LE CERVEAU, LA MEMOIRE ET LEUR PLASTICITE
LE CERVEAU EST LE SIEGE DE LA MEMOIRE
Le système nerveux et les neurones
Même s’il ne représente en moyenne que 2 % du poids du corps, le cerveau consomme 20 % de l’énergie produite par le corps. C’est l’organe le plus complexe, siège de notre mémoire, de nos pensées, de nos actions et de nos émotions. Il est constitué d’environ 100 milliards de cellules nerveuses, organisées en réseaux, qui communiquent entre elles par d’innombrables contacts. Le cerveau fait partie du système nerveux central (SNC) qui, avec le système nerveux périphérique (SNP), assurent la perception de notre environnement, son intégration et l’élaboration d’une réponse spécifique et adaptée, permettant le bon fonctionnement de l’organisme. Le SNC est composé de plusieurs types cellulaires, aux fonctions différentes, interagissant les uns avec les autres (Figure 1). Les cellules résidentes du SNC sont la microglie qui correspond aux macrophages du cerveau, les « sentinelles », formant la principale défense immunitaire grâce à ses capacités phagocytaires. Puis, les astrocytes, des cellules capables de se lier aux neurones, ayant de multiples fonctions dont de support, d’apport de nutriments, de recyclage des déchets, etc… Les oligodendrocytes ont un rôle de soutien, ils permettent de créer et maintenir l’architecture du réseau neuronal en jouant le rôle de piliers entre les neurones. Les prolongements des oligodendrocytes entourent les axones des neurones pour former la gaine de myéline. La gaine de myéline favorise la transmission du signal électrique le long des axones. Ces trois types cellulaires font partie de la famille des cellules gliales qui assurent l’homéostasie neuronale. Enfin, les neurones, qui sont des cellules postmitotiques hautement spécialisées assurant la transmission d’activité électrique. Les neurones sont composés d’un corps cellulaire et de deux types de prolongements : les dendrites qui réceptionnent les messages nerveux électriques, ou potentiels d’action. Ce signal électrique est alors converti en signal chimique jusqu’au corps cellulaire, pour générer un nouveau potentiel d’action qui est transféré le long des axones. A la terminaison de l’axone, se trouvent les boutons synaptiques, zones de communication entre plusieurs neurones (Figure 1). Ces structures sont aussi présentes le long des prolongements neuronaux et sont alors appelés boutons en passant. Les boutons synaptiques (ou en passant) correspondent aux terminaisons présynaptiques qui reçoivent le potentiel d’action pour les convertir en message chimique en libérant des neurotransmetteurs dans l’espace synaptique. En vis-à-vis de ces boutons, se trouvent les terminaisons postsynaptiques qui présentent à leur surface plusieurs types de récepteurs capables de lier les neurotransmetteurs relargués. Les récepteurs stimulés peuvent être des récepteurs ionotropes (canal transmembranaire ionique) ou métabotropes (récepteurs à sept domaines transmembranaires). Les messages chimiques vont se reconvertir en activité électrique mais vont également activer des voies de signalisation dans les cellules (Figure 2) (Pereda, 2014). L’ensemble de l’espace de conversion des informations nerveuses est la synapse. Le cerveau est subdivisé en plusieurs régions interconnectées. Une de ces régions est le système limbique, siège des émotions, de l’apprentissage et de la mise en place de la mémoire.
La mémoire
La mémoire est une fonction complexe, dépendante de l’intégrité de plusieurs structures cérébrales. En psychologie, il est communément admis de distinguer deux grands types de mémoire : la mémoire à court terme (mémoire de travail) et la mémoire à long terme. La mémoire à long terme, contrairement à la mémoire à court terme, correspond à la faculté de retenir une information plus longtemps et suggère donc une forme « d’encodage » dans le cerveau. Une classification dichotomique a été proposée, permettant de subdiviser les différents sous-types de mémoire à long terme en mémoire déclarative et explicite (verbale) et nondéclarative (non verbale, comme « faire du vélo ») (Zola-Morgan et al., 1986). Ces différents types de mémoire sont interactifs et impliquent des structures cérébrales différentes et se distinguent par leur mode d’encodage (Bird & Burgess, 2008). Chez l’Homme, le système limbique est impliqué dans la mise en place de la mémoire déclarative. Plus particulièrement dans le système limbique, des lésions de l’hippocampe ont montré l’importance de cette région dans la mise en place de ce type de mémoire (Zola Morgan et al., 1986). La mémoire déclarative ou explicite permet d’encoder des connaissances générales (mémoire sémantique : « Paris est la capitale de la France») mais également des souvenirs autobiographiques intégrant une notion de temps et d’espace (mémoire épisodique : « j’ai écrit ma thèse dans mon salon au premier semestre de 2021 »). C’est dans ce dernier soustype de mémoire que l’hippocampe interviendrait, pour la mémorisation de faits, dans un contexte spatio temporel (Figure 3A) (Eichenbaum, 2017). L’hippocampe est une région du système limbique qui est en charge de l’intégration contextuelle de processus cognitifs et de la régulation des émotions. L’hippocampe est composé de deux entités : le gyrus denté (GD) et la corne d’Ammon (CA), elle-même subdivisée en quatre sous-unités (CA1, CA2, CA3, et récemment identifiée CA4) (Figure 3B). Ces régions sont interconnectées et l’hippocampe est aussi capable d’intégrer des informations en provenance d’autres régions du cerveau. De façon simplifiée, le cortex enthorhinal assimile les informations sensitives des aires associatives et transmet la synthèse de ces informations vers le GD dans l’hippocampe. Puis, les informations transitent par le CA3 et ensuite par le CA1. Enfin, les informations sont envoyées du CA1 vers le subiculum. Ce circuit permet finalement l’encodage de la mémoire épisodique (Matsumoto et al., 2019; Tatu & Vuillier, 2014). Ainsi, l’hippocampe joue un rôle central dans la synthèse et l’encodage des informations reçues de l’environnement, pour les processus d’apprentissage et de mémoire. Ces processus nécessitent la mise en place de modifications durables de l’hippocampe qui mettent en jeu les mécanismes de plasticité neuronale qui seront décrits dans le paragraphe suivant. Même s’il est difficile d’évaluer la mémoire déclarative chez l’animal, qui par définition est consciente et verbalisable, des stratégies ont été développées pour pouvoir l’étudier. En effet, de nombreux tests comportementaux ont été mis en place afin d’étudier la capacité de l’animal à réaliser des tâches d’apprentissage et de mémorisation impliquant l’hippocampe. Par la suite, je vous présenterai brièvement des exemples de tests qui ont pour objectif d’évaluer la mémoire hippocampo- ou non hippocampo-dépendante. Certains ont été utilisés durant mon projet de thèse (en gras) et seront présentés plus en détails dans le « Matériels et Méthodes » de la section correspondante de mes résultats.
La mise en place de la mémoire au sein de l’hippocampe suppose que le cerveau puisse s’adapter aux stimuli qu’il intègre. Le processus d’apprentissage sous-entend des notions « d’écriture » ou de « codage » de l’information pour qu’elle puisse être réutilisée plus tard. Les neurones sont donc capables d’adapter leur fonctionnement aux stimuli afin d’apporter la réponse la plus adaptée. Cette capacité d’adaptation, de remodelage, représente la plasticité neuronale.
LE CERVEAU : UN ORGANE QUI S’ADAPTE
Le concept de la plasticité neuronale
Le fonctionnement du système nerveux est élaboré de manière à ce qu’un individu puisse s’adapter et interagir avec un environnement nouveau. Le cerveau possède la faculté remarquable d’être « modifiable » ou « plastique », d’où la notion de la plasticité du cerveau. Tout au long de la vie, le cerveau va être confronté à différents stimuli, l’apprentissage modifie alors la force des connexions entre les neurones et modifie le réseau neuronal en favorisant l’apparition, la destruction ou la réorganisation des synapses, mais aussi des neurones euxmêmes. A l’échelle de la cellule et du réseau, on parle alors de plasticité neuronale. La plasticité neuronale a été découverte dans une région du système limbique, l’hippocampe. Cette région est la plus sujette à être plastique car elle est le siège du stockage initial de la mémoire spatiale et déclarative. Nous ne pourrons pas explorer en détail tous les mécanismes mis en jeu dans cette plasticité neuronale car cela représente une thèse en elle-même. Cependant, afin de faciliter la compréhension du rôle de certains mécanismes cellulaires dans la plasticité neuronale, mécanismes qui ont fait l’objet de ma thèse, je vais présenter quelques éléments clés. Les messagers chimiques relargués dans l’espace synaptique sont appelés des neurotransmetteurs. Certains de ces neurotransmetteurs, comme le glutamate ou l’acétylcholine, vont se fixer sur des récepteurs spécifiques qui vont exciter les neurones. Cette fixation induit une dépolarisation des neurones postsynaptiques et permet de propager le signal électrique. D’autres, comme le GABA (γ-aminobutyric acid) ou la glycine, peuvent se fixer sur des récepteurs qui vont inhiber les neurones. Ainsi un neurone peut recevoir des signaux excitateurs et inhibiteurs dont la résultante intégrée, déclenche l’activation ou l’inhibition de voies de signalisation spécifiques. Ces voies de signalisation ont des effets immédiats en agissant, entre autres, sur des modifications post-traductionnelles de protéines cellulaires déjà présents et permettent, par exemple, l’expression à la surface ou, au contraire, l’internalisation de récepteurs aux neurotransmetteurs. Plus tardivement, ces voies de signalisation agissent sur la relocalisation de facteurs de transcription dans le noyau, pour permettre de moduler l’expression de gènes neurotrophiques, comme le BDNF (brain derived neurotrophic factor), important pour la survie, le développement et la plasticité neuronale (Citri & Malenka, 2008). Ces mécanismes tardifs conduisent des changements d’expression protéiques qui soustendent une restructuration des prolongements neuronaux et une modification du nombre de synapse à la surface des cellules. De plus, les neurones peuvent intégrer des signaux, extérieurs à la synapse, qui proviennent de stimuli de l’environnement cellulaire (présence de drogues, facteurs de stress, cytokines, etc…). Finalement, les neurones sont capables d’assimiler une grande quantité de signaux permettant d’adapter leur réponse. D’un côté, l’expression et la synthèse de novo de protéines permettent la génération de nouveaux prolongements et de nouvelles synapses, renforçant des connexions existantes et très sollicitées. Au contraire, l’inhibition de tous ces phénomènes va avoir tendance à faire régresser et « fragiliser » des connexions inutilisées. Le concept de plasticité neuronale peut ainsi se résumer par le principe « utilise-le ou perds-le !» qui fait référence aux synapses, aux prolongements ou même aux neurones.
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Table des matières
INTRODUCTION
I. LE CERVEAU, LA MEMOIRE ET LEUR PLASTICITE
1. LE CERVEAU EST LE SIEGE DE LA MEMOIRE
1.1. Le système nerveux et les neurones
1.2. La mémoire
2. LE CERVEAU : UN ORGANE QUI S’ADAPTE
2.1. Le concept de la plasticité neuronale
2.2. Le rôle central des NMDAR dans la plasticité neuronale
2.3. La plasticité neuronale à l’échelle du réseau neuronal
II. EPIGENETIQUE ET PLASTICITE NEURONALE
1. GENERALITES
1.1. Le concept d’épigénétique
1.2. Structure de la chromatine
1.2.1. Le nucléosome
1.2.2. Euchromatine et hétérochromatine
2. LES ACTEURS EPIGENETIQUES DANS LA PLASTICITE NEURONALE
2.1. Les modifications post-traductionnelles des histones
2.1.1. Les mécanismes du « code » des histones
2.1.2. Les modifications d’histone dans la physiopathologie neuronale
2.2. Méthylation et déméthylation de l’ADN
2.2.1. Présentation des mécanismes
2.2.2. Les modifications de l’ADN dans la physiopathologie neuronale
2.3. L’interférence de l’expression génique par les ARNnc
2.3.1. Les différents mécanismes d’interférence de l’expression génique
2.3.2. Les contributions des ARNnc à la physiopathologie neuronale
3. LES CASSURES DOUBLE-BRIN : NOUVEAUX ACTEURS EPIGENETIQUES
3.1. Les cassures double-brin
3.1.1. De la génération à la réparation
3.1.2. Les cassures double-brin, un mécanisme épigénétique ?
3.2. Un rôle essentiel dans le fonctionnement des neurones
3.2.1. Les cassures double-brin neuronales : délétères mais pas que !
3.2.2. L’équilibre cassure double-brin/réparation : essentiel pour les fonctions neuronales
3.2.3. Les cassures double-brin neuronales en conditions pathologiques
III. LE BORNAVIRUS : UN MODELE UNIQUE POUR L’ETUDE DES CASSURES DOUBLE-BRIN NEURONALES
1. PRESENTATION GENERALE
1.1. Histoire et taxonomie
1.2. Du génome à la structure de la particule
2. CYCLE DE REPLICATION
2.1. Tropisme
2.2. Adsorption et entrée du virus
2.3. Expression des protéines virales et réplication
2.3.1. Transcription
2.3.2. Traduction
2.3.3. Réplication
2.4. Assemblage et dissémination
2. LE VSPOT : UNE STRUCTURE CLE DANS LA REPLICATION DU BODV
2.1. Interaction avec la chromatine
2.2. Une usine bien organisée
3. EPIDEMIOLOGIE
3.1. Vie sauvage et animaux domestiques
3.2. Le BoDV : un virus au potentiel zoonotique
4. DE L’INFECTION A LA MALADIE : PHYSIOPATHOLOGIE DE LA MALADIE DE BORNA
4.1. Voie d’infection
4.2. Signes cliniques
4.3. Modèles d’étude
4.3.1. In vivo : le modèle du rat
4.3.2. In vitro : des lignées cellulaires à la culture primaire
4.4. Le BoDV, un virus persistant
4.5. Impact de l’infection sur la physiologie neuronale
4.5.1. Protection contre le stress oxydatif
4.5.2. Effets sur les voies de signalisation
4.5.3. Effets sur les vésicules synaptiques
4.5.4. Effets sur l’activité neuronale
4.5.5. Effets sur l’épigénétique neuronale
IV. LES CYTOKINES PRO-INFLAMMATOIRES DANS LA NEUROINFLAMMATION
1. L’INFLAMMATION DANS LE SYSTEME NERVEUX CENTRAL
1.1. Le concept de la neuroinflammation
1.1.1. La barrière hémato-encéphalite : une barrière sélective
1.1.2. Inflammation périphérique et neuroinflammation centrale
1.2. Les acteurs locaux de la neuroinflammation
1.2.1. La microglie
1.2.1. Les astrocytes
1.2.2. Les neurones et les oligodendrocytes : un rôle immunomodulateur
2. LA NEUROINFLAMMATION : IMPACT SUR LE COMPORTEMENT
2.1. La neuroinflammation aiguë et le sickness behavior syndrome
2.1.1. Le sickness behavior syndrome
2.1.1. Etudier le sickness behavior syndrome : modèles et tests comportementaux
2.2. La neuroinflammation chronique
2.2.1. Du sickness behavior syndrome à la dépression
2.2.1. Neuroinflammation chronique et mémoire
3. L’INTERLEUKINE-1Β DANS LE SYSTEME NERVEUX CENTRAL
3.1. Généralités
3.1.1. La famille des interleukines-1
3.1.2. L’IL-1β et ses récepteurs dans le cerveau
3.2. L’IL-1β, amie ou ennemie ?
3.2.1. Les effets positifs de l’IL-1β
3.2.2. Les effets négatifs de l’IL-1β
3.2.3. Cytokines pro-inflammatoires et épigénétique neuronale
CONCLUSION