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Cadre général de la recherche
Une analyse limitée aux espaces urbains denses. Dans notre analyse, nous n’étudierons que le centre urbain. Nous référant à la définition du « centre urbain » de Pierre Merlin et de Françoise Choay, comme étant « la partie fondamentale de l’organisation urbaine : celle qui en assure la vie et l’activité. (…) Il recouvre alors tout un espace urbain différencié, associant des quartiers spécialisés : (…) le centre des affaires comprenant lui même plusieurs activités et, à proximité, (…) le centre historique, le centre administratif (…), le centre culturel… Toutes les activités sont étroitement entremêlée et elles ont en commun le fait d’attirer et de desservir l’ensemble de la population de l’agglomération considérée »42. Nous le définissons donc comme l’espace le plus dense aussi bien en termes de population, que de déplacements ou d’activités. C’est aussi celui où toutes les fonctions de la ville – transport, commerce, service,…- sont réunies et étroitement liées sur le plan spatial. Cette promiscuité est d’ailleurs à l’origine de fortes contraintes et d’une concurrence sévère qui se manifestent à la fois sur les plans spatial et temporel. Par ailleurs, ce centre urbain a également un rôle moteur pour l’ensemble de l’agglomération – « ensemble constitué par une ville et ses banlieues »43 – ce qui nécessite la mise à disposition d’un certain nombre de moyens notamment de transports.
Des activités logistiques précises. Le choix de ne considérer que le centre limite, de fait, l’étendue des activités analysées. En effet, les principales étapes logistiques qui y sont identifiées sont le transport et les opérations de livraison ou d’enlèvement.
Représentation physique la plus forte du transport de marchandises dans les centres urbains, la livraison constitue un axe majeur de notre recherche au même titre que le transport. Pour cela, nous nous inscrirons dans la logique des définitions du transport de marchandises en ville de Laetitia Dablanc et de l’OCDE, que nous avons définies auparavant.
De plus, nous n’accorderons qu’une place secondaire aux activités associées aux espaces logistiques de périphérie (traçabilité, picking ou stockage) ainsi qu’au transport de transit.
Une prise en compte forte de la logistique urbaine. Nous ne pouvons limiter notre recherche au strict transport de marchandises en ville. En effet, l’extension à la logistique urbaine est nécessaire du fait qu’elle englobe aujourd’hui un large panel de services dont certains particulièrement innovants.
Un terrain urbain spécifique. Le terrain, dans le cadre de cette thèse, doit permettre une analyse précise d’un centre urbain dense dans le cadre de la thématique du transport de marchandises d’une part et des transports publics de personnes d’autre part. Comme nous l’avons auparavant expliqué dans l’introduction, Paris constitue donc un terrain privilégié non seulement par ses réseaux de transport mais également par la politique des déplacements à la fois active et globale qu’elle mène depuis quelques années.
La ville, génératrice de spécificités pour le transport des marchandises
Ce chapitre vise à montrer que l’espace urbain génère des spécificités propres au transport de marchandises. Aussi nous nous intéresserons dans un premier temps aux caractéristiques de transport et de livraison, qui ne le rendent en rien comparable au transport interurbain. Puis nous analyserons les mesures prises à son encontre ou en sa faveur, principalement sur les plans juridiques et politiques. Enfin, il s’agira de développer le jeu d’acteurs que cela a pu engendrer, allant jusqu’à l’apparition de nouveaux métiers.
Les principales caractéristiques du transport de marchandises en ville
L’analyse des caractéristiques du transport de marchandises en ville développée dans cette partie a pour objectifs de nous permettre de mieux comprendre mais aussi de mieux percevoir les particularismes liés au milieu urbain. Aussi, nous avons fait le choix de la scinder selon deux grands actes : le transport et les opérations, le premier correspondant à la part mobile, et le second à la part statique du transport de marchandises en ville.
Le transport
Si les données nationales permettent de montrer qu’en 200644, plus de 95% des tonnes de marchandises transportées en France l’étaient par le mode routier (1,4% par les voies navigables et 3,2% par le fer), ces mêmes données nationales sont aujourd’hui inexistantes pour le transport des marchandises en zone urbaine. Quelques études locales ont toutefois été réalisées. Par exemple, à Paris45, 89% des marchandises arrivent par la route, 8% par voies d’eau et 3% par fer (pour les tonnages). Quant au transport des marchandises intra-urbain, il est quasi exclusivement réalisé par mode routier. Si une comparaison quantitative des données entre les transports urbain et interurbain des marchandises est aujourd’hui impossible à réaliser du fait d’unités de mesures trop différentes, il est toutefois acquis que la quasi-totalité de ce transport est effectué par la route. Par ailleurs, il est également nécessaire d’indiquer que tous les véhicules utilitaires observés en ville ne réalisent pas du transport de marchandises. En Ile-de-France, sur dix véhicules utilitaires légers parcourant 490 kilomètres en moyenne par semaine46, moins de trois sont utilisés au transport de marchandises, cette proportion augmentant avec le poids des véhicules (57% des véhicules de plus de 3,5 tonnes de PTAC47). Cette part kilométrique arrive en quatrième position après les déplacements professionnels, les déplacements non professionnels et les trajets domicile-travail.
Un transport pour compte propre dominant. Sur le plan juridique comme sur le plan économique, il existe deux principaux modes de prise en charge de la marchandise, que ce soit en milieu urbain ou non : le transport pour compte propre ou le transport pour compte d’autrui.
En France, le transport pour compte propre est défini par la circulaire n°2000-17 du 10 mars 200048 : « Le transport en compte propre est établi lorsque la marchandise est la propriété de l’entreprise ou a été vendue, achetée, louée, produite, extraite, transformée ou réparée par elle et est transportée par cette entreprise pour ses besoins propres à l’aide de ses propres véhicules et conducteurs ou de véhicules pris en location avec ou sans conducteur ; le transport doit rester une activité accessoire de l’entreprise ». Ainsi, le chargeur réalise le transport à l’aide d’un véhicule dont il est le propriétaire ou d’un véhicule loué avec ou sans chauffeur. Ce transport pour compte propre peut alors prendre deux formes, le transport pour compte propre destinataire dans lequel le client va chercher sa marchandise chez son fournisseur, cas essentiellement des petits commerçants et des artisans ; et le transport pour compte propre expéditeur où le fournisseur va lui-même porter la marchandise chez ses clients, pour les chaînes alimentaires frigorifiques par exemple49.
Quant au transport pour compte d’autrui, « sont considérés comme des transports publics50 tous les transports de marchandises, à l’exception des transports qu’organisent pour leur propre compte des personnes publiques ou privées (…).Un véhicule assurant un transport public doit être muni d’un document relatif à la marchandise transportée, qui est nécessaire, d’une part, à l’entreprise pour l’exécution de son contrat de transport et les relations avec ses cocontractants, d’autre part, aux agents des services de contrôle de l’Etat »51. Ce transport pour compte d’autrui est donc réalisé par des professionnels du transport qui prennent en charge la marchandise par contractualisation contre rémunération. Le transporteur n’est donc pas propriétaire de la marchandise mais il en est responsable pendant toute la durée du transport jusqu’à réception par le destinataire.
En France en 2007, plus de 63% des tonnages52 et plus de 85% des tonnes-kilomètres53 sont réalisés pour compte d’autrui, avec des écarts qui ne cessent de se creuser par rapport au transport en compte propre. A l’échelle régionale, le transport pour compte d’autrui représentait cette même année plus des trois-quarts des tonnages de marchandises transportées (l’écart entre le compte propre et le compte d’autrui ne cessant également d’augmenter)54. A ces deux échelles, le transport pour compte d’autrui est donc largement dominant. Cependant, en ville, le transport pour compte propre va être considéré comme prépondérant55 du fait qu’il représente les deux-tiers des opérations et les trois-quarts des parcours réalisés56. L’utilisation d’unités différentes ne permet pas véritablement aujourd’hui de comparer les données générales et urbaines57. Nous pouvons toutefois estimer que le type de territoire génère des conditions particulières dans le choix d’un transport pour compte propre ou pour compte d’autrui.
En milieu urbain, le recours au compte propre ou au compte d’autrui est très dépendant du type d’activité. D’une manière générale, le secteur tertiaire, la grande distribution, l’industrie et les entrepôts usent plus du transport pour compte d’autrui. Par exemple, il représente presque les deux tiers des opérations de la grande distribution58. Quant aux commerces de détail et de gros, aux artisans et aux établissements de service, ils font pour plus de moitié leur propre transport, ce taux pouvant atteindre les trois-quarts pour les petits commerces. En plus de ces fortes proportions en faveur du transport pour compte propre, ces activités citées sont également surreprésentées en milieu urbain. Par exemple, sur les 390 000 établissements présents à Paris, plus de 70% ont une activité de service et 18% une activité de commerce59. Donc pour le cas parisien, presque 90% des établissements ont une pratique importante du transport pour compte propre.
Toutefois, une analyse séparant de façon stricte le transport pour compte propre et le transport pour compte d’autrui n’est pas suffisante. En effet, certains signes montrent que la frontière entre ces deux principaux types de transport reste floue60. Ainsi, le transport pour compte d’autrui – le chargeur fait réaliser le transport de sa marchandise par un prestataire qu’il rémunère pour cette prestation – peut présenter les mêmes caractéristiques que le transport pour compte propre. Ceci se traduit entre autres par des véhicules à l’effigie de l’entreprise commanditaire et par l’utilisation d’un matériel totalement dédié. C’est en effet uniquement sur le plan juridique que ce transport reste du transport pour compte d’autrui. Par ailleurs, ce schéma peut aller plus loin, entrant alors dans l’illégalité, avec des entreprises qui filialisent leurs activités de transport et de logistique, tout en n’autorisant ces nouvelles filiales qu’à remplir les contrats de la « maison mère ». Toutefois, après de nombreux procès, il semblerait que ces pratiques soient devenues, depuis le début des années 2000, moins nombreuses.
Cette question de la frontière est symptomatique de la complexité du transport de marchandises en ville. En effet, elle est révélatrice des difficultés de la distribution urbaine, ce qui se traduit par des solutions au cas par cas, et plus généralement par une segmentation du dernier maillon de la chaîne logistique, parfois à la limite de la légalité.
Des flux organisés en trace directe. De ce choix d’un recours à un transport pour compte propre ou pour compte d’autrui dépend ensuite l’organisation de ce transport en trace directe ou en tournée. Le transport en trace directe, plus particulièrement utilisé en compte propre destinataire est une desserte d’un seul lieu quelle que soit l’opération61. Il y a donc un point de départ et un point d’arrivée, sans que des opérations intermédiaires soient effectuées sur le trajet.
La tournée, quant à elle, consiste en une desserte composée d’une succession de points dont le nombre dépend principalement de la filière.
Le type d’activité joue donc un rôle important. Si les opérations des entrepôts, commerces de gros et de détail sont en quasi totalité réalisées en tournée, 40% des opérations des grands magasins et de l’industrie se font en trace directe, cette proportion pouvant même atteindre 90% pour les artisans62.
L’organisation du transport de marchandises en ville est très différente du transport interurbain avec un recours très important à la trace directe. Cette spécificité se traduit d’ailleurs par de nombreux kilomètres parcourus pour peu de marchandises distribuées. En effet, les trois-quarts des parcours en milieu urbain sont effectués en trace directe, mais ne représentent qu’un quart des opérations63. Ce choix peut paraître, au premier abord, comme peu rationnel, mais force est de constater qu’il répond à des besoins au cas par cas imposant réactivité et flexibilité.
Du recours à la trace directe ou à la tournée va dépendre le nombre de kilomètres et le nombre d’arrêts réalisés par les véhicules de livraison. A l’échelle de l’agglomération, le nombre de kilomètres parcourus double entre la trace directe et la tournée, quelle que soit la taille de la ville, avec une distance moyenne par livraison de 28 km en trace directe et de 14 km en tournée. De plus, la densité urbaine va également avoir un impact fort. En effet, plus la zone sera dense, plus le nombre de kilomètres parcourus sera limité. Par exemple à Lyon, en 1999, la distance moyenne par trajet était de 5,7 km dans le centre-ville, 8 km en première couronne et 9,7 km en seconde couronne64.
Quant au nombre d’arrêts, si le schéma est particulièrement simple pour la trace directe, les tournées peuvent s’avérer très différentes les unes des autres de par leur longueur et le nombre de points distribués. En moyenne, ce sont quatre à cinq établissements qui sont desservis lors d’un parcours65. Toutefois d’importants écarts sont observés entre le transport pour compte propre et pour compte d’autrui, ceci s’expliquant par le choix de la trace directe pour le compte propre destinataire – soit une livraison par parcours -, et de la tournée pour le compte propre expéditeur et le compte d’autrui – soit respectivement six et huit livraisons/parcours -. En Ile-de-France, ce sont treize établissements en moyenne qui sont desservis par tournée, avec un nombre particulièrement élevé pour le transport pour compte d’autrui, puisqu’il atteint dix-neuf établissements.
Des véhicules adaptés aux contraintes urbaines. La typologie des véhicules livrant en ville est assez simple avec une catégorie de véhicules de plus de 3,5 tonnes ou « poids lourds » d’une part, et une catégorie de véhicules de 3,5 tonnes ou moins, ou « véhicules utilitaires légers » (VUL) d’autre part.
Une comparaison des données statistiques portant sur ces deux types de véhicules est assez difficile à réaliser, les enquêtes, aux unités de mesure différentes ne permettant pas les croisements. Nous ne pouvons donc répondre de manière fiable à la question : quelle est la répartition, au niveau national, du transport de marchandises en ville réalisé par des poids lourds ou des VUL ? Une estimation du nombre de kilomètres parcourus par an par les véhicules utilitaires en zone urbaine, en France, a toutefois été construite par Jean-Louis Routhier. Au total, en milieu urbain, huit milliards de kilomètres seraient réalisés par an dont 55% par les poids lourds et 45% par les VUL66. A l’échelle nationale, 23 milliards de kilomètres sont réalisés par an par les poids lourds et 15 milliards par les VUL.
L’impact environnemental
L’impact environnemental concerne la pollution atmosphérique, la pollution phonique ainsi que la sécurité routière. Si pour les deux premiers éléments des données commencent à émerger sur le milieu urbain, il n’en est pas véritablement de même pour la sécurité routière. Quant aux informations portant sur la pollution des sols ou de l’eau, elles sont aujourd’hui inexistantes.
La pollution atmosphérique. « Dans le secteur du transport de marchandises, les consommations d’énergie et les émissions de gaz à effet de serre dépendent fortement de l’organisation de la chaîne logistique (des matières premières à la vente du produit fini) mais aussi des choix technologiques et des modes de transport »81.
Ces spécificités du milieu urbain se traduisent par des impacts énergétiques et environnementaux importants. Bien que le transport de marchandises en ville ne soit à l’origine que de 10 à 15% des véhicules-kilomètres réalisés, les véhicules de livraison contribuent à 40% de la consommation d’énergie des transports en ville et 50% du gazole consommé82. Les causes d’une telle part sont les suivantes : les caractéristiques intrinsèques aux véhicules (motorisation, ancienneté, entretien), la vitesse moyenne ainsi que la fréquence des démarrages et des arrêts. Ainsi, « globalement le transport des marchandises en ville s’effectue dans des conditions dégradées par rapport au transport non urbain »83. En termes de pollution, ils émettent 60% des particules, 44% du dioxyde de soufre (SO2), 36% des oxydes d’azote (NOx), 25% du dioxyde de carbone (CO2) et 20% du monoxyde de carbone (CO)84 dus aux transports. Ces données coïncident naturellement avec la large part de véhicules diesel réalisant le transport de marchandises. En effet, depuis dix ans à l’échelle nationale, la part des véhicules diesel au sein du parc de véhicules utilitaires légers n’a cessé de progresser en passant progressivement de 68% en 1996 à 84% en 200685. Il est à noter que l’âge des véhicules joue également un rôle important. Entre les véhicules diesel répondant à la norme Euro 286 construits à partir de 1996 et ceux répondant à la norme Euro 4 construits à partir de 2005, le taux de CO a été divisé par deux, les NOx et les hydrocarbures imbrûlés par trois, et les particules par quatre. Pour information, en 2005, plus de la moitié des véhicules utilitaires légers français répondaient au moins en norme Euro 2 (dont un tiers en norme Euro 3) alors que cette proportion était seulement de 7% en 199687. Toutefois, ces données étant nationales, elles ne peuvent être généralisées à l’échelle de la ville, sachant que les véhicules les plus anciens sont le plus souvent relégués au transport urbain.
Deux tendances émergent aujourd’hui. D’une part, le rajeunissement du parc de véhicules utilitaires qui se traduit par une diminution des émissions polluantes grâce à des innovations technologiques sur les moteurs existants et l’utilisation de nouvelles énergies (GNV, GPL, biocarburants, électricité…), qui restent encore toutefois très marginales. D’autre part, le parc des véhicules utilitaires légers ne cesse de croître.
La pollution phonique. C’est un impact identifié mais pas véritablement quantifié. Trois niveaux sonores existent : le seuil de confort acoustique est de 55 dB(A) (décibels), le seuil au-delà duquel le bruit est considéré comme très gênant, en particulier pour le sommeil est à 65 dB(A) et enfin, le seuil d’admissibilité est estimé à 68 dB(A).
Une réglementation restrictive qui ne suffit plus
La particularité des caractéristiques du transport de marchandises en ville et les impacts qui en sont issus ont été à l’origine de comportements spécifiques de la part des collectivités locales. Ainsi, si le cadre réglementaire dans lequel s’inscrit le transport de marchandises en ville est large, à la croisée de l’ensemble de la législation du transport de marchandises et des réglementations relatives au milieu urbain, il se situe également dans une logique locale de restriction. Dans cette partie, nous étudierons plus particulièrement la réglementation française tant sur le plan national que local, en montrant quelles ont été ses évolutions et les limites encore présentes aujourd’hui dans ce domaine. Bien que nous appuyant, pour l’essentiel sur des exemples français, nous aurons également recours aux exemples européens les plus marquants.
Une réglementation locale particulièrement restrictive
A l’échelle locale, les réglementations sont multiples et ont connu une période de forte croissance, avec pour objectif commun de limiter l’entrée des véhicules destinés au transport des marchandises dans leurs centres urbains. Une typologie rapide peut être faite de ces diverses mesures : les restrictions d’accès en fonction de la taille, du poids et des émissions des véhicules ainsi que des plages horaires de livraison et d’enlèvement. Toutefois, ces mesures présentes partout en Europe, peuvent user d’outils réglementaires très différents.
Le pouvoir de police des maires. Les maires ont une compétence particulière en France puisqu’ils sont dotés du pouvoir de police. En effet, « le maire concourt par son pouvoir de police à l’exercice des mission de sécurité publique. (…) Le maire exerce la police de la circulation. (…) La maire peut, par arrêté motivé, eu égard aux nécessités de la circulation, 1° interdire à certaines heures l’accès de certaines voies (…), 2° réglementer l’arrêt et le stationnement des véhicules (…), 3° réserver sur la voie publique (…) des emplacements aménagés (…) »100. Ces motifs peuvent être de diverses natures comme la compromission de la tranquillité publique ou la protection de certains espaces. Ainsi le maire peut légiférer sur la circulation, le stationnement ainsi que l’arrêt des véhicules au sein de sa municipalité.
Le transport de marchandises en ville a été très sévèrement touché par ce pouvoir de police des maires. En effet, suite à la congestion observée dans leurs villes et aux plaintes des associations et riverains qui ne toléraient plus les nuisances (bruit, pollution, nuisances visuelles) générées par les véhicules de livraison, les maires ont eu un recours quasi systématique aux arrêtés municipaux afin de limiter l’entrée des poids lourds et autres véhicules utilitaires dans leurs villes, et plus particulièrement dans leurs centres urbains.
Enjeux économiques
La productivité globale est le résultat d’un ensemble mis en œuvre par des professionnels soucieux de répondre aux contraintes du marché en s’appuyant sur les équipements mis en place par la collectivité (…). Le bon fonctionnement de ce système repose de ce fait sur la qualité de l’articulation entre les logiques privées et publiques. Toute faiblesse dans l’une ou l’autre de ces composantes rejaillira sur la vitalité des activités avec, pour les entreprises, la tentation permanente de s’affranchir des difficultés inhérentes aux aspects fortement urbanisés en allant s’installer en périphérie. Penser circulation des marchandises en ville et se donner les moyens de satisfaire les exigences de la demande, c’est donc aussi contribuer à la revalorisation des centres »166.
Dans un premier temps, nous pouvons considérer que cet enjeu économique est fort pour les collectivités. En effet, il existe de leur part une recherche permanente de dynamisme et plus particulièrement de redynamisation des centres-villes. Pour cela, des mesures aussi bien réglementaires qu’incitatives ont été mises en œuvre. Aujourd’hui, la question de la distribution urbaine est au cœur de cet enjeu mais sous deux formes que nous pouvons qualifier d’opposées. D’une part, certains commerces de centre-ville offrent des services de portage à domicile (PAD) afin de fidéliser leur clientèle, créant ainsi de nouveaux besoins au cœur de la ville. D’autre part, les problèmes de congestion dans les centres-villes, la gestion en flux tendu ou l’amenuisement des aires de stockage font que certains types de commerces, par les difficultés qu’ils ont en termes de surface de stockage ou de vente, de livraison, de stationnement … font le choix de quitter le centre pour la périphérie. Daniel Boudouin et Christian Morel nous indiquent que « la productivité directe des lieux de vente s’affiche comme meilleure dès lors que l’on s’éloigne des zones denses : par exemple, pour commercialiser 1 tonne de marchandises en hypermarché situé en périphérie, il faudra 2 fois moins de personnes que dans un supermarché en centre ville. Par contre l’énergie totale consommée pour un même volume mis en marché est près de 3 fois supérieure sans le premier cas. Tout se passe comme si l’entreprise reportait une partie de ses coûts d’approvisionnement (avec les nuisances qui y sont rattachés) vers les usagers et la collectivité »167.
L’enjeu économique est tout aussi important pour les professionnels du transport routier de marchandises qui rencontrent de plus en plus de difficultés tant physique que réglementaire à livrer dans les centres urbains. Il s’agit donc pour les professionnels de s’adapter, le meilleur ajustement réalisé aujourd’hui passant par l’externalisation du dernier kilomètre. Pour cela ils font appel à un panel de sous-traitants et de prestataires spécialisés.
La question économique est au cœur du problème et un cercle vicieux est encore en marche aujourd’hui. Les mesures adoptées par les politiques comme par les institutionnels de même que les pratiques des professionnels ne tendent pas à une réduction de la congestion, bien au contraire : les livraisons sont de plus en plus fréquentes, de plus en plus dispersées pour livrer des colis de plus en plus petits.
Par ailleurs l’enjeu économique est également présent au sein des préoccupations des autres acteurs de la ville notamment à cause du manque de rentabilité que peut produire le transport de marchandises sur leurs activités. Par exemple, les livraisons génèrent chez les opérateurs de transports publics urbains des difficultés d’exploitation avec des pertes de temps, une dégradation de la qualité de service ou des conflits d’usage parfois difficiles à gérer.
Ces deux derniers exemples nous montrent bien que les enjeux économiques, ne peuvent, en réalité, être dissociés des enjeux fonctionnels.
Etude de cas : la Ville de Paris
Pour terminer cette partie amont de notre recherche portant sur un descriptif détaillé du transport de marchandises en ville et de la logistique urbaine, nous avons fait le choix de réaliser une monographie sur la Ville de Paris. Comme nous l’avons développé dans l’introduction, Paris présente un terrain pertinent du fait que la municipalité mène depuis quelques années une politique dynamique en matière de transport de voyageurs comme de transport de marchandises. De plus, ce travail de thèse répond à une demande spécifique de la RATP, opérateur de transports publics de la capitale.
Nous considérons le transport de marchandises comme un service public qui doit trouver sa place dans la ville »174, cette phrase de Denis Baupin, adjoint au Maire de Paris, chargé de la circulation et des déplacements, donne le ton de la politique des transports mise en œuvre depuis 2002. Introduction du transport des marchandises dans la politique des déplacements de la Ville de Paris
Quelques chiffres. Paris compte 2,18 millions d’habitants sur une surface d’un peu plus de 105 km² et regroupe 1,6 million d’emplois.
Quant aux marchandises, les flux parisiens atteignent 31,5 millions de tonnes par an dont presque un million arrive par fer et 2,5 millions par voie d’eau175. Ce sont au total 700 000 opérations de livraisons ou d’enlèvements qui sont réalisées chaque jour en Ile-de-France dont 300 000 dans Paris intra-muros176.
Le transport de marchandises en ville représente de 20 à 25% de l’occupation de l’espace public voire plus dans l’hypercentre plus contraint177.
Quant à la consommation d’énergie en Ile-de-France qu’il représente, il s’agit de 25% de la consommation totale des transports et plus de 50% du diesel consommé. Le transport de marchandises en ville peut aller jusqu’à générer 50% des émissions de particules, la moitié des émissions de NOx et SO2 ainsi qu’un quart du CO2178 de l’ensemble généré par les transports franciliens.
La connaissance des flux reste, quant à elle, très limitée. Si les marchandises transportées par fer et par voie d’eau sont bien connues, étant pour l’essentiel du vrac et des boissons, il n’en est pas de même des flux routiers. En effet, la multiplicité des vecteurs et le manque de centralisation des professions ne permettent pas encore aujourd’hui d’avoir des données précises.
Toutefois, l’activité économique parisienne laisse entrevoir certaines spécificités. Ainsi sur les 390 000 établissements présents179, 70% sont des établissements de services et 18% des commerces (dont 2% de commerces de grande distribution). Pour rappels, le secteur tertiaire génère 0,5 opérations par semaine, les commerces de 1 à 9 opérations par semaine selon le lieu et le secteur, et le nombre d’opérations peut dépasser les deux cents dans le cas des hypermarchés et des grands magasins180.
Une nouvelle politique des déplacements. Depuis 2001, la nouvelle équipe municipale mène une politique des déplacements active et a fait le choix de limiter la circulation automobile en privilégiant les espaces dédiés aux transports collectifs. Pour cela une redéfinition du partage de la voirie avec pour première action, l’implantation des premiers couloirs de bus protégés, a été réalisée.
Toutefois, ces nouveaux aménagements ont aussi eu des conséquences sur le transport de marchandises lui-même et plus particulièrement sur les livraisons. Livrer était effectivement devenu très dangereux pour les chauffeurs-livreurs qui ne pouvaient plus avoir accès directement au trottoir où les couloirs protégés étaient implantés. En effet, ils devaient pour réaliser leurs livraisons, traverser ces couloirs de bus.
C’est donc en 2001 que la question des marchandises a émergé et en 2002 qu’elle a été intégrée à la politique des déplacements.
Une nouvelle place pour le transport des marchandises. Nous ne pouvons toutefois supposer que le seul conflit d’usage issu de l’implantation des nouveaux aménagements de voirie a été à l’origine d’un tel engagement de la part de la Ville de Paris. En effet, comme nous l’avons montré dans le chapitre précédent, ce choix provient également d’une conjonction d’éléments telle la publication des premières évaluations chiffrées du transport de marchandises en ville et de ses impacts, mais aussi de l’aboutissement des préoccupations environnementales à l’échelle urbaine avec la promulgation de la loi Solidarité et Renouvellement Urbains de 2000 impliquant la nécessaire prise en compte du transport de marchandises. Paris a directement bénéficié de ces nouvelles données et de ces nouveaux outils.
Par ailleurs, depuis quelques années, des échanges d’informations entre les grandes villes européennes ont permis de communiquer à la fois sur les préoccupations des municipalités face à ce nouvel enjeu et sur les solutions mises en œuvre. La Ville de Paris ne pouvait rester à l’écart d’un tel réseau.
Aussi cinq principaux objectifs concernant le transport des marchandises ont été définis183 : réduire les impacts environnementaux, maîtriser l’espace public occupé par le transport de marchandises, installer des outils logistiques spécifiques pour améliorer son fonctionnement, développer l’efficacité économique et sociale de ce secteur, et enfin renforcer l’attractivité de la Ville de Paris en termes de développement d’activités économiques. En résumé, il s’agit de concilier les activités économiques et le développement durable.
Pour cela, la Ville de Paris a déterminé deux grands angles d’attaque avec d’une part l’entrée des marchandises dans Paris en faveur d’un transfert modal de la route vers le fer et le fluvial ; et d’autre part, la diffusion des marchandises dans Paris à l’aide d’aires de livraison et d’un règlement « marchandises » mieux appliqué, l’ensemble s’appuyant sur le principe environnemental.
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Table des matières
Démarche et terrain de recherche
Plan de la thèse
Première partie : Le centre urbain, lieu convergent du transport de marchandises
Chapitre 1. Préambule
Chapitre 2. La ville, génératrice de spécificités pour le transport des marchandises
Chapitre 3. Etude de cas : la Ville de Paris
Deuxième partie : Trois dimensions d’interaction entre le transport public de voyageurs et le transport de marchandises en centre urbain
Chapitre 1. Une interaction spatiale : la problématique de la circulation des bus et des livraisons
Chapitre 2. Une interaction de service : l’implantation des relais-livraison dans les gares
Chapitre 3. Une interaction de l’exploitation : les applications urbaines du transport de fret par fer
Troisième partie : Quel(s) rôle (s) pour un opérateur de transports publics urbains ?
Chapitre 1. L’investissement de la RATP dans le transport de marchandises en ville
Chapitre 2. De rares opérateurs de transports publics urbains à s’engager dans la problématique du transport de marchandises en ville ou de la logistique urbaine
Chapitre 3. Le transport de marchandises en ville, une option stratégique pour un opérateur de transports publics urbains
Conclusion générale
Le transport de marchandises en ville, des spécificités dans les centres urbains
Des interactions très étroites entre le transport de marchandises en ville et le transport public urbain de voyageurs
Les rôles de l’opérateur de transports publics urbains en matière de transport de marchandises en ville et de logistique urbaine
Le positionnement spécifique de la RATP
Bibliographie
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