Le comportement migratoire
Introduction
En Amérique du Nord, la faune aquatique dulcicole est dans une situation critique. Au total , 123 espèces animales d’ eau douce, dont 27 espèces de poissons, ont disparu au cours du siècle dernier (Ricciardi et Rasmussen, 1999; Miller et al. , 1989). Il est prévu que le taux d’ extinction futur de la faune aquatique sera cinq fois plus important que pour la faune terrestre, soit un taux similaire à celui que subit actuellement la forêt tropicale (Ricciardi et Rasmussen, 1999). La vitesse avec laquelle les espèces aquatiques s’éteignent montre qu’ elles n’ont pas le temps évolutif nécessaire pour s’adapter aux perturbations anthropiques.
Être à même de prédire le risque d’ extinction des espèces avant qu’elles ne deviennent menacées est la pierre angulaire de la conservation des espèces (Duncan et Lockwood, 2001). En ce sens, les listes rouges, qui résument le statut de conservation des espèces présentes dans une région donnée, sont largement utilisées et maintenant reconnues comme un outil de conservation. Plusieurs de ces listes sont basées sur un consensus de scientifiques à partir des connaissances actuelles comme l’étude de Williams et al. (1989) sur les espèces d’ Amérique du Nord, ou la liste des espèces du Québec menacées ou vulnérables ou susceptibles d’être classées menacées ou vulnérables par la Société de la faune et des parcs du Québec (F APAQ). Les listes rouges de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) et du Comité sur la situation des espèces en péril au Canada (COSEPAC) utilisent une méthode systématique basée sur une association de facteurs tels le taux de déclin en abondance, la taille des populations, les fluctuations d’abondance et le déclin des aires de répartition (UICN, 1996; Powles et al. , 2000). Ces facteurs sont adéquats lorsqu’ on étudie des taxons relativement bien connus comme les mammifères ou les oiseaux mais non lorsqu’on étudie des groupes très diversifiés et moins faciles à observer tels que les poissons (Duncan et Lockwood, 2001 ; Kottelat, 1998; Kirchofer, 1997).
L’ effet des perturbations anthropiques sur les communautés biotiques semble dépendre des facteurs intrinsèques aux espèces (Paloheimo et Regier, 1982). Les caractéristiques des différents facteurs intrinsèques correspondent à différentes stratégies qui caractérisent les espèces. Le coût énergétique d’ un organisme répondant au stress des perturbations anthropiques dépend de la stratégie employée par l’espèce et définit en bonne partie son risque d’extinction (Parsons, 1995). Ainsi, la comparaison interspécifique des facteurs intrinsèques devrait permettre l’application d’une méthode systématique afin de déterminer la vulnérabilité de toutes les espèces d’ eau douce du Québec, méthode qui par la suite pourrait être exportable à d’autres régions ou à d’ autres taxons. Plusieurs études confirment que le risque d’extinction se distribue selon des patrons bien définis d’espèces (Purvis et al. , 2000; Bennet et Owens, 1997; Angermeier, 1995). Des facteurs tels que la taille du corps, le niveau trophique, l’ aire de répartition, le potentiel de dispersion et la spécialisation au niveau du régime alimentaire ou des ressources de l’habitat sont les plus fréquemment cités pour caractériser le risque d’ extinction des oiseaux (Purvis et al. , 2000; Angermeier, 1995 ; Terborgh et Winter, 1980). Le taux intrinsèque de croissance ou la résilience des stocks sont aussi des facteurs fortement liés à la vulnérabilité des espèces de poissons (Musick, 1999). Plusieurs études définissent leurs facteurs de risque à partir de la théorie du continuum r-K (Stearns, 1976) et basent leurs analyses sur les traits des cycles vitaux (Musick et al. , 2000; Parent et Schriml, 1995). Dans ces études où l’ échelle spatiotemporelle est grande, les patrons interspécifiques de vulnérabilité ressortent clairement à partir des attributs écologiques ou sur les cycles vitaux des espèces.
Notre étude a porté sur la vulnérabilité des espèces de poissons dulcicoles indigènes du Québec en analysant 24 traits biologiques, écologiques et biogéographiques, regroupés en six critères, à l’aide d’analyses de correspondance floue (fuzzy correspondance analysis; Tachet, 2000; Chevenet et al., 1994). Les comparaisons interspécifiques ont été effectuées sur la base de différentes régions ichthyogéographiques, représentant différentes communautés de poissons. Nos objectifs ont été (1) de définir différents critères représentant objectivement la vulnérabilité à partir d’un ensemble approprié de traits; (2) d’identifier, pour chaque espèce, ses caractéristiques pour chaque trait à partir de la littérature existante; (3) d’évaluer les différents patrons de vulnérabilité en fonction des six critères; (4) d’identifier les groupements d’espèces vulnérables sur la base des communautés naturelles de poissons; et finalement, (5) d’établir une liste des espèces de poissons vulnérables pour le Québec.
Matériel et méthodes
Sélection des espèces
Au total, 98 espèces de poissons dulcicoles indigènes du Québec ont été considérées, incluant les espèces catadromes et anadromes. Toutes ces espèces se retrouvent sur la liste de la faune vertébrée du Québec (Desrosiers, 1995). Quatre espèces exclusivement côtières et estuariennes (i.e., le Chabot à quatre cornes, Myoxocephalus quadricornis, l’Épinoche à quatre épines, Apeltes quadracus, l’ Épinoche tacheté, Gasterosteus wheatlandi et le Chequemort, Fundulus heteroclitus) ont été exclues de l’ analyse car leur répartition, leur biologie et leur écologie ne sont pas comparables aux poissons d’ eau douce.
En accord avec le COSEP AC, les espèces présentes sur le territoire depuis moins de 50 ans sont considérées comme non indigènes. Parent et Schriml (1995) reconnaissent neuf espèces appartenant à cette catégorie: trois espèces européennes introduites (i.e., la Carpe commune, Cyprinus carpio, la Truite brune, Salmo trutta et le Carassin doré, Carassius auratus) et les six espèces de saumons et de truites du Pacifique (Oncorhy nchus spp.) présentes dans le fleuve Saint-Laurent.
Le seul niveau taxonomique reconnu dans cette étude est celui de l’espèce; ainsi les sous-espèces n’ ont pas été prises en considération (i.e. , le Brochet vermiculé, Esox americanus vermiculus et le Brochet d’Amérique, Esox americanus americanus).
Codage des données
Les caractéristiques biologiques des espèces de pOIssons varient en fonction des conditions environnementales (i .e. , les populations landlockées de Saumon atlantique, Salmo salar). De plus, plusieurs espèces de poissons retrouvées au Québec présentent des morphotypes ou des écotypes distincts par divergence adaptative tel que le Brochet d’amérique, Esox americanus. Lorsqu’un grand nombre de taxons est étudié, les valeurs modales et moyennes de chaque trait ne représentent pas adéquatement la variation phénotypique d’une espèce. Afin de ne pas utiliser des valeurs numériques spécifiques pour nos données, l’ information a été synthétisée par codage flou (Tachet, 2000; Chevenet et al. , 1994). Dans ce système de codage flou, chaque trait est subdivisé en plusieurs modalités et l’affinité d’ un taxon avec les modalités est exprimée par des cotes semi-quantitatives allant de 1 à 3 (parfois de 1 à 4 ou 5 suivant le nombre de modalités exprimant le trait). Le fait d’envisager un codage réduit à quatre (0 à 3) (parfois 5 ou 6) valeurs permet d’ apporter plus d’ informations qu’ un codage binaire, tout en réduisant les biais liés au fait que, pour de nombreux taxons, nous ne disposons que de très peu d’ informations sur leur relation avec tel ou tel trait (Tachet, 2000). Ces traits sont ordinaux lorsque leurs modalités correspondent à différentes classes successives le long d’ un gradient, sinon, ils sont nominaux (Almexe 2). Le tableau 2 montre un exemple concernant le niveau trophique de l’ Omble de fontaine, Salvelinus fontinalis. La lecture du tableau montre que l’ Omble de fontaine , Salvelinus fontinalis , est préférentiellement invertivore (codé 3), mais elle peut aussi être de façon moins fréquente piscivore (codé 2); elle n ‘est en revanche nullement herbivore (codé 0). Ce profil du niveau trophique peut être assimilé à une distribution de fréquences de l’ affinité du taxon (ici Salvelinus fontinalis) pour les différentes modalités du trait envisagé (soit, selon cet exemple, 0%, 60%, 40%).
Régions ichthyogéographiques
Les cartes de répartition nord-américaine pour les 98 espèces de poissons dulcicoles et anadromes, présentes au Québec, ont été compilées sur ArcMap 8.1 en synthétisant les aires de répartition présentées par Bergeron et Brousseau (1983), Lee et al. (1980) et Scott et Crossman (1974). De plus, les points de localisation provenant des bases de données de plusieurs musées et institutions nord-américaines compilés à l’ aide du projet « The Species Analyst » (Vieglais, 2003) ont été intégrés.
Afin de préserver un sens biologique que les frontières géopolitiques ne prennent pas en considération, notre analyse biogéographique s’ étend sur toute la péninsule québécoise (le Québec et le Labrador terre-neuvien). L’approche la plus courante en biogéographie est l’ analyse par grille ou par quadrat et plusieurs études y font référence concernant la faune ichthyienne (McAllister et al. , 1986; Mandrak, 1995). La péninsule québécoise, telle que définie par Legendre et Legendre (1984) a été divisée en quadrats de 100 km par 100 km.
La présence (1) ou l’absence (0) de chaque espèce de poisson (établie à partir des cartes de répartition) a été répertoriée pour chacun des quadrats et compilée dans une matrice de 223 quadrats pour 98 espèces. La péninsule québécoise a été ensuite divisée en 23 sous-régions ichthyogéographiques homogènes, sur la base des aires de répartition actuelles des espèces de poissons et selon le critère de groupement objectif décrit par Legendre et Legendre (1984) (Fig. 2; Annexe 3).
Un coefficient de dispersion entre toutes les paires de régions adjacentes a été calculé à partir de la richesse spécifique des régions et du coefficient de Steinhaus (Legendre et Legendre, 1984) afin de représenter la dispersion post-glaciaire des poissons d’ eau douce du Québec.
En utilisant la même approche, le continent nord-américain a été divisé en quadrats de 350 km par 350 km et la présence ou l’absence de chaque poisson a été identifiée et compilée dans une matrice de 230 quadrats pour les 98 espèces de poissons indigènes du Québec. Le même protocole pour identifier les régions ichthyiogéographiques et la dispersion post-glaciaire de la faune ichthyenne du Québec a été appliqué à l’ échelle nordaméricaine.
Vingt sous-régions ichthyogéographiques nord-américaines ont été identifiées (Fig. 3; Annexe 4).
Critères de vulnérabilité
La vulnérabilité a été estimée sur la base de six critères : (1) la productivité (6 traits), (2) le comportement reproducteur (3 traits), (3) les exigences écologiques ( 6 traits), (4) le niveau trophique (2 traits), (5) la répartition géographique (5 traits) et (6) le comportement migratoire (2 traits). Ces six critères permettent d’ établir une comparaison objective de la vulnérabilité des espèces (Tableau 1). En complément à la vulnérabilité des espèces, nous avons voulu souligner, à titre indicatif, l’ intérêt à la conservation à travers deux indicateurs, soit (1) le degré d’ endémisme et (2) la distinction taxonomique (Tableau 3).
Traits des espèces
Les données sur les traits des poissons ont été obtenues dans la littérature (Froese et Pauly, 2004; Evans et al. , 2002; Coker et al. , 2001 ; Richardson et al., 2001; Bernatchez et Giroux, 2000; Bradbury et al. , 1999; Parent et Schriml, 1995 ; Portt et al. , 1999; Lane et al. , 1996a, b, c; Scott et Crossman, 1973). Les rapports sur la situation des espèces en péril publiés par le ministère de l’Environnement et de la Faune ont permis de collecter les données concernant les espèces au statut critique au Québec (Comité d’ intervention, 1999; Moisan et Laflamme, 1999; Moisan, 1998 ; Therrien, 1998; Giroux, 1997; Lachance, 1997; Lapointe, 1997; Robitaille, 1997; Trépanier et Robitaille, 1995).
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Table des matières
REMERCIEMENTS ET AVANT-PROPOS
TABLE DES MATIÈRES
LISTE DES TABLEAUX
LISTE DES FIGURES
LISTE DES ANNEXES
INTRODUCTION GÉNÉRALE
La productivité
Le comportement reproducteur
Les exigences écologiques
Le niveau trophique
La répartition géographique
Le comportement migratoire
Contexte phylogénétique
ARTICLE
Résumé
Abstract
Introduction
Matériel et méthodes
Sélection des espèces
Codage des données
Régions ichthyogéographiques
Critères de vulnérabilité
Traits des espèces
Analyse statistique et comparaison
Résultats
Les régions ichthyogéographiques
Analyses multivariées
Relations entre les traits et les espèces
Vulnérabilité et régions ichthyogéographiques
Discussion
Les patrons de vulnérabilité
Les espèces vulnérables
Remerciements
Bibliographie
Tableaux
Légendes
Figures
CONCLUSION GÉNÉRALE
ANNEXES
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