L’animal est soumis, quelle que soit la période de sa vie, à de nombreux stimuli internes et externes. Ces stimuli interagissent de manière complexe, en fonction de la façon dont l’information est traitée par l’individu, participant ainsi à la formation du comportement animal. Pour cela, différents systèmes se mettent en place tout au long du développement, de l’embryon à l’individu adulte. On appelle ce processus l’ontogénèse. Ce mécanisme est porté par un patrimoine génétique de base, le génotype, mais dont l’expression peut aboutir à des résultats différents selon les effets de l’environnement pendant ce développement, que l’on appelle phénotypes. Ces effets environnementaux sont particulièrement importants à la naissance de l’individu, bien que présents tout au long du développement .
Comportement de la mère
Concepts
Le soin maternel concerne les expressions comportementales maternelles propres à une espèce et qui se retrouvent donc chez plusieurs femelles afin d’assurer la survie et d’optimiser sa fitness (Royle, Smiseth & Kölliker 2012). Il varie alors tant en quantité qu’en qualité selon les besoins de chaque espèce. Chez certaines espèces ovipares, notamment chez les insectes ou reptiles, le soin maternel peut être limité à la période prénatale : approvisionnement des gamètes, recherche d’un site de nidification, gardiennage des œufs. En revanche, pour d’autres espèces ovipares ou vivipares, il peut aller plus loin jusqu’à la protection des jeunes après éclosion contre le froid, les prédateurs et les parasites, et l’approvisionnement en nourriture. Chez d’autres espèces monotrèmes et vivipares tels que les mammifères, il passe obligatoirement par une phase d’allaitement indispensable à la survie des jeunes.
Il est à différencier du comportement maternel qui regroupe l’ensemble des actions d’une femelle envers un ou plusieurs jeune(s) dans le but d’augmenter sa (leur) capacité de survie et de reproduction. Une mère peut soit produire soit adopter un jeune et l’élever jusqu’à son indépendance. Le comportement maternel, lui, est propre à chaque femelle et présente donc une forte variabilité individuelle. Toutefois, il a été mis en évidence l’existence de styles maternels, tant chez les mammifères (Hinde & Spencer-Booth 1971 ; Fairbanks 1996 ; Dwyer & Lawrence 2000) que, plus récemment, chez les oiseaux (Pittet et al. 2014a). Ils ont été définis par Albers (1999) comme une concordance des différences individuelles de comportement maternel entre plusieurs périodes de maternage. Chez les mammifères, il a été montré par la suite que ces différences pouvaient se résumer sur deux dimensions indépendantes : la protection et le rejet (Hinde & Spencer-Booth 1971 ; Fairbanks 1996). Chez l’oiseau, et plus particulièrement la caille (Pittet et al. 2014a), on retrouve également deux dimensions qui sont l’agressivité et le rejet.
Facteurs d’influence
La stabilité du comportement maternel est déterminée par une base génétique des caractéristiques maternelles (Van der Steen et al.1988 ; Maccoll, Hatchwell & Dunn 2003) modulée par les expériences précoces de la présence ou l’absence d’une mère (Harlow et al. 1966) et par le tempérament de la femelle. Les réactions émotionnelles en particulier sont des variables souvent prédictives du comportement maternel chez le macaque rhésus (Maestripieri 1993), la brebis (Murphy et al. 1998 ; Dwyer 2008) mais également chez la caille (Pittet et al. 2014b). D’autre part, si ces comportements maternels sont relativement stables chez une femelle, d’autres facteurs peuvent toutefois les modifier. Parmi ceux-ci, nous avons l’environnement à la fois abiotique, lié à son enrichissement et en particulier la disponibilité des ressources alimentaires (Fairbanks 1996 ; Kitaysky et al. 1999) mais également l’environnement social, si le mâle ou d’autres individus (présence d’helpers ou formation de crèche) participent ou non à l’élevage des jeunes (Wright & Cuthill 1990, Kilpi et al. 2001). Des caractéristiques plus propres à la femelle, comme son âge ou son expérience en matière de reproduction, sont également des paramètres qui modifient le comportement maternel, les deux étant souvent fortement liés. Ainsi des femelles plus âgées et expérimentées ont des compétences maternelles plus efficaces que des jeunes femelles naïves (Pyle et al. 2001; Angelier et al. 2007). Ces facteurs ont été évalués séparément chez la caille : les femelles plus jeunes se sont montrées globalement moins maternelles avec plus d’interactions négatives et de rejet lors des premières interactions que les femelles plus âgées indépendamment de leur expérience (Pittet et al.2012) ; et parallèlement des femelles de même âge n’ayant jamais eu de couvée se sont montrées plus agressives et réactives au début du maternage, cette réaction étant associée à un effet de nouveauté (Pittet et al. 2013).
Le jeune
Concept
Avant de nous lancer dans le rôle que joue le jeune au sein du système mère-jeune, nous pensons qu’il est important d’apporter quelques précisions sur ce dernier. Qu’estce qu’un jeune ? A partir de quand considère-t-on que nous avons à faire à un jeune ou qu’il n’en est plus un ? Biologiquement, on considère le jeune comme un organisme résultant d’une reproduction sexuée ou asexuée, qui se situe à un stade de développement morphologique et/ou physiologique incomplet. L’individu sort du stade juvénile lorsque son développement, en particulier son développement sexuel, est terminé. Il a alors atteint la maturité, et devient de ce fait un adulte. Partant de cette définition du dictionnaire, un jeune peut prendre plusieurs formes suivant son stade de développement : celle d’un embryon/fœtus, présent dans l’utérus maternel (vivipares) ou placé dans un œuf (ovipares) ou d’un individu à part entière après la naissance ou l’éclosion. Les stimuli alors apportés sont très différents d’un stade à un autre et entraînent des soins maternels spécifiques très distincts. On distingue alors les influences prénatales et postnatales liées au comportement maternel sur le développement des jeunes (Houdelier et al. 2013). Lors de la vie postnatale, le développement peut être très rapide en particulier chez les espèces nidifuges, et la relation mère-jeune aura une forte importance sur le développement.
Le jeune n’est pas passif dans sa relation à la mère, bien au contraire, il va rechercher activement sa présence et solliciter son attention par divers moyens vocaux (rongeurs, oisillons) ou comportementaux comme le cramponnement chez le singe (Harlow & Harlow 1965b), le « Heading off » (comportement de jeunes ongulés se plaçant devant la mère pour la stopper et pouvoir initier une séance de tétée) (Lent 1974) ou encore les tapotements des jeunes mouettes sur le bec de la mère (Hailman 1967). De même que nous appelons « comportement maternel » les actions spécifiques de la mère envers ses jeunes, nous nommons « comportements filiaux » ceux des jeunes envers leur mère ou de manière générale envers leurs parents (Harper 1981). Au contraire du comportement maternel, les comportements filiaux et leur évolution au cours de la période d’élevage ont été bien moins étudiés et seulement focalisés sur certains aspects.
Nidifuge et nidicole
Même après la naissance on observe, suivant les espèces, une forte différence de développement des nouveau-nés. Certains, appelés nidifuges, sont particulièrement bien développés : les sens actifs, le corps couvert de poils ou plumes, capables de se mettre debout puis de se déplacer et s’alimenter seuls quelques heures après la naissance/l’éclosion. Les nidicoles au contraire sont généralement aveugles, nus et doivent attendre plusieurs semaines avant de pouvoir se tenir debout et se déplacer efficacement. Ces deux catégories peuvent être subdivisées en fonction de la dépendance plus ou moins importante des jeunes envers leurs parents : semi-nidifuges et seminidicoles (Nice 1962 ; Derrickson 1992). Le mode de développement détermine la stratégie parentale utilisée ainsi que les soins apportés aux jeunes. On notera ici une opposition des stratégies utilisées pour un même stade de développement lorsque l’on regarde chez les mammifères ou chez les oiseaux. Chez les mammifères, les espèces nidifuges ont des portées restreintes mais les mères s’investissent plus dans la gestation dont le temps augmente (Derrickson 1992). En soins postnataux, les petits nidicoles nus sont plus sensibles aux températures extérieures et peuvent avoir besoin de récupérer de la chaleur auprès de leur mère. Hormis cela, il n’y a guère de différence marquée en maternage, la lactation étant nécessaire dans les deux cas. Toutefois, chez les espèces nidifuges, un lien très fort et exclusif se met en place entre la mère et son jeune dès la naissance Chez les oiseaux, à l’inverse, les couvées sont plus importantes au sein des espèces nidifuges (Ricklefs 1973). Le temps d’incubation dépend plus de la taille de l’œuf que du stade de développement à l’éclosion. Cependant, il existe une grande divergence dans le soin maternel postnatal puisque les oisillons nidicoles sont totalement incapables de se nourrir par eux-mêmes et doivent donc être régulièrement approvisionnés par leurs parents (Fig. 2). C’est en partie la raison pour laquelle il y a bien plus de soin uniparental (maternel ou paternel) chez les espèces nidifuges que chez les espèces nidicoles (24% vs 7%), ces dernières demandant beaucoup plus d’investissement parental (Cockburn 2006). Pour les espèces nidifuges au contraire la mère (ou le père) ne nourrit pas directement ses jeunes, mais leur apporte protection contre les prédateurs et les variations climatiques : réchauffement pour les oisillons dont la thermorégulation n’est pas effective comme chez la caille (Richard-Yris 1987) ou protection contre la chaleur dans les milieux arides comme chez l’autruche (Fig. 2), le moqueur chat, le Gobemouche ou l’aigle royal (Johnson & Best 1982 ; Collopy 1984 ; Frost 1990).
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Table des matières
Introduction Générale
I. Définitions : comportement maternel, jeunes, relations
1. Comportement de la mère
a. Concepts
b. Facteurs d’influence
2. Le jeune
a. Concept
b. Nidifuge et nidicole
3. Les relations entre la mère et ses jeunes
a. La relation « jeune → mère »
b. La relation « mère → jeunes »
c. La reconnaissance
II. Le jeune : déterminisme du comportement maternel
1. Chez les mammifères
2. Chez les oiseaux
III. Le jeune : facteur de variation du comportement maternel
1. Variations liées à l’environnement familial
a. Le nombre de jeunes
b. Le croisement des générations
c. Le lien de parenté
2. Variations liées aux caractéristiques intrinsèques du jeune
a. L’âge du jeune
b. La morphologie et l’état de santé du jeune
c. Le sexe du jeune
d. Le comportement du jeune
IV. Le comportement maternel : facteur de variation du développement comportemental du jeune
1. Socialité
a. Définitions
b. Influence maternelle
2. Emotivité
a. Définitions
b. Influence maternelle
V. Problématique et objectifs de la thèse
Méthodologie Générale
I. Modèle Biologique
1. La caille japonaise : carte d’identité
a. Statut phylogénétique
b. Caractéristiques morpho-écologiques
c. Système socio-sexuel
2. Choix comme modèle d’étude : une « mère poule »
II. Mode d’élevage et de production des oiseaux
1. Origine des oiseaux
2. Hébergement
3. Reproduction, incubation, maintenance des jeunes
III. Protocole général
1. Induction du comportement maternel
2. Maternage
a. Méthodes d’observation
b. Répertoire comportemental
c. Analyse des données
d. Séparation mère-jeunes
3. Evaluation des traits comportementaux
a. Tests comportementaux
b. Méthode d’analyse
c. Evaluation des capacités cognitives : test de détour
Chapitre 1 : Influence du lien de parenté
Chapitre 2 : Influence du comportement du jeune
Chapitre 3: Influence de la taille de la couvée
Chapitre 4 : Influence de la composition sexuée de la couvée
Discussion Générale
I. Déroulement de la relation mère-jeune et jeune-mère
1. Les 3 phases de la relation MÈRE→jeune chez la caille
2. Les 3 phases de la relation JEUNE→mère chez la caille
II. Influence du jeune sur le comportement maternel
1. Influences directes
2. Influences indirectes
III. Influence du comportement maternel et de la fratrie sur le jeune
IV. Perspectives
1. Par quels mécanismes (neurobiologique, épigénétique) ces influences (jeunes & mère) agissent-t-elles ?
2. Y-a-t-il une reconnaissance entre mère et jeunes ?
3. Quelle importance ont les interactions mère-jeunes pendant la période prénatale ?
4. Quel rôle ont les interactions jeunes-jeunes?
5. Quelles fonctions adaptatives et évolutives du rôle des jeunes dans la relation mère-jeunes ?
Conclusion Générale
Références
Annexe : Communications