Evoquer les raisons qui ont conduit une personne à adopter revient à discuter avec elle de son parcours et de ses opinions. Ces données personnelles servent à expliquer les motivations profondes des candidats au moment de la prise d’une décision heureuse dans un contexte parfois douloureux. La chronologie des différents témoignages recueillis dans cette étude montre qu’il existe un réel cheminement entre l’idée d’adopter un enfant et la concrétisation du projet. Les enquêtés ont empruntés différentes voies vers l’adoption et s’expriment, lors des entretiens, sur les multiples raisons qui les ont conduits à prendre cette décision.
Les voies multiples de l’adoption
Nous explorons ici la manière dont les enquêtés restituent le processus qui les a conduits à former un projet d’adoption. Beaucoup d’enquêtés évoquent des problèmes d’infertilité antérieurs à la décision d’adopter. Certains ont déjà eu des enfants biologiques auparavant mais se trouvent confrontés à un problème de stérilité après la première grossesse. Ces familles se trouvent en quelques sortes endeuillées par un projet de procréation qui n’a pas pu aboutir et qui a impliqué, dans la plupart des cas une intervention médicale (tentatives de PMA, de procréation in vitro, grossesse extra-utérine ayant nécessité une intervention d’urgence). Le projet émane dans certains cas de souffrances profondes liées aux difficultés dans la procréation. L’adoption constitue donc l’ultime solution pour ces candidats, qui le vivent parfois difficilement.
« Dans la réunion d’information qu’on avait faite au service d’adoption, on voyait bien qu’il y avait beaucoup de couples qui étaient là avec beaucoup de tristesse. Nous, on était là avec beaucoup de joie parce qu’on avait un désir d’adoption qui était très clair, qui était très construit. Et ce n’était pas le cas de tout le monde, beaucoup de gens étaient là parce que c’était leur seul moyen de devenir parents et qu’ils étaient encore sans doute dans le deuil de quelque chose. » (Annette, vigneronne, mère de trois filles et un garçon adoptés en Ethiopie en 2001 et 2008).
Les enquêtés sont parfois passés par des épreuves vécues difficilement avant d’en arriver au projet de l’adoption :
« Mon ex-femme a fait une grossesse extra utérine, c’est à dire un épisode très grave. Elle a failli mourir et elle a perdu le petit qu’elle avait à ce moment là. Et donc, on était quand même sous le coup de l’émotion. Elle a été hospitalisée et le lendemain de l’opération, on a décidé d’adopter. » (Jean-Pierre, enseignant agrégé de mathématiques, père d’une fille adoptée au Vietnam en 1996) .
Les enquêtés Daniel et Catherine ont adopté un enfant atteint de trisomie 21 lorsque, déjà parents de trois enfants biologiques et encore fertiles, la DDAS (1983) ne les a pas considérés comme prioritaires. Ils ont donc décidé de mentionner dans leur dossier qu’ils seraient éventuellement prêts à accueillir un enfant présentant un handicap afin d’augmenter leurs chances d’obtenir l’agrément:
« D’abord, on a vu des assistantes sociales, qui nous ont dirigés vers la DDAS. Bien entendu on n’était pas prioritaires (…) et on est arrivé à force de cheminement et de réflexion sur ce projet : « est ce qu’on ne pourrait pas aller plus loin dans notre projet d’adoption? » Tu comprends pourquoi on nous a proposé d’aller jusqu’à ce projet d’un enfant atteint de trisomie 21 ? » (Daniel, époux de Catherine, ouvrier retraité, père d’un enfant atteint de trisomie 21 adopté en 1983) .
La variable de l’infertilité est donc une motivation première chez les adoptants mais elle est également une priorité dans l’attribution de l’agrément :
« J’ai eu tout un travail à faire sur le fait que je ne pouvais plus avoir d’enfant, donc je me suis fait aider par une psychanalyste. Ce n’est pas l’adoption, même parce que je lis. L’idée est acceptée depuis le départ avec mon mari. Mais le fait qu’on n’ait pas pu faire d’enfant, au moins un enfant tous les deux, m’a beaucoup perturbé. Donc, je me suis fait aider plus pour cela que par rapport à l’adoption, finalement. » (Laurence, conseillère principale d’éducation dans un lycée, mère d’une fille et un garçon adoptés au Mali et en Ethiopie en 2004 et 2006) .
Une professionnelle du service adoption de l’ASE contactée par mes soins lors de cette enquête m’a cependant affirmé que l’infertilité n’était pas un critère dans l’attribution de l’agrément. Il est attribué dans l’intérêt de l’enfant, l’enquête sociale qui s’en suit porte donc sur des aspects d’hygiène, de psychologie et de moyens financiers. L’infertilité n’apparaît alors pas comme un enjeu dans l’attribution de l’agrément. Cependant, si l’infertilité semble jouer un rôle prédominant aux vues des entretiens et des données quantitatives et qualitatives disponibles sur le sujet, c’est parce qu’elle est une variable majeure dans les candidatures à l’adoption. L’infertilité est donc une cause majeure dans les demandes d’adoption mais c’est un élément non pris en compte par les services d’adoption des ASE. La politique d’attribution a possiblement évolué depuis les années 1980, ce qui interroge également sur une éventuelle évolution des critères d’attribution de l’agrément, donc des politiques de sélection par les services régaliens en matière de parentalité adoptive.
Après avoir été informés de leur infertilité, certains enquêtés ont immédiatement eu recours à la procréation médicalement assistée, quand d’autres ont choisi l’adoption comme seule et unique option. On peut observer chez certains une attache sans doute forte aux liens biologiques, où l’adoption viendrait en dernier recours, comme une forme d’ultime réponse à des maux profonds. Chez d’autres, la parentalité adoptive est une option envisagée depuis longtemps, parfois même avant de s’être mariés.
Socialisation politique et opinions
Les entretiens montrent également que le projet d’adoption est, chez certains candidats, une idée qu’ils disent construite et mûrie depuis leur plus jeune âge. Certains évoquent une envie remontant à l’enfance et ne savent pas en expliquer les origines. D’autres se rappellent avoir côtoyé des enfants adoptés étant jeunes ou bien parlent de membres de leur famille qui ont été adoptés et dont ils se sentent proche, ou bien qui les ont directement inspirés :
« Depuis toute petite, j’avais des cousins de mon âge à peu près qui avaient été adoptés. C’était quelque chose que je trouvais super chouette et qui me parlait. » (Annette) .
L’envie d’adopter est donc parfois antérieure à la nouvelle de l’infertilité ou à la naissance des enfants biologiques. Elle précède même parfois l’union maritale :
« J’y pensais déjà depuis un petit moment avant de me marier. Je trouvais que c’était un mode de parentalité qui se tenait et je me disais, pourquoi pas? » (David, époux d’Anaïs, pédiatre, père d’une fille adoptée au Vietnam en 2017) .
Certains enquêtés évoquent également la question de la solidarité avec les pays du Tiers-monde. Par militantisme ou bien par opinion politique, ils expliquent que l’idée d’adopter venait d’une envie de proposer une famille et une vie descente à des enfants nés dans des régions du monde dépourvues d’infrastructures ou touchées par des crises humanitaire. La guerre civile au Salvador pour Gisèle, la famine et les crises humanitaires en Afrique de l’est pour Annette, Laura ou encore Laurence. Comme le montrent les travaux de l’historien Yves Denéchère décrits dans la partie « histoire de l’adoption internationale en France » (nous aurons l’occasion d’y revenir dans la partie « distribution sociale des choix »), il existe une corrélation entre le contexte géopolitique et les tendances de choix du pays d’origine des enfants adoptés dans une période donnée. Le traitement médiatique de l’actualité internationale et les campagnes publicitaires massives d’appels aux dons pour certaines régions défavorisées sont autant de facteurs qui, ajoutés à l’opinion politique et les convictions personnelles forgées pendant le parcours d’un individu, peuvent faire naître ou renforcer l’idée d’un projet d’adoption internationale parfois ciblée. . Il en est ainsi de Patrice, l’époux de Gisèle, qui a été délégué syndical pendant dix ans et anciennement rattaché au Parti Socialiste, puis élu plus tard conseiller régional du parti écologique Les Verts pour deux mandats dans une région française.
« C’était un peu le point de départ. À l’époque, on était militants, on était engagés dans les luttes sociales en France. Il y avait aussi une sensibilisation aux enfants. On parlait beaucoup de la faim dans le monde, des enfants qui mouraient de faim, des endroits où il y avait la guerre, etc. Donc c’était quelque chose qui était dans notre environnement.» (Gisèle, enseignante agrégée de lettre, mère d’une fille et d’un garçon adoptés au Salvador en 1986) .
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Table des matières
Introduction
I. Remerciements
II. Note de synthèse
III. Introduction générale
Une présentation de l’adoption en France
Etat de la recherche sur l’adoption en sciences sociales
Problématique et rapport de l’enquêteur au terrain
Méthodologie
Présentation des enquêtés
1. Première partie : Le chemin vers l’adoption, étapes et obstacles
1.1. Genèse du projet
1.1.1. Les voies multiples de l’adoption
1.1.2. Socialisation politique et opinions
1.1.3. Les lectures, sources d’inspiration
1.2. Instruction du dossier et investigations des services d’aides sociales
1.2.1. La violence symbolique des enquêtes sociales
1.2.2. La distribution sociale des choix
1.2.3. L’attente de l’enfant, un temps sous l’emprise des institutions
1.3. Appropriation et subjectivation du projet d’adoption
1.3.1. Rencontre avec l’enfant, moments d’émotions et d’aboutissement
1.3.2. La biographie pré-adoptive, récit parental et discours d’Etat
2. Deuxième partie : projet personnel et interactions sociales
2.1. Discussions et représentations de la famille élargie
2.2. La place des ainés et des enfants biologiques
2.3. Parcours scolaires et orientations des enfants
2.4. Les professionnels de l’adoption, dialogues et distinctions
2.5. La variable des religions, données et interprétations
3. Troisième partie : Retour critique sur la présente recherche
3.1. Le postulat de l’enquête et les résultats obtenus
3.2. Retour critique du mode d’enquête et des méthodes retenus
3.3. Conclusion et limites de l’enquête
IV. Conclusion générale
V. Glossaire
VI. Bibliographie
VII. Annexes