Le caractère multifonctionnel de l’agriculture
Le concept de développement durable
Le concept de développement durable remonte aux années 70, au Club de Rome et à la Conférence des Nations Unies sur l’Environnement humain de Stockholm (1972), à l’issue de laquelle fut proposé le concept d’éco‐développement2. Les pluies acides, le trou dans la couche d’ozone, l’effet de serre furent des éléments qui ont peu à peu sensibilisé l’opinion publique et la société civile. C’est ainsi qu’en 1987, la Commission mondiale sur l’Environnement et le Développement3 proposera, dans le rapport Bruntland, du nom de la présidente de cette Commission, la définition du développement durable la plus communément admise aujourd’hui, à savoir: le développement durable est « un développement qui répond aux besoins des générations du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs ».
Ce concept repose sur les notions de « durabilité » environnementale, économique et sociale, en définissant le caractère durable comme la réunion du « viable », du « vivable » et de « l’équitable ». Figure 1: Schéma du développement durable En 1992, le Sommet de la Terre qui se tenait à Rio, a été marqué par l’adoption d’un texte fondateur de 27 principes, intitulé « Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement », lequel précise et consacre la notion de développement durable. Cette déclaration témoigne de deux grandes préoccupations apparues pendant lʹintervalle de vingt années séparant les deux conférences (Stockholm et Rio): la détérioration de lʹenvironnement, notamment de sa capacité à entretenir la vie, et lʹinterdépendance de plus en plus manifeste entre le progrès économique à long terme et la nécessité dʹune protection de lʹenvironnement4 (Nations Unies, 1993). Les principes suivant illustrent particulièrement bien ce propos :
‐ « Les êtres humains sont au centre des préoccupations relatives au développement durable. Ils ont droit à une vie saine et productive en harmonie avec la nature. » (principe 1) ‐ « Pour parvenir à un développement durable, la protection de l’environnement doit faire partie intégrante du processus de développement et ne peut être considéré isolément. » (principe 4)
L’agriculture s’est très vite retrouvée au coeur de cette réflexion de par son caractère multifonctionnel en englobant toute la gamme des fonctions écologiques, économiques et sociales5. En effet, au‐delà de sa fonction traditionnelle et vitale de production d’aliments, de fibres et de combustibles, l’agriculture est également source de création de richesses et donc de développement économique et social. Elle revête aussi une fonction environnementale forte : plus que tout autre activité, elle dépend du renouvellement des ressources naturelles qu’elle valorise, et « en tant que gestionnaire d’une grande partie du territoire, l’agriculture préserve les paysages et les espèces, et assure de cette manière la biodiversité des milieux agricoles » 6. Ainsi « l’analyse de ce caractère multifonctionnel aide à comprendre les liens, synergies et arbitrages qui peuvent aider à assurer la durabilité à long terme de l’agriculture »7. Cette réflexion plus globale autour des fonctions de l’agriculture a conduit à raisonner sur le long terme d’une part mais également à intégrer l’agriculture ‐stricto sensu‐ dans un contexte plus large, notamment par l’intermédiaire du concept de « filière ».
La notion de filière « Le concept de filière a été imaginé par les économistes industriels pour faire référence à un ensemble d’activités liées dans un processus de production‐transformation‐distribution d’un bien ou d’un service » (Bencharif et Rastoin, 2007)8. Le pilotage récent et progressif de la production agricole par l’aval, a plus particulièrement mis en exergue le concept de filière agroindustrielle (Pérez et Rastoin, 1989, Aurier et al., 2000). Toutefois la lecture agricole et agroalimentaire de cette notion n’est pas si récente. Elle est issue des premiers travaux d’économie agro‐industrielle, de Golberg et Davis (1957), qui ont développé le concept d’agribusiness. Ayant étudié les filières du blé, du soja et des agrumes, il semblait initialement désigné plutôt des filières ou un ensemble de filières, avant de faire plus précisément référence à l’agroindustrie9 (Rastoin, 1995). Pour Goldberg (1968), cité par Rastoin (2007), «l’approche [filière, commodity system] englobe tous les participants impliqués dans la production, la transformation et la commercialisation d’un produit agricole. Elle inclut les fournisseurs de l’agriculture, les agriculteurs, les entrepreneurs de stockage, les transformateurs, les grossistes et détaillants permettant au produit brut de passer de la production à la distribution ».
Trois types d’outils permettent d’étudier une filière : l’approche système qui considère la filière comme un système décomposé à son tour en sous‐systèmes ; l’économie industrielle qui permet d’analyser l’ensemble des relations permanentes et réciproques ente les stratégies de firmes et les structures de la filière ; et enfin les outils de management telles que les analyses de coûts, les analyses stratégiques, ou la théorie de l’information et ses applications informatiques (Montigaud, 2007). L’intérêt de cette approche « consiste à éclairer les zones d’ombre sur le circuit d’un produit, de la fourche à la fourchette, c’est‐à‐dire de l’acte de production jusqu’à l’acte de consommation »10 (Duteurtre, 2000). Elle permet ainsi de « déterminer les relations d’interdépendance technique, économique et organisationnelle entre les différents acteurs mais également avec l’environnement »11 (Dieye, 2003) et comme Bencharif (2005) le précise si bien, sa « richesse […] réside certainement dans sa capacité à saisir la complexité croissante du réel »12.
En effet, de par le processus de mondialisation et de libéralisation des économies, de nouvelles formes de coordination des activités se sont mises en oeuvre. L’innovation technologique et le développement des moyens de communication ont complexifié les relations et les échanges et ont multiplié les interdépendances entre les agents, les biens et les services. Ainsi il apparaît aujourd’hui délicat d’isoler un élément de son environnement, et particulièrement l’agriculture, qui comme nous l’avons précisé, est multifonctionnelle.
. L’Analyse de Cycle de Vie : une méthode d’évaluation combinant les approches développement durable et filière De par l’épuisement des ressources naturelles non renouvelables et les impacts environnementaux et socio‐économiques majeurs, les problématiques énergétiques et environnementales se sont rapidement imposées au coeur des préoccupations sociales, institutionnelles et industrielles.
Ce contexte explique l’accroissement des initiatives méthodologiques et des travaux de recherche en cours13, cherchant à mesurer ces impacts, tous secteurs confondus. Une méthode semble cependant faire plus particulièrement consensus, notamment depuis sa normalisation (ISO 14040/14044) : l’Analyse de Cycle de Vie (aussi appelée ACV14 ou écobilan). Cette méthode répond en quelque sorte aux deux logiques précédemment exposées. En effet, elle se base à la fois sur la notion de développement durable en « permettant de quantifier les impacts [environnementaux] d’un produit (qu’il s’agisse d’un bien, d’un service voire d’un procédé) », ainsi que sur la notion de filière puisque l’évaluation s’étend sur l’ensemble du cycle de vie, « de lʹextraction des matières premières […] jusquʹà son élimination en fin de vie, en passant par les phases de distribution et d’utilisation, soit du berceau au tombeau » 15 (cradle to grave en anglais) (ADEME, 2005).
Ainsi elle présente l’avantage d’aborder l’évaluation d’un point de vue global (vs local : analyse de risques) et multicritère (vs monocritère : bilan carbone®). Cela permet d’une part de repérer les impacts dominants, mais également les éventuels déplacements de pollution. LʹACV permet en outre la mise en perspective des différents types dʹimpacts repérés et de comparer des produits ou des services en termes de coûts environnementaux. LʹACV est donc un outil important dʹaide à la décision stratégique16 (LERM, 2007). L’ACV est à la fois une procédure, c’est‐à‐dire une suite d’étapes standardisées, mais aussi un modèle mathématique permettant de transformer des flux en impacts environnementaux potentiels. Les catégories d’impacts sont multiples, toutefois les principaux impacts sont l’effet de serre, l’acidification, l’eutrophisation, l’écotoxicité, l’ozone stratosphérique, l’oxydation photochimique et l’épuisement des ressources (Hélias, 2008)17. Ce type d’analyse trouve ses origines dans les travaux des industriels et des chimistes (première étude multicritère Coca‐Cola en 1969 menée par Harry et Teastley) et notamment dans les études visant à optimiser les consommations énergétiques, dans un contexte où des consommations d’énergie fortes représentaient une contrainte pour les industriels (coût, boycott possible…). La variable énergétique a ainsi joué un rôle primordial de façon générale, et en agriculture en particulier.
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Table des matières
INTRODUCTION
CHAPITRE 1 : LA QUESTION DE RECHERCHE
1.Contexte
1.1. Le concept de développement durable
1.2. Le caractère multifonctionnel de l’agriculture
1.3. La notion de filière
1.4. L’Analyse de Cycle de Vie : une méthode d’évaluation combinant les approches développement durable et filière
2.La problématique énergétique comme point de départ
2.1. Constat : une interpellation tridimensionnelle
2.2. La filière Fruits et Légumes particulièrement concernée
3.Mise en évidence de la problématique générale et des enjeux
CHAPITRE 2 : CONCEPTS ET METHODES
1.Revue de littérature
1.1. Remise en cause des méthodes conventionnelles…
1.2. mais quelques travaux intéressants
1.2.1. Le haricot vert du Kenya
1.2.2. Les pommes de Nouvelle‐Zélande
1.2.3. Le fromage de Nouvelle‐Zélande
1.2.4. Remarques
2.Présentation de la filière Fruits et Légumes
2.1. Un dispositif complexe
2.2. L’organisation logistique comme clé de lecture de la filière
3.Proposition d’une méthode d’évaluation
3.1. Intérêt méthodologique et objectif
3.2. Cadrage méthodologique et hypothèses
3.2.1. Définition
3.2.2. Unité de compte
3.2.3. Origine des données et matrice des coefficients
3.2.4. Frontières du système étudié
3.2.4.1. La phase de production
3.2.4.2. La phase de conditionnement
3.2.4.3. La phase de transport
3.2.4.4. Le traitement des déchets
3.3. Contenu de la grille
3.3.1. La phase de production
3.3.1.1. Les consommations directes d’énergie
3.3.1.2. Les consommations indirectes d’énergie
3.3.1.3. Les consommations induites par le capital
3.3.2. La phase de conditionnement
3.3.3. La phase de transport
CHAPITRE 3 : ETUDE EMPIRIQUE : LE CAS DE LA FILIERE TOMATE
1.Organisation de l’étude
1.1. Origine des données
1.2. Frontières du système étudié
2.Justification du cadre empirique
2.1. Le choix du produit
2.2. Les zones d’étude
2.2.1. Le marché de la tomate dans le monde et en France
2.2.2. Le choix des pays et des régions de production
3.Présentation des filières selon les zones d’étude
3.1. L’organisation générale de la filière
3.2. Caractérisation des systèmes de production
3.3. Caractérisation de la phase de transport
4.Hypothèses et résultats
4.1. La production
4.2. Le conditionnement
4.3. Le transport
5.Synthèse et discussion
5.1. Cas où l’emballage et le substrat ne sont pas considérés
5.2. Cas où l’emballage et le substrat sont considérés
Limites et propositions
CONCLUSION
LISTE DES SIGLES, ABREVIATIONS
TABLE DES ILLUSTRATIONS
TABLE DES TABLEAUX
BIBLIOGRAPHIE
WEBOGRAPHIE
ANNEXES
Annexe 1 : Matrice des coefficients énergétiques
Annexe 2 : Equivalence entre les unités énergétiques
Annexe 3 : Liste des personnes ressources
Annexe 4 : situations des zones de production
Annexe 5: Calcul du coût énergétique d’un plateau carton
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