Le cas du GROUPE CASINO : la diversité, une stratégie RH et commerciale

Moyens institutionnels de lutte contre la discrimination 

Dans le cas de mon étude, je note que les salariés peuvent faire appel à plusieurs types d’organisations afin de faire valoir leur condition de victime de discrimination. Ils peuvent s’adresser à l’inspection du travail, aux organisations syndicales, à diverses associations de lutte contre les discriminations.
Une première organisation institutionnelle, la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité, également connue sous son acronyme HALDE, était une autorité administrative indépendante française créée en 2005 et dissoute en 2011. Elle était compétente pour se saisir « de toutes les discriminations, directes ou indirectes ». La HALDE est bien connue dugrand public pour avoir soutenu, en 2008, la directrice adjointe de la crèche Baby Loup à l’occasion de son licenciement.
Depuis la dissolution de la HALDE, c’est le Défenseur des Droits qui est en charge de lutter contre les discriminations. Le Défenseur des droits est une autorité constitutionnelle indépendante, créée par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, et instituée par la loi organique du 29 mars 2011.
Nommé par le président de la République pour un mandat de six ans, le Défenseur des droits est chargé de défendre les droits des citoyens face aux administrations. Il dispose également de prérogatives particulières en matière de lutte contre les discriminations.
Son administration prend la forme d’une autorité administrative dont l’indépendance est garantie par la Constitution.
Ce petit détour institutionnel aide à poser le contexte impérieux qu’est celui de l’égalité en France.
J’illustrerai et pondèreraimes propos avec ces quelques chiffres : en 2010, la HALDE a reçu 12 464 réclamations. Seules 256 concernaient le fait religieux (soit 2,05 % des requêtes). Aux mêmes dates, l’IFOP publie un sondage faisant état de 26% des sociétés françaises qui estimaient que les revendications des salariés liées à des pratiques religieuses augmentaient. J’entends par là que les employeurs semblent agir en amont afin de ne pas être la cible d’accusation de discriminations.

LE CONTEXTE LEGAL FRANÇAIS

La recherche documentaire sur ce thème est vaste. Pour construire ce cadre, deux documents se sont avérés essentiels à mon travail, de par leur contexte et leur structure : La gestion du fait religieux dans l’Entreprise privée , par l’Observatoire de la Laïcité en 2013, mis à jour en 2017, et le Guide du fait religieux dans les entreprises privées par le ministère du Travail en 2017.

LE CADRE CONSTITUTIONNEL: LIBERTE DE RELIGION, DE CROYANCE ET NONDISCRIMINATION

Historiquement et hiérarchiquement, je citerai l’article 10 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, qui affirme que « nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi». Puis la séparation de l’Eglise et de l’Etat de 1905, dont l’article 1 er stipule « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public ».
La Déclaration Universelle des Droits de l’Homme affirme le 10 décembre 1948 en son article 18 que « toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction tant en public qu’en privé, par l’enseignement, les pratiques, le culte, et l’accomplissement des rites».
Puis la Constitution Française du 4 octobre 1958, qui dans son article 1er assure que la République « l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances».
Je citerai également l’article 9 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Hommeet du Citoyen, qui pose deux principes. Celui selon lequel la liberté religieuse n’a pas un caractère privé, mais une liberté de manifester sa religion. Et celui qui limite les restrictions de la liberté à l’ordre public. Ainsi figure dans cet article « la liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui,prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publique, ou à la protection des droits et libertés d’autrui».
Par contre, le législateur concilie ce droit de manifester sa religion avec d’autres impératifscar il ne doit pas protéger n’importe quel comportement qui serait motivé par des considérations d’ordre religieux ou philosophique: « le droit de manifester sa religion tel que posé à l’article 9 de la CESDH n’est pas absolu, mais doit être concilié avec d’autres impératifs». C’est ce qui a été apporté par l’arrêt de la cour de cassation du 21 juin 2005.

LE CODE DU TRAVAIL: NON-DISCRIMINATION, POUVOIR DE DIRECTION ET DIALOGUE SOCIAL

Je note que l’article 5 du préambule de la constitution du 27 octobre 1946 stipule que « chacun a le devoir de travailler et le droit d’obtenir un emploi. Nul ne peut être lésé, dans son travail ou son emploi, en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances».
L’entreprise privée doit donc se plier à l’interdiction de toute discrimination religieuse. Celle-ci est régie par le code du travail. Ce dernier ne saurait négliger la prééminence des droits fondamentaux rappelés ci-dessus et contient des principes liés aux pouvoir de direction et d’organisation de l’employeur; il énonce également des règles relatives aux compétences des représentants des salariés en la matière.

Non-discrimination

On vient de l’aborder, la prééminence des droits fondamentaux est contenue dans le code du travail. Ainsi l’interdiction des discriminations et la protection des libertés sont un devoir de l’employeur. Les garanties individuelles et collectives sont de fait garanties par les articles L1121-1 et L1321-3 du code du travail.

Pouvoir de direction

Le pouvoir de direction de l’employeur peut être mis en avant pour réguler certaines demandes individuelles ou collectives ayant un caractère religieux. Par exemple, c’est l’employeur qui a le pouvoir d’édicter les horaires et de décider des congés, comme de choisir librement ses collaborateurs, d’organiser le travail, de fixer les objectifs et d’évaluer les salariés.
Dernier point, et non des moindres, il lui est aussi reconnu le droit d’élaborer le règlement intérieur de son entreprise. A ce titre, le nouvel article de la loi Travail du 8 aout 2016 donne la faculté à l’employeur d’instaurer une neutralité religieuse dans l’entreprise. La mise en place de la neutralité doit être justifiée par l’activité de l’entreprise, la tâche à accomplir, la sécurité au travail ainsi que les impératifs de santé et d’hygiène.

Dialogue social

Le dialogue social n’a aucune obligation d’aborder la question du fait religieux mais en a les facultés. Depuis 2006, et la signature de l’accord national interprofessionnel sur la diversité, les entreprises sont invitées à conclure des accords sur ce thème alors que les chefs d’établissements doivent présenter leur bilan annuel. Qui sont les représentants du personnel qui peuvent agir ?
Les délégués du personnel (DP), car ils sont le lien pour transmettre les réclamations individuelles et collectives, sur des thèmes comme ceux de la durée du travail ou de la sécurité par exemple.
Le Comité d’Entreprise (CE), dans sa consultation à propos de la marche générale de l’entreprise (consultation sur l’organisation du travail et sur l’élaboration du règlement intérieur).
Le Comité d’Hygiène de Sécurité et des conditions de Travail (CHSCT): sa participation à l’élaboration du règlement intérieur peut l’amener à se prononcer sur des règles de restrictions vestimentaires ou liées à la sécurité.
Enfin, les délégués syndicaux (DS) peuvent négocier sur tous ces aspects. Ainsi peuvent-ils aborder la question des discriminations (que celles-ci soient considérées comme positives ou négatives) au titre de l’article 10 de l’ANIdiversité. L’accord national interprofessionnel (ANI) sur la diversité du 12 octobre 2006 est le premier texte signé par des partenaires sociaux (organisations patronales et syndicats de salariés) visant à promouvoir la diversité dans les entreprises.
Dans ce passage sur le cadre juridique dans lequel s’inscrit le fait religieux, j’ai eu le souci d’articuler libertés fondamentales etrestrictions liées au travail. On peut ainsi mesurer l’importance de l’articulation entre les deux. Et bien évidemment les difficultés qui émanent d’une telle imbrication.

CARACTERISTIQUES DU FAIT RELIGIEUX DANS L’ENTREPRISE

Le fait religieux semble aujourd’hui avoir envahi la société civile par le biais d’une actualité souvent dramatique. Il est important de dépasser ce contexte émotionnel pour s’interroger de façon pérenne sur l’insertion du fait religieux au sein de l’entreprise. J’ai bordé cette étude à la seule entreprise privée, étant entendu que la dimension déontologique des services d’Etat soulève d’autres problématiques et appelle d’autres réponses. C’est également un choix de recherche d’exclure le milieu professionnel médical, social et scolaire, alors que paradoxalement, ce sont cesdits milieux qui historiquement relevaient des congrégations religieuses.
Dans ce cadre, je vais à présent préciser les différences et incidences relevées pour les principales pratiques religieuses.

LE FAIT RELIGIEUX LIE A L’ISLAM

« Dans 95% des cas, la religion concernée est l’Islam », c’est ce que déclare Lionel Honoré, dans une interview en septembre 2016 pour Entreprises et Carrières.
Dans les années 60, le groupe PSA a eu l’occasion d’aborder la question du fait religieux. Un collectif de salariés, masculins et fraichement immigrés sur le territoire français, s’est organisé afin de demander une salle de prière dans l’usine. La direction a favorablement accueillila demande. Le contexte d’alors est celui de l’Islam, mais surtout celui de la première génération, dans le cadre de la pénurie de main d’œuvre. Aujourd’hui, plus de 50 ans et deux générations plus tard, le fait religieux problématique lié à l’Islam ne revêtplus les mêmes facettes. En premier lieu, la donne économique a changé et le marché de l’emploi a évolué. D’autre part, les salariés sont de nationalité française et
ont suivi un parcours éducatif laïque et républicain. Par contre, leurs revendicationsreligieuses sont
souvent perçues comme identitaires dans le cadre de la croissance des pratiques islamiques en Europe. Ceci est dû aux incompréhensions et amalgames liés aux attentats de janvier et novembre 2015 en France qui engendrent une vision orientée de l’Islam. On mesure aussi combien cette thématique est le reflet d’une fracture sociale et ce qu’elle exprime des questionnements liés à notre idéal d’intégration.
Dans les faits, les demandes ont aujourd’hui un caractère plus individuel et n’émanent plus de collectifs comme par le passé. Elles ont fondamentalement peu évolué. Il s’agit de la pratique du jeûne, de la demande de congés pour fêtes, de la possibilité de prier et du respect des préconisations alimentaires.
Par contre, l’enquête menée par l’OFRE-Randstad fait état d’éléments que je note comme étant nouveaux et liés au travail féminin : le port de signes religieux (il s’agit du voile) et les relations hommes-femmes en situation de travail (refus de saluer une femme, refus de respecter les ordres et consignes données par un supérieur hiérarchique féminin). C’est d’ailleurs l’objet d’une étude menée par le cabinet de conseil InAgora, spécialisé dans la compréhension et la maîtrise du fait religieux en entreprise. Le rapport complet de l’étude n’est pas libre de droits, toutefois une présentation est disponible sur le site internet du cabinet. La population de l’enquête est exclusivement féminine, musulmane, croyante et pratiquante. Parmi les 250 femmes interrogées, 60% considèrent la pratique sur le lieu de travail comme très importante, aucune ne considère la pratique comme non primordiale ou peu importante. La pratique envisagée comme prioritaire est celle de la prière (64%).
La prière est le seul des cinq piliers de l’Islam qui exige une pratique quotidienne, contrairement aux autres piliers (profession de foi, aumône, jeûne du Ramadan et pèlerinage à la Mecque). Autres pratiques plébiscitées, celles lié à la pudeur (34%) : porter un foulard (ou voile), garder une « distance pudique avec leurs collègues masculins en préférant ne pas serrer la main, et encore moins embrasser ces collègues le matin ». Cette étude a été réalisée dans l’intention de permettre une meilleure connaissance des comportements religieux et de leurs fondements. Pour mon travail, ses extraits ont fourni de précieux exemples de terrain enrichissant la réflexion nourrie par la recherche scientifique.

LE FAIT RELIGIEUX CHRETIEN

L’étude SocioVision de Novembre 2014 indique que la religion catholique reste la plus représentée en France, avec 48% de la population française qui s’y déclare rattachée, contre 6% par exemple pour l’Islam, 2% de chrétiens protestants et 1% pour le bouddhisme ainsi que pour la religion juive.
A l’occasion d’une conférence donnée à la CCI de Grenoble en juin 2015, l’Evêque du diocèse de Grenoble, Guy de Kerimel, a déclaré : « L’être humain est un tout ; il n’existe pas de frontière hermétique entre vie privée et vie professionnelle et il n’est pas possible de renvoyer la foi à la sphère privée (…). Si le chrétien préfèrera en général prier chez lui, le véritable croyant ne dissociera pas sa religion de sa vie professionnelle».
Est-ce le caractère des racines judéo-chrétiennes de la France qui insuffle une invisibilité du fait religieux chrétien ?
Certes, sur onze jours fériés inscrits au code du travail (article L3133-1), six sont liés à des fêtes chrétiennes. Peu de revendications peuvent émerger sur ce plan. La religion catholique ne formule aucun interdit alimentaire et n’impose pas d’exigences vestimentaires.
Pourtant, ce fait religieux existe. Il est par contre peu visible. Il ne donne pas lieu à des manifestations revendicatives ni sociales. S’il est militant, c’est dans le cadre fort discret du syndicalisme représentatif de la Confédération Française des Travailleurs Chrétiens (CFTC). Le syndicat qui dans son nom affiche une appartenance religieuse, s’abstient de toute référence explicite à ladite communauté dans ses communications, outre le dessin d’une colombe apposé à son logotype.
Il peut par contre se manifester de manière beaucoup plus sensible, voire surprenante, ausein de grands groupes nationaux. Ainsi le discours du PDG de DANONE, Emmanuel FABER aux élèves d’HEC en juin 2016 qui a fait le buzz sur les réseaux sociaux. Le dirigeant, ancien élève d’HEC, qui ne cache pas sa sensibilité catholique, et a reçu le prix de l’Humanisme Chrétien en 2012, s’adresse ainsi aux jeunes diplômés. Il évoque son frère, malade, ami des plus démunis, en illustrant ainsi l’idée que la justice sociale est l’enjeu de la globalisation de l’économie et de l’écologie. Il insiste sur la nécessité de partager. Son invitation à fuir l’esclavage de l’argent, du pouvoir et de la gloire pour au contraire aller vers une influence au service des plus pauvres est un leitmotiv. Enfin il recommandera à chacun, au cours de sa carrière professionnelle d’être toujours à la recherche de « son propre frère », celui qui relie la personne au monde et aux autres.
Une oreille profane louera des qualités de bienveillance ; la presse en reconnaissant la perfection de l’orateur questionne la parole au regard des actes. Le chrétien, lui, reconnait dans ce discours, certains termes empruntés au Pape François et les ingrédients de la doctrine sociale de l’Eglise. Le quotidien La Croix ne donnera aucune explication de texte, se contentant de transcrire (et traduire la partie en anglais) et publier le discours dans son intégralité, intitulant l’article « Qui est votre frère ?».

DES OUTILS DE MESURE

LES ETUDES DE L’OFRE-RANDSTAD

Créé par Lionel HONORE, l’OFRE est à l’origine une chaire de recherche rattachée à Sciences Po
Rennes. Le groupe Randstad, dans le cadre de la responsabilité sociétale des entreprises, poursuivait une réflexion sur le fait religieux en entreprise depuis 2008. En 2013, les deux organisations publient en association cette étude du Fait religieux en Entreprise. Depuis, tous les ans au printemps, paraissent les résultats de cette étude. Ce qui est intéressant pour moi, c’est que la méthode de recherche est stable et que les résultats peuvent d’année en année êtrecomparés et donner lieu à des interprétations. L’accès aux résultats de l’enquête est publicet a constitué un matériau précieux, voire inestimable, pour ma présente recherche, mais également dans le cadre du projet qui m’a été confié par mon employeur.
Dans la préface de l’enquête de 2016, les auteurs explicitent l’ambition de leurtravail: « rendre compte d’un phénomène devenu au fil des ans, non pas un fait de société, mais un fait social à part entière ». Ils déclarent même être en capacité de livrer des résultats inédits,car « pour la première fois en quatre ans, la part des personnes interrogées déclarant observer de façon régulière ou occasionnelle des faits religieux dans leur situation de travail (65%) est supérieure à la part des répondants les ayant observés soit rarement, soit jamais (35%) En 2015, chacune des deux parts totalisaient 50%».
L’OFRE peut donc se situer en amont d’un phénomène et en observer la mutation. D’ailleurs, les auteurs se posent la question de ce que signifie cette progression du fait religieux en entreprise. « Elle témoigne selon [eux] d’un mouvement de banalisation. Les salariés semblent moins réticents à exprimer, dans le cadre de l’entreprise, les éléments constitutifs de leur identité». Pour ma part, je pose aussi la question de la réussite non encore assumée de la mise en place des programmes de diversité. Ou encore une maitrise approximative des managers de salariés ayant été recrutés par un service RH focalisé sur les qualités humaines (soft-skills) de l’individu dépassant la recherche unique ses compétences techniques (hard-skills).

Fréquence et forme du fait religieux

Les résultats sont à lire dans leur contexte : de 2013 à 2015 les auteurs voient une croissance du fait religieux et soulignent la complexité de résolution de celui-ci par les entreprises. En 2016, leur constat est certes une croissance du fait religieux, mais ils soulignent sa banalisation de deux façons. D’abord, une acceptation sociétale dans le cadre d’unelaïcité qui est mieux comprise, en particulier depuis l’affaire Baby-Loup qui aura permis de différencier le cadre public du cadre privé. Ensuite une audace plus assurée de la part des salariés à mettre en avant ce qui est constitutif de leur identité, entre autres leur spiritualité, et ainsi leur adhésion à la foi d’une religion.
Ils montrent également, grâce aux différentes affaires médiatisées, que les RH auraient décomplexé leur approche de gestion du fait religieux. L’étude évoque que « les questions liées à la place des religions et des comportements religieux dans lasociété sont devenues plus sensibles ces dernières années. De ce fait, les comportements et situations ayant une dimension religieuse directe ou indirecte sontdavantage et plus rapidement repérés ».

LA GRILLE DE GALINDOET ZANNAD

Les études sur la question des liens entre organisations et religion témoignent d’unintérêt des Sciences de Gestion pour la question. Manifestement, une évolution chronologique à très court terme est observable dans le traitement par les organisations du fait religieux. La littérature, timide il y a encore quelques années, s’est considérablement enrichie depuis 2014, et me permet ce constat. C’est un sujet qui au regard de l’actualité médiatique a été pris à bras le corps par les organisations, démunies il y a encore une quinzaine d’années et beaucoup plus sereines actuellement. C’est ce que je vais tenter d’éclaircir à présent.
En 2008, Patrick BANON publie un ouvrage dans lequel il observe le changement lié à la globalisation des cultures et la libre circulation des individus, des idées. Il note ainsi qu’au-delà d’une simple « interaction sociale il s’agit de faire cohabiter, dans un espace partagé plus de 4 000 formes de croyances religieuses, de divinités et de cultes ». Il juge le « monde du travail inévitablement en première ligne de cette « révolution théoculturelle », et les entreprises enprise directe avec cette diversité
En 2010, Géraldine GALINDO et Joëlle SURPLY ont travaillé sur l’impact sur le management de la montée de la diversité religieuse et des revendications religieuses au travail. Elles ont montré le rôle du gestionnaire des ressources humaines, jusqu’alors peu impliqué, ces questions étant souvent gérées sur le mode de « l’arrangement» par le manager.
Entre 2011, et jusqu’en juin 2014, « l’affaire Baby-Loup a eu le mérite de mettre cette question à l’agenda tantpolitique, que médiatique ou juridique mais a aussi donné à nombre d’entreprises l’occasion de [se saisir du fait religieux] et de commencer ou de continuer à s’interroger».
Les travaux de recherche de 2010 et 2012 de Géraldine GALINDO et Hédia ZANNAD permettent un rétro éclairage sur la préhension du fait religieux dans les grandes entreprises. Ainsi, les auteurs dégagent trois grands mouvements : celui de traiter le fait religieux comme une affaire personnelle,une affaire organisationnelle, ou plus généralement comme un héritage sociétal.

Analyse de la relation de l’individu à la religion

Faut-il considérer le fait religieux comme une affaire individuelle, liée à l’identité propre de chaque salarié, qui par ses actes visibles ou moins visibles met en avant ou non ses convictions ?
Dans ce cadre c’est son identité personnelle qu’il choisit ou non de fusionner avec son identité au travail. Il ne faudrait toutefois pas négliger l’aspect communautaire lié à la religion, qui par la force des choses peut se déplacer. On verrait alors qu’une somme d’individus se reconnaissant à la fois d’une même religion et travaillant dans une même entreprise s’organise en collectif.
« Cette dimension identitaire est évoquée par BOUZAR et BOUZAR (2009) lorsqu’elles affirment, à l’endroit des jeunes musulmans enfants d’immigrés, qu’ils remettent en cause la discrétion que leurs pères s’étaient imposés. Dans leur désir d’être reconnus individuellement et collectivement, dans leur volonté d’affirmer leur identité, dans leur prise de conscience, enfin, de leur discrimination dans la société française, ils en appellent bruyamment aux références de l’Islam, qui devient pour eux une manière d’exister (…)».  L’entreprise doit donc être en mesure d’appréhender une relation individuelle du salarié à sa religion, s’exprimant individuellement ou collectivement. Elle ne saurait négliger que cette relation à la religion n’est ni immuable, ni statique. Si le fait religieux est une affaire organisationnelle, à ce titre l’entreprise enrichit sa gestion comme faisant part d’un projet plus large qui serait celui de la conciliation de la vie privée avec la vie professionnelle. Elle pourrait ainsi faire un choix de gestion qui isolerait complètement le fait religieux au motif économique ou idéologique. Elle pourrait également le traiter avec paternalisme, en intégrant le fait religieux au même titre qu’elle traite les demandes personnelles, et balayer ainsi sa dimension religieuse. Enfin, elle pourrait également dans ce cadre traiter la question au titre du respect de la diversité cherchant à concilier l’organisation du travail avec les exigences rituelles. Il s’agirait alors de comprendre ceux-ci afin de ne pas faire d’erreur d’appréciation et de prévoir un cadre de justification et de modifications. Cette approche soulève la question de la gestion de la diversité et de l’engagement de l’entreprise dans ce sens.
Enfin, pour gérer le fait religieux, une approche pourrait être celle d’un héritage sociétal. « Au plan sociétal, les représentations idéologiques qu’ont les managers et les salariés pratiquant des notions de laïcité, de neutralité et de frontière entre espace sacré et profane jouent un rôle clé dans la nature des demandes et des réponses qui seront faites en matière religieuse. Des managers qui considèrent l’entreprise exclusivement comme un espace profane adoptent plus fréquemment une attitude de refus à l’égard des demandes religieuses que des demandes de nature non religieuse même si elles ont les mêmes conséquences en termes d’organisation de leur service ou de travail d’équipe (par exemple, une pause -cigarette ou une pause prière, un congé pour fête religieuse ou un congé laïque).(…). Ceux qui envisagent l’entreprise comme strictement profane s’intéressent tout autant à la nature et aux causes de ces revendications qu’à leurs conséquences pratiques : si elles sont d’ordre religieux, elles seront considérées comme illégitimes».
En France, une tradition centenaire d’exclure la religion de certaines sphères a nécessité un recadrage, aux dépens de certaines entreprises car l’entreprise privée en est exclue; il semblerait que cette approche soit de moins en moins plébiscitée, les polémiques autour du cas de PAPREC ayant nourri l’aide à la décision. Pour rappel, PAPREC est une entreprise qui a mis en place une charte de la laïcité et de la diversité en huit points , où la neutralité religieuse est de rigueur et toute manifestation religieuse interdite, au risque de restreindre une liberté fondamentale.

Différentes postures adoptées par les entreprises

A travers cette grille de lecture des appréhensions du fait religieux, il apparait que des stratégies de gestion se dessinent. GALINDO et ZALAD font ainsi apparaitre trois types de postures adoptées par les entreprises : la posture de déni, d’acceptation ou de compromis.

La posture de déni

La posture du déni est celle qu’adoptent, d’après les auteurs, les entreprises qui « refusent catégoriquement de prendre en compte la diversité religieusedans leur organisation et leur management. Deux types de raisons sont généralement invoqués : l’impératif de neutralité et le risque de prosélytisme ». Dans cette posture de déni, également qualifiée par les auteurs de refus, les impératifs de neutralité sont mis en avant. Dans le cas de PAPREC, on vient de le voir, la direction se réclame de la République (c’est la mention du Préambule) ou justifie ses mesures pour favoriserle « bien-vivre ensemble au sein de notre entreprise ». D’autres entreprises mettent en avant la question de la neutralité exigée par l’activité de l’entreprise, par exemple une prestation de service public, qui entend que l’entreprise serait laïque, c’est-à-dire areligieuse. J’adresse dans ce cas un point d’attention, qui est celui d’un nécessaire contrôle très strict par l’organisation, contrôle parfois exigeant et lourd dans sa mise en œuvre. Et je cite comme exemple, issu d’une rencontre avec un cadre dirigeant du groupeExpectra (filiale du groupe Randstad) en juin 2017, une société de transport en commun d’une grande agglomération face à des cas de manifestations religieuses difficiles à gérer. Comment contrôler un chauffeur de bus, qui commet une faute dans le non-respect de son contrat de travail en ne s’arrêtant pas à l’arrêt oùune femme seule attend ? La réponse juridique peut paraitre simple, mais sa mise en œuvre coûteuse pour l’organisation qui doit mettre en place des systèmes de surveillance et de contrôle sur un réseau tentaculaire.
La posture de déni se justifie également par le risque de prosélytisme. Là encore, je me permets une remarque liée à la mesure d’un tel risque. Comment évaluer le prosélytisme ? Qu’est-ce que le prosélytisme ? L’observatoire de la laïcité, en la personne de Nicolas Cadène, rapporteur général de l’Observatoire de la laïcité auprès du premier ministre, à l’occasion de son discours d’ouverturelors d’un colloque au Barreau de Paris en mai 2017 qualifie le prosélytisme comme un critère objectif défini par la jurisprudence : le « prosélytisme (qui est caractérisé par un comportement et nonun signe) ;exemple : une salariée de confession chrétienne distribuedes tracts anti-avortement d’une église (…) ». Pour ma part, je me réfère à la définition du Petit Robert : « zèle déployé pour répandre la foi, et par extension, pour faire des prosélytes, recruter des adeptes» et constate le gouffre abyssal existant entre un comportement de distribution de tracts, de quelque nature soient-ils, avec le recrutement d’adeptes. Car le prosélytisme est en lui-même un acte de foi.

Le rapport de stage ou le pfe est un document d’analyse, de synthèse et d’évaluation de votre apprentissage, c’est pour cela chatpfe.com propose le téléchargement des modèles complet de projet de fin d’étude, rapport de stage, mémoire, pfe, thèse, pour connaître la méthodologie à avoir et savoir comment construire les parties d’un projet de fin d’étude.

Table des matières
INTRODUCTION 
PARTIE 1 –CONTEXTE SOCIAL ET LEGAL 
CHAPITRE I – REPERES TERMINOLOGIQUES
I. Laïcité
II. Diversité
III. Discrimination
IV. Fait religieux
CHAPITRE 2 – LE CONTEXTE LEGAL FRANÇAIS
I. Le cadre Constitutionnel : liberté de religion, de croyance et non-discrimination
II. Le code du travail : non-discrimination, pouvoir de direction et dialogue social
CHAPITRE 3 – CARACTERISTIQUES DU FAIT RELIGIEUX DANS L’ENTREPRISE
I. Le fait religieux lié à l’Islam
II. Le fait religieux Chrétien
III. Le fait religieux lié aux autres pratiques religieuses
PARTIE 2 –REALITES RELIGIEUSES ET ENTREPRISE 
CHAPITRE 4 – DES OUTILS DE MESURE
I. Les études de l’OFRE-RANDSTAD
II. La grille de GALINDO et ZANNAD
CHAPITRE 5 – ETUDE DE CAS EMBLEMATIQUES OU CONFIDENTIELS
I. Etude de la charte de la laïcité et de la diversité de PAPREC
II. MICROPOLE UNIVERS : le foulard et le client
III. Le cas du GROUPE CASINO : la diversité, une stratégie RH et commerciale
IV. LA POSTE : un guide ne saurait tout régler
V. Le cas du GROUPE HERVE : la religion fondement de l’entreprise
VI. Cas pratique : radicalisation d’un salarié de la RMN
CHAPITRE 6 – LES RELIGIONS ET LE TRAVAIL
I. La religion juive
II. La religion chrétienne
III. La religion musulmane
PARTIE III –MES PROPOSITIONS
CHAPITRE 7 – MUTUALISER LES BONNES PRATIQUES
I. Le Guide du ministère du Travail
II. Un calendrier indiquant les fêtes des différentes traditions
III. Consolider la visibilité des instances médiatrices ou religieuses
CHAPITRE 8 – IMPLIQUER LES IRP 
I. Une position privilégiée de veilleurs
II. Incontournables dans l’approbation du règlement intérieur
CHAPITRE 9 – LA FORMATION
I. Connaissance et savoir-faire : un angle légal
II. Connaissance et savoir-faire : la diversité cultuelle
III. Connaissance, savoir-faire, savoir être : des propositions nouvelles
CONCLUSION

Rapport PFE, mémoire et thèse PDFTélécharger le rapport complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *