Le cas princeps du syndrome d’ « Illusion des sosies »

Le syndrome de Capgras est caractérisé par la conviction délirante qu’un ou des proches familiers ont été substitués par leurs doubles malfaisants. Ce trouble, le plus fréquent (ou du moins le plus étudié) des délires d’identification, passionne les chercheurs internationaux depuis sa description initiale par un psychiatre français, le Docteur Joseph CAPGRAS (1873-1950) au début du XXème siècle.

Ce « curieux petit syndrome », comme le nomme Joseph CAPGRAS, présente en effet un double intérêt, à la fois clinique et psychopathologique. Clinique puisque ce syndrome semble être une entité basique, stable dans le temps, et superposable d’un patient à un autre, quel que soit le contexte. On l’observe ainsi à l’identique ou avec des différences minimes dans des pathologies variées aussi bien lésionnelles (neurologiques, métaboliques, infectieuses) que psychiatriques. Cette observation est à l’origine de l’éternel débat entre caractère syndromique ou symptomatique du trouble, débat dans lequel nous n’entrerons pas dans ce travail. Ce trouble, initialement nommé « illusion des sosies » par Capgras, sera rebaptisé « syndrome de Capgras » quelques années plus tard. C’est le terme communément utilisé dans la littérature et que nous emploierons dans ce travail. L’intérêt physiopathologique du trouble est également majeur puisqu’élucider l’anomalie responsable du syndrome de Capgras permettrait d’appréhender le processus physiologique de reconnaissance et d’identification des individus par le cerveau humain. L’étiopathogénie du syndrome de Capgras constitue donc une source précieuse de réflexion.

Le cas princeps du syndrome d’ « Illusion des sosies » 

En 1923, Joseph CAPGRAS (1873-1950), psychiatre à l’Hôpital Sainte-Anne à Paris, présente avec son interne, Jean REBOUL-LACHAUX, devant la Société Clinique de Médecine Mentale, devenue plus tard la Société Médico-Psychologique, le cas d’une patiente de 53 ans présentant un délire de thème particulier : les substitutions et disparition de personnes, y compris elle–même, qu’il intitule « l’illusion des sosies dans un délire systématisé chronique » .

Le professeur Joseph LEVY-VALENSI proposera en 1929 [113] de l’appeler du nom de l’auteur de sa première description, le syndrome de Capgras. CAPGRAS et REBOUL-LACHAUX présentent le cas de Mme M. comme suit [22] : « Le 3 juin 1918, Mme M. va dénoncer au Commissariat de son quartier, la séquestration d’un grand nombre de personnes, d’enfants surtout, dans le sous-sol de sa maison et de tout Paris ; elle demande que deux gardiens de la paix l’accompagnent pour vérifier ses dires et délivrer les prisonniers. Conduite à l’Infirmerie spéciale, elle est internée le surlendemain à Sainte-Anne où le Professeur Dupré la certifie atteinte de psychose hallucinatoire, interprétative et imaginative à thème fantastique avec idées de grandeur, d’origine princière et de substitution de personnes autour d’elle et état d’excitation psychique habituelle. Le 7 avril 1919, Mme M. est transférée à Maison Blanche. Mme M. est âgée maintenant de 53 ans […]. Mariée en 1898, à 29 ans, elle eut un an après un fils mort en nourrice (substitué, croit-elle), puis deux jumelles, l’une morte (encore enlevée d’après elle), l’autre bien portante, âgée de 20 ans, et en 1906, deux jumeaux, tous deux morts en bas-âge (pour elle, l’un a été enlevé, l’autre empoisonné). […] Son mari, qui nous le rapporte, constata, trois ou quatre ans après le mariage, et surtout à la suite du décès des deux jumeaux, en 1906, un état « nerveux, puis des manifestations de jalousie des idées de grandeurs. Quelques années plus tard, elle lui déclare qu’il n’est pas son mari et elle exprime déjà la majeure partie de ses conceptions actuelles. Ce délire semble donc s’être systématisé et développé rapidement. […] Elle a imaginé un roman très compliqué et dont les détails sont tellement inextricables qu’il lui serait impossible de le résumer de vive voix. Elle est d’ailleurs très loquace et ne suit pas toujours le fil de sa pensée ; généralement, elle s’exprime avec plus de précision dans ses écrits, abondants sans excès et cohérents. Les deux thèmes fondamentaux sont, d’une part, l’idée de grandeur (origine princière) et l’idée de persécution (disparition de personnes qu’on cache dans des caves immenses). Nous résumerons ces deux ordres de conceptions au moyen des propos et des écrits de la malade depuis 1919.

Idées de grandeur. – « Je suis d’une très grande famille, écrit Mme M. ; je suis la petitefille de la princesse Eugénie qui a régné […] » Sa grand-mère […] est la reine des Indes. De Rio-Branco est le nom des enfants d’Henri IV dont elle descend. […] C’est « M. PierrePaul M., ajoute-t-elle, mort chez moi, qui m’a certifié avant de mourir que je n’étais pas sa fille, qu’il avait agi en criminel en me cachant à mes parents et que j’avais quinze mois quand le rapt a été commis. » Dès le berceau on lui a donc substitué la fille de M. M. Sa fortune est immense […]. A cette fortune s’allient des qualités intellectuelles et morales de premier ordre. […] Son rôle de bienfaitrice est la conséquence de sa haute naissance, de ses qualités intellectuelles et morales, de ses privilèges pécuniaires. « J’aurais fait de grandes choses avec cette fortune, dit-elle, j’aurais fait du bien à tout le monde. » .

Idées de persécution. – Elles sont variées et d’importance très inégale. Ses ennemis agissent par vol, empoisonnement, c’est banal ; par substitution d’enfants, par disparition de personnes, par transformation corporelle, ce qui est moins fréquent. […] Elle a deux ou trois sosies qu’elle connaît […]. Pour préciser son identité et compléter sa justification, elle signale les transformations dont elle a été l’objet. « J’étais blonde, ils m’ont rendue châtain, j’avais les yeux trois fois comme je les ai : ils étaient bombés en avant, maintenant ils sont aplatis. […] Et alors elle donne son « signalement » avec un luxe de détails […]. Ses enfants ont été aussi l’objet de substitutions […]. Son véritable mari a été assassiné et les « messieurs » qui viennent la voir sont des « sosies » de son mari ; elle en a compté au moins quatre-vingts. Elle s’excite d’ailleurs quand on lui parle de ce sujet ; « si en tout cas, poursuit-elle, si cette personne est mon mari, il est plus que méconnaissable, c’est une personne métamorphosée. Je certifie que le prétendant mari que l’on cherche à m’insinuer pour le mien qui n’existe plus depuis dix ans, ce n’est pas lui qui me maintient ici. » Mais les disparitions débordent largement le milieu familial pour s’étendre à sa maison, eu monde entier, et spécialement à Paris […]. Il y a rue Mathurin-Régnier des oubliettes, un puits artésien et des caveaux où sont enfermées vingt-huit mille personnes depuis 1911 ; une bande d’individus y dévalisent les gens et les enferment dans des caves […]. Sous sa propre maison, elle entend des vois d’enfants appeler : « Maman, je t’en prie, viens nous chercher».

Sous Sainte-Anne est un enfer où sont enfermés de nombreux médecins. A MaisonBlanche tout le monde – ou presque- a des sosies. « C’est incroyable la comédie qui se jour avec les sosies… Beaucoup d’infirmières sont dans les dessous ; le peu qui reste n’est as suffisant à retenir les personnes enfermées » […]. Tous les gens qui entourent journellement Mme de Rio-Branco à l’asile ont leur sosie : médecin, interne, infirmières, malades. On a remplacé le chef de service par des sosies et comme on lui demande si elle en est bien certaine, elle s’arrête, puis, avec conviction, s’exclame : « Les docteurs qui viennent ici avec les pèlerines, vous ne me direz pas qu’il n’y en a qu’un : j’en connais au moins quinze!» Le médecin, l’interne ne sont pas toujours les mêmes et elle les prévient : « Vous avez un sosie qui fait la déduction de tout ce que vous commandez, pour vous compromettre. » […] Le défilé n’arrête pas. Les sosies succèdent aux sosies. « Le seul but des faussaires, des voleurs de blason, de la société des descentes et dévaliseurs, est de filer à l’anglaise en laissant à leur place des femmes et des hommes incriminés… Quand elles ont accompli des méfaits ou menti, elles se sauvent et une autre vient à la place, voilà la comédie qui se joue depuis quatre ans […]. Les témoins gênants de ce milieu mensonger sont séquestrés et dévalisés […].

Dans le service, Mme M. est ordinairement calme […], elle écrit parfois de longues lettres, parfois elle se livre aussi à des soliloques accompagnés de quelques gestes, témoins de son excitation intellectuelle ; celle-ci est remarquable quand la malade expose son délire, ce qu’elle fait d’ailleurs d’une manière touffue, avec loquacité, prolixité et une fuite d’idées extrême nécessitant un interrogatoire précis, serré, pour limiter ses tendances spontanées à diverger sans cesse. […] .

L’examen physique et neurologique en particulier ne révèle rien en dehors d’une légère hyperréflectivité rotulienne bilatérale. » .

L’interprétation de CAPGRAS

CAPGRAS a sélectionné le cas de Mme M. par la singularité d’un des thèmes du syndrome délirant qu’elle exprime, les « sosies », terme utilisé par la patiente elle-même, et qu’elle définit comme « des personnes ayant la même ressemblance ». Si selon CAPGRAS l’ensemble du tableau fait partie d’un délire systématisé chronique, à la fois imaginatif, interprétatif et hallucinatoire, il rapporte ce qui concerne le thème des sosies à un mécanisme d’illusion. CAPGRAS suggère que l’illusion pourrait être le fait d’« une fausse reconnaissance associée à une interprétation erronée ». Il décrit un processus en plusieurs étapes, « un état affectif d’abord, une habitude, une tournure d’esprit ensuite », qu’il distingue des « fausses reconnaissances ordinaires », puisque la sosification ne s’applique qu’aux individus familiers (ou au moins dont la patiente a connu l’identité), et non aux étrangers qu’elle peut croiser dans la rue. CAPGRAS écrit ainsi « partout elle saisit la ressemblance et partout elle méconnait l’identité », ce qu’il définit comme étant une « agnosie d’identification ». Ces méconnaissances systématiques sans trouble de la perception renvoient selon lui à une lutte entre sentiment de familiarité et sentiment d’étrangeté. L’anxiété de Mme M. serait selon lui responsable du sentiment d’étrangeté qu’elle ressent, « se heurtant alors au sentiment de familiarité inhérent à toute reconnaissance, mais sans envahir totalement sa conscience ». La patiente saisit donc une ressemblance très étroite entre les deux images mais ne les superpose plus du fait de leur « coefficients émotifs » différents, créant ainsi deux individus, deux sosies. Pour Capgras, il s’agit donc de troubles affectifs dont il complète l’analyse psychopathologique en 1924 dans « Illusion des sosies et complexe d’Oedipe » .

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Table des matières

I. INTRODUCTION
II. CLINIQUE ET DEFINITIONS
A. Le cas princeps du syndrome d’ « Illusion des sosies »
B. L’interprétation de CAPGRAS
C. Les signes habituellement retrouvés
D. Les syndromes de mésidentification délirante
1. Les autres syndromes de mésidentification délirante
a) Le syndrome d’illusion de Frégoli
b) Le syndrome d’inter métamorphose et de charme
c) Le syndrome des doubles subjectifs
2. Définitions des syndromes de mésidentification délirante
3. Classifications
a) Au sein des classifications psychiatriques internationales
b) Classifications des différents syndromes
E. Quelques données épidémiologiques
F. Comorbidités du syndrome de Capgras
III. MODELES PSYCHODYNAMIQUES
A. Introduction
A. « L’inquiétante étrangeté » de FREUD
B. Dépersonnalisation- déréalisation
C. Tentative de dépasser un complexe d’Œdipe mal refoulé
D. Solution psychotique au problème de l’ambivalence
E. Mécanisme de défense
F. Retour à la mentalité prélogique
IV. APPROCHE NEUROPSYCHOLOGIQUE DU SYNDROME DE CAPGRAS
A. Introduction
1. Présentation de la neuropsychologie cognitive
2. Spécificités de la reconnaissance des visages familiers
3. La prosopagnosie
B. Les différents modèles de reconnaissance des visages
1. Modèle séquentiel de BRUCE et YOUNG (1986)
a) Présentation du modèle
b) Test du modèle
c) Critique du modèle
2. Le modèle à deux voies de BAUER (1984, 1986)
a) Présentation du modèle
b) Test du modèle
c) Critique du modèle
3. Modèle en série de BREEN et al. (2000)
a) Présentation du modèle
b) Test du modèle
c) Critique du modèle
4. Modèle d’ELLIS et LEWIS (2001)
a) Présentation du modèle
b) Test du modèle
c) Critiques du modèle
5. Modèle de LUCCHELLI et SPINNLER (2008)
a) Présentation du modèle
b) Test du modèle
c) Critiques du modèle
C. Conclusion sur l’approche neuropsychologique
V. APPROCHE COGNITIVO-PHENOMENOLOGIQUE DU SYNDROME DE CAPGRAS
A. Introduction
B. Définition de la psychiatrie phénoménologique
C. Les modèles à une étape
1. Erreur perceptive
2. Erreur d’attribution
3. Aberration de salience
4. Tendance à « sauter aux conclusions »
D. Les modèles à deux étapes : théorie du « second facteur »
a) Le premier facteur
b) Le second facteur
c) Modélisation de la théorie du « second facteur »
VI. APPROCHE NEURO-ANATOMIQUE DU SYNDROME DE CAPGRAS
A. Introduction
B. Explorations du syndrome de Capgras par des techniques d’imagerie cérébrale morphométriques
1. Les techniques d’imagerie cérébrale morphométrique
2. Trouble de la communication inter-hémisphérique modèle de Joseph (1986)
3. Dysfonctionnement de l’hémisphère droit modèle de CUTTING
C. Explorations du syndrome de Capgras par des techniques d’imagerie cérébrale fonctionnelle
1. Les techniques d’imagerie fonctionnelle
2. Plusieurs aires spécifiques de la reconnaissance des visages
a) Traitement perceptif des visages
b) Traitement émotionnel des visages
c) Spécificité des visages familiers
3. Exploration du syndrome de Capgras avec ces techniques
D. Exploration du syndrome de Capgras par des techniques électroencéphalographiques
1. Les techniques électroencéphalographiques
a) Spécificité de la reconnaissance des visages familiers
b) Les différentes étapes du processus de reconnaissance auraient des traductions électroencéphalographiques différentes
2. Applications au syndrome de Capgras
a) Recherche d’une spécificité hémisphérique
b) Recherche d’un profil de potentiels évoquant un déficit cognitif particulier
E. Modèle de GOBBINI et HAXBY (2008)
1. Présentation du modèle
2. Confrontation au syndrome de Capgras
F. La question de la spécificité hémisphérique dans le traitement des visages
G. « Cerveau droit lésé, cerveau gauche leurré »
VII. APPROCHES GLOBALES DU SYNDROME DE CAPGRAS
A. Une approche globale est évoquée par plusieurs auteurs
B. Le modèle interactionniste de YOUNG
VIII.CONCLUSION
IX. BIBLIOGRAPHIE

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