Le changement climatique et ses conséquences sur les écosystèmes et leur organisation spatiale
Le changement climatique aux latitudes arctiques et subarctiques
D’après le dernier rapport du GIEC (WG1, 2014) « chacune des trois dernières décades aura été successivement plus chaude à la surface du globe que toutes les décades depuis 1850 ». Les régions arctiques et subarctiques sont les plus concernées par les effets locaux du réchauffement global des températures (Bokhorst et al., 2012). Il est connu que le réchauffement global actuel est plus prononcé pour les climats polaires, en particulier dans l’hémisphère nord et les régions arctiques et subarctiques (ACIA, 2004, Maynard et al. in Gutman & Reissel, 2011, IPCC, WG1, 2013).
Pour la période 1901-2012, au-delà du cercle polaire en Scandinavie, le réchauffement observé des températures annuelles est supérieur à 1.25°C comparé aux normales (IPCC, WG1, 2013). Les moyennes annuelles de températures sont actuellement en augmentation, mensuellement dues des températures plus douces en hiver, et des températures maximales plus chaudes en été (AICA, 2004). Les températures supérieures à 0°C deviennent ainsi plus fréquentes, faisant diminuer les volumes glaciaires et la couverture neigeuse, donnant l’avantage à la couverture végétale (Fraser, Olthof et al., 2011). Les auteurs citent en particulier l’approfondissement de la couche active du pergélisol et les changements induits dans l’étendue et la magnitude de la fonte (Wrona, Johanson et al. 2016). Dans le nord de la Norvège et de la Suède, l’augmentation des précipitations au cours de la période 1951-2010 est comprise entre 5 et 50 mm par décade selon la région considérée (IPCC, 2013). On observe conjointement une transformation de leur nature, les cumuls de neige devenant de plus en plus des cumuls de précipitations.
Le changement climatique actuel a des effets incontestables sur le système climatique global, et en particulier dans le nord de l’Europe (IPCC, 2013). Parmi les composantes du système climatique, les centres d’action atmosphériques et leurs modes de circulations sont ceux qui façonnent le plus le climat régional et local. Ces centres d’action et leur variabilité temporelle et géographique sont notamment observés à travers le concept de téléconnexion, qui indique le niveau de corrélation statistique entre les caractères climatiques donnés pour deux points du globe (Hurell, 1995). Parmi les téléconnexions rendant le mieux compte de la variabilité climatique européenne, on trouve l’oscillation nord-atlantique, l’oscillation estatlantique et l’oscillation scandinave. L’oscillation nord-atlantique (NAO), et sa variabilité dans l’espace et dans le temps se réfèrent à l’intensification des centres de pression atmosphérique entre les latitudes subtropicales et les latitudes polaires européennes (Scaife, Knight et al., 2005 ; Lu & Greatbatch, 2002). On calcule l’indice d’oscillation nord-atlantique (NAO) traditionnellement en prenant la différence normalisée des pressions de surface à Sktykkisholmur (Islande) et Lisbonne (Portugal), du fait de leur proximité aux centres d’action atmosphériques (dépressionnaire en Islande ; anticyclonique au Portugal, en particulier aux Açores).
Les variations de cet indice et les anomalies atmosphériques qui y sont associées expliquent une grande partie de la variabilité des températures de surface hivernales au-delà de la latitude 20°N dans l’ouest eurasiatique (Hurrell, 1995), notamment expliqué par un gradient de températures plus marqué entre les latitudes polaires et les latitudes tropicales (Calas, 2013). Il est ainsi admis que l’indice NAO et sa variation au cours du temps et de l’espace exerce une influence marquée sur les températures, les précipitations et les vents dominants d’Europe occidentale (Comas – Bru & Mac Dermott, 2014). Une phase positive de l’indice NAO se caractérise par l’intensification du minimum dépressionnaire islandais et du maximum anticyclonique açoréen. L’intensification de ces centres de pression est associée à des vents d’ouest plus forts que la normale aux latitudes moyenne en Europe, et l’intensification des tempêtes et de leurs trajectoires dans le nord de l’Europe (Rodwell et al., 1999 in Uvo & Berndtsson, 2002). Cet accroissement du gradient de pression entre Islande et Açores donne ainsi un flux d’air particulièrement perturbé, fréquent au cours des hivers à anomalies positives de NAO. Le flux d’air induit par l’intensification du gradient de pression se dirige ainsi habituellement du sud-ouest vers le nord-est, en particulier en Europe du nord. Les anomalies positives de NAO sont ainsi souvent associées par des types de temps venteux et pluvieux, avec des températures et des précipitations observées au-dessus des normales en Europe du nord et en particulier en Scandinavie et dans l’ouest de la Norvège (Post et al., 1997 in Ottersen, Planque et al., 2001, Uvo & Berndtsson, 2002 ; Comas- Bru & MacDermott, 2014). Ce mode de variation atmosphérique reste intrinsèque au climat européen, et explique au moins la moitié de la variabilité interannuelle des températures de surface en Europe du nord (Rodwell et al., 1999 in Scaife, Knight et al., 2005). Des conditions plus chaudes que la normale sont ainsi régulièrement observées en Ecosse et en Scandinavie lors d’une phase positive de l’Oscillation Nord-Atlantique.
Ceci dit, les liens entre l’évolution temporelle des phases positives et négatives de l’oscillation nord-atlantique et l’évolution temporelle du système climatique global induit par les émissions de gaz à effet de serre d’origine anthropogénique semblent être encore l’objet de débats. Les effets du changement climatique d’origine humaine sont notamment évoqués par Gillett et al. (2000) pour expliquer les tendances observées de l’indice NAO et les conditions climatiques actuelles qui en résultent. Ces tendances temporelles à l’augmentation des valeurs de l’indice de NAO peuvent être imputables à la migration progressive des centres d’action atmosphériques subpolaires (dépression d’Islande) et subtropicaux (anticyclone des Açores) vers l’est du bassin atlantique, notamment induite par d’autres régimes de circulation atmosphériques à l’œuvre en Europe (oscillation Est-Atlantique, oscillation scandinave, Comas-Bru & MacDermott, 2014).
D’ici le milieu du 21ème siècle, l’Arctic Climate Impact Assessment a cartographié l’augmentation des températures moyennes hivernales en Norvège. Par décade et comparé à la moyenne 1961-1990, le réchauffement des températures hivernales probable sera de +0,45°C pour la majorité de la Norvège continentale, en particulier pour les partie montagneuses (ACIA, 2003 in Gutman & Reissel, 2011). Pour le climat futur (2080-2100), si l’on retient le scénario le moins optimiste sur les concentrations atmosphériques de gaz à effet de serre, est prévue une augmentation d’au moins 20% des précipitations par rapport aux volumes moyens au cours de la période 1985-2005 (IPCC, 2013) en particulier sous forme non neigeuse.
Ecotone froid en Scandinavie: gradient de latitude et d’altitude
Le changement global touche particulièrement les écotones froids subarctiques, qui trouvent leur définition dans la transition biogéographique circumpolaire entre le biome de taïga et le biome de toundra. Un écotone est “une zone géographique [plus ou moins] étroite qui se caractérise par un mélange de caractéristiques floristiques et faunistiques entre deux communautés écologiques relativement homogènes, et différentes. Les écotones se manifestent souvent par des gradients entre deux physionomies de formations végétales” (traduit de l’anglais, Van der Maarel, 1990). De nombreuses expressions des biomes sont décrites dans la littérature, et en montrent la diversité selon l’échelle géographique et écosystémique considérée (Ozenda, 1964, Birot 1965, Elhaï, 1968, Le Cœur, Amat et al. 2008, Alexandre et Génin, 2012). Aux latitudes arctiques et subarctiques, ceux-ci se caractérisent par des contraintes bioclimatiques marquées (le froid), imputable à leur situation zonale à l’échelle de l’hémisphère nord (Wielgolaski, 1997, Andersson 2005). Cette forte relation entre la végétation (en termes de biomasse, de diversité, de thermophilie) et le climat est également utilisée pour améliorer les cartes du climat par grille de points (Nielsen et al. 2013 a et b, Joly et al. 2016).
Ces gradients sont aussi observés en altitude. Les systèmes montagnards subarctiques fennoscandiens (Dahl in Sonesson, Wielgolaski et al., 1975) peuvent être divisés en quatre étages bioclimatiques, le long du gradient d’altitude, au sein de laquelle les formations végétales se succèdent. Un étage subalpin allant jusqu’à 1050 m, où les forêts de conifères, puis plus tard les forêts de bouleaux pubescents sont limitées par la contrainte thermique plus en altitude. Cet étage est borné par la limite de croissance des arbres (Pinus, Betula). Un étage bas alpin, dominé par landes à Betula nana, Juniperus communis, et Ericacées (Vaccinium myrtillus, Vaccinium vitis-idae) dont la physionomie générale se caractérise par leur faible hauteur, même si les pentes ensoleillées ou les versants bien irrigués peuvent être tachetés de fourrés de saules (Salix sp.). Selon l’altitude et la microtopographie, qui dépend de l’intensité de la cryoclastie et de la solifluxion induite par les eaux de fonte, on trouve également des graminées xérophiles, particulièrement appréciées par les rennes, ainsi que des dépressions tourbeuses. La limite de croissance de Vaccinium myrtillus délimite l’entrée dans l’étage moyen alpin, approximativement entre 1200 et 1400 mètres d’altitude (Dahl in Sonesson, Wilgolaski et al., 1975). Ces seuils d’altitude dépendent bien entendu de la latitude à laquelle sont réalisées les observations. Sur les sols stables, et plus en altitude, les prairies alpines deviennent plus fréquentes, représentées par la forte présence des poacées, des joncacées et des cypéracées (Juncus trifidus, Carex bigelowii, Festuca ovina). Sur les sommets, la végétation reste clairsemée, et dominée par les communautés de bryophytes (Dicranaceae, Hypnaceae, Polytrichaceae etc), et de lichens foliacées et terricoles (Cladonia, Peltigera, Stereocaulon sp.).
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Table des matières
INTRODUCTION GENERALE
I – ETAT DES CONNAISSANCES : LE RENNE, ESPECE-SENTINELLE DES EFFETS DU CHANGEMENT GLOBAL DANS LE NORD DE L’EUROPE
Introduction
Le changement climatique et ses conséquences sur les écosystèmes et leur organisation spatiale
Le renne, espèce-clé des écosystèmes arctiques et subarctiques
Le renne, marqueur paysager des paysages de l’élevage semi-nomade en Laponie scandinave
Conclusion : enjeux méthodologiques et pistes de travail
PREMIERE PARTIE : QUANTIFIER LES EFFETS REGIONAUX DU CHANGEMENT GLOBAL SUR LES
PAYSAGES CULTURELS DE L’ELEVAGE DE RENNES EN SCANDINAVIE
II – LA FRAGMENTATION DES PAYSAGES DE L’ELEVAGE DE RENNES : UNE ETUDE DE CAS EN LAPONIE SUEDOISE
Introduction
Région d’étude, matériel et méthodes
Résultats
Interprétation et discussion
Conclusion et perspectives
TRANSITION ENTRE LE CHAPITRE II ET CHAPITRE III
III – CYCLES, TENDANCES ET VARIABILITES DES CLIMATS SUBARCTIQUES, ET LEURS LIENS AVEC LA DEMOGRAPHIE DES CHEPTELS DE RENNES
Introduction
Matériel et méthodes
Résultats
Discussion et perspectives
TRANSITION ENTRE LE CHAPITRE III ET LE CHAPITRE IV
IV – IMPACT DE LA VARIABILITE CLIMATIQUE SUR LA DEMOGRAPHIE DES RENNES SEMI-DOMESTIQUES DU COMTE DU NORDBOTNIE : L’INTERET DU CALENDRIER PASTORAL
Introduction
Traitements géomatiques et statistiques : agrégation des séries chronologiques
Une description plus précise des variables bioclimatiques découpées selon le calendrier pastoral
Discussion
Conclusions et perspectives
TRANSITION ENTRE LA PREMIERE PARTIE ET LA DEUXIEME PARTIE
DEUXIEME PARTIE : DYNAMIQUES SPATIO-TEMPORELLES DES PAYSAGES VEGETAUX DE L’ECOTONE
TAÏGA – TOUNDRA, UNE APPROCHE PAR LA TELEDETECTION
V – SUIVI DE LA VARIABILITE INTERANNUELLE ET DECENNALE DES FORMATIONS VEGETALES DE LA COMMUNAUTE D’ELEVEURS GABNA PAR IMAGERIE MODIS 13Q1 ET MISE EN LIEN AVEC LES DYNAMIQUES CLIMATIQUES ET DEMOGRAPHIQUES DES RENNES
Introduction
Matériel
Méthodes
Résultats
Discussion, perspectives et conclusion
TRANSITION ENTRE LE CHAPITRE V ET LE CHAPITRE VI
VI – SUIVI DIACHRONIQUE DE L’EVOLUTION DES DATES DE DEMARRAGE PHENOLOGIQUE DES PATURAGES SAISONNIERS DE LA COMMUNAUTE D’ELEVEURS DE RENNES SEMI-DOMESTIQUES GABNA (COMTE DU NORRBOTTEN, SUEDE)
Introduction
Matériel et méthodes
Résultats
Conclusions, discussions et perspectives
TRANSITION ENTRE LE CHAPITRE VI ET LE CHAPITRE VII
VII – SUIVI DIACHRONIQUE DE L’EVOLUTION DE LA VEGETATION PAR SATELLITE DE MOYENNE RESOLUTION SPATIALE (CAPTEUR LANDSAT) DE LA COMMUNAUTE D’ELEVEURS DE RENNES GABNA (COMTE DU NORRBOTTEN, SUEDE)
Introduction
Matériel et méthodes
Résultats
Discussion, conclusions et perspectives
TRANSITION ENTRE LA DEUXIEME PARTIE ET LA TROISIEME PARTIE
TROISIEME PARTIE : QUANTIFIER ET QUALIFIER LES PAYSAGES VEGETAUX DE L’ELEVAGE DE RENNES
DU NORD DE LA SCANDINAVIE : PRESENT ET FUTUR
VIII – LE TERRAIN EN LAPONIE SUEDOISE : APPROCHE GENERALE, PROTOCOLE DES RELEVES FLORISTIQUES ET MISE EN PLACE DES DISCUSSIONS AVEC LES PARTIES-PRENANTES RENCONTREES
Stratégie d’échantillonnage des relevés floristiques : suivi temporel par satellite, diversité
paysagère et ressources pastorales
Les protocoles de relevés floristiques et physionomiques, édaphiques, et radiométriques
Travailler en biogéographie sur une problématique environnementale nordique : discussions
avec les parties – prenantes
TRANSITION ENTRE LE CHAPITRE VIII ET LE CHAPITRE IX
IX – PHYSIONOMIE ET DIVERSITE DES FORMATIONS VEGETALES DE LA COMMUNAUTE GABNA D’ELEVEURS DE DE RENNES (NORRBOTTEN, SUEDE)
Introduction
Physionomie et diversité des relevés floristiques: traitement de données
Résultats : représentativité spatiale et physionomie des relevés de végétation
Conclusion et discussion
TRANSITION ENTRE LE CHAPITRE IX ET LE CHAPITRE X
X – VALEUR PASTORALE ACTUELLE DES PAYSAGES VEGETAUX DE LA COMMUNAUTE D’ELEVEURS DE RENNES GABNA ET ESTIMATIONS DES CHANGEMENTS POUR LE FUTUR
Introduction
Construction des tableaux de valeurs pastorales saisonnières à l’aide des inventaires
floristiques
Les valeurs pastorales saisonnières de la communauté d’éleveurs Gabna
Les températures attendues à l’horizon 2050 dans l’aire de vêlage des troupeaux de la communauté Gabna : variabilité écologique et altitudinale
Conclusions et discussion
TRANSITION ENTRE LA TROISIEME ET LA QUATRIEME PARTIE
CONCLUSION GENERALE
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