Le comportement innovateur du consommateur
L’innovation
Le mot innovation est devenu galvaudé, et l’innovation semble présente partout. Pourtant, en réalité, si de nouveaux produits et nouveaux services apparaissent sans cesse, les innovations perçues comme telles par les consommateurs sont devenues rares, surtout face à des clients lassés, de plus en plus exigeants et difficiles à étonner (Le Nagard, 2007).
Selon la définition du Petit Larousse (2010), dans son sens le plus large, l’innovation et « ce qui est nouveau ». Rogers (1971) la définit comme une idée, une pratique, ou un objet perçu comme nouveau par les individus. La définition de Solomon et al. (2010) s’oriente dans le même sens, désignant comme innovation tous les produits ou services qui sont perçus comme nouveaux par les consommateurs. Pour cette thèse, nous retenons la définition de Rogers (1971). Quant à la nouveauté perçue, nous retenons la définition de Roehrich (2001), qui propose que « est perçu comme nouveau ce qui est perçu comme récent et/ou différent ».
Il existe plusieurs classements des innovations, dont les principaux ont été recensés par Chandy et Prabhu (2011) selon deux axes : la dimension de nouveauté (la perception du client, l’évaluation du nouveau concept lui-même, le point de vue de l’entreprise) et les caractéristiques de l’innovation (ses attributs et ses effets). Pour l’axe évaluant le concept lui-même, ils se sont appuyés, notamment, sur la typologie de référence de Schumpeter (1934) qui distingue les innovations de processus (une nouvelle approche pour créer ou commercialiser un produit ou un service), les innovations de produits (introduction commerciale d’un produit nouveau), les innovations dans l’organisation (création d’une nouvelle organisation), les innovations de débouchés (nouveau marché) et les innovations de matières premières (nouveauté dans les sources d’approvisionnement). Chandy et Prabhu (2011) ont, également, distingué les innovations de type technological breakthrough, désignant un produit, service ou processus qui intègre des principes scientifiques substantiellement différents de ceux intégrés dans les produits, services ou processus existants (Chandy, Tellis, 1998), désignés également comme des innovations plateforme (Sood, Tellis, 2005). Les innovations composantes, décrivent des produits, services ou processus nouveaux qui intègrent de nouveaux modules, matériaux ou de nouvelles pièces, mais utilisent des technologies de bases existantes (Sood, Tellis, 2005). Les innovations de design sont des reconfigurations de la disposition des composants ou des liens entre eux, tout en restant dans la même plateforme technologique (Sood, Tellis, 2005) et sont également appelées des innovations architecturales (Henderson, Clark, 1990). Les innovations de business model, incluent un changement systémique dans la proposition de valeur d’un produit ou service et dans la structure de coût de l’entreprise (Christensen, 2008). Enfin, les innovations drastiques (Reinganum, 1985) ou révolutionnaires (ex. Caselli, 1999), rendent les produits actuels obsolètes.
Du point de vue de l’entreprise, Chandy et Prabhu (2011) ont identifié les innovations nouvelles pour l’entreprise, désignant l’adoption nouvelle d’un produit, d’une idée ou d’un comportement par une firme (Booz, Allen, Hamilton, 1982). Cette catégorie comprend notamment les innovations administratives (Damanpour, 1991) correspondant à l’adoption de nouveaux processus, pratiques et principes de management. Sur cet axe, il est, également, important de distinguer les innovations destructrices de compétence, qui nécessitent de nouvelles compétences et connaissances, non détenues par l’entreprise, et les innovations d’enrichissement de compétence qui se construisent sur la base des connaissances et compétences existantes (Tushman, Anderson, 1986). Finalement, du point de vue de la perception du client Chandy et Prabhu (2011) ont recensé les innovations de type market breakthrough comme une nouveauté fournissant un bénéfice ou valeur client substantiellement plus élevé que les produits, services et processus existants tout en utilisant les mêmes technologies (Chandy, Tellis, 1998). Ils ont, également, pris en compte les innovations disruptives, introduites par Christensen (1997), qui sont caractérisées par une performance moindre et une valeur-client diminuée par rapport aux produits existants, en particulier à court terme. Cependant, si ce type d’innovation peut-être est moins attractif pour les consommateurs grand public, un autre segment peut valoriser les nouveaux attributs. Ils ont, également, pris en compte la classification de Robertson (1967, 1971), qui a différencié les innovations de continuité correspondant à un degré d’innovation limité, les innovations de semi-continuité correspondant à des produits perçus comme novateurs par le marché, mais qui s’inscrivent dans les normes de consommation et d’usage actuels et les innovations de discontinuité ou radicales, remettant en cause les repères des consommateurs.
L’innovativité du consommateur
Dans la littérature marketing, il existe plusieurs définitions de l’innovativité du consommateur, et un consensus n’est pas atteint (Roehrich, 2004). Elle a été définie, pour la première fois, par Rogers (1971), comme le degré selon lequel un individu d’un système adopte relativement tôt une nouvelle idée par rapport à d’autres membres. Elle peut, également, être considérée comme la propension d’un consommateur à acheter une innovation peu de temps après sa mise sur le marché (Hirschman, 1980a, Midgley, Dowling, 1978, Robertson, 1971, Rogers, 1995). Selon Roehrich (1994) elle correspond à une attitude générale de la personne qui la rend sensible à la nouveauté. Selon une définition plus récente (Steenkamp, Hofstede et Wedel, 1999), elle correspond à la prédisposition d’un consommateur à acheter un produit nouveau ou différent, au lieu de reconduire les habitudes de consommation. Et au final, selon Tellis et al. (2009), elle correspond à la propension d’un consommateur à adopter un nouveau produit, service, idée ou style de vie. Dans un travail de synthèse, sur la base d’une étude de la littérature scientifique, Tellis et al. (2009), ont considéré l’innovativité comme un construit multidimensionnel composé d’Ouverture, d’Enthousiasme et de Réticence.
– L’Ouverture du consommateur regroupe les facteurs qui déterminent l’attitude générale d’un individu vis-à-vis d’une nouveauté : la recherche de variété correspondant à la propension d’adopter des produits nouveaux pour éviter l’ennui ou provoquer un changement de rythme (ex. Steenkamp, Baumgartner, 1992) ; le stimulus variation, lié à la curiosité, correspond à la préférence native d’un consommateur pour des stimuli externes par rapport à une situation familière ; et l’accoutumance correspondant à la résistance aux changements d’un individu, et son refus d’adopter des comportements nouveaux.
– L’Enthousiasme regroupe les facteurs qui se réfèrent à l’intérêt naturel d’un consommateur aux produits nouveaux : la recherche de nouveauté, correspondant à une propension innée d’un individu à chercher tout ce qui est nouveau et différent (Hirschman, 1980) ; la propension à la prise de risque ou la nature aventureuse d’un individu ; et le leadership d’opinion correspondant à la capacité d’un consommateur à rester indépendant dans ses choix de la pression sociale et de sa propension à acheter un produit en premier afin de conseiller les autres membres de son système social.
– La Réticence regroupe les facteurs qui freinent le consommateur dans sa propension à adopter des produits nouveaux : l’effort correspondant à la réticence d’un consommateur à passer du temps et dépenser de l’énergie à adopter un produit nouveau ; la nostalgie, correspondant à un désir et envie vis-à-vis du passé et des produits du passé ; la suspicion correspondante à la peur et aux doutes des consommateurs vis-à-vis des spécialistes de marketing des produits nouveaux ; et la frugalité, correspondant à la réticence d’un consommateur de payer un prix élevé pour un produit nouveau en contradiction avec son envie de conserver ses ressources afin de ne pas les gâcher pour des résultats incertains.
Parmi les définitions existantes, nous retenons, pour cette thèse, l’approche de Goldsmith et Hofacker (1991) qui définissent l’innovativité comme « une tendance à s’informer et à adopter les innovations à l’intérieur d’un domaine d’intérêt spécifique » (Traduction Ben Zina Karoui 2010). Adopter cette approche définissant l’innovativité comme spécifique à une catégorie de produits, nous permet, en effet, non seulement de rendre notre recherche cumulable avec celle de Goldsmith et Newell (1997), mais se justifie, également, par le fait que la sensibilité au prix est variable selon la catégorie de produit (Filser, 1994). Nous nous inspirons, également, de la définition de Roehrich (1994), évoquant que l’innovativité correspond à une sensibilité accrue à la nouveauté.
Depuis les travaux de Midgley et Dawing (1978), l’innovativité est de plus en plus considérée comme un effet des traits de la personnalité, relativement stable dans le temps, mais influençable par l’environnement (ex. Srivastava et al., 2003, Tellis et al., 2009) comme, par exemple, la culture du pays . Ainsi, comme le confirme Hirschman (1980a), l’innovativité semble être une caractéristique évolutive, influencée en particulier par l’environnement social.
La conceptualisation et la mesure de l’innovativité peuvent se faire selon quatre axes, recensés par Ben Zina Karoui (2010). L’approche temporelle la considère comme une adoption relativement tôt d’une innovation (ex. Rogers, 1962, Rogers, Shoemaker, 1972). L’approche de coupe transversale, quant à elle cherche à détecter l’innovativité à travers plusieurs catégories de produits (ex. Summers, 1971). L’approche de l’adoption innée considère l’innovativité comme un trait individuel (ex. Midgley, Dowling, 1978) et l’approche multidimensionnelle présente l’innovativité comme une combinaison des caractéristiques innées, des traits généraux de la personnalité, et de certaines composantes du comportement de consommation (ex. Goldsmith, Hofacker, 1991).
Les profils d’adoptants
L’innovativité est une variable continue, mais afin de pouvoir l’étudier et comparer les résultats des recherches, une catégorisation standardisée des individus est devenue nécessaire dans les années 1970 (Rogers, 1971). Selon leur niveau d’innovativité, certains chercheurs ont, ainsi, distingué deux catégories de consommateurs : les innovateurs, guidés par une prédisposition interne, et les imitateurs, guidés par des influences externes, comme la pression de leur système social (ex. Gatignon et al., 1989).
Rogers (1971), dans un classement plus approfondi, qui est devenu la référence, a défini cinq catégories d’adopteurs : les innovateurs, les adopteurs précoces, la majorité en avance, la majorité en retard et les retardataires .
Les innovateurs, ou techno-enthousiastes sont des individus en recherche permanente de nouveaux produits high-tech. La technologie est leur centre d’intérêt principal, indépendamment de la fonction à laquelle elle est rattachée. Ils sont profondément intrigués par toutes les avancées, et achètent souvent les produits technologiques pour le simple plaisir d’explorer un nouveau mécanisme. Le nombre de ces innovateurs est réduit sur le marché, mais ils jouent un rôle important dans la diffusion des produits high-tech, car leur feedback rassure les autres acheteurs sur le fait que le produit fonctionne réellement (Moore, 1999).
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Table des matières
1. Introduction
1.1. La problématique de recherche
1.2. La méthodologie de recherche
2. Première partie : Revue de la littérature
2.1. Le comportement innovateur du consommateur
2.1.1. L’innovation
2.1.2. L’innovativité du consommateur
2.1.3. Les profils d’adoptants
2.2. La fixation du prix fondée sur la valeur perçue client
2.2.1. Le contexte de la fixation du prix d’une innovation
2.2.1.1. Des clients plus avertis
2.2.1.2. Des guerres de prix
2.2.1.3. Des objectifs de volumes de vente
2.2.1.4. Des marchés internationaux
2.2.2. Les enjeux de la fixation du prix d’une innovation
2.2.2.1. La stratégie d’écrémage
2.2.2.2. La stratégie de pénétration de marché
2.2.2.3. La stratégie de prix fondée sur la valeur perçue client
2.3. La valeur perçue client d’une innovation
2.3.1. La valeur perçue client
2.3.2. La sensibilité au prix
2.3.3. La mesure de la valeur perçue et la sensibilité au prix
2.4. La culture nationale et la valeur perçue d’une innovation
2.4.1. La culture nationale
2.4.2. Les modèles interculturels
2.4.3. L’impact de la culture nationale sur le comportement du consommateur
2.4.3.1. L’impact de la culture sur l’innovativité
2.4.3.2. L’impact de la culture sur la valeur perçue client
2.4.3.3. L’impact de la culture sur la sensibilité au prix
3. Deuxième partie : Hypothèses de recherche
3.1. Les hypothèses de recherche
3.1.1. H1 : L’impact de la culture nationale sur la valeur perçue de l’attribut innovant
3.1.2. H2 : L’impact de la culture nationale sur l’importance de l’attribut innovant
3.1.3. H3 : L’impact de la culture nationale sur la sensibilité au prix d’une innovation
3.1.4. H1a à H3a : Le caractère modérateur du revenu sur ces relations
4. Troisième partie : Modèle de recherche empirique
4.1. La conception de l’enquête client interculturelle
4.2. Le choix des pays et de l’innovation
4.3. La rédaction du questionnaire
4.4. Le design de l’analyse conjointe
4.5. Le choix des attributs
5. Quatrième partie : Validation des hypothèses de recherche
5.1. La démarche d’analyse
5.1.1. Les variables utilisées
5.1.1.1. La nature des variables
5.1.2.1. La comparabilité des variables
5.1.2. Les tests d’hypothèses statistiques
5.1.2.1. Le test du khi-deux
5.1.2.2. Le coefficient de corrélation de Pearson
5.1.2.3. L’analyse de variance
5.1.3. La validité de la recherche
5.2. L’analyse de l’échantillon
5.2.1. La démarche d’analyse
5.2.2. La structure des échantillons
5.2.3. La représentativité nationale des échantillons
5.2.4. La comparabilité des échantillons
5.3. La validation des instruments de mesure
5.3.1. La validation de l’innovation testée
5.3.2. La validation de l’analyse conjointe
5.3.3. La validation de l’échelle sensibilité au prix d’une innovation
5.3.4. La validation globale de l’enquête
5.4. La vérification des hypothèses de recherche
5.4.1. L’estimation des utilités partielles
5.4.1.1. La méthode d’estimation
5.4.1.2. Les utilités partielles
5.4.1.3. L’importance des attributs
5.4.2. La valeur perçue de l’attribut innovant
5.4.2.1. L’impact des caractéristiques sociodémographiques
5.4.2.2. L’impact de la culture nationale
5.4.3. L’importance de l’attribut innovant
5.4.3.1. L’impact des caractéristiques sociodémographiques
5.4.3.2. L’impact de la culture nationale
5.4.4. La sensibilité au prix des innovations
5.4.4.1. L’impact des caractéristiques sociodémographiques
5.4.4.2. L’impact de la culture nationale
6. Conclusion