En France, un enfant sur vingt est atteint d’un trouble du neurodéveloppement (TND) [1], soit en moyenne 10 enfants dans la patientèle de chaque médecin généraliste (MG) [2]. Le diagnostic précoce, bien qu’essentiel afin de garantir la prise en charge optimale de ces pathologies, est encore trop souvent retardé. L’examen du développement s’inscrit dans le déroulé standard des consultations obligatoires de suivi de l’enfant, qui sont au nombre de 17 de 0 à 6 ans [3]. Celui- ci porte, d’une part, sur le suivi de la croissance staturo-pondérale, les dépistages des troubles sensoriels, la pratique des vaccinations. Il inclut d’autre part la surveillance du développement physique, psychoaffectif et neurodéveloppemental de l’enfant [4].
Cette dernière dimension est bien souvent un sujet d’interrogation pour les parents. L’interrogation autour de l’acquisition de compétences motrices et langagières, des apprentissages, de la qualité de la socialisation sont des thématiques quasi systématiquement amenées par la famille pendant la consultation. Tout l’enjeu autour de cette problématique est de distinguer un simple décalage d’acquisition isolé, se résolvant avec une prise en charge adaptée, d’un trouble chronique, nécessitant rééducation et accompagnement précoces, le plus souvent au long cours [5], s’inscrivant désormais dans la catégorie diagnostique des TND.
Etat des lieux des connaissances
Le concept de trouble du neurodéveloppement (TND)
La question du trouble mental en France, notamment chez l’enfant, a beaucoup évolué au cours des siècles derniers. De nos jours, l’accompagnement de ces pathologies est multidisciplinaire, régi par différents acteurs du champ sanitaire et médico-social, mais aussi scolaire. Cependant, le statut de l’enfant dans la société et d’autant plus celui de l’enfant handicapé n’a pas toujours été celui qu’il est aujourd’hui et il en va de même pour sa prise en charge. En remontant au début du XIXe siècle, on constate par exemple qu’Edouard Seguin, médecin français, fut l’un des premiers à proposer d’éduquer les déficients intellectuels dans des écoles spécialisées [10]. Il s’agit d’une avancée importante puisqu’avant lui, ces enfants n’étaient que très peu considérés. Sa méthode sera d’ailleurs une de celles qui inspirera la doctoresse italienne Maria Montessori dans la création de la pédagogie éponyme [11].
C’est ensuite au tour de Désiré-Magloire Bourneville d’emprunter à cette théorie et de créer les centres médico-pédagogiques afin d’humaniser et d’autonomiser les enfants dit aliénés (déficients intellectuels, épileptiques, « hystériques »…) [12], une manière d’accompagner ces enfants, autant sur le plan médical qu’éducatif, pour les aider à s’intégrer dans la société. Toutefois, c’est en 1905 que la discipline de « neuropsychiatrie de l’enfant » se révèle avec la création du « test Binet-Simon» par les deux scientifiques du même nom, afin de mesurer le développement de l’intelligence. Le but était d’identifier de façon précoce les enfants ne pouvant suivre un enseignement dit « normal » et de les orienter vers des centres adaptés ; l’école primaire ayant été rendue obligatoire par Jules Ferry en 1882. Le milieu du XXe siècle voit l’apparition des centres de guidances infantiles où travaillent conjointement médecins, psychologues et travailleurs sociaux [10]. Les troubles mentaux des enfants ne sont donc plus l’apanage des médecins pour adultes et d’autres disciplines s’impliquent dans l’accompagnement de ces enfants. Commence à s’esquisser le schéma d’une prise en charge multidisciplinaire, non plus uniquement centrée sur le somatique mais prenant également en compte le psychisme et le rôle social des patients.
C’est à cette époque que va véritablement apparaître la « psychiatrie infanto-juvénile », aujourd’hui également appelée pédopsychiatrie, discipline distincte de la psychiatrie adulte, de la pédiatrie et de la neurologie. Cette spécialité est fondée par Georges Heuyer qui devint ainsi le premier professeur de psychiatrie infantile à Paris en 1948 [14]. Il est cependant important de noter que, jusqu’aux années 80, ce sera surtout le mouvement psychanalytique qui impulsera les concepts et l’innovation thérapeutique.
TND et médecine générale
Comme cela a été vu précédemment, les TND nécessitent un diagnostic et une orientation précoce, dans les 1000 premiers jours, afin de pouvoir obtenir le plus de bénéfice en terme de progression de l’enfant. C’est pourquoi le quatrième Plan Autisme insiste notamment sur le fait de sensibiliser et d’outiller les acteurs de première ligne, c’est à dire les médecins généralistes, les pédiatres de ville, les médecins de PMI et scolaires, au dépistage de ces troubles. S’agissant des généralistes, ils sont, de fait, à une place de choix pour permettre un dépistage de masse de la population infantile. D’une part, ils font partie des praticiens voyant le plus fréquemment leurs patients : en moyenne 5,3 fois par an [24]. Ils incarnent donc un interlocuteur accessible, rassurant, que les parents et l’enfant connaissent et qui les connaît. D’autre part, les médecins généralistes vont être amenés à prendre une place de plus en plus importante dans la médecine pédiatrique ambulatoire.
On constate, en effet, que le nombre de pédiatres de ville est en nette diminution depuis plusieurs années. Seulement 25% exercent exclusivement en libéral et, ainsi, 85% des consultations pédiatriques de ville se font chez un généraliste [25]. Leur rôle apparait donc capital puisque ce sont eux qui suivent la très grande majorité des enfants actuellement.
Pour rappel, le suivi de l’enfant se compose de 17 consultations obligatoires de 0 à 6 ans. Il consiste à procéder à des actions de prévention telles que la vaccination mais doivent aussi permettre de dépister individuellement les affections suivantes :
• troubles psychologiques et psycho-comportementaux parmi lesquels :
– les retards de développement
– l’autisme
– le TDAH
• troubles du langage
• obésité
• troubles de l’audition
• troubles de la vision
• saturnisme .
Des certificats médicaux sont obligatoirement rédigés lors de certaines consultations : celle du 8ème jour, du 9ème mois et du 24ème mois [27]. L’objectif est double. Ces certificats jouent un rôle dans la veille sanitaire afin de produire des statistiques nationales et départementales concernant l’état de santé de la population pédiatrique. Mais, parce qu’ils sont produits à des âges charnières en terme de développement global de l’enfant, ils permettent également d’identifier les sujets en difficultés, susceptibles de justifier d’un accompagnement personnalisé.
En 2017, 60% de ces certificats ont été réalisés par des médecins généralistes [28]. Il est donc indéniable que les médecins généralistes, de concert avec les autres acteurs de la petite enfance, ont un rôle fondamental à jouer dans la question du repérage et de l’orientation des enfants suspects de TND. Dans cette optique, un livret visant à faciliter la détection de signes évoquant un développement inhabituel chez l’enfant a été élaboré. Il donne lieu à une évaluation globale de l’enfant avec une recherche des facteurs de haut risque de TND et à une étude des comportements instinctuels, sensoriels et émotionnels particuliers. Il permet par ailleurs, l’évaluation de différentes compétences dans quatre à cinq domaines du développement, en fonction de l’âge, à savoir :
• motricité, contrôle postural et locomotion
• motricité fine
• langage
• socialisation
• cognition (à partir de 4 ans) .
Une cotation spéciale « consultation longue » a été conçue, dans le même temps, afin de valoriser le temps passé à la rédaction de ce dossier par les professionnels de premier recours [29]. Le feuillet propose, par tranche d’âge, différents items à cocher en fonction des résultats de l’interrogatoire parental et de l’examen clinique complet. Au delà d’un certain nombre d’items validés, une orientation vers une Plateforme de Coordination et d’Orientation (PCO) est proposée. Les Plateformes de Coordination et d’Orientation (PCO) sont des structures nouvelles, départementales, mises en oeuvre dans le cadre du quatrième Plan Autisme. Les premières ont ouvert leurs portes en juillet 2019.
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Table des matières
I. Introduction
II. Etat des lieux des connaissances
1. Le concept de trouble du neurodéveloppement (TND)
2. TND et médecine générale
III. Méthode
1. Objectif de l’étude
2. Type d’étude
3. Population et échantillonnage
4. Recrutement
5. Recueil de données
6. Analyse des donnée
7. Aspect éthique et réglementaire
IV. Résultats
1. Description de la population étudiée
2. Présentation des résultats et modèle explicatif
V. Analyse
1. Les freins au repérage et à l’orientation
A. Freins empêchant le repérage et l’orientation
a. Le manque de formation
b. La mauvaise information
b.1. L’accès aux informations en général
b.2. La méconnaissance du parcours de soin
b.3. L’incompréhension du parcours de soin
B. Freins limitant le repérage et l’adressage
a. Les conséquences des inégalités d’accès aux soins de santé
b. L’adaptation au système de soins
c. La relation de soin privilégiée avec sa patientèle
d. La dévalorisation
e. L’apport du vécu personnel dans la consultation
f. La résistance au changement
g. Les contraintes de l’exercice libéral
h. Le sentiment d’isolement
2. Les leviers du repérage et de l’orientation
A. Le fait d’être formé
B. La compréhension de l’Enfant
C. La prise en charge pluridisciplinaire au sens large
D. Le fait d’être systématique
E. L’adaptabilité
F. L’accès à l’information et son exploitation
G. La relation de soin privilégiée avec sa patientèle
H. La confiance en soi
I. L’apport du vécu personnel dans la consultation
3. L’ambivalence autour du rôle de médecin généraliste
A. L’impression de surestimation
B. La volonté d’être au coeur de la prise en charge
4. La représentation de la norme
VI. Discussion
1. Résultats principaux et comparaison avec la littérature
A. Déterminants individuels du repérage et de l’orientation
a. La relation de soin privilégiée avec sa patientèle
b. La confiance en soi
c. L’apport du vécu personnel dans la consultation
d. La résistance au changement
e. La compréhension de l’Enfant
f. L’organisation de la consultation
B. Déterminants collectifs du repérage et de l’orientation
a. Le manque de formation
b. La difficulté d’accès à l’information
c. La prise en charge pluridisciplinaire au sens large
C. Déterminants organisationnels du repérage et de l’orientation
a. Les conséquences des inégalités d’accès aux soins de santé
b. L’adaptation au système de soins
c. Les contraintes de l’exercice libéral
d. L’adaptabilité
2. Forces et limites
A. Forces
a. Relatives à la méthode
b. Relatives au travail de recherche en lui même
c. Relecture de l’étude au travers de la grille COREQ
B. Limites
a. Relatives à la méthode
b. Relatives à l’enquêtrice
c. Relatives aux participants
3. Perspectives
A. Pour l’enseignement et la formation
a. Formation initiale
b. Formation continue
B. Pour la pratique
a. Le kit TND
b. L’apport des PCO
C. Pour l’organisation des soins
a. Importance du réseau de soin
b. Collaboration entre professionnels
c. Remboursement des soins
D. Pour la recherche
VII. Conclusion
VIII. Bibliographie
IX. Annexes