Le concept d’immunoédition
Au cours de leur vie, certaines cellules acquièrent des mutations. Ces mutations peuvent entraîner une transformation en cellule tumorale. Cette transformation leur permet d’acquérir plusieurs caractéristiques essentielles à la formation d’une tumeur: échappement à la mort cellulaire, production autocrine de signaux de croissance, acquisition d’un potentiel de réplication infini, insensibilité aux signaux d’inhibition de croissance, synthèse de facteurs induisant l’angiogenèse, capacité à migrer dans l’organisme via un envahissement des tissus [2]. Plus récemment, il a été proposé une septième caractéristique : l’échappement au système immunitaire.
Le système immunitaire est l’ensemble des mécanismes de défense de l’organisme. Dans le système immunitaire, on trouve deux sous-parties : l’immunité innée et l’immunité adaptative. Le système immunitaire inné est la première ligne de défense contre les pathogènes. Ce système est très conservé puisque même des espèces « simples » comme les drosophiles ou les organismes multicellulaires en général en sont munies. Les cellules impliquées dans la réponse immunitaire innée sont principalement les polynucléaires (éosinophiles, basophiles et neutrophiles), les monocytes, les cellules dendritiques, les macrophages et les cellules natural killer. Les épithéliums font aussi partie de l’immunité innée et constituent une barrière mécanique et fonctionnelle contre les microorganismes. De manière globale, l’immunité innée participe à l’élimination des pathogènes par la sécrétion de peptides antimicrobiens, l’activation du complément et la phagocytose. Ces cellules sont aussi impliquées dans l’initiation de la réponse anti tumorale. Les cellules de l’immunité adaptative sont les lymphocytes T et les lymphocytes B, ils utilisent des immunorécepteurs, BCR et TCR distribués de manière clonale à la surface des cellules. Ces cellules sont impliquées dans mise en place d’une réponse spécifique de l’antigène.
Les pathogènes et les cellules tumorales sont reconnus par les acteurs de l’immunité innée. Le déclenchement de l’activité fonctionnelle de ces cellules du système immunitaire est indispensable au développement d’une réponse spécifique efficace par les acteurs du système adaptatif. Contrairement à l’immunité innée, l’immunité adaptative nécessite un délai avant de se mettre en place. De plus, la présence d’une mémoire immunologique, définie par la spécificité à un antigène ou à une gamme d’antigènes sur le long terme. Les cellules de la composante innée du SI expriment des récepteurs qui leur permettent à la fois de reconnaitre et de discriminer les pathogènes (via des motifs moléculaires portés à leur surface) ou les motifs moléculaires exprimés par les cellules en cours de transformation tumorale. Ces récepteurs, les « pattern recognition receptors » (PRR) sont très conservés dans l’évolution .
Le système immunitaire intervient dans la prévention du développement des tumeurs dans l’organisme. Malgré tous ces éléments de défense, certaines cellules tumorales sont pourtant parfois capables de se développer. Ces mécanismes sont englobés dans le terme « immunosurveillance anti-tumorale ». Après une mise à jour, ce concept a été résumé en trois phases, et porte maintenant le nom d’ « immuno-édition », englobant les phases d’élimination, d’équilibre et d’échappement. Durant la phase d’élimination, les cellules tumorales sont reconnues et éliminées par les acteurs du système immunitaire. Le développement de la réponse immunitaire se traduit par l’activation des deux composantes du système immunitaire.
Pendant la phase d’équilibre, les cellules tumorales et les cellules immunitaires de l’hôte entrent dans un état d’équilibre dynamique. C’est-à-dire que la réponse du système immunitaire contrôle la prolifération mais ne l’arrête pas. La réponse immune anti-tumorale peut contenir mais ne peut pas totalement éradiquer certaines populations hétérogènes de cellules tumorales [7]. De plus, une partie des cellules tumorales acquièrent aussi la capacité d’entrer en dormance et de se soustraire au système immunitaire. Durant cette phase, seules les cellules capables d’échapper à la réponse immune vont survivre, conduisant à la sélection des variants les plus agressifs (notamment les cellules tumorales qui acquièrent des mutations invasives voire immuno-invasives). Ces cellules résistantes à la réponse immune vont être responsables de la phase d’échappement qui va voir se développer la tumeur.
Le système immunitaire inné
Les organismes sont constamment soumis à diverses agressions extérieures par des microorganismes ou à des désordres inflammatoires endogènes. Ainsi, afin de maintenir l’homéostasie tissulaire, les organismes doivent très rapidement détecter la présence ou l’origine du désordre. Les cellules du système immunitaire innée ont pour rôle d’instruire le système immunitaire adaptatif de la présence et de la nature du micro-organisme ou autre agression extérieure.
Les polynucléaires neutrophiles
Parmi les polynucléaires ou granulocytes, on peut distinguer les éosinophiles, les basophiles et les neutrophiles. Les polynucléaires éosinophiles et les basophiles sont principalement impliqués dans les réactions inflammatoires de type 2 comme l’asthme provoqué par un allergène. Ces derniers ne seront pas décrits dans cet exposé. Les polynucléaires neutrophiles (PNN), quant à eux, ont longtemps été considérés comme des cellules à durée de vie limitée, mais cruciales pour la réponse anti-pathogène. En effet, elles ont un rôle important dans l’orchestration de la réponse immunitaire. Les neutrophiles constituent, chez l’homme, la population immunitaire la plus abondante dans le sang (environ 60%). Tout comme les autres granulocytes, cette population est générée à partir des cellules de la moelle osseuse. De par leur petite taille (12µm de diamètre) et leur noyau divisé en 3 à 5 lobes de 2µm de diamètre chacun, les PNN migrent facilement à travers les endothéliums. Lors d’infection, les PNN migrent rapidement au site de l’infection et sont les premières cellules immunitaires à intervenir. Les PNN phagocytent les microorganismes. Ils sont indispensables puisque les patients atteints de neutropénie (nombre restreint de neutrophiles) développent de nombreuses infections et ont un taux de mortalité plus élevé.
Ils ont trois types de granules dans leur cytosol permettant la dégradation des microorganismes. La formation de ces granules est initiée à différents stades de leur différenciation. On distingue les granules primaires (azurophiles ou positifs pour la péroxydase), les granules spécifiques et les granules tertiaires. Les granules primaires servent essentiellement à la dégradation intracellulaire des micro-organismes, notamment par fusion avec le phagosome et contiennent de nombreux composés bactéricides (le péroxyde d’hydrogène, la « bactericidal/permeability-increasing protein », les défensines de type alpha, les serprocidines). Les granules secondaires contiennent des molécules antimicrobienne qui peuvent être déversées dans le phagosome ou à l’extérieur de la cellule (le lysozyme, des cathélicidines, des transferrines comme la lactoferrine, des lipocalines) . Dans les granules teriaires se trouvent des enzymes de dégradation de la matrice extracellulaire importantes pour la diapédèse des neutrophiles (MMP-9 et des protéines de reconnaissance du peptidoglycane) [8]. Les PNN produisent un réseau extracellulaire ressemblant à des filets, capables de piéger et d’aider à la destruction des microorganismes de manière extracellulaire. Ces réseaux s’appellent les NETs (neutrophil extracellular traps). Plusieurs types de polarisation ont été décrits pour ces cellules (naïfs, la fraction granuleuse des cellules myéloïdes immunosuppressives et les neutrophiles associés aux tumeurs). Il a été montré que les neutrophiles sont capables d’intégrer des signaux de leur microenvironnement et de se polariser soit vers un phénotype pro-tumoral ou anti tumoral [9]. Les neutrophiles associés aux tumeurs seront décrits dans la partie dédiée au microenvironnement tumoral.
Les cellules dendritiques
Les cellules dendritiques (DC) sont des cellules myéloïdes localisées dans les tissus périphériques à l’état immature. Ce sont des cellules présentatrices de l’antigène (APC) capable d’initier une réponse immune adaptative. Elles sont capables d’internaliser les pathogènes (phagocytose et endocytose) et de les présenter aux lymphocytes T CD4 (présentation des antigènes dans les molécules de CMH de classe II). Elles initient aussi les réponses des lymphocytes T CD8 en présentant les protéines synthétisées par la cellule dans les molécules de CMH de classe I. Les protéines synthétisées par les cellules, se retrouve dans le cytosol, sont traitées par des organites cytoplasmiques et sont présentées par des molécules de classe I. Les protéines extracellulaires internalisées par les APC dans des vésicules d’endocytose ou de phagocytose, sont traitées et présentées par des molécules de classe II. La ségrégation des voies d’apprêtement des antigènes assure également la reconnaissance par les différents types de lymphocytes T.
Les principales étapes de présentation de l’antigène par des molécules du MHC de classe I sont la production de protéines dans le cytoplasme ou le noyau, la protéolyse par un organite spécialisé (le protéasome), le transport dans le réticulum endoplasmique et la liaison de peptides nouvellement synthétisés aux molécules de classe I. Toutes les protéines synthétisées par la cellule sont présentées dans le CMH de Classe I. Ainsi, on retrouve des protéines issues de virus présents dans le cytoplasme, de certains microbes phagocytés transportés dans le cytoplasme. Lors d’une transformation cellulaire, en cellule tumorale par exemple, on retrouve des protéines cytosoliques ou nucléaires codées par des gènes mutés ou altérés, Pour passer du cytosol au reticulum endoplasmique, les peptides sont transportés par la protéine TAP (transporter associated with antigen processing), afin d’être captés par les molécules de classe I et transportés à la surface de cellulaire Les étapes principales de la présentation des peptides par les molécules du MHC de classe II sont : l’ingestion de l’antigène, la protéolyse dans des vésicules et l’association des peptides aux molécules de classe II. Les cellules dendritiques et les macrophages peuvent internaliser des microbes extracellulaires, protéines microbiennes par différents mécanismes : la phagocytose, la pinocytose et l’endocytose dépendante de récepteurs. Les pathogènes se lient aux récepteurs de surface spécifiques exprimés par les cellules dendritiques, et sont internalisés. Après internalisation, les protéines microbiennes entrent dans des vésicules intracellulaires, dénommées endosomes ou phagosomes, qui peuvent fusionner avec des lysosomes. Dans ces vésicules, les protéines sont dégradées par des enzymes protéolytiques, ce qui provoque la formation de plusieurs peptides de séquences et longueurs variables. Les APC qui expriment les molécules de classe II synthétisent constamment ces molécules dans leur réticulum endoplasmique. Lorsque la molécule du MHC classe II a lié fermement l’un des peptides provenant des protéines ingérées, le complexe peptide-MHC se stabilise et est transféré à la surface cellulaire. Les protéines internalisées doivent être présentées par des molécules de classe II aux lymphocytes T CD4+ .
|
Table des matières
INTRODUCTION
1. LE CONCEPT D’IMMUNOEDITION
A. LE SYSTEME IMMUNITAIRE INNE
a) Les polynucléaires neutrophiles
b) Les cellules dendritiques
c) Les macrophages
d) Les cellules NK (bras lymphoïde du système immunitaire inné)
e) Les cellules NKT
B. LE SYSTEME IMMUNITAIRE ADAPTATIF
a) Les lymphocytes B
b) Les lymphocytes T
c) Les lymphocytes T γδ
2. LE MICROENVIRONNEMENT TUMORAL ET LES DIFFERENTS ACTEURS DE L’IMMUNOSUPPRESSION
A. LES ACTEURS DE L’IMMUNOSUPPRESSION ASSOCIEE A LA TUMEUR
a) Les neutrophiles associés aux tumeurs
b) Les cellules myéloïdes suppressives ou MDSC
c) Les macrophages associés aux tumeurs
I. ORIGINE
II. RECRUTEMENT
III. ANGIOGENESE
IV. MIGRATION ET METASTASES DES CELLULES TUMORALES
d) L’interface entre cellules myéloïdes et lymphocytes T dans la tumeur
B. LES NUCLEOTIDES EXTRACELLULAIRES
a) Généralités
b) Les récepteurs purinergiques
c) L’ATP
I. MECANISMES DE LIBERATION
II. ROLE DE L’ATP DANS LA REPONSE ANTI-TUMORALE
III. ROLE DE L’ATP DANS LA MIGRATION CELLULAIRE
d) Rôle de l’adénosine dans l’immunosuppression
I. MECANISMES DE PRODUCTION DE L’ADENOSINE ET ROLE DES ECTONUCLEOTIDASES
II. ROLE DES ECTONUCLEOTIDASES DANS LE MICROENVIRONNEMENT TUMORAL
III. MODULATION DES ECTONUCLEOTIDASES PAR DES FACTEURS SOLUBLES
C. LES MACROPHAGES COMME CIBLE THERAPEUTIQUE
a) Impact clinique
b) Inhibition du recrutement des monocytes et contrôle de la réponse effectrice
c) Inhibition de la différenciation en TAM à partir des précurseurs
d) Inhibition de la différenciation en TAM par modulation des facteurs solubles présents dans le microenvironnement
e) Le cas du cancer de l’ovaire
f) Le mésothéliome ou cancer de la plèvre, une épidémie créée par l’Homme
3. OBJECTIFS DE LA THESE ET PRINCIPAUX RESULTATS
4. RESULTATS : SUR ARTICLE
5. DISCUSSION ET PERSPECTIVES
A. BLOCAGE DES POINTS DE CONTROLE IMMUNOLOGIQUES ET IMPACT DE L’INFILTRATION DES MACROPHAGES DANS LES CANCERS
B. BLOCAGE DU RECRUTEMENT AVEC UN ANTICORPS ANTI-CCL2
C. LE M-CSF, UNE CYTOKINE POLARISANTE, PRESENTE DANS LE MICROENVIRONNEMENT TUMORAL
D. IL-27, UNE CYTOKINE IMMUNOSUPPRESSIVE COMME CIBLE THERAPEUTIQUE DANS LES CANCERS
E. ECTONUCLEOTIDASE CD39 DANS LES TUMEURS
F. CONCLUSIONS GENERALES
CONCLUSION
RÉFÉRENCES