Depuis l’apparition des premières diodes lasers dans les années 80, les performances des lasers solides à base de verres ou de cristaux dopés terres rares ont connu un véritable essor. Les premières diodes émettant autour de 808nm étaient alors favorables pour le pompage des matériaux dopés Nd3+. Ces ions terres rares présentent cependant quelques inconvénients tels que des processus d’absorption dans l’état excité et des transferts d’énergie entre les ions, qui ont pour conséquence une réduction de l’efficacité du pompage. Les lasers s’intègrent de nos jours, dans un grand nombre d’applications et il a été nécessaire de les adapter aux besoins que ce soit pour la production de lasers à impulsions brèves, d’amplificateurs ou bien de lasers en régime continu. L’ytterbium trivalent s’est trouvé être un candidat particulièrement intéressant. Il présente des durées de vie plus longues que le néodyme et, sa structure simple qui conduit à seulement deux niveaux d’énergie évite les processus de relaxation croisée et d’absorption dans l’état excité. Les lampes flash auparavant utilisées ne permettaient pas de pleinement profiter du potentiel laser de cet ion.
Etude spectroscopique du CaF2:Yb3+
Au début du siècle dernier, W. J. Humphreys fit l’observation que les cristaux de fluorine (Fluor-Spar) étaient extrêmement sensibles aux effets thermiques [Humphreys1904]. Grâce aux propriétés de thermoluminescence des cristaux provenant d’Amelia Court House (Virginie), le simple fait de les tenir dans ses mains les rend lumineux. W.J. Humphreys entreprit alors une vaste étude de recensement de cristaux provenant d’Asie, d’Europe et même d’Amérique. A l’aide d’une technique utilisant des arcs électriques, comme source d’excitation et un spectrophotomètre visible pour la détection, il put quantifier l’ytterbium ainsi que l’yttrium présent dans la fluorine naturelle. Il conclut que presque tous les cristaux recensés présentaient de l’ytterbium, reconnaissable par deux raies principales de fluorescence situées à 3694.37 et 3988.16 Angstrom. Parmi tous ces cristaux, trois d’entre eux provenant du Texas, de Bolivie et de Virginie, étaient particulièrement riches en yttrium et en ytterbium.
En 1909, G. Urbain entrepris à son tour, des mesures de phosphorescence cathodique [Urbain1909] sur de la fluorine naturelle et pu mettre en évidence une quantité importante de terres rares. De nombreux travaux sont venus s’ajouter à ces précédentes études, mais ce n’est que dans les années 60, que la caractérisation de la matrice de CaF2 :Yb3+ connut son premier engouement . Au début du vingtième siècle, les premiers rares travaux étaient menés sur de la fluorine naturelle et il fallut attendre la découverte des procédés de synthèse du CaF2 pour que les études s’intensifient. La technique de croissance maîtrisée, depuis la mise en place d’un procédé de synthèse décrit par D.C. Stockbarger en 1949 [Stockbarger1949], des études spectroscopiques minutieuses, mettant en jeu des quantités importantes de cristaux présentant des concentrations en ytterbium s’étendant de 0.01 à 30% en poids [Voron’Ko1969] (4 10-3 à 18%at.), purent ainsi être réalisées.
Aux mesures expérimentales portant parfois sur les sites dits isolés mettant en jeu ou non des impuretés (H, OH- , O2-), et parfois sur les agrégats, sont venus s’ajouter des calculs théoriques de champ cristallin [Baker1970]. Par conséquent, cette matrice dopée ytterbium a fait l’objet de nombreux travaux. Bien que l’ion ytterbium trivalent soit le plus simple des ions terres rares, puisqu’il ne présente que deux niveaux d’énergie, les résultats spectroscopiques reportés dans les années 60, semblent confus et divergent la plupart du temps. Au cours des années 1980 et 2000, l’intérêt porté sur le CaF2 :Yb3+ s’atténua. Certaines études traitaient néanmoins de la répartition des ions terres rares à forte concentration, ce qui permis de mettre en évidence la présence d’un site majoritaire, apparaissant à forte concentration en ytterbium dans la fluorine [Catlow1984]. L’intérêt pour le CaF2 :Yb3+ a évidemment évolué en fonction des avancés de la recherche. Dans le courant des années 70, des études lasers furent réalisées sur le CaF2 :Nd3+ . Néanmoins, à cause des processus de relaxations croisés, ces études ne purent conduire à l’obtention de l’effet laser autour de 1µm et d’autres matrices furent alors préférées. Les matériaux lasers dopés ytterbium commencèrent à susciter de l’intérêt grâce au développement dans les années 90 des premières diodes lasers InGaAs permettant le pompage optique autour de 915nm ou de 980nm [Wu1990] [Krupke2000]. Suite au premier résultat laser à température ambiante du YAG :Yb pompé par diode InGaAS par P. Lacovara et al., l’engouement porté sur les matériaux dopés Yb3+ augmenta rapidement [Lacovara1991]. L’ytterbium commença alors à concurrencer le néodyme et les anciennes matrices revinrent sur le devant de la scène, ce qui explique le regain d’intérêt dans les années 2000, porté sur l’étude du CaF2 :Yb3+ .
De nombreux travaux ont par ailleurs été menés sur le CaF2 dopé par d’autres ions terres rares (TR). Pratiquement toutes les TR aussi bien divalentes que trivalentes, incorporables dans la matrice de CaF2, ont ainsi été étudiées, parmi celles-ci, on peut citer l’holmium [Mujaji1999], le thulium [Strickland1997], l’europium, l’erbium [Ranon1963], le praséodyme, le néodyme, le samarium, le gadolinium, le terbium, ainsi que le dysprosium [Hayes1974] [Weber1964] [Bierig1963] [Bierig1964].
A l’issue de toutes ces études, l’ytterbium dans le CaF2 n’avait toujours pas été complètement caractérisé spectroscopiquement. Les résultats étaient parfois divergents et leur grand nombre ne facilitait en rien la compréhension de la répartition des ions au sein de la matrice. Afin de clarifier les résultats présents dans la littérature, nous avons par conséquent décidé de réaliser une étude spectroscopique détaillée des ions Yb3+ dans le CaF2, à la fois pour les faibles teneurs en dopants (ions isolés) et aussi pour les fortes concentrations (agrégats).
Etat de l’art
L’étude du CaF2 dopé par des ions TR est une histoire ancienne, comme nous l’avons vu précédemment, les premiers travaux scientifiques ont été menés au début du siècle dernier par W.J. Humphreys et M.G. Urbain [Humphreys1904] [Urbain1909]. Cependant, les importants moyens scientifiques, tant expérimentaux (EPR, spectroscopie…) que théoriques (calcul du champ cristallin, modèle statistique afin d’observer la stabilité des différents sites possibles…) mis en jeu n’ont jamais permis de caractériser totalement les ions ytterbium trivalents présents dans la matrice de CaF2.
Le CaF2 dopé terres rares trivalentes
Techniques expérimentales de caractérisation
Au début du siècle dernier, la phosphorescence cathodique a été une des premières techniques utilisées, dans le but de caractériser les impuretés de terres rares présentes dans la fluorine [Urbain1909]. Cette technique consiste à bombarder les cristaux avec des électrons. Ces projectiles pénètrent dans la matière et mettent en vibration les atomes entraînant une émission lumineuse, observable à l’aide d’un spectrophotomètre. Il est intéressant de noter que la détection des raies d’émission était réalisée dans le domaine spectral visible et par conséquent les raies associées à l’ytterbium, correspondaient en fait à de la fluorescence coopérative. Ce processus mettant en jeu au moins deux ions ytterbium proches qui lors de leur désexcitation radiative, peuplent un niveau métastable virtuel situé à environ 20000 cm-1, n’a pourtant été mis en évidence pour la première fois qu’en 1970 par E. Nakazawa et al. [Nakazawa1970]. Dans le courant des années 60, les processus de croissance des cristaux étant connus, et les détecteurs infrarouges existant, les études spectroscopiques ont pu débuter. A l’aide de sources blanches, l’absorption ainsi que la fluorescence ont pu être observées en fonction des différents taux de dopage en ions terres rares [Voron’Ko1969] [Kirton1967] [Low1960]. Cependant, ces travaux étaient menés à l’aide de lampes incandescentes qui ne permettent pas l’excitation sélective [Voron’Ko1969], ce qui rend difficile la dissociation des différentes espèces apportant leurs contributions sur les spectres optiques. Par la suite, les techniques se sont sophistiquées, on peut citer entre autres, des mesures spectroscopiques sous l’effet du champ magnétique (effet Zeeman) [Low1960], des études RPE (Résonance Paramagnétique Electronique) [Ranon1963] [Ranon1966] [McLaughlan1966] [Kirton1967] [McLaughlan1965] [Bierig1963] [Bierig1964], d’ENDOR (Electron Nuclear Double Resonance) [Baker1970] [Baker1969] [Baker1975] [Ranon1966], ainsi que des mesures d’EXAFS (Extended X-ray absorption fine structure) [Catlow1984]. Ces moyens de caractérisation nécessitent néanmoins, l’utilisation de modèles théoriques assez complexes afin de pouvoir interpréter les données expérimentales. Une des dernières techniques expérimentales utilisées se trouve être la spectroscopie sélective à l’aide d’un laser Sa :Ti [Falin2003]. Cette source laser découverte en 1982 [Moulton1986], est quasi monochromatique et largement accordable, ce qui permet de réaliser des mesures d’excitation et d’émission avec une bonne résolution spectrale. Cette méthode présente l’avantage de pouvoir observer les transitions optiques associées à l’ion étudié, en s’affranchissant de l’emploi de techniques d’interprétation compliquées.
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Table des matières
INTRODUCTION
A. Introduction
B. Etat de l’art
B.1. Le CaF2 dopé terres rares trivalentes
B.1.1. Techniques expérimentales de caractérisation
B.1.2. Outils théoriques
B.2. L’ytterbium trivalent dans le CaF2
B.2.1. Structure électronique de l’ion Yb3+
B.2.2. Répartition des ions Yb3+ au sein de la matrice de CaF2
B.2.3. Sites de symétrie cubique
B.2.4. Sites de symétrie C4v et C3v
B.2.5. Site(s) présent(s) à plus forte concentration
B.3. Bilan sur l’état de l’art des études spectroscopiques du CaF2 :Yb3+
C. Spectroscopie sélective de cristaux de CaF2 faiblement dopés Yb3+
C.1. Introduction
C.2. Méthode de synthèse des cristaux de CaF2 par Bridgman – Stockbarger
C.3. Dispositifs expérimentaux
C.4. Spectroscopie du CaF2:Yb3+ à faible concentration et à basse température
C.4.1. Sites de symétrie cubique Oh
C.4.2. Sites de symétrie tétragonale C4v
C.4.3. Sites de symétrie trigonale C3v
C.5. Bilan et discussion
D. Spectroscopie sélective à forte concentration – Formation de complexe(s)
D.1. Evolution de la spectroscopie avec la concentration en Yb3+
D.1.1. Apparition d’un site majoritaire à forte concentration en Yb3+
D.1.2. Emission dans le visible
D.1.3. Discussion
D.2. Caractérisation spectroscopique des agrégats d’Yb3+ dans la matrice de CaF2
D.2.1. Choix des cristaux
D.2.2. Caractérisation des sous niveaux Stark du multiplet ²F7/2
D.2.3. Caractérisation des sous niveaux Stark du multiplet ²F5/2
D.2.4. Bilan
E. Conclusion et Bilan
Annexe I. Bilan des études des ions Yb3+ isolés dans la matrice de CaF2
Annexe II : Calcul du champ cristallin et loi des barycentres
CONCLUSION