Le cinéma et l’école/ Le cinéma à l’école
La place du cinéma dans l’enseignement. Perspective historique
Du film pédagogique à la prise en compte par l’école du cinéma comme objet artistique : de l’invention du cinéma aux « années Lang »
C’est véritablement dans les années 1980, notamment sous l’impulsion du ministre de la culture Jack Lang, que l’on constatera une intégration du cinéma comme discipline artistique à part entière. Mais dès le début du XXème siècle, peu de temps après son invention et le début de sa popularisation, se développe une utilisation sociale du cinématographe par l’Ecole. C’est l’utilisation d’une technique nouvelle comme outil didactique qui prévaut alors. Par sa capacité à enregistrer puis à restituer la réalité « telle qu’elle est », cette technique permet par exemple l’observation scientifique de phénomènes difficilement ou non perceptibles à l’œil nu (utilisation du ralenti entre autres techniques).
Ainsi dès 1916, le ministère de l’Instruction publique met en place une commission extra-parlementaire ayant pour mission de définir les conditions d’utilisation du cinéma dans l’enseignement. Cette démarche conduit à la publication en 1920, du Rapport général sur l’emploi du cinématographe dans les différentes branches de l’enseignement.
Dans ce rapport sont mis en avant à la fois des préoccupations morales et des objectifs didactiques. Il s’agit notamment de « substituer à des films susceptibles d’agir fâcheusement sur l’imagination enfantine et même sur l’imagination populaire, des films de nature à exalter les sentiments nobles comme le sentiment patriotique ». Par ailleurs le rapport incite à se servir de la technique cinématographique, de sa capacité à reproduire la réalité, son mouvement, dans l’étude de phénomènes scientifiques. Il insiste sur la capacité du cinéma à solliciter l’imagination du spectateur, « de ceux même dont l’imagination est paresseuse ». Enthousiaste, exaltant le progrès scientifique, ce document juge désormais comme indispensable l’utilisation de la technique cinématographique en complément de la leçon du maitre. Dans sa conclusion, le rapport préconise d’équiper les écoles de matériels de projection et de financer la production et la diffusion de film didactiques.
Est alors créée une section cinématographique au sein du ministère de l’Instruction publique. En 1930, on dénombre quatre mille appareils de projection dans les écoles, permettant de visionner des films portant sur les sciences naturelles ou la géographie. Nous le voyons, le cinéma a pu être assez rapidement considéré, par les plus hautes instances de l’institution scolaire française, comme porteur d’un véritable intérêt éducatif.
Mais des expériences plus singulières, localisées, à l’initiative individuelle d’enseignants ont pu également jouer un rôle dans l’introduction du cinéma au sein des classes scolaires.
L’exemple de la place du cinématographique dans le mouvement Freinet
En 1927, au sein de la revue L’école émancipée, Célestin Freinet lance l’idée de la constitution d’une « Cinémathèque coopérative des films Pathé-Baby ». Ces appareils de la société Pathé permettaient la projection et la réalisation de films « amateurs » (au format 9,5 mm.). Il s’agissait de chercher à collecter, à rassembler puis de mettre à disposition des enseignants engagés dans le mouvement, via un réseau de location, des films de natures pédagogiques ou didactiques.
Au congrès syndical de Tours (août 1927), les premiers adhérents du mouvement de l’Imprimerie à l’école actent légalement la création de la Coopérative cinématographique. En octobre est créée la société anonyme Cinémathèque coopérative de l’enseignement laïc dont les objectifs visaient notamment à « acquérir, fabriquer et faire circuler parmi le personnel enseignant laïc des films cinématographiques présentant le maximum de valeur pédagogique » et d’ « intervenir auprès des maisons d’édition pour obtenir une amélioration de la production ». En 1928, la Cinémathèque est absorbée avec les autres activités du mouvement au sein de la Coopérative de l’enseignement laïc (CEL). En une année d’activité, la Coopérative comptabilise 7905 films expédiés. En 1929, on en dénombre déjà 16304. Cette utilisation du cinéma en classe est alors le fait de jeunes enseignants désireux de lier techniques et pédagogies innovantes. Outre de favoriser la découverte du monde et l’acquisition de connaissances, le cinéma pouvait selon eux participer à l’éveil d’une conscience républicaine, laïque et sociale. A côté de la diffusion de films de nature pédagogique, se sont également mises en place rapidement des activités de correspondance scolaire filmée, avec des films réalisés par les élèves d’une classe à destination d’une autre classe et présentant des activités locales (pêche, agriculture), qui vont se joindre à l’envoi des journaux imprimés, activité caractéristique du mouvement.
La Coopérative crée également ses propres films à caractère éducatif, ceux du catalogue Pathé pouvant être jugés par de nombreux instituteurs du mouvement, comme insuffisamment « engagés » socialement (dans le contexte de crise économique et sociale du début des années trente). Il pourra même être fait appel à des réalisateurs professionnels de fiction, proches des préoccupations sociales du mouvement, pour réaliser des films en 35 mm. C’est l’exemple de Yves Allégret avec le film documentaire « à visée sociale » Prix et profits en 1932. Mais cette expérience se révélera coûteuse, et subira notamment les attaques de la presse de droite et d’extrême-droite. Après le départ en 1935 de Célestin Freinet de l’Education Nationale, l’activité de production de films cessera (tout en maintenant celle de diffusion de films), durant l’entre deux guerres, et ne reprendra que dans les années 1950. A la fin des années 1960, avec la diffusion dans le domaine public du matériel de format super 8, la création de films réalisés par les élèves d’école affiliées à la pédagogie Freinet connait un regain d’activité. Pendant les vacances scolaires, l’Institut Coopératif de l’Ecole Moderne organise alors des stages visant à former les enseignants à l’usage de la technique cinématographique. L’ICEM soutient également les ateliers visant à développer chez les élèves une capacité de lecture, de décryptage et d’analyse du « monde des images ». Mais la démarche des enseignants s’inscrivant dans le mouvement Freinet reste avant tout de « donner des appareils pour que les enfants vivent le cinéma, la vidéo, par l’Atelier » car selon l’expérience d’Henri Portier, au collège et au lycée c’est « lorsque des enfants ont réalisé un film, après avoir inventé le scénario, filmé, monté et sonorisé leur film, (qu’) ils ne regardent plus jamais la télévision, les films comme avant ».
Mais les réticences sont nombreuses dans le monde enseignant. Le cinéma peut être vu comme un concurrent néfaste à l’écrit, au langage et comme une forme de divertissement de masses. Attitude qui peut prévaloir encore aujourd’hui dans le monde enseignant, dans sa manière de considérer le cinéma, et de correspondre à une conception de l’image comme ennemie, selon la terminologie de Philippe Meirieu. Il convient également d’évoquer, dans notre approche historique de la place du cinéma à l’école, l’action des Offices régionaux du cinéma éducateur. Ce mouvement prend ses origines dans les années 1920. Il est le fait de militants laïcs qui cherchent à développer un cinéma dit didactique. Se met notamment en place un réseau de diffusions des films. Les Offices couvrent ainsi par leur action une cinquantaine de départements à la veille de la seconde guerre mondiale, à travers la mise en place de cinémathèques locales. Les films sont issus principalement du catalogue Pathé. Il s’agit de films documentaires, de films de fiction, de films d’animation ou encore de films burlesques. Cette action est soutenue par le ministère de l’Instruction publique. La période qui la seconde guerre mondiale va être caractérisée principalement par l’action des ciné-clubs.
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Table des matières
Introduction
Un rapport personnel au cinéma, à la critique de cinéma. Le passage d’un « statut» d’amateur de cinéma à celui de professionnel de l’enseignement
Les constats observés dans une classe de CM2 concernant les productions écrites
I) Le cinéma et l’école/ Le cinéma à l’école
a) La place du cinéma dans l’enseignement. Perspective historique
b) Les dispositifs existants : l’exemple d’Ecole et cinéma
c) Le statut de l’image dans les approches pédagogiques (Meirieu/ Bergala)
D’une approche platonicienne à l’émergence d’un spectateur éclairé
II) Apports théoriques
a) De la sidération à l’éducation (Meirieu)
b) La construction du symbolique
c) Ecrire pour devenir un « spectateur amateur » (Archat-Tatah). La critique de cinéma
Formation d’une problématique
III) Dispositif d’expérimentation
a) Protocole de recherche
b) Compétences institutionnelles retenus pour le dispositif de recherche
c) Le corpus d’œuvres cinématographiques retenu
d) Déroulement/ Descriptif des séances
IV) Déroulement et analyses de l’expérimentation
-Les représentations initiales des élèves (séance 1)
Enregistrement audio d’un débat de classe
-La première critique des élèves (séance 2)
Analyse des productions écrites
-La constitution collective d’une grille d’évaluation (séance 3)
Débat de classe et critères retenus
-La deuxième critique des élèves (séance 4)
Analyse des productions écrites
-Débat dit « mouvant » pour argumenter (séance 5)
Enregistrement audio d’un débat de classe
-La troisième critique des élèves (séance 6)
Analyse des productions écrites
Conclusion
Bibliographie