du patronat français. De Virville souligne l’importance d’une sécurité construite pour « le long terme », une «source de sécurité » dont le principe ne peut donc être qu’extérieur aux situations locales et de plus en plus provisoires, vécues en entreprises. Ce principe d’abord fortement contesté par le patronat sur la base du texte précédemment cité, recueillera finalement un accord. Les connaissances construites dans l’expérience pourront donc être validées sur la base de référentiels de certification.
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Table des matières
INTRODUCTION
CHAPITRE 1. LA VALIDATION DES ACQUIS, ELEMENTS DE CONTEXTE
1.1 De la « VAP » à la « VAE »
1.2 La validation, entre qualification et compétence
1.3 L’heure des choix
1.4 Le principe du dossier, l’accompagnement, le jury
Conclusion
CHAPITRE 2. RESSOURCES SCIENTIFIQUES
2.1 ANALYSE DU TRAVAIL ET DIPLOME : FORMATION ET ORIENTATION
2.1.1 Formation professionnelle des adultes
2.1.2 Orientation professionnelle et validation des acquis
2.1.3 Reconnaissance, validation et analyse des acquis
2.2. L’EVOCATION DE L’ACTION VECUE : REFLET OU TRANSFORMATION ?
2.2.1 Décrire ou comprendre ?
2.2.2 Cerner l’objet du réfléchissement
2.2.3 Forme et contenu
2.3. LA DIDACTIQUE PROFESSIONNELLE, ENTRE INVARIANTS ET DEVELOPPEMENT
2.3.1 Signifiant et signifié
2.3.2 L’activité conceptuelle : entre invariants et variations
2.3.3 Homomorphisme
2.3.4 Les concepts pragmatiques
2.3.5 Une conceptualisation bi-face
2.3.6 Coordination agie, coordination avec une représentation externe
2.3.7 Expliquer pour comprendre
2.3.8 Les invariants entre deux genres
2.3.9 Conceptualisation en situation et conception de la situation
2.4. LE DEVELOPPEMENT DES CONCEPTS CHEZ VYGOTSKI
2.4.1 Le développement des « fonctions mentales supérieures »
2.4.2 Les « stades » de développement des concepts
2.4.3 Différence de nature et rapports entre concepts quotidiens et concepts scientifiques
Conclusion : une hypothèse
CHAPITRE 3. TERRAIN, MATERIAUX, PREMIERES ANALYSES
3.1 De l’analyse d’activité à la constitution du corpus
3.1.1 Analyse d’activité
3.1.2 Analyse d’activité d’accompagnateurs et de jurys
3.2. Critères de choix des corpus analysés
3.2.1 La tâche de validation comme problème
3.2.2 Concepts quotidiens et référentiels de validation des acquis
3.3 Quatre tentatives
3.3.1 Le soin gratuit
3.3.2 L’appel d’offre
3.3.3. Le point critique
3.3.4. La dérive de process
3.4. Premières analyses
3.4.1. L’appel d’offre
3.4.2 La dérive de process
3.4.3 Le soin gratuit
3.4.4 Le point critique
Conclusion
CHAPITRE 4. ANALYSE INTERLOCUTOIRE DE LA REALISATION DES CONCEPTS POTENTIELS
4.1 METHODE D’ANALYSE
4.2 LE SOIN GRATUIT
4.2.1. Chronologie de constitution de l’échange
4.2.2 Régulation
4.2.3 Et retour à l’activité
4.2.4 Mobilisation du concept scientifique
4.2.5. Conditions de développement du concept potentiel
4.3. LE POINT CRITIQUE
4.3. 1 L’ échange entre accompagnateurs
4.3.2 Développement du thème par le candidat
4.3.3 Conditions de développement du concept potentiel
4.3.4 Niveau de généralisation du concept quotidien
4.3.5 Développement des concepts et activité
Conclusion
CHAPITRE 5. DISCUSSION ET PERSPECTIVES
5.1 L’ACTIVITE DIRIGEE
5.1.1 L’activité change de destinataire
5.1.2 De l’exotopie au contexte d’analyse des activités
5.1.3 Sources et ressources : migration fonctionnelle des concepts
5.2. LE GENRE DE LA SITUATION
5.2.1 La constitution du concept potentiel : un événement ?
5.2.2 Répétition sans répétition du concept quotidien
Conclusion
CONCLUSION GENERALE