Le commerce équitable ou l’institutionnalisation de pratiques organisationnelles stratégiques 

Les études qui se concentrent sur les relations entre acteurs au sein de la chaîne de valeur

Types d’organisations

Associations, coopératives et entreprises à but lucratif

Benjamin Huybrechts (2007) cherche à comprendre les raisons qui expliquent la diversité des formes organisationnelles des acteurs au Nord qui s’investissent dans le commerce équitable.
Selon lui, le commerce équitable a un caractère multidimensionnel : il est lié à plusieurs biens, qui sont :
– La production d’un cadre de régulation, qu’il considère comme être un bien public,
– La sensibilisation et l’éducation, elle aussi un bien public,
– La commercialisation du produit intrinsèque, qu’il qualifie de bien marchand privé,
– La « plus-value » équitable, qui correspond aux conditions de production spécifiques du bien (ces conditions correspondant aux standards économiques, qui jouent le rôle d’un cadre normatif, et qui est un bien de confiance.
Ainsi, dès lors qu’il existe une hétérogénéité de la demande en terme d’attributs du produit, une diversité des statuts au sein du commerce équitable apparaît. Huybrechts distingue trois catégories du statut : les associations, les coopératives et les entreprises à but lucratif.
Les associations ont été pionnières dans le mouvement, car d’une part, les « entrepreneurs idéalistes » qui les ont initiées ont trouvé dans ce statut une forme de structure correspondant à leur idéal, et d’autre part, parce qu’elles revêtent une forme non lucrative nécessaire et légitime pour combler l’incapacité apparente des pouvoirs publics à réguler le commerce mondial. En outre, elles proviennent d’une construction conjointe entre l’offre et la demande, o‘ les consommateurs, par le biais des associations, dont le statut limite les comportements opportunistes (car il y a absence d’objectif de profit et interdiction de redistribuer ce dernier, peuvent contrôler la production.
La forme coopérative, quant à elle, tend fortement à se développer dans les pays du Nord, alors qu’elle est déjà très répandue parmi les organisations de producteurs du Sud. Cela s’explique par sa capacité à assumer à la fois les dimensions publiques du commerce équitable sensibilisation et régulation et à garantir l’absence de comportements opportunistes dans la commercialisation des produits. En effet, même si elle permet la redistribution des profits à ses membres, cette redistribution est réduite et sa finalité première reste, en théorie, la qualité du service. En outre, la forme coopérative permet une plus grande marge de manœuvre commerciale, car l’accès aux capitaux lui est facilité, et n(étant pas subsidiée par les pouvoirs publics, elle ne peut être accusée de concurrence déloyale. Au final, tant le statut associatif que le statut coopératif poursuivent des objectifs avant tout sociétaux à travers une activité économique, et sont les seuls acteurs de l’économie sociale à pouvoir dépasser les échecs du marché et de l’Etat dans la production des différentes dimensions du commerce équitable.

Types de filières

Importation directe, filière professionnelle, et filière labellisée

LeVelly (2006) observe les difficultés de construction d’une rationalité matérielle au fur et à mesure de la participation à l’ordre marchand capitaliste du commerce équitable.
Dans une approche wébérienne, il distingue en effet le marché conventionnel, construit à partir d’une logique de rationalité formelle fondée sur un objectif purement économique et ne prenant pas en compte les impératifs éthiques et politiques, et le marché équitable, fondé originellement sur une rationalité matérielle, qui implique le paiement d’un prix juste au producteur, le travail avec des petits » producteurs de façon prolongée, et la connaissance de ceux-ci. L’auteur constate que depuis une dizaine d’années, la plupart des promoteurs souhaitent une participation croissante du
commerce équitable à l’ordre marchand, et ce pour deux principales raisons. Tout d’abord, cette participation à l’ordre marchand est essentielle pour justifier le fait que le commerce équitable n’est pas une relation d’assistanat. En outre, elle permet d’accroitre les ventes des produits, et ainsi, de favoriser le développement des producteurs et de sensibiliser davantage les consommateurs aux dysfonctionnements du commerce international. L’exemple le plus abouti de la participation du commerce équitable à l’ordre marchand, au delà du processus de professionnalisation mis en place au sein des boutiques Artisans du Monde, est la vente en grande distribution de produits issus de ce commerce, et la labellisation. L’auteur distingue trois filières marchandes dans le commerce équitable, selon leur degré d’appartenance à l’ordre marchand. )l s’interroge sur les conséquences de cette appartenance.
La première filière est l’importation directe de produits issus des producteurs rencontrés par interconnaissances. Cette filière a pour avantage de répondre directement aux besoins des producteurs en entretenant des relations personnalisées avec eux. Néanmoins, contrairement à la filière professionnalisée d’Artisans du Monde, dont la gestion des approvisionnements est centralisée par une unique centrale d’achats ȋSolidar’MondeȌ, elle ne fait pas preuve d’efficacité commerciale, élément indispensable à la survie dans un contexte de concurrence accrue entre les acteurs du commerce équitable.

Impacts en terme de conditions de vie

Impacts sur les prix

Le commerce équitable garantit un prix minimum au producteur, qui doit être au moins égal au cours du marché conventionnel. L’étude de Arnould (2007) menée auprès de 1200 producteurs de coopératives de café certifiées par Transfair USA au Nicaragua, Guatemala et Pérou, affirme que les producteurs du commerce équitable perçoivent effectivement un prix supérieur au prix du marché conventionnel. Néanmoins, le différentiel de prix n’est pas toujours observé. C’est surtout le cas lorsque les cours du marché conventionnel mondial sont élevés, et s’alignent aux prix minimums garantis par les organismes certificateurs, ou par les acheteurs. En outre, l’introduction du commerce équitable sur un marché local peut inciter les producteurs concurrents du marché conventionnel à, eux aussi, augmenter leurs prix (Vagneron & Roquigny, 2010).
Ce prix minimum garanti aux producteurs est source de satisfaction pour les producteurs, comme le montrent Bechetti et Constantino (2008), par une étude quantitative menée auprès de Ͷ͹ͷ producteurs d’herbes aromatiques au Kenya.

Impacts organisationnels

Impacts au niveau de la structure organisationnelle

Selon Murray, L. Raynolds et Taylor (2003), le commerce équitable a des retombées organisationnelles positives au sein même des coopératives, ou plus largement, dans l’environnement institutionnel dans laquelle celles-ci évoluent. Il participe en effet au développement de la prise de décision démocratique, de la transparence dans les pratiques organisationnelles et de la participation active de chaque membre adhérent.
L’analyse d’A. Milford (2004), nous permet d’expliquer pourquoi le commerce équitable permet un tel impact au sein des organisations de producteurs. Selon l’auteur, le commerce équitable est un moyen externe de financer la formation de coopératives dans les pays en développement, au même titre que les subventions publiques ou l’aide des ONG : l’objectif est d’appuyer à la formation et à la formalisation de celles -ci, pour qu’elle puissent finalement s’autonomiser et s’auto-gérer de manière durable. Un des problèmes du financement externe pour la création de coopératives est qu’il engendre automatiquement une réduction du niveau de participation des membres de celles-ci, qui est pourtant l’un des piliers sur lequel leur bon fonctionnement doit reposer. En effet, dans un processus de création d’une telle organisation, une intervention extérieure à pour effet indésirable de désinciter les membres de celle-ci à s’investir en leur ôtant une part de responsabilité. Dès lors, des comportements opportunistes, de passager clandestin, ou encore corrompus et peu productifs risquent d’apparaître. Néanmoins, en s’appuyant sur une étude de cas réalisée auprès de coopératives de café certifiées Fairtrade au Chiapas au Mexique, l’auteur observe que le financement par un système de commerce équitable induit beaucoup moins ces comportements. A. Milford donne deux explications à cela. Tout d’abord, le système du commerce équitable repose sur un système de sanction qui induit l’exclusion de ses membres en cas de non conformité aux standards définis par les consommateurs : il est plus difficile de contourner et négocier des règles imposées par un représentant du gouvernement, plutôt que par une masse de consommateurs engagés. En outre, cette forme de commerce induit dans son fonctionnement une sorte de distance vis-à-vis du financeur, puisque les volumes achetés sont variables, et ainsi, tous les efforts menés en coopérative ne dépendent pas exclusivement du support Fairtrade : la coopérative doit être suffisamment performante pour gérer son activité par ailleurs.

Participation aux prises de décision

Sans aborder de façon explicite l’empowerment, un certain nombre d’études évoque un des aspects de l’empowerment des producteurs. Vagneron et Roquigny (2003) deinissent l’empowerment comme e tant le processus social de reconnaissance, de promotion et d habilitation des personnes dans leur capacité a satisfaire leurs besoins, a regler leurs problemes et a mobiliser les ressources nécessaires de façon a se sentir en contrôle de leur propre vie » (p.26). Ces auteurs considèrent que cette notion comporte trois composantes essentielles : la connaissance, l’estime de soi et la participation. Si lǯon retient cette décomposition, alors on peut considérer que les études citées précédemment qui soulignent l’impact positif du commerce équitable en termes d’acquisition de connaissance ȋMurray, L. Raynolds et Taylor, 2003) ; Shrek, 2005), dǯestime de soi ȋMurray, L. Raynolds et Taylor, 2003) et de participation active dans l’organisation ȋMurray, L. Raynolds et Taylor, 2003) montrent que pour les cas étudiés, le commerce équitable favorise l’empowerment des producteurs.

Synthèse et tableau récapitulatif

Comme nous avons pu le mettre en évidence, la littérature portant sur le thème du commerce équitable s’articule autour de trois dimensions.
La première est celle des motivations des acteurs au Nord pour s’engager dans le commerce équitable. Les motivations des entreprises peuvent être éthiques, ou purement économiques.

Le transfert de pratiques organisationnelles stratégiques dans une relation « équitable »

Dans son article « Transnational Transfer of strategic organizational practices : a contextual perspective », Kostova s’intéresse à l’institutionnalisation de pratiques organisationnelles stratégiques transférées d’une maison mère à sa filiale,qui se trouve dans un pays étranger, et donc dans un contexte institutionnel à priori différent de celui de la maison mère. Elle commence par établir le constat suivant. Les organisations, et plus particulièrement les firmes multinationales, effectuent, par souci d’efficience, des transferts internationaux de certaines pratiques commerciales et organisationnelles : celles qui constituent leurs compétences clés et quǯelles considèrent comme étant devenues des avantages compétitifs : « For purpose of synergy and efficiency, organizations often engage in cross-unit transfers of business practices ȋ…Ȍ that they believe to be a source of competitive advantagedz.(p.309) Kostova précise que ces pratiques sont organisationnelles, plutôt que portant sur la technologie ou lǯinnovation; et en outre, celles-ci constituent des atouts stratégiques, que l’on peut assimiler aux avantages compétitifs, facteurs de différentiation, mis en évidence par Porter et Kramer (2006).

Le contexte relationnel

Outre les contextes institutionnel et organisationnel, Kostova et Roth (2002) expliquent que le contexte relationnel influence aussi le niveau dǯinstitutionnalisation de celle-ci : Dz(ome country institutional influences are indirect, as they are channeled and filtered through the parents organization. Consequently, the relational context that links a foreign subsidiary to a parent becomes extremely important because it influences the way such pressures from a home country are interpreted and perceived by a foreign subsidiarydzȋp.ʹ
Kostova considère que deux sortes de relation influencent l’institutionnalisation de la pratique transférée. La première relève de l’attitude; la seconde de la dépendance et du pouvoir.
Concernant l’attitude des acteurs dans une relation entre maison mère et filiale, Kostova et Roth (2002) identifient deux facteurs qui influencent positivement l’institutionnalisation d’une pratique : la confiance et l’identification de la filiale vis-à-vis de la maison mère.
Les auteurs expliquent que dans une configuration de transfert de pratique d’un environnement institutionnel à un autre, au profil très différent, des conflits sont susceptibles d’apparaître lors de la mise en place de la pratique, et, de fait, risquent d’amener les membres de l’organisation à douter de sa pertinence et de son efficience.
Dès lors, la confiance des membres en la maison mère et sa bonne foi est nécessaire pour que ceux-ci puissent continuer à percevoir que cette pratique sera efficace, et ainsi l’adopter plus par mimétisme que par coercition, facteur nécessaire à l’institutionnalisation. En outre, Kostova et Roth insistent aussi sur le fait qu’une identification des membres de la filiale vis-à-vis de la maison mère influence positivement l’institutionnalisation de la pratique. Les auteurs définissent l’identification ainsi : Dzthe degree to which subsidiary employees experience a state of attachment to the parent. They feel that they are part of the parent organization, belong to it, and partly derive their self-identities from this organi ational membershipdzȋp. 220). Selon les auteurs, il apparaît un cercle vertueux : l’organisation se sent similaire à la maison mère, met en place ses pratiques, ce qui renforce son sentiment d’identification. Dès lors, les pratiques transmises seront mieux comprises, et de fait, institutionnalisées. Cela réduit aussi le sentiment que les pratiques sont inventées uniquement par la maison mère, externe à la filiale. On en revient donc aux éléments essentiels à l’appropriation psychologique: le sentiment de créer, de contrôler, et de connaître. A partir des éléments de notre revue de littérature, on observe que le commerce équitable est constitué de deux filières : une filière labellisée, et une filière intégrée, ou « spécialisée », le terme employé varie selon les auteurs. Maldidier et Lemay (2011) évoquent l’aspect coercitif de la filière labellisée, fondée sur une « culture d’audit» où les mécanismes de contrôle sont surtout unilatéraux.

Positionnement épistémologique et méthodologie de recherche

Approche exploratoire abductive

Notre travail repose sur deux expériences terrain, dont la première s’est déroulée en , lors d’un stage à Piura, effectué au sein de l’ONG Caritas Piura, au Nord du Pérou.
C’est à la suite de ce stage de six mois, pendant lesquels nous étions en immersion complète auprès d’artisans joaillers et de producteurs de bananes dans le cadre de la mise en place d’une filière équitable, que nous avons initié un travail de recherche sur le thème du commerce équitable. C’est donc une démarche complètement inductive que nous suivions à cette période, lors de laquelle nous avons émis un certain nombre de conjectures suite à cette période d’immersion, qui ont abouties à la rédaction d’une communication coécrite avec Ernesto Tapia Moore (notre directeur de mémoire de recherche à cette période), intitulée : « An unexpected consequence of fair trade : producers dependancedz (2012). C’est donc dans la perspective d’alimenter et de tester ces conjectures, toujours dans une démarche exploratoire, que nous avons reconduit une expérience terrain, au Maroc cette fois. Dès lors, nous pouvons considérer que ce travail actuel de recherche repose sur une démarche abductive, qui consiste à tester des conjectures émises à partir dǯobservationsempiriques (Mbengue & Vandangeon, 1999).

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Table des matières
INTRODUCTION 
CHAPITRE 1 : REVUE DE LITTÉRATURE 
1. LES ÉTUDES QUI PORTENT SUR LES MOTIVATIONS,POUR LES CONSOMMATEURS ET LES ACHETEURS, À ACHETER DES PRODUITS ISSUS DU COMMERCE ÉQUITABLE
2. LES ÉTUDES QUI SE CONCENTRENT SUR LES RELATIONS ENTRE ACTEURS AU SEIN DE LA CHAINE DE VALEUR
3. LES ÉTUDES QUI PORTENT SUR LES IMPACTS DU COMMERCE ÉQUITABLE SUR LES PRODUCTEURS
4. SYNTHÈSE ET TABLEAU RÉCAPITULATIF
CHAPITRE 2 : LE COMMERCE ÉQUITABLE OU L’INSTITUTIONNALISATION DE PRATIQUES ORGANISATIONNELLES STRATÉGIQUES 
1. L’APPROCHE NÉO INSTITUTIONNALISTE
2. L’INSTITUTIONNALISATION D’UNE PRATIQUE AU SENS DE KOSTOVA
3. LE TRANSFERT DE PRATIQUES ORGANISATIONNELLES STRATÉGIQUES DANS UNE RELATION « ÉQUITABLE»
4. LES TROIS CONTEXTES QUI INFLUENCENT L’INSTITUTIONNALISATION D’UNE PRATIQUE STRATÉGIQUE ORGANISATIONNELLE
ÉPISTÉMOLOGIQUE ET MÉTHODOLOGIE DE RECHERCHE 
1. APPROCHE EXPLORATOIRE ABDUCTIVE
2. POSITIONNEMENT ÉPISTÉMOLOGIQUE CONSTRUCTIVISTE
3. MÉTHODOLOGIE DE RECHERCHE
CHAPITRE 4 : RÉSULTATS 
1. L’INFLUENCE DU CONTEXTE SOCIAL SUR L’INSTITUTIONNALISATION DES PRATIQUES
2. L’INFLUENCE DU CONTEXTE ORGANISATIONNEL SUR L’INSTITUTIONNALISATION DES PRATIQUES
3. L’INFLUENCE DU CONTEXTE RELATIONNEL SUR L’INSTITUTIONNALISATION
DISCUSSION ET CONCLUSION 1

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