Le concept fondateur de niche écologique
La niche
Le concept… Le concept de la niche est une des bases théoriques de l’écologie et se révèle central dans la compréhension des réponses de la biodiversité aux changements climatiques. Je n’ai pas ici la volonté de refaire l’historique (mouvementé) de ce concept, mais bien d’en dégager le plus simplement possible les éléments importants à la compréhension de ce mémoire. La niche résume la place occupée par une entité vivante (le plus souvent une espèce) dans l’environnement. Cette place occupée peut être considérée comme contrainte et causée par des paramètres abiotiques (conditions physico-chimiques) et biotiques (interactions avec les autres espèces), c’est la vision de Grinnell (1917). On peut aussi considérer, comme Elton (1927), le rôle actif joué par une espèce en s’intéressant aux fonctions qu’elle assure et son impact sur l’environnement (par exemple dans la chaîne alimentaire : producteur primaire, secondaire, prédateur).
La vision de Grinnell a été formalisée par Hutchinson (1957), en représentant la « place » occupée par les espèces dans leur environnement par un hypervolume à n dimensions regroupant l’ensemble des conditions écologiques (ou ressources, définies par chaque dimension) accessibles à une espèce donnée et qui lui permettent de maintenir une population viable (i.e où la croissance, la reproduction et la survie de l’espèce sont possibles).
Comme la niche d’une espèce est le résultat des contraintes abiotiques et biotiques, on peut différencier deux types de niche :
— La niche fondamentale, qui est réduite aux conditions environnementales abiotiques permettant à l’espèce d’exister. Elle est purement théorique puisqu’une espèce ou un organisme n’est jamais seul dans son environnement.
— La niche réalisée, qui s’étend à la somme des contraintes abiotiques et biotiques, et varie donc de la niche fondamentale selon les interactions négatives ou positives qu’entretient l’espèce avec ses congénères .
…revisité Bien que la niche ait été, et reste, un paradigme fort de l’écologie des communautés, elle fut récemment bousculée par la théorie neutre d’Hubbel (2001). En 2001, ce dernier propose une théorie (the unified neutral theory of biodiversity and biogeography Hubbel, 2001) qui remet en cause le concept la niche préexistant et montre que la similarité entre espèces, plutôt que leurs différences, parvient à expliquer la diversité et la composition des communautés. Pour lui, il suffit de faire des hypothèses très simples pour retrouver des patrons de diversité observés dans la nature, par exemple en considérant que les espèces d’un même niveau trophique sont identiques à l’égard de leurs performances et de leurs relations interspécifiques (i.e elles ont toutes la même niche).
Dans un tel modèle, on peut retrouver les patrons de diversité observés dans le monde réel alors que la dynamique des populations n’est plus modulée par l’environnement ou les interactions entre espèces, mais seulement par la variation aléatoire de la natalité, de la mortalité et de la dispersion (Adler and Levine, 2007). Cette théorie se montre pertinente pour expliquer les patrons de diversité dans les milieux peu soumis aux limitations environnementales (Chase and Leibold, 2003), mais les prédictions du modèle neutre divergent encore souvent des patrons empiriques de richesse, de diversité et de composition des communautés observés dans les milieux naturels (Gilbert and Lechowicz, 2004, Kelly, 2008, Leibold, 2008, Dornelas et al., 2006). En réalité, il semble que les assemblages des communautés soient à la fois déterminés par des processus stochastiques (comme les variations aléatoires de la démographie, de la dispersion) et déterministes (influence de l’environnement et des interactions interspécifiques), ces deux aspects jouant un rôle plus ou moins prépondérant en fonction des cas d’études (Gravel et al., 2006, Leibold and McPeek, 2006, Adler and Levine, 2007).
Au final, la théorie neutre de la biodiversité et de la biogéographie est particulièrement intéressante, car elle propose une hypothèse nulle au concept de la niche écologique (Bell, 2001, Leibold and McPeek, 2006). Elle permet ainsi de quantifier la part relative des processus démographiques stochastiques, de la limite de dispersion des espèces et de la différenciation des niches dans la structuration et la dynamique des communautés (Hubbel, 2001, Chase and Myers, 2011). Elle a par conséquent amené à la prise en compte quasi-systématique des processus stochastiques dans l’étude des patrons de diversité en écologie fonctionnelle.
Un autre critique formulée à l’encontre du concept de niche d’Hutchinson est qu’il est très statique, et fait fi des capacités de persistance et de dispersion
des individus dans l’espace. En considérant l’existence de méta-populations , on se rend compte que les conditions biotiques et abiotiques ne peuvent pas
précisément expliquer, à elles seules, la distribution de l’abondance d’une espèce. Pulliam (1988) a ainsi vivement critiqué le concept de niche, en différenciant deux types d’habitats pouvant héberger une espèce donnée : des habitats «sources» où les conditions environnementales assurent une démographie positive (natalité>mortalité), opposés à des habitats «puits» où la démographie des populations est négative, ou du moins ne permettent pas à l’espèce de réaliser la totalité de son cycle de vie. La notion de niche doit donc être redéfinie, puisqu’une espèce peut persister dans les habitats puits qui sont en dehors de sa niche écologique si un flux d’immigrants provenant d’un habitat source vient «remplir» ce puits. Cette hypothèse a été soutenue par des travaux théoriques (Pulliam, 1988, 2000) et mis en évidence empiriquement (Dunning et al., 1992). La zone qui combine la niche fondamentale et les interactions biotiques permettant à l’espèce de se développer détermine la projection spatiale de la niche réalisée .
De nouveau, la considération des habitats sources et puits ne remet pas en cause la théorie de la niche. Au contraire, elle l’enrichit par la prise en compte de la dispersion et de la persistance des individus dans l’espace, et permet de mieux comprendre la distribution des espèces et la composition des communautés (Pulliam, 1988, Soberón, 2007, Soberón and Nakamura, 2009).
Bien que le concept de niche soit toujours discuté (Beale et al., 2008), il propose un cadre théorique crucial pour l’étude de l’impact des changements climatiques sur la biodiversité. La niche écologique d’une espèce est définie par rapport à sa performance selon différents facteurs écologiques ou gradients environnementaux, qui ont à leur tour des distributions spatiales et temporelles qui leur sont propres.
La niche dans l’espace
La répartition du climat sur le globe est prépondérante dans la distribution des habitats et des espèces aux échelles macro-écologiques (Pearson and Dawson, 2003). L’aire de répartition d’une espèce correspond à l’aire géographique occupée par l’ensemble de ses populations. Elle est elle-même majoritairement délimitée par des combinaisons environnementales (souvent climatiques) particulières. À un instant donné, la distribution spatiale potentielle d’une espèce correspond donc à la projection de sa niche écologique dans l’espace . Bien entendu, cette distribution reste potentielle, et correspond à l’aire géographique où l’on est susceptible de trouver des populations de cette espèce. Dans les faits, le lien entre niche écologique et aire de distribution est bien plus compliqué, puisqu’il faut prend en compte la discontinuité de la distribution des conditions environnementales dans l’espace (Soberón and Nakamura, 2009, Soberón, 2010), les capacités de dispersion des espèces (Pulliam, 2000) ainsi que leur histoire évolutive et biogéographique (Wiens, 2011).
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Table des matières
1 Introduction Générale
1.1 Bienvenue dans l’anthropocène : la biodiversité face aux changements globaux
1.1.1 Une crise de la biodiversité ?
1.1.2 Le Réchauffement climatique
1.2 Le concept fondateur de niche écologique
1.2.1 La niche
1.2.2 La niche dans l’espace
1.2.3 La niche dans le temps
1.2.4 Should I stay or should I go ?
1.3 Mesurer les réponses de la biodiversité au changement climatique
1.3.1 De la réponse individuelle, à la dynamique des populations et des communautés
1.3.2 Une mesure intégrative de la réponse des oiseaux à l’échelle des communautés
1.4 Naviguer dans les échelles spatiales, temporelles et les niveaux d’organisation
1.4.1 Une question d’échelle
1.4.2 Structure du mémoire
2 Données et Méthodes d’analyses générales
2.1 Données
2.1.1 De l’intérêt des sciences participatives
2.1.2 De la forêt, au savoir, à la société : un voyage de la donnée à travers science
2.1.3 Données de suivi des oiseaux nicheurs
2.1.4 Données climatiques
2.1.5 Données d’habitat
2.2 Analyses
2.2.1 Caractériser un assemblage d’espèce : les moyennes pondérées de communautés
2.2.2 La fenêtre glissante
3 Dans l’espace. Changement global ou variations locales ?
3.1 Spatialisation de la réponse thermique et conséquences fonctionnelles
3.1.1 Pourquoi ?
3.1.2 Comment ?
3.1.3 Quels résultats?
3.1.4 Article original : Gaüzère et al. (2015)
3.2 Les aires protégées tamponnent l’impact du changement climatique sur les oiseaux
3.2.1 Pourquoi ?
3.2.2 Comment ?
3.2.3 Quels résultats?
3.2.4 Article original : Gaüzère et al. (2016)
3.3 L’effet de la topographie et de la diversité de l’habitat sur la dette climatique des oiseaux
3.3.1 Pourquoi ?
3.3.2 Comment ?
3.3.3 Quels résultats?
3.3.4 Article original : Gaüzère et al. (2016)
3.4 Intégrer les échelles spatiales en macroécologie
4 Dans le temps. Réchauffement global ou variations annuelles ?
4.1 Les variations temporelles de la diversité fonctionnelle des oiseaux à travers les États-Unis
4.1.1 Pourquoi ?
4.1.2 Comment ?
4.1.3 Quels résultats?
4.1.4 Article original : Barnagaud et al. (2016)
4.2 Réponse des oiseaux aux variations interannuelles des températures : des processus démographiques à la résilience des communautés
4.2.1 Variations interannuelles du CTI et processus démographiques
4.2.2 Tendances non-linéaires et résilience des communautés
5 À travers les niveaux d’organisations. Des communautés aux espèces
5.1 Estimer les variations inter-spécifiques des dynamiques de communautés
5.1.1 Pourquoi ?
5.1.2 Comment ?
5.1.3 Quels résultats?
5.1.4 Article original : Doulcier et al. (2016)
5.2 La variabilité spatiale des contributions inter-spécifique aux dynamiques du CTI met en évidence la perte des espèces septentrionales en Suède
5.2.1 Pourquoi ?
5.2.2 Comment ?
5.2.3 Quels résultats?
5.2.4 Article Original : Tayleur et al. (2016)
5.3 De l’écologie des communautés à la dynamique de population multi-espèces
6 Confronter l’espace et le temps
6.1 Les dettes et crédits de l’avifaune
6.1.1 Pourquoi ?
6.1.2 Comment ?
6.1.3 Quels résultats?
6.1.4 Article Original : Gaüzère et al., En préparation
7 Discussion générale
8 Conclusion Générale