Le CAMSP, heritier d’une histoire

Lors de ma première année, un cours d’expressivité du corps m’a fait explorer la kinésphère . À l’écoute de mes sensations corporelles, je m’étais décrite « ma bulle»: sa forme, sa consistance, sa perméabilité, son adaptation vis-à-vis des autres, mais aussi ma manière de l’habiter. Cette séance m’a saisie, je mettais le doigt sur une notion sur laquelle je m’étais appuyée de manière empirique, en tant que travailleuse sociale, pour m’ajuster dans la relation à l’autre. Mais, force était de constater à quel point elle avait évolué, à quel point elle s’était fragilisée sur le chemin chaotique d’une crise institutionnelle. Cette formation pour devenir psychomotricienne m’a nourrie de bien des manières. J’ai pu constater une modification qualitative de cette kinésphère, notamment au travers des pratiques psychocorporelles. Je l’ai sentie redevenir plus consistante moins poreuse aux diverses agitations ambiantes. J’ai pu à nouveau mettre en œuvre ce jeu d’ajustement dans les différents suivis que j’ai accompagnés durant mes stages. Mais en cette dernière année, l’accompagnement d’une dyade mère-enfant est venue faire écho à cette notion de kinésphère et d’enveloppe institutionnelle. Avec en toile de fond une interrogation récurrente : N’y aurait-il pas à s’enquérir de ce qui se joue en arrière fond du théâtre afin de mieux saisir ce qui se donne à voir sur le devant de la scène ? En travaillant dans le secteur de la petite enfance, nous ne pouvons qu’avoir en tête cet adage de Winnicott « un bébé seul n’existe pas » (Winnicott, 1972, p. 115). Force est de constater, de notre place de stagiaire allant d’institution en institution que nous pourrions étendre la formulation à « un psychomotricien seul n’existe pas ». Nous constatons bien souvent l’importance de ce cadre muet, le jour où nous devons faire face à ces dysfonctionnements. Pourtant son impact est constant et la question institutionnelle me semble être au cœur de nos pratiques. Comment une institution vient orienter singulièrement notre clinique ? Comment sommes-nous liés aux différents mouvements qui la traversent ? Ces questions pourraient se poser à chacun de nous. À notre arrivée, nous y entrons et y découvrons des singularités. Nous nous y ajustons. Elle nous marque de son empreinte, parfois bien longtemps après l’avoir quittée. Cette invisible est liée à nous de manière dynamique, elle nous façonne autant qu’elle nous laisse l’espace pour interagir avec elle et déployer notre créativité.

Poser le décor

Ancienne éducatrice spécialisée, j’ai de nombreuses fois été confrontée, dans le discours de parents d’adultes accompagnés en foyer d’hébergement, au « traumatisme » (Korff-Sausse, 1996, p. 36) des premières années. Il semblait dans leur discours que cette période restait figée parfois même de longues années après. Jusqu’au seuil de leur propre mort, ils me livraient cet énième récit sur cette période si marquante, comme une plaie béante à jamais ouverte. Qu’elle tombe tel un couperet à la naissance ou qu’elle résulte d’une plus longue exploration, l’annonce du handicap ou du moins la mise en exergue d’un « retard », d’un écart à la norme se fait souvent dans ces premières années de vie. Dans son sillage, elle contraint les parents à consulter régulièrement une structure dite « spécialisée » pour qu’un accompagnement efficient de leur jeune enfant puisse se faire. La petite enfance me semble alors être un moment décisif, une sorte de « croisée des chemins » entre le développement d’un sujet en pleine émergence et les conséquences familiales et sociales. C’est pour cet accompagnement du jeune enfant, dans une prise en compte systémique des retentissements induits au sein de la famille, que je me suis tournée vers ce lieu d’action précoce. J’effectue mon stage de dernière année au sein d’un Centre d’Action Médico-Social Précoce (CAMSP).

Le CAMSP, héritier d’une histoire

Chaque CAMSP a une histoire singulière. Que sa création soit liée au combat d’une vie pour une cause ou découle d’un appel d’offre, elle est toujours inscrite dans un temps et un lieu bien précis qui déterminera des pratiques mais aussi possiblement des représentations des missions qui lui sont confiées. L’institution, dans laquelle j’évolue pour cette dernière année, est un CAMSP polyvalent qui possède un agrément de 115 places. Il est géré par une association loi 1901, reconnue d’utilité publique, qui a été créée en 1965. Il n’est pas possible dans le cadre de cet écrit de révéler son histoire, d’où elle est née, par souci de discrétion. Et pourtant, quel intérêt cela représenterait-il ! Ne dit-on pas qu’un « peuple qui oublie son passé n’a pas d’avenir » ? Je vais tenter par contre de développer quelques repères historiques afin de mieux comprendre pourquoi nous en sommes arrivés à parler d’une culture de l’action médico-sociale précoce.

Période des origines

En France dans les années soixante, grâce à l’engagement de pionniers dont Janine Levy est une figure, des actions sont entreprises pour s’occuper au plus tôt des bébés à risques ou porteurs de handicap ainsi que de leurs parents. À une époque où l’idée qu’on se fait du bébé, et particulièrement du bébé handicapé, est bien loin de l’assertion : « le bébé est une personne » (Brazelton, 1984), elle part des capacités de l’enfant afin de redonner confiance aux parents. Dans des conditions difficiles, une équipe se forme et démarre un travail qui tend à prouver la nécessité de cette action précoce, en utilisant des supports visuels. En 1971, le Centre d’Aide à l’Enfant Rozanoff naît avec un souci particulier accordé à l’aménagement ergonomique, confortable et moderne, ceci dans le but de soigner l’accueil réservé aux familles. Il sera un lieu d’expérimentation pour démontrer la pertinence du projet et affiner la rédaction des textes. Car conjointement à ces actions de terrain, les premiers textes concernant les CAMSP se rédigent, à partir des travaux du pédopsychiatre Roger Salbreux. Leur existence juridique ne sera finalement créée qu’à l’occasion de la loi du 30 juin 1975 avec la promulgation de l’article 3 : « Les enfants chez qui un handicap aura été décelé ou signalé, (…) pourront être accueillis dans des structures d’action médico-sociale précoce en vue de prévenir ou de réduire l’aggravation de ce handicap. La prise en charge s’effectuera sous forme de cure ambulatoire comportant l’intervention de médecins et de techniciens paramédicaux et sociaux et, si nécessaire, une action de conseil et de soutien de la famille. Elle est assurée, s’il y a lieu, en liaison avec les institutions d’éducation préscolaire » (Code de la santé publique—Article L164-3, 1975).

Ce développement se fait parallèlement au secteur psychiatrique avec pour point commun, cette nécessaire idée de « services de proximité » pour rendre plus accessible mais aussi afin de promouvoir une approche plus globale. Le Dr R. Salbreux parle d’ailleurs d’une « concurrence » (Salbreux, 2014) entre ces textes promouvant un même courant de pensée. Le contexte social et politique de l’époque, avec les événements de Mai 1968, vient bousculer les esprits et de nouvelles valeurs sont proclamées. Une évolution du regard de la société emboîte le pas doucement à ces mouvements d’idées qui germent. La personne handicapée n’est plus vue à travers l’unique prisme de ces incapacités mais devient une personne en droit de faire des choix, la concernant et d’être traitée avec dignité. Reste alors aux soignants, de combattre « une lecture étroite du texte fondateur de l’Ordonnance de 1945 » (Salbreux, 2014) les désignant alors comme des « irrécupérables » .

Un cadre, des missions, quelle évolution ?

En application de la loi 1975, le décret autorisant et réglementant la création et le fonctionnement des CAMSP sera finalement pris le 15 avril 1976. Plus connu sous la dénomination réglementaire d’annexe XXXII bis au décret du 9 mars 1956 modifié, il vient reconnaître le travail des équipes qui œuvraient déjà. L’article premier y décline les missions inhérentes au CAMSP, à savoir : le dépistage, le diagnostic, le traitement (« la cure ambulatoire »), la rééducation, la prévention et une guidance familiale. Vaste domaine d’intervention, pour des populations vulnérables elles mêmes diverses à l’extrême. Le CAMSP est un établissement accueillant en ambulatoire des jeunes enfants de la naissance à six ans, à risques ou présentant tous types de retard de développement ou de handicap (intellectuels,  moteurs, cognitifs, sensoriels, psychiques, isolés ou multiples). Il est un lieu d’adresse pour des parents confrontés à une inquiétude, une souffrance dès les premiers jours ou durant les premières années de la vie de leur enfant. Relevant du secteur médico social, l’objectif est d’intervenir le plus précocement possible afin de limiter l’aggravation des difficultés et de favoriser l’adaptation au milieu social et scolaire. Pour ce faire, un soutien à l’accès aux différents lieux de la petite enfance et de la scolarité est effectué puis préservé par un lien entretenu avec ces partenaires extérieurs. Au-delà de ces missions, l’article 9 du décret vient poser les bases des coconsultations, dans une volonté de ne pas morceler les soins : « Le centre doit s’attacher à réduire les déplacements des consultants en pratiquant autant que possible, au cours d’une même séance, les examens, les rééducations et la guidance familiale. » En est-il encore ainsi sur le terrain ? Les personnes qui coordonnent les CAMSP, ont-elles encore cette idée qui sous-tend leur action ? Le contexte sociétal et politique ne vient-il pas impacter notre réalité de terrain ? L’évolution législative vient, avec la loi du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale et promeut l’idée de la personne « au centre du dispositif ». Elle entraîne ici une question dans son sillage : qui est donc cet « usager » au sein des CAMSP ? Puis suivra la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. Face à la souffrance de parents, le poids de la loi impacte notre travail dans un accompagnement d’une réalité parfois bien loin du cadre légal. Nous venons de voir la genèse des CAMSP au travers de la « perspective  révolutionnaire » (Grim, 2000, p. 165) du Centre d’Aide à l’Enfant Rozanoff et de l’évolution législative qui lui a succédé. Mais qu’est-ce qui détermine cette approche très particulière ?

Une culture du médico-social précoce ? 

En me plongeant dans la littérature entourant l’action précoce, et notamment les écrits de l’Association Nationale des Equipes Contribuant à l’Action Médico-Sociale Précoce (ANECAMSP), j’ai pu lire qu’il y avait une « culture des CAMSP »(Salbreux et al., 2007, p. 9). Mais qu’est-ce que cette culture ? D’un point de vue étymologique, culture vient du latin « cultura », qui signifie « habiter », « cultiver » ou encore « honorer ». À lui tout seul, ce mot a engendré plus de 150 définitions rédigées par des anthropologues (Kroeber et al., 1963). Par analogie à une « culture CAMSP », nous pourrions parler de la « culture sourde », qui désigne un ensemble de représentations, de savoirs, de pratiques, de règles sociales, de comportements et de valeurs propres à certains sourds et à leurs proches communiquant avec la langue des signes. Aurait-on nous aussi une langue autour de laquelle nous avons développé des usages spécifiques ? Comment le personnel habite-t-il son action d’accompagnement précoce ? Comment en travaillant en CAMSP, cultive-t-on possiblement certaines valeurs communes, qui viendraient souder notre communauté ? Et quelles sont-elles ?

Une vision holistique
L’action médico-sociale précoce cherche à repérer les multiples causes de déficiences des enfants, de les désintriquer entre les tenants du « tout neurologique » ou du « tout psychologique », du « tout social » ou du « tout éducatif », de l’inné et de l’acquis. Si nous revenons au terme de « culture », ne désigne-t-il pas aussi ce que nous venons modifier par notre action de cultiver la terre ? Avec cette culture, nous venons agir sur ce qui pousse parfois naturellement. Or ici n’avons-nous pas parfois besoin, de cette « culture CAMSP », afin de modifier un certain penchant naturel à catégoriser, à vouloir mettre dans une case par facilité ? Ne permet-elle pas de lutter contre une propension à questionner la causalité : est-ce neurologique ou psychiatrique ? La réalité clinique nous apprend que les frontières sont loin d’être nettes et que les intrications sont nombreuses entre les différents domaines. Cette humanité que souhaite cultiver les CAMSP, n’est-elle pas liée au refus de cette dualité, signe d’un arrêt de la réflexion ? De plus ne peut-on pas faire le lien avec notre profession, où les deux unités « psycho » et « motricité » se sont unies, traduisant l’inter-relation de ces deux composantes ? Vision holistique et globale de l’être humain qui vient s’inscrire ici dans une volonté de ne pas cliver.

Comme l’écrivent Roger Vasseur et Pierre Delion :
« La dichotomie entre troubles moteurs et troubles psychologiques au niveau du diagnostic comme de la prise en charge ne permet pas d’appréhender la complexité du développement du bébé au cours duquel se tissent les éléments moteurs, posturaux, sensoriels, relationnels, et de l’environnement physique, social, culturel, ce qui entache la compréhension de la pathologie et donc le projet thérapeutique » (Vasseur & Delion, 2010, p. 7).

Finalement n’est-ce pas en allant rechercher les « comment » plus que les «pourquoi», que des ébauches de réponses pourront émerger ? Cette question va particulièrement nous intéresser dans la suite de notre propos par la présence de certains facteurs de risque.

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Table des matières

INTRODUCTION
I. POSER LE DECOR
1. LE CAMSP, HERITIER D’UNE HISTOIRE
1.1 Période des origines
1.2 Un cadre, des missions, quelle évolution ?
1.3 Une culture du médico-social précoce ?
1.4 Le CAMSP, la psychomotricité, la psychomotricienne et moi
2. À LA RENCONTRE DE SARAH ET MME M
2.1 La première rencontre
2.2 En remontant le fil de l’histoire
3. TOC, TOC, TOC, QUI EST LA ?
3.1 Sarah, une manière d’être au monde
3.2 Face à l’ambivalence, la discontinuité
II. DES MOUVEMENTS D’ARRIERE-SCENE A L’ECLAIRAGE DE NOTRE ESPACE SCENIQUE
1. QUELLE SUITE DANS UN CONTEXTE PSYCHOSOCIOLOGIQUE FRAGILE ?
1.1 Une mise en lien
1.2 La « guidance parentale »
1.3 D’une prescription initiale vers un réaménagement de la demande
1.4 À la recherche d’une alliance thérapeutique
2. À LA RECHERCHE D’UNE CONTENANCE INSTITUTIONNELLE
2.1 Enveloppe institutionnelle
2.2 Être porté pour porter, quand l’institution fait fonction de tiers
2.3 Une métaphore des mouvements d’équipe
3. SUR LE FIL TENDU DE LA RELATION
3.1 Un ajustement constant
3.2 Une disponibilité créative
EN CONCLUSION, UNE OUVERTURE
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES

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